Mon ami m'observe depuis un moment déjà, plus éveillé que tout à l'heure. La teinte de ses yeux aussi a changé : cette fois, ils sont bleus, loin des iris gris du petit garçon.

Il tend sa main vers mon visage, s'arrêtant à quelques millimètres de mes lèvres. Au lieu de reculer, je me tiens raide, laissant libre cours à ses mouvements. Il attrape l'une de mes mèches et l'entortille entre ses doigts, avant de s'écrier :

— Elle est rouge !

Je me redresse aussitôt, agrippant à mon tour la mèche rebelle. Elle est effectivement colorée, teintée d'un rouge profond.

— Tes pouvoirs déteignent sur toi, constate-t-il joyeusement, sa bonne humeur retrouvée.

— Je crois que je vais devoir prendre rendez-vous chez le coiffeur.

— Non, laisse-la ! Je l'aime bien. Elle est comme toi.

— C'est-à-dire ?

— Elle refuse de se soumettre à la norme.

Par cette simple phrase, Gauthier vient de me faire le plus beau compliment que je pouvais imaginer.

Et il est sincère, je le sens.

Pourtant, cette marque d'attention m'effraie. Il peut être si imprévisible, parfois...

💎💎💎

Nous parlons de tout et de rien pendant encore un moment, échangeant et interchangeant nos pensées au fil de la discussion. Je ne l'interroge pas sur ce qu'il sait déjà, et il fait de même. Nous sommes juste là, tous les deux, occupés à contempler les premiers rayons du soleil perçant à travers les arbres et le jonglage incessant de ses trouées.

Le ciel oscille entre ténèbres et lumières, incertain. Le temps fuit, et l'aube, subtile rose aux éclats d'amertume, dévoile ses pétales au reflet du monde. Aucun de nous n'est prêt à partir.

— Ce sera difficile de retrouver le chemin du retour.

J'opine, même si c'est aussi dur maintenant que ça le sera dans une ou deux heures. Quand on se sent bien, vraiment bien, on n'a pas envie de rejoindre la réalité.

Oui, mais voilà. Il faut y aller. Clore cette parenthèse enchantée pour revenir au présent.

Je me lève à contrecœur de mon siège d'épines, et le Diamant me suit. Nous repartons par là où nous sommes arrivés, nous guidant grâce aux traces de nos pas à demi effacées. Il attrape l'un de mes doigts, je me dérobe. Je ne veux pas gâcher la magie du moment.

— Juste aujourd'hui, chuchote-t-il de sa voix de petit garçon.

Je m'avoue vaincue et prends sa main, apaisée. Il en a besoin. Réellement besoin.

Je n'ai pas oublié qu'il était là pour moi, quand j'étais perdue à l'infirmerie.

À mon tour d'être présente pour lui.

Parfois, nos poignets se touchent, et nos croissants de lune se rejoignent. Aucun de nous ne prend garde à la brûlure, ou ne dit quelque chose lorsque nous nous éloignons du sentier.

De retour à Talesia, nous nous séparons simplement devant l'entrée, en un regard. « Retour sur Terre », semble dire celui de Gauthier.

Aux Appartements, Céleste m'attend : son regard s'attarde sur ma mèche rouge, et elle me suggère de la camoufler avec des épingles. Elle a raison : je n'ai pas envie d'expliquer pourquoi ni comment elle est apparue.

Elle me sermonne silencieusement avec ses yeux verts qui répètent incessamment « je sais ce que tu as fait », et je rougis sans trop savoir pourquoi.

Céleste a toujours été plus clairvoyante que moi.

J'en suis consciente, je crois, mais je me refuserai à l'admettre.

Une fois avachie sur mon lit, je me décide à lui poser une question qui me taraude depuis longtemps :

— Quel âge as-tu, Céleste ?

— L'âge que la Terre me donne, mon enfant.

💎💎💎

Après avoir récupéré de ma nuit, je sors du dortoir et pars à la recherche de ma colocataire. Au lieu de la trouver, je tombe nez à nez avec Aaron, encore et toujours occupé à rôder près de nos chambres.

Ses bras sont chargés d'améthystes et il semble gêné, ou plutôt agacé en me voyant. Il repart sans un mot, me laissant seule avec une étrange sensation de malaise. Évidemment, c'est ce moment que choisit ma curiosité légendaire pour ressurgir.

Il a l'allure de quelqu'un qui manigance quelque chose, et son attitude me paraît suspicieuse. Qu'est-ce qu'il compte faire, avec ces pierres ?

Le sorcier se dirige d'abord vers le lac d'Argent. Alors que je veille à me tenir à distance, il pivote en direction des couloirs, avant de se retrouver à nouveau devant les Appartements. À quoi joue-t-il, bon sang ?

Finalement, ma première intuition était la bonne. Je l'observe avec effroi jeter un maléfice sur la porte de l'immeuble. Un cri de surprise s'échappe de ma bouche, me trahissant par la même occasion.

M'ayant repérée, Aaron marmonne une formule à mon intention. Par réflexe, je saisis mon rubis pour m'en protéger.

C'était moins une ! Je tente d'ériger une barrière d'invisibilité, mais ce sort est bien trop éloigné de ma magie de prédilection. Sans surprise, j'échoue lamentablement. Prise de panique, je me cache derrière la première alcôve venue en priant pour que mes vêtements sombres se fondent dans le décor.

Par je ne sais quel miracle, le mage ne parvient pas à me repérer. On entend alors des bruits de pas provenant du corridor et le coupable se dépêche de ramasser ses pierres tandis que l'ombre de Madame Jacolot se profile déjà à l'horizon.

Tremblante, je me faufile jusqu'à ma chambre et me laisse tomber sur le lit. Que se serait-il passé si le maléfice d'Aaron m'avait touchée ?

Mais je ne parviens pas à trouver la réponse à cette question, pas plus que j'arrive à me mettre en pyjama. Sans crier gare, une immense fatigue se saisit de mes membres, et mon corps tout entier sombre dans un long et profond sommeil...

Qu'est-ce que trafique Aaron ?

Rubis devrait-elle parler de ce à quoi elle vient d'assister ? À qui ? 🤔