— Je te retourne le compliment, dans ce cas.

Je suis surprise qu'il ait réussi à me cerner si précisément. Il m'a sûrement vue venir, par rapport à Émilie...

Ambroise est décidément très perspicace : il a anticipé mon interrogatoire et a voulu se protéger. C'est plutôt intelligent de sa part. Nous échangeons un regard, conscients que si l'un parle des sentiments de l'autre, ce dernier répliquera à coup sûr.

— D'accord, repris-je, je ne mentionnerai pas Em' ce soir. Même implicitement. Mais elle risque d'être déçue...

— Vraiment ?

—Si tu voulais en savoir plus, il fallait me laisser parler ! Tu n'obtiendras plus rien de moi, maintenant. Mais si tu veux mon avis, tu devrais lui en parler ou trouver un moyen de lui montrer que tu tiens à elle.

Conscient qu'il n'obtiendra pas davantage d'informations sur le sujet, l'Émeraude préfère se focaliser sur notre mission : préparer le site.

— Mieux vaut y aller, si nous ne voulons pas nous faire attraper.

Échapper à la vigilance des professeurs n'est pas une mince affaire. Tous les jours, ils se relaient aux entrées de l'école, dans les jardins et autour des bâtiments.

Talesia ne peut-elle pas embaucher des agents de sécurité, même humains ? Je croyais que nos profs avaient assez à faire avec leur propre travail pour s'occuper de celui des autres...

Sans pleinement réaliser le risque que nous prenons, Ambroise et moi sautons d'un muret pour nous rapprocher des abords de la forêt. Je lui explique qu'il doit se concentrer en pensant au vide et lui montre l'exemple – la lévitation, c'est mon rayon.

M'élevant à plusieurs mètres au-dessus de la rambarde, je ferme les yeux et réussis à me poser en douceur sur un tapis d'épines : nous sommes à l'orée du bois.

Je ne peux m'empêcher de penser à la dernière fois que j'y suis allée : c'était avec Gauthier. Curieusement, elle ne me paraît plus aussi attirante ou mystérieuse aujourd'hui. Espérons que ça change...

Ambroise me suit, mais retombe brutalement par terre. Par chance, j'amortis sa chute en l'interceptant et il parvient à se relever presque entièrement avant que ses pieds touchent le sol.

La scène est comique à voir, surtout lorsqu'il bascule sur ses fesses après avoir accidentellement glissé sur sa cape.

D'accord, elle était peut-être coincée sous mon pied, mais je jure ne pas l'avoir fait exprès : il n'y a pas de formule pour dompter les dégâts que ma maladresse provoque chez autrui.

Mon rire met un moment à décroître, mais nous finissons par nous enfoncer dans le chemin sinueux qui traverse la forêt tout en déposant quelques bâtonnets de cire sur notre passage.

Le risque que quelqu'un d'extérieur à la bande s'en aperçoive est minime, avouons-le. Les sentiers sont généralement peu fréquentés, les étudiants préférant se téléporter directement depuis le campus. Ça se comprend : lorsqu'on peut, mieux vaut éviter de se retrouver face à une horde de lycraks en colère.

💎💎💎

Une fois arrivés au point de rendez-vous, nous constatons que Gaby a déjà tracé le cercle. Il ne nous reste plus qu'à placer les bougies correspondantes selon le plan qu'elle nous a fourni.

Ambroise sort le papier froissé de sa poche et entreprend de le déplier pendant que je pose des torches aux quatre coins de la clairière.

Il se place au centre du pentacle et fait léviter la feuille jusqu'à moi. À nous deux, nous pourrons avoir une vue d'ensemble de cette étoile à cinq branches.

On ne dirait pas, mais ce type d'opération magique est loin d'être évident. Je n'irais pas jusqu'à y préférer mes équations de maths, mais tout de même...

— Je ne comprends pas, déclaré-je quelques secondes plus tard.

Gaby a noté une place pour chacun d'entre nous, y compris Gauthier, mais il reste un espace vide.

— Elle doit avoir une idée derrière la tête, suggère Ambroise, tout aussi intrigué que moi.

— Tu as raison, elle sait ce qu'elle fait. Son cercle risque pourtant d'être bancal, s'il n'y a pas de Diamant pour y siéger.

Au moment même où j'achève ma phrase, Alix et Em' pénètrent dans la clairière. Je vois mon ami rougir du coin de l'œil et je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Ils sont trop mignons, tous les deux !

Le jeune homme me donne une tape sur l'épaule et me jette un regard lourd de sous-entendus. Je m'arrête, inquiète qu'il me fasse le même coup en parlant de Gauthier... même si ça n'a pas grande importance étant donné que je ne lui ai pas parlé depuis plus d'une semaine.

Je commence à croire que je ne le reverrai plus...

En m'efforçant de réprimer mon fou rire, j'attrape mon ami par le bras et le place au point supérieur droit comme décrit sur le dessin, avant de lui donner mes instructions :

— Ferme les yeux. Voilà, très bien. Maintenant, concentre-toi sur une couleur précise.

Il me fait signe qu'il a compris.

— Alors ?

— Le blanc.

— Je te demande une couleur, et tu me les donnes toutes.

— Tu aurais préféré que je te dise noir ?

— Probablement pas.

Mes mains fouillent la besace afin de trouver le cierge qui s'en approche le plus. Blanc cassé.

— Ça devrait faire l'affaire. Tu connais la couleur préférée d'Em' ?

— Comment je pourrais le savoir ? Tu n'as qu'à aller le lui demander.

— Ambroise.

— Très bien, très bien... c'est l'orange. Mais l'orange qui tire sur l'ocre, attention !

Je déniche une bougie d'une teinte qui s'apparente au crépuscule, tout en souriant. Il a beau prétendre le contraire, l'Émeraude est un grand romantique dans l'âme.

Je reproduis la même opération pour les autres, avec un léger doute pour Alix. Je penche finalement pour le rose pâle et la place entre Gaby – en vert – et moi – en rouge.

À l'opposé se trouve celle d'Aloïs, en bleu bien sûr. Seuls deux bâtonnets de cire restent au fond de mon sac. L'un, noir, me rappelle les iris changeants de Gauthier.

Je le dispose à l'extrémité sud du cercle avec un petit pincement au cœur. Difficile de l'imaginer s'embraser dans ces circonstances. L'autre, mauve, est par élimination posé entre l'hypothétique place du Diamant et la mienne.

Le soleil a presque achevé sa course folle et le sabbat va bientôt débuter. Si je nourris l'espoir que Gauthier y assiste, il est impératif que je le trouve avant.

Je réalise que tous mes doutes reposent sur le fait qu'il soit ou non l'auteur de ce mystérieux message. Les mots soigneusement alignés me reviennent en mémoire – impossible de les oublier :

« Se résoudre à mentir, pour tout obtenir.

Affronter la vérité, pour se retrouver.

Ego surdimensionné jamais abandonné.

Viens.

G. »

Malgré mes hésitations, la lettre G gravée sur le papier me laisse espérer une dernière fois son retour. Son départ était si précipité... Je frissonne encore en revoyant ses prunelles noires vrillées sur moi depuis le fond du couloir.

J'informe Ambroise que je veux profiter de la fin de journée pour faire une petite promenade, lui promettant d'être de retour avant le début des festivités.

Il prend un air suspicieux, mais ne dit rien.

Nous avons passé un accord tacite tout à l'heure, et il compte bien le respecter. Je le remercie d'un sourire, avant de m'engouffrer dans la forêt. Mes pas m'entraînent au loin, et mes pensées dérivent au gré du vent. Les trouées entre les arbres sont toutefois suffisantes pour que je puisse suivre l'avancée de la Lune.

Ambroise et Emilie sont trop chou, pas vrai ? 

C'est l'heure des pronostics : Gauthier viendra-t-il, oui ou non ? 

– Oui ! 🔥

– Non... 💔