Chapitre 96
— Et tu as une idée de ce que ça peut être ?
— Aucune. J'ai su ça avec Éthan.
— Éthan ?
— Oui, le Saphir qui est avec moi en Minéralogie. On se parle souvent, ces temps-ci.
— Attends, tu veux dire que toi et cet Éthan vous...
Malheureusement, la sonnerie retentit pile à ce moment-là, empêchant Gaby de s'étaler sur ce sujet ô combien passionnant à mes yeux – bien plus que mon cours de Sortilèges.
Après quelques secondes de flottement, nous réalisons que ce n'est pas la même sonnerie que d'habitude. Celle-ci carillonne davantage.
Étrangement, je suis persuadée qu'elle provient du centre du campus, quelque part autour du grand cristal. Mon instinct magique fait encore des siennes, on dirait.
Lorsque nous y arrivons après avoir ramassé nos affaires, la plupart des élèves sont déjà rassemblés en cercle autour de Monsieur Jaffrès – comme on se retrouve !
Nous rejoignons Aloïs, mais le reste de la bande reste introuvable. L'Émeraude me chuchote à l'oreille pour que j'oublie son allusion à l'Éthan de tout à l'heure :
— Tu as raison, il est canon ! Tu penses qu'il...
— Si j'étais toi, l'interrompt le Saphir, je me méfierais. Il est sûrement très âgé, même si ça ne se voit pas forcément sur son physique.
— Tu crois qu'il utilise la magie pour se rajeunir ?
— C'est évident. Tu imagines un doyen de l'une des plus illustres facultés de magie de cet âge-là ?
— Tu as raison, c'est sans doute trop magique pour être vrai, renchérit Gaby alors qu'une image d'Albus Dumbledore se matérialise instantanément dans mon esprit.
À la réflexion, Monsieur Jaffrès est du genre à être effrayé par la vieillesse : j'ai bien senti qu'il avait voulu se montrer « cool » avec moi, d'une façon plutôt maladroite d'ailleurs.
— Méfiez-vous des apparences, comme on dit. Heureusement, certains sorciers sont contraires à cette pratique – même si beaucoup l'utilisent. Ils trouvent que c'est contre nature.
— Un peu comme la magie noire, quoi.
— Oui. Nul n'est parfait !
— Arrêtez, vous deux ! On n'est pas là pour pérorer sur l'existence du Bien et du Mal.
Ils se taisent immédiatement. Aloïs et Gaby peuvent parfois se montrer très – trop ? – philosophes lorsqu'ils sont ensemble.
Pendant que je m'énerve toute seule face à l'engouement de mes deux amis sur des choses aussi futiles qu'inutiles, le doyen entame son discours.
On le remarque plus à ses cernes et ses traits tirés qu'autre chose. Il semble épuisé, comme s'il n'avait pas beaucoup dormi ces dernières vingt-quatre heures. Prendrait-il enfin son rôle au sérieux ?
— Bonjour à tous ! Pour ceux et celles d'entre vous qui ne me connaissent pas, je suis Morgan Jaffrès, l'enseignant-chercheur en charge de l'université. Vous n'êtes pas sans savoir qu'auparavant, le corps professoral se soustrayait lui-même au bon fonctionnement de l'école. Or ces derniers temps, plusieurs événements nous ont amenés à reconsidérer cette décision et à requérir ma présence ici, parmi vous, afin de gérer les problèmes majoritairement externes à l'établissement. Ces dispositions ne changeront rien à votre quotidien, hormis concernant les mesures de sécurité qui vont être renforcées dans les prochains jours. Reprenez-moi si je me trompe, mais vous n'êtes pas sans savoir qu'une organisation riche de mauvaises intentions est récemment sortie de l'ombre. Pour l'instant, nous ne disposons que de peu d'informations sur cette confrérie et sur l'individu qui en est à l'origine. C'est pourquoi je vous appelle à faire preuve de la plus grande vigilance. Ces personnes veulent quelque chose de bien particulier et elles semblent prêtes à tout pour l'obtenir. Il est de notre devoir d'assurer votre protection, et cela passe par la confiance que nous plaçons en vous. Les sorties de Talesia, peu importe leur nature, sont donc interdites jusqu'à nouvel ordre ; seul l'accès au lac d'Argent et aux jardins environnants vous est autorisé. Vous constaterez également que certains cours porteront sur l'autodéfense, en particulier dans les disciplines relatives aux sortilèges. Dernier détail qui a son importance : ne laissez jamais votre gemme sans surveillance. En possédant votre émeraude, rubis, saphir ou diamant, qui sait de quoi vos adversaires seraient capables ? Certains d'entre vous l'ont déjà appris : votre pierre précieuse est la matérialisation physique de votre âme. Malgré la situation dans laquelle nous nous trouvons, je vous invite à ne pas céder à la peur ni à la panique. Ensemble, nous serons toujours plus forts que nos ennemis. Quels qu'ils soient.
Il marque un temps d'arrêt pour nous laisser le temps de prendre la pleine mesure de ses paroles. Personne n'ose bouger avant qu'il poursuive quelques instants plus tard, d'un ton plus léger :
— Cela étant dit, je vous rappelle que vos examens respectifs débuteront en début de semaine prochaine. Ils se clôtureront par un duel de magie aléatoire, à l'issue duquel le meilleur d'entre vous sera récompensé, sachant que les Premières années peuvent désormais y participer, compte tenu des circonstances actuelles qui nous poussent à vous exercer au maximum. L'Esbat qui se tiendra le jour du solstice d'été est pour le moment maintenu. Le thème se réfère aux divinités et aux quatre éléments : l'eau pour les Saphirs, la terre pour les Émeraudes, l'air pour les Diamants et le feu pour les Rubis. Amusez-vous bien, mais n'oubliez pas de réviser avant de laisser place à la détente... et non l'inverse !
Dans un ultime élan, il se tourne vers l'immense cristal derrière lui, qui s'illumine brusquement. Un nombre se matérialise en chiffres romains : il ne nous reste que 24h avant le début des partiels. Bonjour le stress !
— Le compte à rebours est lancé. Faites bon usage de votre destinée.
Puis il disparaît, ne laissant que des volutes de fumée derrière lui. Aussitôt, un brouhaha s'élève dans l'assemblée, tandis que j'essaie de faire le point sur toutes les informations que nous venons de recevoir. Gaby s'est mystérieusement volatilisée et les autres restent introuvables.
Après plusieurs tours de salle, je rejoins Aloïs et lui demande avec un air inquiet qui me trahit immédiatement :
— Tu as vu Gauthier ?
— Non.
Je mets un moment avant de penser à sortir mon téléphone de ma poche – la magie m'a fait perdre cet automatisme.
Où es-tu ?
— Tu sembles très... attachée à lui, commente le Saphir, perplexe.
— Oui.
— Il est parti par la gauche tout à l'heure.
— Merci !
Le ton froid d'Aloïs me perturbe, mais je n'ai pas le temps de réfléchir à son comportement. Coup de chance, je manque de percuter le Diamant en sortant – je ne risque pas de le louper, au moins.
— Tu viens d'où ? demandé-je, plus suspicieuse que jamais.
— Du calme, Mademoiselle Brightwood ! Je suis allé faire un tour à quatre pattes dans la forêt, si tu vois ce que je veux dire.
Un soupir de soulagement m'échappe lorsque je découvre une feuille dorée emmêlée entre deux mèches de ses cheveux. Il ne peut pas m'en vouloir ! Il n'a pas nécessairement brillé par sa sincérité, ces derniers temps.
— Et quand tu étais encore ici, tu es parti vers la gauche ou la droite ?
— La droite, pourquoi ? Ça fait moins d'un quart d'heure...
Je m'écroule contre le mur, complètement déboussolée. Et un problème de plus ! Comme si c'était le moment...
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Problème d'âmes sœurs, tu vois le genre.
Pas besoin d'en dire plus.
Aloïs m'a menti. Il sait que Gauthier et moi sommes très proches – trop, à son goût –, et ma relation avec le Diamant, de quelque nature qu'elle soit, entachera forcément notre amitié. Je viens tout juste de m'engouffrer dans un triangle à sens unique et je sais pertinemment que la relation entre le sommet et les côtés ne peut se faire qu'en ligne droite.
Bon sang, qu'est-ce que je déteste les triangles amoureux !
Parmi tous les romans à l'eau de rose que j'ai pu lire, il a fallu que ça m'arrive à moi, l'ancienne brunette parfaitement banale rejetée par ses pairs et en constante incertitude ?
Mieux vaut laisser un point seul plutôt qu'y opposer deux droites parfaitement égales.
Aloïs serait-il jaloux de Gauthier ? 😳 Vous le comprenez ?
Et les annonces de Monsieur Jaffrès ? Que vous inspirent-elles ?
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