Chapitre 98
Je cligne des yeux à plusieurs reprises, surprise par la proposition de Gauthier... et par son soi-disant « rendez-vous » planifié au préalable.
— Tu as une courtisane, peut-être ?
Il se lève, et je fais mine d'être étonnée – même si j'ai une petite idée de la personne dont il s'agit. Il effectue plusieurs allers-retours à travers la pièce sans rien dire, laissant mon cœur s'affoler de lui-même : l'idée qu'Alix ouvre la porte et tombe sur nous ne cesse de m'effrayer, quand bien même j'essaie de la repousser.
Je commence à m'apaiser lorsque le jeune homme reprend la parole après plusieurs minutes de réflexion.
— Certains hommes, peu importe leur âge ou leur origine, considèrent les femmes comme des étoiles. La comparaison est belle, si on s'arrête là ; mais une majorité d'entre eux souhaite atteindre la plus éclatante des constellations, sans réaliser qu'elles sont toutes uniques à leur façon. Je ne me suis jamais questionné sur le sujet, le trouvant tantôt niais, tantôt désuet, mais pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression d'avoir trouvé celle qui, peu importe son âge ou ses origines, provoque chez moi une multitude d'étincelles dont j'ignorais l'existence.
Un sourire en coin se lit sur mes lèvres. C'est fou comme on peut se sentir bien, lorsque les mots ne sont plus nécessaires pour se comprendre. Ces éclats fugaces finissent peut-être par s'interrompre, mais c'est agréable d'être sur la même longueur d'onde, ne serait-ce qu'une seconde.
— Quelle est ton étoile à toi ?
— C'est un secret ! s'exclame-t-il, faussement indigné, tout en se rapprochant de mon visage. Le seul indice que je peux te donner, même si je doute qu'il te soit d'une grande utilité, c'est que ce météore est pour moi semblable à une ombre furtive, teintée d'un rouge étincelant, arrivée dans ma vie par un heureux hasard.
Nos corps restent immobiles pour mieux apprécier l'alchimie du moment. Mon sang bouillonne dans mes veines, même si rien ne bouge à l'extérieur. La tentation de presser mes lèvres contre les siennes, de réduire à néant la distance qui nous sépare pour enfin toucher sa peau est énorme. Trop, sans doute. Ses yeux se ferment et les miens aussi, humant déjà son parfum de sapins et de citrons sauvages.
Alors que l'espace qui nous éloignait aurait dû disparaître, je ne sens bientôt que le vide. À cet instant, la porte s'ouvre sur Alix, surprise de me trouver dans une telle position.
Quel lâcheur !
— C'est comme ça que tu révises ? En rêvassant ?
— Je viens juste d'arrêter, tenté-je de me justifier, en vain.
— Si tu le dis ! Gauthier m'a dit qu'il t'attendait en bas. Je vous rejoins plus tard. Ça vous laissera le temps de vous réconcilier.
Si elle savait... Même elle n'aurait pas trouvé meilleur moyen pour tourner la page après une dispute !
Inspirant un grand coup pour récupérer un peu d'air dans mes poumons décidément trop contractés, je sors précipitamment de la chambre, totalement hébétée. À l'extérieur, je suis accueillie par un grognement suivi d'un :
— Pourquoi diable Gaby a-t-elle décidé de planifier une rencontre ce soir ? J'avais un rencard de prévu, moi.
Je continue mon chemin en faisant mine de ne pas m'en préoccuper le moins du monde. Comme l'a précisé ma colocataire, mon partenaire et moi sommes toujours censés nous haïr profondément.
Après avoir vérifié que personne ne nous observe, sa main me rattrape – à croire que nos croissants de lune sont directement reliés l'un à l'autre.
Ici, en plein couloir, il glisse ses doigts entre mes mèches rebelles, son souffle chaud contre mon cou.
C'est inimaginable. Littéralement et complètement inimaginable.
Dès que je suis séparée de lui, je ressens le besoin incessant de le toucher. Je m'écarte à contrecœur, prête à rejoindre les jardins seule s'il le faut.
Revenu à ma hauteur, le Diamant recommence à jouer avec mes nerfs :
— Dois-je te rappeler que je suis généralement plus rapide, plus agile et plus...
— ... narcissique que moi ? Pas besoin. J'ai compris, depuis le temps.
Réalisant qu'il ne gagnera pas sur ce terrain-là – les mots sont plus mon domaine que le sien –, il se résigne et change de sujet.
— Comment se sont passées tes révisions ?
— Plutôt bien, dans l'ensemble. Et toi ? Je présume que tu t'es essentiellement focalisé sur la métamorphose ?
Il rit.
— J'étais bien trop absorbé par mes pensées pour étudier des sorts.
Tout paraît simple, évident. Comme si tout était déjà écrit quelque part, dans un livre qui prend la poussière sur une étagère, dans une idée fugace enfouie au fin fond d'un tiroir.
— Je peux te poser une question ? demandé-je enfin. Ça m'a toujours intriguée.
— Je t'écoute.
— Comment tu fais pour te déplacer si vite, comme lorsque tu me suivais partout dans ma maison, la première fois ?
— J'ai des gènes proches de ceux des athlètes les plus performants au monde, c'est tout. Tu connais Usain Bolt, non ?
— C'est ça, et moi j'ai la flémingite d'un escargot, persiflé-je.
— Ton sens de l'humour est toujours aussi développé, à ce que je vois ! Disons que c'est un dérivé d'une technique d'ensorcellement. J'utilise une formule qui me permet de me déplacer aux environs de la vitesse de la lumière, mais sur de très courtes distances – pas plus de deux ou trois kilomètres. C'est ce qui m'a permis d'accéder à ta porte tout à l'heure, puis de repartir.
— Quel exploit !
— Difficile de rivaliser avec ça, pas vrai ?
Je lève les yeux au ciel – il est impossible.
Je ne sais pas trop comment nos doigts se retrouvent à nouveau entremêlés, mais je ne les décolle pas – par habitude, sans doute –, profitant simplement de la chaleur de sa paume contre la mienne et prenant plaisir à sentir cette brûlure si particulière au creux de mon poignet.
— C'est quand même un peu malsain, tout ça. Tu ne trouves pas ?
— Comment ça ?
— Tu n'as jamais remarqué que lorsque nos croissants de lune se touchaient, au début, c'était toujours très... intense ? C'est encore le cas, mais ça ne me dérange plus autant qu'avant.
— Je ne sais pas. À cette époque, je me demandais si nous n'étions pas...
— Des âmes sœurs ? Moi aussi, mais depuis la découverte de ce lien supposé avec Aloïs...
— C'est ce qui fait l'unicité de ce phénomène, raille-t-il, peu satisfait. Soit les deux entités se complètent, soit elles s'opposent.
— J'avoue avoir songé à l'inversion, pour nous deux, chuchoté-je lorsque nous passons près du lac d'Argent. Je t'ai détesté tellement fort, lors de notre rencontre, sans penser une seule seconde que notre relation pourrait évoluer à ce point.
— Moi aussi, mais ton lien avec Aloïs nous a prouvé le contraire.
— Il faut croire que oui.
Vous croyez que le couple Gaubis est plus fort que le lien d'âmes sœurs qui unit Rubis à Aloïs ? 🤨
– 👍
– 👎
Comment imaginez-vous le futur de ces trois personnages ?
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