Chapitre 67
Plume dorée, plume dorée,
Une agate coléreuse,
Aigreur et froideur passagères.
Je me retourne, le visage livide après ce que je viens d'apprendre.
Aloïs paraît content de me voir, la preuve : il sort déjà un livre de son sac, comme si nous nous étions donné rendez-vous. Ce qui n'est... pas le cas, si je m'en souviens bien.
— On ne t'a pas vue au petit-déjeuner. Les autres se sont inquiétés, déclare-t-il en guise de salutation.
Les autres. Gaby, Ambroise, Em', Alix et... Gauthier ?
Bon sang, il faut que j'arrête de penser constamment à lui. C'est maladif, chez moi !
— Je me suis levée tôt, me justifié-je, j'avais besoin de jeter un coup d'œil aux cours.
Même s'il n'est pas dupe, le Saphir me fait signe qu'il comprend. Pendant une heure, nous récapitulons ensemble les différentes parties de notre exposé, avant de nous rendre à nos cours respectifs.
De mon côté, c'est une séance de Latin qui m'attend. Je suis plus que soulagée en découvrant ma paillasse vide. On ne pouvait pas mieux faire ! Me retrouver à côté de Gaby ou d'Alix ne m'aurait pas aidée à me concentrer, au contraire. Aujourd'hui plus que jamais, j'ai désespérément besoin de calme et de solitude.
Penser à Gauthier et parler des âmes sœurs en même temps, c'est ce que je veux à tout prix éviter, et comme je ne peux pas échapper à mon exposé, j'ai besoin de rester seule un moment.
— Cette semaine, débute Madame Docarbel, nous allons étudier le rituel d'activation de votre gemme.
Des murmures enthousiastes s'élèvent dans la classe. Pour une fois que le thème abordé nous dit quelque chose...
— Comme vous le savez, votre croissant de lune est la source de vos pouvoirs...
— Ça veut dire que si on coupe la main d'un sorcier, il ne peut plus exercer la magie ? l'interrompt Augustus, un Saphir installé au fond de la salle.
— Si, mais il sera affaibli. Voyez ça comme si on vous avait piqué avec une aiguille remplie d'un poison agissant lentement. Le venin se diffuse d'abord dans votre poignet, avant de se propager dans votre corps et de contaminer votre cœur.
Augustus n'insiste pas, pour ne pas se faire remarquer, sans doute.
— L'année qui suit vos seize ans, vous avez tous et toutes reçu une pierre de différente couleur. Saphirs, rubis, émeraudes ou diamants vous ont d'abord semblé inutiles, mais quelques jours, voire quelques semaines plus tard, ils ont pris une importance considérable dans votre vie. Faisons un rapide tour de classe. Comment s'est activée votre gemme ?
Antoine, un élève timide du deuxième rang, répond en premier, bientôt suivi par d'autres. Comme le sens est celui des aiguilles d'une montre, je suis la dernière à m'exprimer. J'ai donc tout le loisir d'analyser les propos de mes camarades. À les écouter, je prends conscience que les sentiments forts tels que la colère, la trahison ou l'espoir sont généralement ceux qui permettent à nos pouvoirs de se dévoiler. Quand je vous disais que notre cœur et nos croissants de lune étaient directement liés !
— Pour ma part, c'est la solitude, la tristesse qui ont tout déclenché, expliqué-je, serrant les dents à l'évocation du douloureux souvenir de mon ancienne vie à Ladilis.
— Vraiment ? D'ordinaire, les rubis s'animent par une émotion ou un sentiment relatif à l'amour ou la colère. Beaucoup plus passionné.
La cigarette ! Maintenant que Madame Docarbel le dit, je réalise que c'est ça qui a tout embrasé. Mais je ne m'explique pas l'extinction de l'incendie. Seul un Diamant aurait pu lever un vent aussi conséquent...
Pendant le reste de la séance, l'enseignante nous répète que des milliers de sorciers sont passés par là avant nous, qu'il s'agit d'un des événements les plus importants de notre existence spirituelle, bla bla bla... avant d'enchaîner avec les rituels guerriers de mars et d'octobre.
J'ai décroché à ce moment-là, me ressassant mentalement les éléments de mon exposé de tout à l'heure. Après lui avoir consacré autant de temps, Aloïs et moi n'avons pas le droit à l'erreur.
J'arrive devant la salle de Sciences Occultes avec la boule au ventre. Ce qui me rassure, c'est que je ne suis pas la seule à me sentir mal à l'aise. L'angoisse se lit sur tous les visages. Le plus détendu, réalisé-je, c'est bien mon binôme. Le Saphir affiche son habituel sourire bienveillant, parfaitement reposé après une bonne nuit de sommeil – ce qui est loin d'être mon cas.
— Ça va bien se passer, m'apaise-t-il, sûr de lui.
— J'espère...
Madame Jacolot nous fait entrer un par un, comme pour un examen. Elle tient une urne entre ses mains. C'est elle qui va déterminer notre ordre de passage à l'aide d'un tirage au sort.
— Ce contenant est inactif à la magie, ce qui signifie que personne ici n'est en mesure d'influencer le tirage.
Après avoir glissé nos noms dans la boîte, elle enclenche le mécanisme. Un papier soigneusement plié en ressort aussitôt.
— Aloïs Delfont et Rubis Brightwood.
Je déglutis. Certes, il faut bien que quelqu'un commence, mais la tâche est toujours plus ardue pour les premiers.
Après avoir pris une grande inspiration, je me dirige vers l'estrade, plus stressée que jamais. Croisons les doigts pour que la projection marche, cette fois.
Pendant que je me concentre, mon collègue Saphir allume les bougies. La pièce tangue autour de moi, mais la senteur de la cire me rappelle mes séances de méditation et parvient à m'apaiser.
Aloïs parle. J'ajoute quelques éléments de temps à autre, mais il se débrouille très bien tout seul. C'est un excellent orateur.
— On distingue deux types d'âmes sœurs : les assimilées, et les inversées. Ce phénomène étant rare, il est difficile de trouver des éléments pour différencier une catégorie de l'autre. Certains spécialistes ont tout de même établi une plus grande passion, une plus grande intensité chez les âmes sœurs inversées. Le lien engendre plus de pouvoir, bien sûr, mais aussi plus de danger entre les partenaires. La relation entre des âmes sœurs assimilées est beaucoup plus saine. Malheureusement, seul le temps permet de reconnaître la nature de cette union. À présent, je laisse la parole à Rubis, qui va vous détailler le processus de liaison entre deux entités pourtant bien distinctes : le passage des âmes sœurs supposées aux âmes sœurs confirmées.
C'est mon tour. J'essaie tant bien que mal d'adopter un ton pédagogue, informant mes camarades avec le plus de calme possible. Je connais le phénomène, maintenant, les âmes sœurs n'ont presque plus aucun secret pour moi ! Les mines satisfaites qui s'étalent sur les visages m'encouragent, et cinq puis dix minutes passent sans que je m'en aperçoive.
Vient le moment tant attendu : la projection.
Pour cette dernière partie, Aloïs et moi avons décidé de représenter la Cérémonie du lien. Nous en avons au préalable listé les étapes, mais sans jamais l'exécuter. Par manque de temps – peut-être par gêne, aussi.
Pourtant, notre oral tout entier repose sur la réussite de cette partie...
Mon acolyte me lance un regard entendu. C'est à moi.
Je me concentre sur la chaleur qui émane des bougies, prends mon rubis et le tends devant moi, comme j'ai coutume de le faire. Je visualise un temple bouddhiste découvert l'année dernière dans un reportage télévisé.
Des exclamations me parviennent, me troublant un instant, mais je tiens bon. Lorsque je suis plus à l'aise, je décide d'ouvrir les yeux. Les visages stupéfaits de mes camarades contrastent avec les fondations du temple. J'ai réussi ! C'est comme si moi, Madame Jacolot et les autres nous étions téléportés dans ce lieu sacré, avec ses gravures et son architecture si particulières.
— Durant cette cérémonie, débute mon voisin en se raclant la gorge, les âmes sœurs sont liées par leurs poignets : c'est la source de leur pouvoir, mais aussi de leur amour. Le temps d'une nuit, elles s'enlacent sur le sol, de cette façon.
Il me prend par la main et m'entraîne au milieu de la pièce, à l'endroit le plus profond du temple. Je m'étonne d'être parvenue à en transposer les dimensions. C'est plutôt rare, si j'en crois mes lectures sur le sujet. Aloïs a dû m'aider sans m'en informer.
Lorsque nous nous allongeons, nous nous mettons dans la position convenue : la tête en face des pieds de l'autre. Une fois le résultat obtenu, nous joignons nos deux avant-bras.
L'objectif, c'est que le reste de la classe fasse le rapprochement entre ce phénomène et celui du Yin et du Yang ; je suis d'ailleurs vêtue de noir et mon ami de blanc.
Moins d'une seconde plus tard, un événement tout à fait inattendu se produit. Une violente étincelle jaillit du contact entre nos deux croissants de lune, symbole de la création d'une relation entre deux âmes sœurs, comme l'a dit Aloïs.
C'est le moment exact où leur attache supposée s'affirme, les connectant définitivement l'une à l'autre. En projetant cette région hiératique dans la salle de classe, j'y ai apporté les mêmes flux magiques : c'est la preuve que ce qui se passe ici n'a rien d'anodin.
Des cris de stupeur s'élèvent parmi mes camarades.
Après ce que nous venons de leur présenter, il ne fait aucun doute que nous expérimentons nous-mêmes cette Cérémonie du lien, comme... des âmes sœurs.
On peut dire qu'Aloïs et Rubis ont soigné leur exposé, pas vrai ?
Qu'en dites-vous ? Ils sont...
– âme sœurs ! 😍
– pas âmes sœurs... 🤢
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