Plume cuivrée, plume cuivrée,

Papillon insaisissable,

La cornaline qui tournoie.

Les mots se sont envolés, ils ne peuvent plus franchir mes lèvres.

Interdite, n'osant poser mes yeux sur lui, je laisse ses pupilles cristallines me sonder avec une intensité désarmante.

Seules mes joues sont témoins de mon embarras.

Et Gauthier qui ne me quitte plus du regard, attendant une réponse de ma part. Que puis-je lui dire ?

Il a fait le premier pas, c'est à mon tour de faire le second... mais je suis perdue, et j'ignore définitivement comment réagir. Ce serait trop facile de me cacher derrière ma solitude passée, maintenant que je m'en suis libérée. Trop facile aussi de rester inactive en prétextant un malaise ou n'importe quelle excuse qui tienne la route.

Non, ce serait décidément bien trop facile et tout aussi lâche de ma part.

Pour une fois, la douce chaleur du rubis au fond de ma poche ne me réconforte pas. Je suis seule, livrée à moi-même. Seule, si ce n'est que le Diamant se tient face à moi et attend désespérément un signe de ma part.

Bon sang, Rubis ! Aie un peu de cran !

Avançant lentement ma main, je baisse la tête à la recherche de ses doigts. Leur toucher me donne suffisamment de courage pour relever le menton et observer sa réaction.

Je n'y détecte pas d'animosité ou de prétention comme lors de notre première rencontre, non. Seulement ces iris clairvoyants, presque transparents, qui virent sans cesse du bleu au gris.

— Ce que je voulais te demander, tout à l'heure, c'est pourquoi tes yeux changent constamment de couleur.

— Je l'ai remarqué il n'y a pas longtemps. Je crois que ça dépend de mon état. Ces dernières années, ils étaient perpétuellement noirs, gris dans mes moins mauvais jours. Mais depuis quelques semaines, je ne sais pas... On dirait que tu influes beaucoup sur moi, Rubis. Quand tu as douté de ma franchise après notre virée à Pearlake, j'ai eu un déclic et ils se sont éclaircis. J'ai voulu aller trouver Aaron et l'étriper, lui...

— Ne pense pas à lui, murmuré-je en posant mon index sur ses lèvres.

— Ça va sûrement te surprendre après toutes les atrocités que j'ai commises dans ma vie, mais je ne supporte pas l'idée qu'on te fasse de mal. Je suppose que j'ai juste mis un peu de temps avant de m'en rendre compte.

Des larmes coulent le long de mes joues. Ses mots me touchent, sans que je sache pourquoi je les ressens de façon si intense.

Pleurer pour quelqu'un, ça ne me ressemble pas, d'ordinaire. Ça aussi, c'est nouveau pour moi.

— Tu n'es pas obligé de faire ça...

— Quoi donc ?

— Je suis ton amie, et même si mes réactions prêtent à confusion, parfois, ça ne signifie pas pour autant que je ne le suis plus. Tu n'as pas besoin de faire tout ça pour me le prouver.

— Rubis, commence-t-il en relevant ma tête, c'est bien plus que ça.

Il prend nos deux mains et les rapproche jusqu'à ce que nos poignets se touchent. Le picotement singulier émis au contact de nos croissants de lune se propage dans nos corps, passant sans cesse de l'un à l'autre avec une sensation de joie et d'excitation partagées.

D'habitude, nous interrompons ce phénomène, mais aujourd'hui nous le laissons se produire, bercés par les flux de magie.

Des gerbes d'étincelles éclatent à notre contact, mais sans réelle douleur. Plus rien d'autre ne compte à part son regard.

L'Esmantium en devient secondaire. Presque dérisoire.

Je suis envoûtée pour de bon, cette fois. Impossible de résister. Le vortex mêlant air et feu qui s'étend autour de nous me laisse complètement indifférente, et le temps semble s'être suspendu.

Gauthier m'attire. Il m'attire tellement que ça en devient malsain.

Malgré moi, je me suis précipitée dans un gouffre sans fin et tout aussi inconnu, sans retour en arrière possible. Peut-être ne nous arrêterons-nous jamais de tomber, qui sait ?

Il est tout aussi probable qu'un jour l'un lâche la main de l'autre, ou que le premier le fasse délibérément pour sauver le second. Peu importe le dénouement de cette histoire, la sensation de vide est tellement grisante que tout le reste me semble fortuit.

Ce n'est pas une question à se poser sur le moment, de toute façon, en particulier lorsqu'elle concerne... des âmes sœurs supposées.

Peut-être que c'est ce que nous sommes, peut-être que non...

Mais franchement, qu'est-ce que ça change ?

💎💎💎

Au bout d'un long moment, nous détachons nos regards l'un de l'autre. Nos mains restent liées, et ma paume précédemment brûlée luit désormais d'une trace rectiligne : ma ligne de vie.

Incroyable ! Ça veut dire que la tache a disparu après le baiser de Gauthier...

Des éléments de mon exposé avec Aloïs me reviennent en mémoire. Les âmes sœurs sont les seuls êtres capables de se soigner mutuellement, particulièrement lorsqu'elles sont... inversées.

On dirait que ma soudaine proximité avec le sorcier a réussi à effacer toute lésion. Je jette un rapide coup d'œil à la cicatrice sur mon flanc droit : à mes huit ans, je jouais au loup avec mon cousin Simon, mais je ne voulais pas qu'il m'attrape. Il m'avait un peu chahutée en découvrant que je m'étais cachée sur un grand rocher dans les bois et m'avait poussée : j'étais tombée de deux mètres. Le tapis d'épines de la forêt m'avait sauvée, mais il avait quand même fallu quatre points de suture pour recoudre la plaie. Maintenant, il n'y a plus rien, elle a disparu !

— À quoi tu penses ?

— La magie noire des flammes avait déteint sur ma peau, tout à l'heure, mais la marque est partie après que... tu sais.

Il me décoche un sourire, sans pour autant s'attarder sur le sujet. Mieux vaut qu'on l'évite, en effet.

C'est donc tout naturellement que le tunnel revient au centre de nos préoccupations. Mon ami part dans une direction et je le suis sans jamais me décoller du mur. Comme toujours, son sens de l'orientation vaut bien mieux que le mien.

💎💎💎

À partir d'un certain point, le couloir devient tout aussi long qu'exigu, mais nous continuons à cheminer ensemble dans les galeries souterraines. Nos tatouages se rencontrent de temps à autre à cause du manque d'espace, provoquant de nouvelles étincelles.

Ce n'est que lorsque nous commençons à nous y habituer que nous arrivons dans une petite pièce sans issue. Un coffret est posé sur un piédestal de marbre, comme si on l'avait laissé là spécialement pour nous.

À bien y regarder, il est semblable à l'écrin qui contenait mon rubis : une boîte noire entourée d'un ruban rouge et de filaments dorés qui se dessinent aux quatre coins. Une encoche en demi-lune clôt le tout.

La solution me paraît évidente, bien plus qu'elle ne l'était à la découverte de ma gemme.

Devançant Gauthier, j'y pose mon poignet. Un déclic se fait entendre et le mécanisme s'actionne sous nos yeux ébahis. Le tunnel se met à vibrer tandis que le coffret s'ouvre et dévoile un pendentif.

Sans réfléchir, mes mains s'en emparent délicatement. J'ai l'impression d'être envoûtée depuis que je suis entrée ici, comme si tout était axé vers une logique que je ne pouvais réfuter.

— Tu permets ?

J'acquiesce en silence et lui tends la chaîne en argent qui retient le bijou ovale.

À l'instant même où elle touche ma peau, sa transparence factice se métamorphose. Teintée de mille et un rouges, elle donne l'impression qu'une flamme noire baigne continuellement dans un rubis à l'état liquide, comme si elle luttait sans cesse pour échapper à cette mer submersible.

Je n'en crois pas mes yeux.

C'est toute mon histoire qui se reflète dans cette fameuse pierre rouge nécessaire à l'activation de l'Esmantium.

Les tenants et aboutissants de l'Esmantium commencent doucement mais sûrement à se dessiner... 💎 

Que vous inspire le lien qui unit Gauthier à Rubis ? Vos théories ont évolué, là-dessus ?

Quels sont vos personnages préférés, pour l'instant ? Merci de soutenir ESMANTIUM ! J'espère que les prochains chapitres seront à la hauteur de vos espérances ! 🔥