Chapitre 81
— C'est au programme des L2, explique Gauthier en resserrant ses bras sur sa poitrine.
Mais personne n'est dupe, moi y compris.
Sa façon d'esquiver ne rend son explication que plus douteuse, et je suis bien obligée de l'admettre.
Comme elle sent qu'il n'est pas sincère, Em' reprend plus doucement, en changeant légèrement de sujet :
— Je crois que ce que voulait dire Gaby, c'est : qu'est-ce qui te prouve qu'Aaron en fait partie ?
— Il porte une marque, un croissant de lune inversé, sur son ventre. Je l'ai vu dans un rêve.
Pour une fois, personne n'hésite à le croire, le monde onirique étant révélateur de notre personnalité, mais aussi de celle des gens qui nous entourent.
Pour le reste... certes, Gauthier ne ment pas, mais c'est tout comme : il nous cache une partie de la vérité. Son air faussement détaché, mêlé à ce que j'ai pu retirer de mes propres visions, m'en persuade.
Quelle qu'elle soit, sa relation avec Aaron est énigmatique, et il est grand temps pour moi d'en savoir plus.
— Très bien, nous n'irons pas plus loin, concédé-je pour un temps. Maintenant que nous avons partagé nos théories, passons à la pratique. Chacun sera chargé d'une mission propre à l'Esmantium ou à cette fameuse confrérie, si elle existe bel et bien.
— Moi, je veux bien surveiller Aaron et me renseigner sur lui, propose Gaby, impatiente.
— J'en suis ! s'exclame Aloïs.
— D'accord, mais n'hésitez pas à signaler aux autres quoi que ce soit d'anormal, et soyez vigilants.
— Tu me connais.
Le clin d'œil – pas très subtil – d'Aloïs n'échappe pas à Gauthier, qui lui lance un regard glacial. Je rêve, ou... ?
— Rubis, je pense que tu devrais essayer de rassembler des informations sur les points relatifs aux gemmes de l'Esmantium et leurs particularités. C'est plus prudent, conseille Em' à son tour.
— Je pourrais t'aider, j'ai quelques connaissances sur le sujet. À moins que tu n'aies pas besoin de moi, bien sûr...
Cette légère hésitation confirme mon intuition : le Diamant n'a pas apprécié mon échange silencieux avec Aloïs.
Je réalise alors qu'il ne sait pas encore que nous sommes des âmes sœurs supposées. Eh bien, il peut toujours attendre, s'il compte sur moi pour le lui apprendre !
Chacun ses secrets, après tout.
— Pas de souci.
Ne restent plus qu'Émilie, Ambroise et Alix.
— Ambroise et Em', vous pouvez vous charger des recherches sur la Confrérie des Ombres ?
— Oui, c'est une bonne idée, approuve l'Émeraude, enchanté.
Je me réjouis à la perspective de voir les deux « amis » flirter à la bibliothèque. Les livres seront peut-être propices au rapprochement, qui sait ?
— Alix, tu veux choisir ton groupe ?
— Je veux bien aller avec toi et Gauthier, si ça...
— Super ! la coupé-je avant qu'elle n'aille plus loin. Nous devrions fixer une petite réunion collective dans deux semaines, pour faire un point sur l'avancée de nos recherches.
— Au lac d'Argent, complète Aloïs. Les entrées et sorties de Talesia sont bouchées depuis ce matin, nous avons eu de la chance de tous arriver jusqu'ici. Si nous restons dans l'enceinte de l'établissement, nous ne serons pas dérangés.
Tout le monde approuve l'idée.
— Parfait. Puisque nous sommes tous d'accord, il est temps de... faire la fête !
Étonnamment, le cercle reste intact lorsque nous nous levons. Il garde l'énergie et la redistribue en ce dont nous avons besoin.
Naturellement, la prairie se remplit de banquettes de verdures sur lesquelles une quantité impressionnante de vivres apparaît. C'est incroyable ! Chacun veut savoir à qui il doit cette prouesse.
Un toussotement gêné se fait entendre du côté de Gauthier :
— Je me voyais mal revenir les mains vides...
Ses yeux, mélange d'asphalte et de curiosité, se posent sur moi un instant. J'essaie d'y lire un quelconque motif, une raison pour laquelle il n'a pas tout avoué au groupe, mais sans rien trouver.
L'énigme est peut-être de retour, mais elle est toujours aussi indéchiffrable.
💎💎💎
La soirée à proprement parler ne commence que maintenant, alors que la nuit est déjà tombée. Je me mêle au groupe, découvrant les mets et boissons mystérieuses apportés par Gauthier, dont le fameux fumet de Minotaure – l'a-t-il fait exprès ?
Au passage, j'en profite pour donner un petit coup de pouce à Ambroise et Émilie. C'est à ça que servent les amis, non ?
— Salut, vous deux ! Em', ce n'est pas toi qui m'as dit que tu aurais aimé avoir des cours d'Astrologie ? Justement, on voit plein d'étoiles ce soir. N'est-ce pas, Ambroise ?
D'accord, ce n'est pas terrible comme entrée en matière, mais c'est toujours mieux que de les laisser seuls dans leur coin !
— Si ? répondent-ils en chœur.
S'ensuit une longue conversation entre les deux adolescents et moi, forcée de tenir la chandelle. Gauthier vole à ma rescousse en m'attrapant le bras et en m'entraînant à l'écart.
Pas très discret non plus, comme approche, il faut l'avouer. Il m'oblige à m'asseoir sur un banc de verdure et me fixe de ses yeux redevenus noirs pendant un moment, sans rien dire. N'y tenant plus, je m'écrie, au bord de la crise de nerfs :
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— J'aimerais bien que tu m'expliques pourquoi tu m'évites, depuis tout à l'heure.
Jouant franc jeu, je débite à toute vitesse :
— Tu as menti à propos d'Aaron.
Son visage affiche une expression d'innocence pure qui en viendrait presque à me faire douter. Presque, mais j'ai plus confiance en moi qu'en ses mystères, pour une fois. Comme quoi, tout arrive !
— J'ai dit la stricte vérité.
— C'est faux.
— Et alors ? Ça me regarde.
— Vraiment ? Pourquoi ce n'est pas ce que tu as dit au reste du groupe, alors ? Ils auraient pu comprendre, tu sais. Après tout, tu es quelqu'un de tellement droit, tellement honnête... raillé-je. Personne ne t'en aurait voulu !
— Je te l'ai dit : ce sont mes affaires.
— On doit pouvoir te faire confiance, tu ne peux pas nous blâmer pour ça. Ce n'est pas moi qui ai disparu pendant près de deux semaines sans donner signe de vie ! Si, pardon : en envoyant un mot mystérieux qui se consume au bout de deux secondes. À bien y réfléchir, je crois que je commence à comprendre le sens de ce vers : « se résoudre à mentir, pour tout obtenir ». Mais qu'est-ce que tu veux, Gauthier ? Tout serait tellement plus simple si tu le savais toi-même. Il n'y aurait plus de secrets, plus de stratagèmes abracadabrantesques... et oui, j'emploie des mots qui n'existent pas, mais je suis à bout, j'en ai marre : marre de douter, marre de me remettre en question en sachant que le problème ne vient pas de moi, marre de te croire pour n'obtenir que des mensonges en retour, marre de...
J'aurais continué longtemps encore s'il ne m'avait pas interrompue, me pressant le bras comme s'il avait peur...
Peur de me perdre ?
Je passe sûrement pour une folle, mais j'espère qu'il s'imagine ce que ça fait, de voir quelqu'un s'égarer devant ses yeux.
— Parce que toi, tu doutes de ma sincérité ?
— Pas jusqu'à ce soir. Mais là, ton mensonge remet tout en cause.
— Comme quoi ?
— Notre rencontre, ton animosité qui s'est bien vite transformée en amitié...
— Je n'étais pas...
— Tu me détestais, le coupé-je, sur la défensive.
— J'y étais obligé !
— Mais pourquoi ?
— Parce que.
Là, j'ai vraiment envie de le gifler.
Aucune de ses réponses n'est celle que j'attendais. Mes yeux ne sont que des témoins qui l'observent s'enfoncer peu à peu dans une spirale infernale aussi sombre que ses prunelles, et ça m'est insupportable.
Mes pas me conduisent vers le cercle. À cet instant, peu m'importe mes amis. Je veux juste éteindre cette fichue bougie et rentrer chez moi, retrouver mon lit douillet et ma mère, aussi absente soit-elle. Plonger le nez dans mes bouquins à l'odeur de renfermé et...
— Lâche-moi !
Mais Gauthier tient fermement mon bras et m'empêche de bouger.
Je songe à crier, mais il plaque sa main sur ma bouche avant que je puisse mettre mon idée à exécution.
Dommage pour lui : là encore, j'agis de la juste manière.
Lentement, j'approche mon poignet gauche de son poignet droit, jusqu'à le coller contre le sien. Mon corps se concentre sur la douleur, comme s'il pouvait l'amplifier. Une brûlure, plus violente encore qu'à l'accoutumée, irradie tout mon être et le jeune homme hurle en face de moi. Délivrée de son emprise, je m'échappe et pique un sprint en direction des bougies.
Si je veux sortir de la clairière, je dois rompre ce fichu cercle, et tant pis pour la suite de la soirée !
J'entends des bruits de pas derrière moi. Le Diamant me poursuit encore.
Mes yeux sont rivés sur le bloc de cire placé à quelques mètres. Sans trop savoir comment, je parviens à l'éteindre mentalement, d'une simple pensée.
C'est tellement... grisant. La mèche cesse de se consumer et le pentacle se dissout aussitôt.
D'un même mouvement, je m'apprête à fuir, espérant échapper à Gauthier et à ses mensonges.
Je ne me focalise que sur une seule chose : ma stèle, là où j'ai reçu mes pouvoirs.
Dans ma course folle, je me sens plonger dans le vide, tomber dans une chute infinie.
À l'arrivée, mes pieds s'ancrent dans un sol dur et le regard de Céleste se fixe dans le mien.
Gauthier n'a pas arrangé son cas, on dirait... Vous pensez qu'il finira par dire toute la vérité à Rubis ?
– Peut-être... 🤷♀️
– Peu probable ! 🙅♀️
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