Chapitre 99
Mon cœur se serre une nouvelle fois dans ma poitrine, mais sans doute pas pour les bonnes raisons.
Gauthier, lui, prend un air pensif et s'éloigne de moi en atteignant les jardins des Émeraudes pour se détacher de notre conversation pour le moins... éprouvante, il faut le dire.
Il vaut peut-être mieux pour notre équilibre émotionnel que nous soyons présents à la réunion ce soir, ne serait-ce que pour éviter la catastrophe imminente que déclencherait un second dialogue après cette discussion à cœur ouvert.
Si on regarde un peu en arrière, on se rend vite compte que toutes nos disputes résultent d'une tentative quelconque de changement de sujet après avoir abordé une question sensible.
Gaby nous accueille d'une remarque un brin suspicieuse – aurait-elle rencontré Alix en chemin ?
— Qu'est-ce que vous fabriquiez ? Je croyais que vous étiez fâchés !
Je ne peux m'empêcher de rire tant c'est impersonnel. Le garçon aux cheveux bruns n'esquisse pas le moindre mouvement, demeurant parfaitement stoïque face au vent.
— Comme Alix était en retard, elle nous a dit de partir d'abord et nous en avons profité pour évoquer l'intervention de ce matin.
Même si mon amie paraît sceptique, elle n'en rajoute pas et conclut, apaisée :
— Le principal, c'est que vous vous reparliez. Aloïs ne devrait pas tarder, et je suis sûre qu'Ambroise et Em' finiront par nous rejoindre, quand ils auront arrêté de se bécoter. Autant avant ils n'étaient pas très tactiles, mais maintenant qu'ils sont en couple, ils sont complètement décomplexés ! Ah, les joies de la...
— Gaby !
— Quoi ? Je prends note ! Ils sont mignons, hein, je ne dis pas le contraire.
J'approuve d'un signe de tête tout en m'asseyant. J'ai toujours peur qu'elle fasse une allusion tout aussi subtile que la précédente concernant mes sentiments pour Gauthier, qui semble définitivement perdu dans ses pensées. Profitant de son égarement, j'interroge la jeune femme à mon tour :
— Et toi, tu fréquentes quelqu'un en ce moment ?
Elle fait un signe de tête en direction du sorcier pour me faire comprendre qu'elle n'a pas forcément envie de divulguer sa vie amoureuse.
Je comprends, mais si elle croit que je vais encore la laisser s'en tirer, elle se trompe lourdement. Têtue un jour, têtue toujours !
— Ça m'étonnerait que Gauthier soit occupé à écouter tes péripéties romanesques, aussi rocambolesques soient-elles.
— Quelles péripéties romanesques ?
Aloïs surgit des fourrés, particulièrement enjoué. En voilà un qui s'est remis de son mensonge de la matinée ! Dommage que ce ne soit pas encore mon cas.
— Mes ébats d'hier soir.
— Avec Éthan, c'est ça ?
— Tais-toi, abruti ! Pourquoi tu es en retard, d'ailleurs ?
— J'étais passé chercher Rubis, mais Alix m'a dit qu'elle était déjà partie.
Sans que personne puisse entreprendre le moindre mouvement, Gauthier sort de sa torpeur, fusillant le Saphir du regard.
En sentant l'air se charger d'ondes négatives, je jette un coup d'œil affolé à mon amie pour qu'elle vienne à ma rescousse, mais elle reste impassible face à cette subite pesanteur.
À mon plus grand soulagement, c'est ce moment que choisissent Émilie et Ambroise pour apparaître. L'aura de calme et de sérénité qui s'en dégage me donne suffisamment de courage pour prendre la parole :
— Alix n'est pas encore là, mais elle m'a assuré qu'elle nous rejoindrait bientôt. Nous n'avons qu'à commencer par parler des événements de ce matin, par exemple. Tout le monde était présent au discours de Monsieur Jaffrès ? On ne vous y a pas vu, vous deux.
Les amoureux rougissent instantanément, laissant présumer ce qu'ils ont retenu de ce discours auquel ils n'ont probablement même pas assisté.
C'est étonnant comment ensemble, ils forment une tout autre personne, alors que séparément ils sont juste des individus au quotidien laconique.
Gaby prend le relais – elle est décidément beaucoup plus douée que moi pour ce genre de rituels :
— Il est évident que notre tout nouveau proviseur parlait de la Confrérie des Ombres et de ce qui s'est passé dernièrement avec cette... intrusion dans mes pensées. Il n'a pas donné énormément de détails, mais ses avertissements laissent présager la mise en place de mesures inédites dans les prochains jours.
— Oui, mais n'oublions pas qu'il a aussi évoqué d'autres incidents extérieurs à Talesia, argue Aloïs. En aucun cas il n'a dit que nous étions spécifiquement visés.
— Nous n'avons jamais eu écho de ces incidents auparavant, pourtant.
— Peut-être qu'ils se sont produits dans d'autres établissements.
— À Saclonyos, propose Gauthier, de plus en plus perplexe.
— C'est une école de magie ?
— Noire. De magie noire. Elle n'est pas reconnue par les forces surnaturelles, comme vous pouvez vous en douter, mais elle reste contrôlée. J'y ai en partie étudié l'année dernière, et ça ne m'étonnerait pas que l'ordre se soit développé là-bas. Théoriquement, la Confrérie est récente de quelques mois, et c'est la raison pour laquelle personne n'en a entendu parler avant. Mais en pratique...
— Attends une minute, j'ai dû louper un épisode, relève Gaby. Tu veux dire que tu as passé ta première année de sorcier dans un établissement pour apprentis-Aaron ?
— Un peu avant, même. J'y ai été... contraint.
Personne ne cherche à en savoir davantage. Déjà que l'ambiance n'était pas très bonne... mais alors avec sa déclaration, la brunette est parvenue à la refroidir davantage. J'essaie de relancer le débat, une tentative qui s'avère payante :
— Que pouvons-nous faire ?
— Rien. Nous n'avons plus de nouvelles d'Aaron, il n'y a pas eu d'incident ces quinze derniers jours... Je ne vois pas pourquoi on chercherait les ennuis, théorise Gaby, se levant déjà.
— Oui, mais tu as entendu Monsieur Jaffrès. Si on ne se renseigne pas dès maintenant, on sera désemparés lorsque la menace sera trop proche. Nomis... je suis sûre qu'il est lié à tout ce qui s'est produit depuis notre arrivée à Talesia. Ça ne la dérangera pas de recommencer, au contraire !
— Pour l'avoir côtoyé, renchérit Gauthier, lui et les siens ne s'arrêteront pas. On entend, on voit tous des choses. Moi, j'ai presque failli les faire... Peu importe leur action du jour, tout se déroule en silence, dans un bois perdu ou au coin d'une rue. Ça n'est pas pour rien si ces mages commencent à commettre leurs méfaits en public, maintenant qu'ils sont assez puissants pour se soustraire à une quelconque autorité.
— Mais quel est leur but ?
— Ils ont une vision manichéenne du monde. Ils veulent faire dominer le mal et la magie noire qu'ils jugent sûrement plus caractéristiques des sorciers, même si pour cela ils doivent éradiquer un peuple tout entier. Personne ne connaît leur réelle motivation.
— Alors nous devons rester vigilants, surtout si nous choisissons de poursuivre la quête de l'Esmantium.
— C'est à toi d'en décider, Rubis. Tout ce qu'on peut faire pour t'aider, pour l'instant, ce sont des recherches.
Aloïs se propose pour interroger Madame Veinwic, censée être « réceptive à tous types de questions ». Sérieusement ?
Les idées éclaircies, nous nous dispersons tous.
💎💎💎
Avant de manger, je prends l'air du côté de la zone des Saphirs, déserte à cette heure-ci, farfouillant ma mémoire dans l'espoir de trouver un quelconque indice sur l'emplacement de l'une des trois autres stèles liées à l'Esmantium – en vain.
Exaspérée, j'agite encore et encore mon pendule au-dessus d'une carte du monde, jusqu'à ce que la présence de Gauthier me force à m'arrêter. Je n'aurais pas plus de succès en sachant qu'il est là.
— Je ne vois pas en quoi je suis censée être guide. Je ne suis même pas capable de faire léviter une fichue pierre !
— C'est normal, tu ne peux pas tout savoir, et encore moins être capable de tout réaliser en un claquement de doigts.
Ses mains glissent le long de mes bras, jusqu'à se poser sur ma taille. Je m'abandonne à son contact, consciente que toute cette frustration ne me servira à rien. Il l'a bien compris, lui aussi. Il murmure à mon oreille en secouant le pendentif rouge :
— Détends-toi.
Je m'exécute du mieux que je peux et me laisse aller contre son torse.
Je n'ai jamais été si proche de quelqu'un auparavant. Toute ma vie, j'ai préféré garder mes distances avec les autres, qu'ils soient inconnus ou qu'il s'agisse de ma mère.
Mais avec Gauthier, c'est différent. On s'emboîte, en quelque sorte. En quelques mois, ma solitude s'est complètement estompée, et ce sans même que je m'en aperçoive.
— Esmantium, ubi es ?
Au bout d'une longue minute, le pendule paraît s'immobiliser un instant pour repartir aussitôt, réduisant tous mes efforts à néant.
— Essayons à deux. Ça fonctionnera peut-être.
La réponse du Diamant a beau être hasardeuse, je sens qu'il y croit tout autant que moi, si ce n'est plus. Répétant la même phrase encore et encore, je resserre mes doigts autour des siens.
Cette fois, le résultat ne se fait pas attendre. Une force mystérieuse ralentit la pierre rouge... qui retombe à un endroit précis de la carte.
— C'est tout de suite plus efficace.
Où le pendule s'est-t-il arrêté ? 📌
Rubis, Gauthier et les autres mettront-ils la main sur la pierre bleue, la pierre verte et la pierre grise, les trois autres pierres constitutives de l'Esmantium ?
– 👌
– 🤷♀️
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