Chapitre 73
Plume prasine, plume prasine,
Pâles nuances de jade,
Une dimension parallèle.
À mon réveil, je crois de nouveau avoir rêvé.
Le chat au pelage blanc perlé a disparu. Seule Céleste est restée sur mon lit.
Ai-je halluciné ?
Je jurerais que l'étrange odeur de sapin et de citron mêlés qui accompagnait le félin plane encore dans l'air. Mais alors, comment a-t-il pu arriver jusqu'à notre chambre et s'éclipser au petit matin ?
Bon sang, Rubis ! Ce n'est pas l'heure de te torturer l'esprit avec ce genre de détails.
Pas sûr qu'il existe vraiment une heure pour le faire, mais je suppose qu'il y a des moments plus propices que d'autres aux casse-têtes.
Dans un effort qui n'a d'égale que ma flemme matinale, je fais venir mon emploi du temps jusqu'à moi à l'aide de la lévitation, ma technique de sorcellerie préférée.
D'habitude, je le connais bien après trois mois de cours. Aujourd'hui, il m'est pourtant impossible de me rappeler par quoi je commence.
Magie Blanche.
Je m'en souviens, maintenant ! Madame Veinwic nous a promis qu'elle nous enseignerait comment minimiser les séquelles relatives aux victimes de magie noire. Je repense au petit Gauthier et à ses yeux bleu-gris, comme si j'étais capable de chasser toute leur noirceur.
Et puis, il y a le sabbat.
Mais pour ça, encore faut-il que Gaby veuille toujours me parler ! Elle et le reste du groupe – hormis Aloïs – sont attablés au réfectoire. Leurs regards n'étant pas des plus accueillants, je décide de m'installer à l'opposé de leur table, du côté des Troisièmes années. Tandis que je me fraye un chemin à travers les bancs, je vois le Saphir entrer. Il ne me remarque pas et part s'installer avec les autres. Si ça appauvrit les racontars, au moins...
En me voyant là, assise à une table vide, Gauthier se moquerait bien de moi. Grand bien lui fasse ! C'est sa faute, tout ça. S'il n'était pas parti, tout serait différent.
Une chaise racle le sol. Aaron, accompagné de son fidèle sourire machiavélique, se poste en face de moi.
— Mes félicitations, très chère : tu prends enfin tes distances avec ces loosers ! Franchement, il n'y avait que Gauthier qui en valait la peine. Dommage qu'il se soit volatilisé... C'est peut-être lui qui s'est brûlé les ailes, finalement.
S'il ne m'avait pas gratifié d'une œillade, le doute aurait peut-être subsisté dans mon esprit. Après tout, mieux vaut se montrer cordiale avec quelqu'un qui daigne s'asseoir à côté de vous, quand bien même il s'agit d'un psychopathe manipulateur qui se plaît à assommer les jeunes filles et à prononcer des phrases flippantes lorsqu'elles sont en convalescence.
Je bouillonne littéralement de rage.
Non, Rubis. Ne te laisse pas avoir. Aaron fait ça uniquement pour te blesser. Ce qui est fait est fait : il ne pourra pas te frapper une seconde fois – il n'a pas intérêt, en tout cas.
Le pire, c'est que ça fonctionne. Je prends quelques instants pour me calmer et m'empêcher de lui lancer un sort qui lui ferait à coup sûr regretter son déjeuner, avant de lancer, glaciale :
— Au moins, ces « loosers » n'ont rien à se reprocher.
— Parce que tu crois vraiment que Gauthier est parti à cause d'eux ? Voyons, Rub's : je pensais que tu le connaissais mieux !
Je serre mon rubis dans ma poche pour me retenir de lui décocher un coup en pleine figure. Malgré mon énervement, il n'est pas trop tard pour tourner la situation à mon avantage et lui soutirer quelques informations au passage.
— Tu sembles bien renseigné.
— Avant son départ, il m'a fait part de son désarroi, en effet. Il en avait marre de traîner avec des gamines dans ton genre.
— Fiche-moi la paix !
— À moins que ça ne soit dû à autre chose, bien sûr. C'est quelqu'un de très perturbé, tu sais. Une fois, il s'est même retiré une semaine entière dans une crypte pour « méditer ». Je te laisse imaginer la teneur de son petit-déjeuner !
Je suis prise d'une véritable pulsion meurtrière. Bon sang, ce serait merveilleux de prendre le couteau à pain et de le planter dans son thorax. Je vais le faire, oui, je vais...
— Je crois qu'elle t'a dit de la laisser tranquille ! intervient Aloïs en tirant Aaron par-derrière.
Ce type est mon héros !
— Dégage, fleurette ! J'en ai pas encore fini, avec elle !
Il a à peine terminé sa phrase qu'un épais nuage de fumée envahit la pièce. J'ai d'abord peur que ça vienne de moi, involontairement bien sûr, mais vu la touffeur du nuage, nul doute que la personne qui l'a lancé maîtrise bien la magie noire, peut-être même mieux que Madame Veinwic. Ça ne peut pas être Aaron, il est juste en face de moi. Alors qui ?
Un cri retentit.
Je reconnais immédiatement cette voix... Gaby ! Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines et les mots franchissent mes lèvres avant même que mon cerveau les formule complètement :
— Dissipatio.
L'épaisse brume se dissout devant moi et je fais tout mon possible pour me frayer un chemin entre les rangées de tables. Plus je me rapproche de l'Émeraude et plus une puanteur, une senteur âcre semblable à celle d'un rat mort, se répand dans la salle.
Je parviens enfin jusqu'à elle : étendue au sol, les bras en croix sur son cœur, elle ne paraît plus vraiment elle-même. Je suis soulagée de constater qu'elle n'a rien.
Rien d'apparent, en tout cas.
Au même moment, un sifflement aigu se fait entendre et Gaby ouvre les yeux, des yeux d'un noir d'encre. Elle se lève tel un robot et déambule à travers la salle. Je la suis jusqu'à ce qu'elle se retourne et me fixe de ses pupilles meurtrières, avant de réciter d'une voix mécanique qui me donne la chair de poule :
— Rubis Brightwood, guide de l'Esmantium.
Je suffoque à chaque mot supplémentaire, étranglée par une force invisible. C'est comme si j'allais rendre mon dernier souffle avec cette odeur de putréfaction qui s'engouffre dans mes narines. Ma tête commence à tourner et, dans un ultime effort, je tente de saisir mon rubis dans ma poche en luttant pour ne pas perdre connaissance.
Par je ne sais quel miracle, j'y arrive.
Je me focalise de toutes mes forces sur le regard de Gaby, m'y accrochant comme si ma vie en dépendait.
Peu à peu, j'entre dans ma bulle, déployant un bouclier invisible autour de moi. L'extrême puanteur disparaît et à la place, Gauthier se matérialise face à moi. Je chancelle sous l'effet de surprise, incapable de sentir le sol sous mes pieds. Un bras, puis deux et bientôt trois me tirent en arrière pour me maintenir dans la réalité, et son visage disparaît.
Il est parti. Encore.
— Non... non ! Je ne veux pas...
Vidée de toute mon énergie, je me débats avec le peu de force qu'il me reste et m'accroche à cette image, ce visage.
— Rubis !
La voix traverse les mondes.
C'est Gaby.
J'ouvre les yeux, chute de plusieurs mètres et atterris sur une table. Ça suffit à me sortir de ma transe. Mon amie a tout de même réussi à amortir ma chute grâce à un sort quelconque.
Elle me fixe désormais de ses iris redevenus verts. Elle est là.
Je saute sur mes pieds pour l'aider à se relever et la serre dans mes bras jusqu'à l'étouffer, prise de violents sanglots.
Quand elle finit par me lâcher, j'ai l'impression que tout Talesia s'est rassemblé autour de nous. Elle m'offre un grand sourire et me chuchote à l'oreille, comme pour achever notre réconciliation :
— Tu as les cheveux tout rouges.
Rubis vient de passer d'une mèche à toute une chevelure rouge. 😳
Vous avez déjà fait des teintures, vous ? Quelles couleurs ? 🥰
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