Chapitre 79
Alors que je commence à me demander si errer sans but dans la forêt est une bonne solution pour lutter contre l'ennui, la magie s'impose à moi.
Pour le coup, je préférerais tomber sur un grand méchant loup qui me prendrait pour le Petit Chaperon rouge – ça aurait le mérite d'égayer ma journée.
Encore aujourd'hui, j'ai tendance à rester ancrée dans la réalité, ce qui me vaut parfois quelques oublis. Rapidement, je m'équipe de mon rubis pour retrouver le chemin. Moins de dix minutes plus tard, je suis arrivée à la souche.
C'est l'un des derniers endroits où j'ai passé un moment en compagnie de Gauthier. C'est aussi là qu'il s'est le plus ouvert à moi, là que j'ai réussi à combattre les démons du petit garçon.
Je m'assieds sur le tronc d'arbre, retire mes talons et étale mes pieds dans la mousse. Au premier abord, l'endroit pourrait paraître peu rassurant pour certains, mais pas pour moi.
Mes souvenirs y sont sûrement pour quelque chose...
Je m'efforce de faire le vide dans ma tête et me focalise uniquement sur les bruits de la nature.
La tâche s'avère difficile, au début, mais je ne perçois bientôt plus que les chants des oiseaux et la douce brise qui filtrent entre les branches.
Ils s'assemblent pour ne former qu'une entité.
Et puis soudain, cette entité retient son souffle.
Les bruits se suspendent, faisant régner un calme transcendant parmi les arbres. Je cligne des yeux, un instant décontenancée. Une silhouette apparaît à l'orée du bois, grande et élancée.
Elle me rappelle tellement ma première vision... Je m'attends presque à voir surgir Céleste parmi les fourrés.
Mais non.
Mes yeux à présent bien ouverts, mes lèvres s'étirent pour former un nom à la consonance si douce, si légère que j'ai l'impression que les syllabes vont s'envoler si je ne les répète pas l'instant d'après.
— Gauthier... Gauthier... Gauthier ?
Mes membres retrouvent leur usage : mes pieds s'animent d'eux-mêmes et, sans qu'aucune pensée ait le temps de se frayer un chemin dans mon esprit, je me précipite vers lui.
Peu m'importe la douleur des cailloux, des épines, seule compte sa présence, mon espoir assouvi...
Il ouvre les bras au moment où mes mains se posent sur son dos. Je suis envahie par cette odeur si caractéristique, mélange de citronnelle et d'aiguilles de sapin.
C'est comme si je retrouvais ma maison, mon foyer, mon pilier ; un endroit où je peux me laisser aller à être moi.
— Tu es là.
— Je suis là, me répond sa voix en écho.
Elle sonne comme la plus douce mélodie qui soit à mes oreilles.
Le Diamant enroule une mèche de mes cheveux entre ses doigts. Il sourit, mais reste interdit. La situation est trop sérieuse pour qu'il s'autorise à me taquiner...
Je lui souris en retour. Une larme glisse le long de ma joue, bientôt suivie par d'autres.
— Je suis là, je suis là... répète-t-il inlassablement, à l'image d'une berceuse que je ne me lasserai jamais d'écouter.
Cette fois, il s'adresse à une enfant. La petite Rubis égarée sur son chemin, n'osant demander de l'aide aux rares passants qui la dévisagent.
Sont-ils trop occupés pour y prêter attention ou simplement dépassés par la transparence de la fillette ? Nul ne le sait, ou plutôt nul n'ose l'admettre. Seul un jeune homme a l'audace de l'approcher, pareil au prince charmant de son conte préféré.
Non, se corrige-t-elle, ce n'est pas lui. Celui-ci est certes similaire, mais il a ce côté mystérieux, ce charme mystique qui ne peut que vous envoûter lorsque vos yeux se posent sur son visage.
J'émerge un peu, prenant difficilement conscience de la situation : Gauthier est bel et bien là, devant moi, en chair et en os.
Je m'écarte de quelques mètres pour l'examiner plus en détail.
Je commence par le bas, n'osant affronter son regard et l'éventuelle souffrance que je pourrais y déceler. Il reste immobile, me laisse faire.
Son dos est droit, sa tête baissée, je n'entends rien d'autre que son souffle irrégulier, comme s'il venait d'achever une course de plusieurs kilomètres sans s'être arrêté.
Ses chaussures, élégantes et finement travaillées, proviennent à coup sûr d'une grande maison française. Le contraste entre le luxe de ses souliers et mes pieds nus est bien réel. Réprimant un rire, je poursuis mon examen et observe son pantalon de velours. Mes yeux remontent et se posent sur son croissant de lune et son liseré blanc, qui ne m'a jamais paru si éclatant. Il semble encore plus profondément inscrit dans sa peau que la dernière fois, curieux mélange de chair et de magie.
Je m'attarde sur sa chemise à demi ouverte et sa veste soigneusement ajustée, le bracelet de cuir noué à son poignet gauche. Une forme étrange apparaît alors sous sa manche.
Sans lui laisser le temps de réagir, je la remonte et découvre une blessure peu profonde, mais d'une noirceur terrifiante. Il la recouvre tout de suite, mais c'est trop tard.
— Comment tu t'es fait ça ?
— Je me suis enfoncé une branche dans le bras. Ça remonte à plusieurs jours déjà.
Son ton est sans équivoque, mais je m'apprête à insister. Il a intérêt à me donner des réponses, vu toutes les questions que j'ai pour lui.
Pourtant, j'ignore comment, mais son regard rencontre le mien et toutes mes réticences s'envolent en un instant. Le noir a cédé la place au gris pâle, ce gris perle, ce gris pur qui se confond avec les iris du petit Gauthier.
Un lien d'une rare intensité se tisse entre nous.
Le Diamant toussote et dissipe l'illusion, profitant de l'occasion pour filer :
— On devrait y aller. La nuit vient de tomber et je ne voudrais pas qu'on nous prenne pour des retardataires...
J'acquiesce, sans pour autant le lâcher des yeux.
Ce sera sa punition jusqu'à ce qu'il me donne une explication crédible à sa fugue. Oui, c'est excessif ; et alors ? Ce n'est pas moi la fautive dans l'histoire : c'est lui qui s'est volatilisé après avoir tenté de m'assassiner dans un rêve qui n'en était pas tout à fait un. Quand on y réfléchit, j'ai toutes les raisons de lui en vouloir.
Mais je m'efforce de ne pas y penser pour le moment. Je n'ai pas envie que mon petit oiseau s'envole à nouveau, n'est-ce pas ?
Nous nous concentrons tous deux sur ma pierre pour revenir à la clairière. Le jeune homme ne dit pas un mot du trajet et j'en fais autant, trop occupée à ne pas rentrer dans un arbre ou trébucher, même si j'ai conscience que le sort antichute lancé sur mes chaussures est toujours actif.
Alors que nous venons de dépasser le dernier chêne, Gauthier me retient :
— Au fait, Rubis... Tu m'as manqué.
Je le fixe d'un regard que je veux neutre, essayant de contrôler les battements irréguliers de mon cœur. Maintenant plus que jamais, je dois me souvenir de ma résolution : ne pas gâcher notre amitié en laissant transparaître de futiles sentiments.
S'il est revenu, ce n'est pas pour que je le perde une seconde fois.
Ma voix s'étrangle lorsque je prononce un timide « toi aussi », mais je crois qu'il comprend.
J'ôte mes doigts des siens pour éviter de suffoquer si nos croissants de lune venaient à se toucher, mais il les rattrape aussitôt, comme s'il se raccrochait à ce contact.
Lorsqu'il pénètre dans la clairière, il abandonne définitivement son masque, dévoilant enfin son vrai visage au reste du monde.
GAUTHIER EST DE RETOUR, je répète : GAUTHIER EST DE RETOUR ! Alors, content.e.s ?
– 😍
– 😣
Une idée de ce qui s'est passé pour lui durant son absence ?
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