1. Comme pour tout dans la vie, je fais avec
Sexe faible.
Sexe docile.
Sexe accueillant.
Sexe humide.
Sexe serré.
Voilà toutes les nuances du désir qui traverse les petits yeux de Dick lorsqu'il me salue. Son sourire à peine retenu ne trompe personne, toutefois, jamais sa convoitise n'a franchi cette limite.
Pense. Mate. Mais ose me toucher, et ton nez risque d'en subir les conséquences. Ou tes couilles... ou les deux. Circle, mon ancien patron, sait de quoi je parle.
- Je te confie la boutique, chérie. Un peu de dépaysement ne me fera pas de mal. Tu te souviens de ce qu'on avait convenu ? Tu pourras gérer la station toute la semaine ?
Je jette un œil à l'horloge murale. Midi.
- Je croyais que tu partais ce week-end ?
- J'ai quelques courses à faire avant le départ. Mais si tu as peur que je te manque, il n'y a pas de problème, je peux...
- T'inquiète, Dick ! Je m'occuperai de cette station-service comme s'il s'agissait de mon trésor le plus cher.
Dans le cadre de la porte, sa silhouette ventripotente m'oppresse.
« Du dépaysement », mais oui, bien sûr ! Me prend-t-il pour une idiote ? Pense-t-il que je n'ai pas vu le petit manège de Lucinda, cette quinquagénaire léopard, paumée au point de sucer le tenancier d'une pompe à essence perdue pour une semaine de vacances tous frais payés ?
En plus, il faut se le farcir ! Il a beau avoir dix ans de moins qu'elle, son crâne dégarni, sa stature constamment affaissée et son air mi-pervers mi-rabougri n'ont absolument rien de séduisant.
Bref, je lui souhaite bon vent aux Bahamas !
Une fois qu'il déserte les lieux, je respire. Je ne suis pas rassurée pour autant, car malgré ses fantasmes lubriques, il est ma protection, posté derrière le comptoir de sa boutique pendant que je sers les clients venus faire le plein.
Rares sont les véritables déconvenues, cependant, je n'échappe jamais aux scanners appréciateurs de ces putains de messieurs.
Comme pour tout dans la vie, je fais avec.
Le soleil à son zénith, la chaleur de cette dernière semaine du mois de juin est cuisante. J'attache mes cheveux en queue de cheval tout en surveillant depuis mon poste les nouvelles pompes avec dispositif MasterCard permettant aux clients de payer leur galon sans se présenter au guichet. Quand je disais que cet établissement était perdu, il semblerait qu'il le soit également dans le temps. Très loin derrière...
Je retire mon chemisier, ne laissant qu'un vieux débardeur me couvrir au-dessus d'un jean usé.
J'ai hâte que cette journée s'achève.
Après de nombreux passages, une voiture d'un acabit particulier attire mon attention. Je ne m'y connais pas vraiment, mais cette Mercedes coupé sport bleu nuit, tout en sobriété - de celles qui clament : j'ai beaucoup de fric, j'aime les belles bagnoles, mais je n'ai pas besoin de Lamborghini pour me la péter - est à l'arrêt devant l'une des pompes. Un homme en costume est occupé avec le pistolet. Un indéfinissable malaise me gagne.
Pourquoi ?
Il replace le pistolet dans le dispositif.
Mon estomac se tord.
Il passe sa main dans ses cheveux châtains.
Boum boum... boum boum...
Quand il pivote pour retourner à sa voiture, mon cœur cesse de battre. Réellement.
Jusqu'à se mettre galoper comme je me rue dehors, hors de moi.
«Comment ?»
L'intérieur de mon corps tout entier accuse le choc en révulsant. Et mes jambes courent, courent. Et quand je ne suis plus qu'à quelques mètres, quand il est déjà monté sur le siège passager, lorsque la voiture démarre et que notre regard se croise... Je jure qu'il me reconnaît.
Il se fige, écarquille ses yeux qui me suivent, tandis que le véhicule s'en va.
Non... Non... Non !
- Abain ! hurlé-je en me précipitant derrière la Mercedes.
Elle ne s'arrête pas.
La conductrice, car c'était bien une femme au volant - une jolie femme -, m'a ignorée et poursuit sa route.
Me laissant pantelante, sur le bord de la Hell's road déserte, le cœur erratique, avant qu'il ne se désintègre pour la seconde fois en six ans.
Il est vivant.
En Pennsylvanie.
Dans son expression, la surprise a primé. Ensuite, dans ces iris qui éclataient jadis d'intensité, il ne restait plus rien.
Que l'indifférence caractéristique qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Celle qui m'a ruinée, plus que mes cinq années perdues. Plus que mes nuits dans les squats, que les insultes dévastatrices. Plus que ma dignité bafouée.
Son indifférence...
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