Chapitre 75
— ... impure. Sous la paroi du rubis se cache une substance inconnue qui semble très puissante. Cela pourrait expliquer l'étendue de tes pouvoirs, mais je n'ai jamais rien vu de tel auparavant. C'est frustrant et intrigant à la fois...
Merci, Monsieur Jaffrès. C'est très rassurant.
— Je ne sais pas si ça a un rapport, mais je suis plutôt sujette aux visions. La deuxième que j'ai faite, peu de temps après avoir reçu ma pierre, me montrait une image de mon épreuve d'entrée à Talesia. Mon chat était là et il a prononcé la phrase : « Adamantine en son cœur, tel que la Terre Mère l'a désiré. » Je ne sais toujours pas comment ni pourquoi il me parle, cela dit.
Pas besoin de préciser que cette vision faisait suite à ma première rencontre avec Gauthier et à cette étrange vitre qui semblait nous séparer – avant qu'elle n'éclate en milliers de fragments.
Vu leurs têtes, ma déclaration a troublé les enseignants pour la semaine à venir.
— De plus en plus étrange... marmonne le doyen en jetant un nouveau regard inquiet à ses collègues. L'adamantine est une pierre rare connue pour avoir la dureté du diamant. Si cette hallucination s'avérait réelle, cela voudrait dire que malgré ton ascendant Rubis, tu possèdes également une forte part de Diamant en toi.
— C'est possible, ça ?
— C'est peu commun. Je ne pense pas que l'un de nous trois ait déjà été témoin de cette éventualité, poursuit Madame Jacolot, mais si tout cela venait à être confirmé, cela signifierait que tu serais beaucoup plus réactive à la magie noire que tes camarades – trop, sans doute. Nous avons besoin d'effectuer quelques recherches de notre côté, mais en attendant, tu peux continuer à utiliser tes pouvoirs de la même manière. Je n'ai détecté aucun comportement dangereux dans ton usage de la sorcellerie, et j'imagine que Monsieur Mason pourra le confirmer. Nous te tiendrons au courant, mais pour le moment, il est préférable de garder ça pour toi.
Son sourire forcé me rappelle Gauthier. Ces deux-là ne s'entendront probablement jamais... surtout s'il a décidé de déserter.
— Rubis devrait peut-être rejoindre ses amis, Monsieur.
Promis, je serai plus attentive en cours d'Histoire de la magie ! Monsieur Mason m'a sauvé la mise, sur ce coup-là. Je n'avais vraiment pas envie de m'expliquer davantage.
— Bien sûr ! s'exclame le proviseur en sortant de sa torpeur. Inutile de retenir notre jeune prodige plus longtemps.
Personne ne prend la peine de me raccompagner. Je crois qu'ils attendent que je quitte la pièce pour parler de moi.
Sympathique...
Le problème, c'est que je dois me débrouiller toute seule pour retrouver mon chemin. Au détour d'un couloir, mes yeux s'attardent sur un étroit escalier en colimaçon qui descend à un étage inférieur – existe-t-il une autre galerie souterraine s'étalant sous Talesia ? – et je suis prise d'une soudaine curiosité. Je dois me faire violence pour continuer mon chemin et ne pas dévaler les marches quatre à quatre. J'ai déjà eu mon quota d'action pour la journée.
C'est probablement ça qui me retient, d'ailleurs.
Je garde l'idée de ce possible endroit secret dans un coin de ma tête, sachant pertinemment que ma raison atteindra ses limites un jour.
Je ne mets pas longtemps à trouver la porte de sortie. Tandis que je me hâte pour retrouver Gaby à l'infirmerie, un détail me revient en mémoire au cours du trajet. Elle a parlé de l'« Esmantium » ou de quelque chose dans le genre... J'ignore si je l'ai bien entendue.
Ce terme ne me dit rien et je ne vois pas pourquoi elle l'a associé à mon nom. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? J'aurais peut-être obtenu des réponses auprès des professeurs !
J'ouvre la porte qui donne sur l'extérieur à contrecœur. Que je le veuille ou non, il m'est désormais impossible de retourner dans le couloir souterrain. Dès lors que je pose mon pied sur l'herbe humide, les battants se referment derrière moi avec un cliquetis métallique. J'ignore toujours comment les enseignants y accèdent : à l'aide d'un sortilège, peut-être ?
Le campus est bondé, fait inhabituel à cette heure-ci. Je comprends pourquoi en passant près du pôle pédagogique : toutes les salles de classe sont vides.
Les cours étant annulés pour le reste de la journée, les étudiants sont autorisés à flâner librement dans Talesia, tant qu'ils ne sortent pas de l'université. Cela engendre bien sûr quelques inconvénients, notamment pour notre sabbat de ce soir, qui risque d'être compromis.
Vu l'état de santé de Gaby, je vois difficilement comment nous pourrions le maintenir, de toute façon. Elle doit être épuisée !
💎💎💎
Avant d'entrer dans l'infirmerie, je retrouve un élastique au fond de ma poche et attache mes cheveux en un chignon désordonné. Par chance, je porte un sweat à capuche large, pratique pour cacher mes mèches rouges.
Inutile d'attirer davantage l'attention sur moi après ce qui s'est passé ce matin.
Quel soulagement de retrouver Gaby dans son état normal !
Aloïs se tient derrière elle, tout aussi éprouvé. En fait, c'est toute la bande qui s'est donné rendez-vous – décidément, c'est notre endroit préféré après le resto U.
Le visage serein d'Acacia me rassure. Ça ne doit pas être très grave.
Un quart d'heure plus tard, mes amis m'entraînent jusqu'au jardin des Émeraudes pour déblatérer sur nos exploits du jour.
Il est bondé à cause de l'annulation des cours, mais nous réussissons tout de même à nous faire remarquer : tout le monde se fige à notre vue.
Bien sûr, mon nouveau tour de magie est déjà connu de tous. Ça ne m'étonne pas. Pas besoin de SMS, ici. Un petit mot murmuré et, l'information se propage dans l'air comme par enchantement – je soupçonne certains d'user d'un sortilège de multiplication. Vu le nombre de personnes présentes dans le réfectoire ce matin, la nouvelle ne devait pas être difficile à diffuser.
Pendant que nous traversons la zone, des sourires s'étalent sur les visages qui affichaient une expression de peur il y a à peine une heure ou deux.
J'ai beau chercher, je ne comprends pas pourquoi. Je n'ai rien fait d'extraordinaire – mis à part enjamber des bancs aussi larges que des troncs d'arbres à la vitesse de l'éclair, peut-être.
Gaby est la première à prendre la parole :
— Merci, Rubis. Je crois bien que tu m'as sauvé la vie ! Je suis désolée de m'être énervée hier, c'était...
— Rien. C'était rien. J'ai été exécrable avec toi.
— Tu avais de quoi ! Ce que tu m'as dit par rapport à Gauthier... c'est vrai. Nous aurions dû nous inquiéter pour lui, nous sommes censés être ses amis. Tu as bien le droit d'être dépassée, avec tout ce qui est arrivé ces derniers temps.
Je lui fais signe que ça n'a pas d'importance. Mieux vaut oublier cette histoire au plus vite. Je m'étais sentie stupide au moment même où j'avais commencé à monter dans les tours, à propos d'une personne qui nous a tous abandonnés, qui plus est.
Émilie pose alors la question qui est sur toutes les lèvres :
— Où étais-tu ? On t'a perdue de vue après avoir quitté la cafète.
— Dans les bâtiments réservés aux profs. J'ai rencontré le doyen – vous saviez qu'on avait un doyen ? –, Morgan Jaffrès, et on a parlé de ce qui s'est passé. D'après lui, c'est un mage puissant qui s'est servi de Gaby comme locutrice, à moins qu'ils ne soient plusieurs.
Je frissonne en revoyant l'image : il faut vraiment être pervers pour avoir l'idée de s'immiscer dans l'esprit de quelqu'un.
L'Émeraude se contorsionne aussi, alors je m'empresse de détendre l'atmosphère pour la mettre à l'aise – ça ne doit pas être évident de se remettre d'une transe dans laquelle on vous a fait passer pour une psychopathe meurtrière :
— Il est canon, même s'il est un peu bizarre.
Que retirez-vous de l'entrevue de Rubis avec Monsieur Jaffrès ? Il vous paraît digne de confiance ?
– 👍
– 👎
Quelles conséquences l'impureté de la gemme aura-t-elle sur Rubis ? 😨
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