Chapitre 92
Une, puis deux semaines passent sans que je m'en aperçoive.
J'ai pris du recul sur le groupe depuis le sabbat, et notamment sur Gauthier et Aloïs. Les cours constituent le prétexte idéal pour les éviter, même s'il n'est pas nécessaire concernant le Diamant.
Grâce aux partiels qui approchent, mes révisions sont une bonne excuse pour m'éloigner de tout ce qui pourrait faire entrave à ma scolarité.
J'ai de nouveau érigé mon mur de raison et cette fois, je doute que quelqu'un puisse le faire tomber.
Alix m'a appris qu'Aaron avait déserté Talesia depuis notre découverte de la première stèle d'activation de l'Esmantium.
D'après ce qu'elle m'a dit, son ancien comparse n'est pas plus loquace. Elle sait seulement qu'il passe la majeure partie de son temps à la BU – pour éviter d'avoir affaire à moi, je suppose.
C'était ma plus grande peur, et je suis tombée en plein dedans : en à peine quelques heures, j'ai gâché notre amitié pour des simagrées amoureuses.
Généralement, je m'efforce de refouler mes remords au fond de mes pensées, mais certains jours sont plus durs à supporter. Dans ces moments-là, ma sensibilité se dévoile davantage, comme si j'étais constamment à fleur de peau. Il n'est pas rare de voir couler quelques larmes sur mes joues, aussitôt cachées derrière un mouchoir en papier.
Durant mon temps libre, je reste avec ma colocataire pour avancer nos recherches sur le possible emplacement des trois autres stèles de l'Esmantium, sans jamais rien trouver de bien satisfaisant.
C'est à peine si j'arrive à me concentrer.
Tout dérape à un moment donné, quel que soit le moyen utilisé : pendule, bougies... rien ne fonctionne.
Gauthier ne daigne même pas assister à nos réunions, se justifiant par un perpétuel « je vais essayer de trouver plus d'informations dans les livres ».
Il s'est transformé en vrai érudit...
Les autres ont bien remarqué que quelque chose clochait, mais ils s'abstiennent de le mentionner, par pudeur ou politesse, je présume.
Les journées sont devenues morbides, toujours construites sur le même schéma abominablement ennuyeux.
Le soir, j'envoie régulièrement un long message truffé de mensonges à ma mère. Je me suis même inventé un amoureux secret.
Pas très réaliste, mais tant qu'elle y croit... Je n'ai plus rien à envier à Pinocchio, si ce n'est son courage.
Même mon sommeil en est perturbé. Quand je ne rêve pas du Diamant, c'est la stèle que je vois : chaque songe défile dans ma tête à un rythme apocalyptique.
Je m'interroge à chaque instant sur le rôle que je suis censée jouer dans cette histoire. Guide oui, mais à quoi cela rime-t-il si je ne suis même pas capable de garder des relations stables avec mes congénères ?
💎💎💎
Dépitée, je me dirige comme tous les jours vers mon dortoir pour entamer une autre après-midi de révisions en solitaire.
Ce soir, une réunion est prévue pour faire le point sur l'avancée de nos recherches, mais j'avoue que j'ai bien envie de me défiler. Me retrouver en face de Gauthier sous les regards pesants du reste de la bande – y compris celui d'Aloïs –, ça ne m'enchante pas vraiment...
Je préfère encore rendre visite à ma mère et m'assurer qu'elle va bien. Après tout, nous n'avons toujours pas de nouvelles d'Aaron et sa clique, et la dernière fois que je les ai vus, c'était à côté de chez moi.
Décidée, j'envoie un message sur son portable pour m'assurer de sa présence ce soir.
Tandis que je suis occupée à textoter, une Rubis passe devant moi et s'écrie face à cet appareil plutôt inhabituel chez les sorciers peu habitués aux mortels :
— Ça fait un bail que je n'ai pas utilisé de téléphone ! Je ne me souviens même plus du dernier SMS que j'ai envoyé.
Sa remarque pas si idiote que ça me donne une idée qui pourrait s'avérer utile dans les prochaines semaines. Je n'y ai jamais vraiment réfléchi, mais nous sommes tous de même sept dans le groupe et il est parfois difficile de se contacter. Un portable nous permettrait de nous tenir plus facilement informés.
Abandonnant mes révisions pour un temps, je m'empresse de chercher Gaby pour lui expliquer mon projet. Au fil du temps, elle s'est imposée comme la chef de notre petit clan. Rien d'étonnant à cela : elle est clairement la plus organisée et la plus placide d'entre nous.
Je la trouve au réfectoire, vide à cette heure-ci, adossée à une table aux côtés de mon Diamant préféré... celui qui l'était encore il y a deux semaines, du moins.
— Gaby, je peux te parler ?
— Je vous laisse !
Et Gauthier sort précipitamment...
Je reste quelques secondes immobile et l'observe partir, déroutée par le peu de considération dont il fait preuve à mon égard. Sans dire un mot, l'Émeraude m'entraîne dans les jardins. Sa démarche incertaine et ses regards à la dérobée m'indiquent qu'elle a parfaitement compris mon petit manège.
Pourquoi faut-il toujours que ce soit dans ces moments-là que je réalise à quel point elle me connaît bien ?
Nous nous installons à l'ombre d'un chêne probablement centenaire, à l'abri de la chaleur estivale. Sans plus attendre, je lui soumets mon idée, qu'elle approuve aussitôt.
— Je m'occupe de rassembler les portables, confirmé-je, ravie de son soutien.
— Tu penses que tu arriverais à en avoir pour ce soir ?
— C'est-à-dire que... Je ne viens pas.
— Arrête ! Je ne sais pas ce qui s'est passé entre toi et Gauthier, mais...
— Il ne s'est rien passé, la coupé-je précipitamment.
Peut-être qu'à force de le répéter, je finirai par m'en convaincre.
— Ne joue pas à ça avec moi. Vous faites comme si de rien n'était depuis trois semaines, alors que vous vous évitez l'un et l'autre. Je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué, tu sais.
— Vraiment ?
— À ton avis ? Ça pose question, quand deux personnes ne s'adressent plus la parole du jour au lendemain.
Elle a raison, mais...
— Il n'y a rien à dire, rien à faire.
— Tu aurais pu venir m'en parler.
Mince ! Je n'imaginais pas qu'elle puisse se sentir exclue ou qu'elle pense que je ne la considère pas comme une véritable amie.
Si je gardais cette histoire personnelle, c'était plus par rapport à Gauthier qu'à moi. J'ai déjà fait assez de dégâts avec mes propres mots pour laisser les autres en créer davantage.
— Je suis désolée. J'enchaîne les bourdes, en ce moment.
— Ça arrive, ne t'inquiète pas pour ça. Explique-moi plutôt ce qui se passe. Ça ne doit pas être si horrible que ça, vous connaissant.
Alors je lui raconte tout.
Mes sentiments, les deux baisers, absolument tout. Ça dure au moins une heure.
Une heure durant laquelle l'Émeraude m'écoute attentivement, tantôt hochant la tête, tantôt montrant son agacement, avant de déclarer le plus naturellement du monde :
— Vous formez une belle paire d'abrutis, tous les deux.
Gaby ne pouvait pas mieux résumer la situation ! 😂 Que pensez-vous du départ précipité d'Aaron ? Rubis et les autres doivent-ils s'en inquiéter ?
– Toujours ! 😰
– Pas cette fois 😇
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro