Chapitre 83
— Va-t'en.
— Non.
Il s'installe dans l'herbe à côté de moi, comme pour mieux appuyer ses propos.
Instinctivement, ma fierté s'oppose à ma folle envie de lui pardonner. Elle remporte cette manche en moins d'un battement de cils, déterminée.
— N'attends pas de moi que je te parle, parce que je ne discute pas avec les inconnus. Je ne sais même pas qui tu es, finalement. Tu me mens depuis le début.
J'ignore si ma remarque a blessé le Diamant, mais elle a le mérite de le faire taire un moment.
— Laisse-moi te raconter une histoire.
Il faut vraiment être idiote pour tomber dans son piège à nouveau...
Sa douce voix m'ensorcelle pourtant et je lutte de toutes mes forces pour ne pas me blottir dans ses bras et ne penser à rien d'autre qu'à l'odeur de citronnelle et d'aiguilles de sapins dans ses cheveux.
— C'était toi, le chat d'hier ? Il avait ton parfum.
Il paraît surpris par ma question, mais il ne perd pas de temps pour y répondre, sûr de lui :
— Oui. J'avais envie de te voir, de te parler, de...
— Tu avais envie de me voir ? C'est nouveau, ça ! Parce que tu crois que je ne voulais pas te voir, ni même te parler, moi ? Qu'est-ce qui t'a pris de partir ? Pourquoi tu...
— Chut, murmure-t-il en posant ses doigts sur mon poignet pour m'apaiser.
Et il y parvient, encore une fois.
Ses yeux, oscillant sans cesse entre le gris et le bleu, cherchent sans doute à me convaincre de sa bonne volonté.
Véritable porte ouverte sur mes pensées, Gauthier apporte une réponse à mes interrogations les plus anciennes, comme s'il lisait en chacune d'elles :
— La première fois qu'on s'est vus, j'étais venu chez toi pour te voler ta pierre. On m'avait appris à te haïr avant même que je te rencontre. Pendant ces cinq dernières années, je te considérais comme une menace. Ils savent, Rubis. Ils savent tout depuis le début. C'est à partir de tes sept ans, je crois, qu'ils ont commencé à te surveiller, à t'exclure autant que possible de la société. Ils voulaient qu'à seize ans, tu n'aies aucune autre envie que celle d'éradiquer tes semblables. Mais tu étais trop gentille, trop humaine pour ça, alors on m'a envoyé te dérober ta gemme. Je ne sais pas vraiment pourquoi ni comment, mais quelque part au fond de moi, je ne pouvais m'y résoudre. Je m'étais dit que je reviendrais à la nuit tombée, quand tu dormirais. Tu étais seule, ça serait facile de m'en emparer. Peu après m'être introduit chez toi, tu as dit quelque chose. « Je sais que je ne suis pas un Diamant, ni même un Saphir ou une Émeraude, mais je suis moi, je suis Rubis... et c'est tout ce qui compte, non ? ». Et là, je n'ai pas pu revenir, comme j'aurais pourtant dû le faire. Tu avais attisé ma curiosité... C'est ce que je ne cessais de me répéter, en tout cas. Mais je me mentais à moi-même, comme je l'ai toujours fait. J'étais obnubilé par la simple idée de te laisser vivre. Quand je suis rentré, j'ai annoncé à mon chef, Nomis, que je partais. J'en avais assez de la magie noire et depuis cet après-midi-là, je ne m'imaginais plus passer mon temps à martyriser des gens qui ne m'avaient rien demandé. Je pensais qu'il allait me retenir, voire me tuer, mais non. Nomis m'a regardé en souriant, comme si je venais de lui offrir le plus beau présent qui soit. Aaron fait toujours partie de la Confrérie des Ombres, lui ; c'est pour ça que je n'ai pas été surpris, en le voyant débarquer au début du semestre. Son petit coup de folie à Pearlake, ce n'est rien en comparaison de ce dont il est capable. Moi, j'étais trop occupé à en savoir plus sur toi et à découvrir d'où tu tenais de telles paroles. Les jours ont passé, nous sommes devenus amis. Plus je t'appréciais, et plus la menace grandissait. À plusieurs reprises, j'ai voulu t'avouer la vérité, te montrer mon vrai visage... mais malgré tous mes efforts pour y parvenir, c'était impossible. Finalement, Aaron est venu me parler. Il m'a dit que la Confrérie s'était servie de moi pour t'atteindre. Tu es une fille sensible, rien n'est plus facile pour eux que de me mettre en danger pour que tu voles à ma rescousse. Cette discussion m'a anéanti, même si j'ignore pourquoi Aaron m'a averti – en quoi ça sert ses intérêts, j'entends. Je suis parti directement après pour chercher mes affaires dans les Appartements, mais en me frayant un chemin à travers la foule, je t'ai vue. Tu paraissais... effondrée. J'étais ton ami. J'aurais dû – et je le voulais – rester avec toi, comprendre ce qui n'allait pas, surtout après le rêve cosmique. Mais au lieu de ça, j'ai fui. J'ai fui comme un lâche. L'expression sur ton visage m'a rendu fou. J'avais le sentiment de t'abandonner. J'ai culpabilisé et je t'ai transmis un message, oubliant mes bonnes résolutions. Je comptais tout t'expliquer ce soir, mais quand tu m'as accusé, j'ai eu du mal à contenir ma colère. Elle n'était pas dirigée contre toi, mais... contre moi.
Il reprend son souffle un instant, au bord des larmes. Je reste immobile, sans savoir comment réagir.
— Je t'ai menti sur tellement de choses, à commencer par mon histoire. Tu te souviens quand je t'ai raconté que mes parents étaient morts ?
Il marque un temps d'arrêt avant de reprendre, perturbé :
— Ils ne le sont pas. À mes onze ans, Nomis et les siens sont arrivés. Ils m'ont arraché à ma famille et m'ont enseigné les rudiments de la magie noire. Chaque jour, je pensais à mon père et à ma mère, eux qui devaient être anéantis par la perte de leur fils. Je n'avais qu'une hâte : progresser pour atteindre un niveau suffisant et effacer leur mémoire. L'année dernière, j'étais prêt à rayer cette part de mon passé. Je me suis rendu dans mon village et j'ai fait ce que je jugeais bon pour eux, mais surtout pour moi : ils n'ont plus aucun souvenir de leur enfant, désormais.
— Et tu n'as plus aucun contact avec ces gens ? Ceux de cette pseudo confrérie ?
— Pas depuis le début de l'année, non.
Une larme coule sur mon visage, bientôt suivie par d'autres. L'horreur de son histoire, ses révélations...
— Je suis désolé. J'aurais dû te faire confiance et t'en parler dès le premier jour.
J'ignore pourquoi, mais je repense à ce que m'a dit Céleste. Notre lien présumé m'a sauvé la vie et lui a permis de retrouver une partie de la sienne, de ce qu'il était avant de sombrer dans la magie noire.
Peut-être n'est-il pas si « supposé » que ça, finalement ?
Peut-être, Rubis. Peut-être. Que retenez-vous des révélations de Gauthier ?
Son départ était-il justifié ?
– On va dire que oui... 🥰
– On va dire que non ! 😂
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