Plume rose, plume rose,

Tire l'épine de sable

De ces divins iris meurtris.

Le lendemain, c'est jour de rentrée. Noël est déjà loin...

Tous les regards sont braqués sur moi. L'épisode de la veille a fait le tour du lycée et mes camarades veulent ajouter leur grain de sel à l'histoire ; c'est à qui racontera le ragot le plus croustillant. Nathan et Kilian sont de la partie, bien sûr.

Avec tout ce que j'entends dans les couloirs, je suis certaine d'une chose : ils ont une sacrée imagination. Je ne me souviens pas avoir avalé une limace devant eux, par exemple.

— T'as pas oublié ta culotte dans le vestiaire des filles ?

Ça aussi, c'est nouveau.

— Celle avec les petits cœurs, pas la jaune poussin trouée !

Je fais la sourde oreille et rejoins ma salle de classe en rasant les murs, désireuse de me faire oublier.

Ne pas répondre, ne pas répondre, ne pas répondre. Il ne faut pas leur accorder d'importance, ça leur passera si tu leur prouves que ça ne t'atteint pas.

Oui, mais les ignorer, c'est aussi leur donner raison.

Que dois-je faire ?

Mieux vaut filer en cours, peut-être que mon prof de physique-chimie sera déjà là. J'espère qu'il ne va pas faire une crise cardiaque en me voyant débarquer à cette heure-ci, moi la littéraire.

M'asseoir à ma place, au premier rang, constitue un véritable supplice. Ce n'est pas l'emplacement en lui-même qui me dégoûte, mais mon voisin.

Le profil type de l'ado rebelle qui mène une cause unie contre une seule et même personne, à savoir moi. Quelle ironie du sort ! Le cancre qui épate la galerie assis à côté de l'intello de laquelle émane l'ennui.

« Intello. »

Autrement dit, la petite élève coincée qui participe en cours et apprend ses leçons. Cette fille qui ne fume pas, ne boit pas et – encore plus grave – passe sa vie à étudier.

« Intello. »

Connaissez-vous mot plus abominable que cette injure, synonyme de souffrance et d'abandon ? À croire que pour certains, si intello rime avec fayot, leurs sens sont identiques.

Selon eux, je suis prête à tout pour obtenir les meilleures notes, y compris dénigrer les autres. Ils emploient ce terme comme si c'était une excuse à toutes les méchancetés ; je peux faire toutes les bonnes actions du monde, rien ni personne ne le remarquera.

À l'inverse, au moindre faux pas je suis littéralement piétinée sous les insultes et les discriminations. C'est la loi du plus fort, preuve que l'homme est parfois doté d'un instinct bestial...

Voilà donc la cause de ma mise à l'écart.

On pourrait penser que je suis habituée, depuis le temps. Mais on ne fait pas de la solitude, de l'isolement et des critiques sa routine.

Ma propre existence me fait pitié, parfois. Toute la journée, c'est la même chose : à chaque main levée, un vil regard lancé.

Aujourd'hui, c'est encore plus dur. Je suis seule, c'est d'autant plus facile de m'attaquer.

Leurs mesquineries sont insupportables, à tel point que je prétexte un rendez-vous médical pour leur échapper. Pas compliqué de remplir le petit billet rose en faisant mine d'avoir oublié de le donner en avance. Une signature et le tour est joué !

C'est devenu tellement coutumier d'imiter celle de mes parents que je n'en éprouve même pas une once de culpabilité. Pour la vie scolaire, personne n'est là pour s'occuper des papiers à la maison, ma mère étant perpétuellement « en voyage » et mon père...

Mon père, personne n'a aucune idée de l'endroit où il se trouve.

C'est aussi simple que cela.

Évidemment, les profs n'en savent rien. Ils n'ont pas de temps à perdre avec les tracas d'une gamine première de la classe. Il faut dire que je leur donne le change, en affichant ma petite mine de parfaite lycéenne à chaque début de cours. Ils n'imaginent pas que derrière ce masque de mensonges se cache un visage strié de larmes.

Pour résumer, la plupart du temps je suis... désespérément seule.

💎💎💎

De retour chez moi, je pose mes affaires sur le canapé, attrape mon ciré et sors, aussitôt attaquée par le froid mordant de l'hiver. Comment peut-on mieux commencer l'année ?

J'en ai déjà marre d'aller à l'école. À seize ans, je peux théoriquement arrêter les cours, mais pour quoi faire ? Sans diplôme valable en poche, ce n'est même pas la peine de tenter ma chance quelque part...

Mon nez coule, conséquence du froid ou de ma tristesse, je ne sais pas. Alors que je fouille mes poches à la recherche d'un mouchoir, ma main rencontre un objet dur, mais lisse, duquel émane une chaleur réconfortante.

C'est la gemme que j'ai reçue hier !

Comment est-elle arrivée jusqu'ici ? Et qui me l'a envoyée ? Comme je suis du genre à analyser tout ce qui sort de l'ordinaire, j'y ai déjà réfléchi une bonne partie de la nuit, mais sans trouver de réponses rationnelles à mes questions.

Plus je l'examine, plus cette pierre m'intrigue. Pourquoi me l'a-t-on offerte ? À quoi peut-elle bien servir ? Et comment expliquer sa mystérieuse disparition après la vision ? Mes pensées se bousculent encore et encore dans ma tête, jusqu'à me rendre totalement nauséeuse. Je n'ai jamais été douée pour résoudre les casse-têtes et puzzles qui relèvent d'un niveau dépassant le débutant, encore moins lorsqu'ils sont personnels comme c'est le cas aujourd'hui.

C'est une pelote de laine tout embrouillée qu'on m'a envoyée par hasard – dans quel but, sinon ? –, mais je ne peux en démêler les fils.

Suivant le même schéma, mes pas divaguent à travers la campagne. Je n'ai absolument aucune idée de l'endroit où ils me conduisent.

Au bout d'un moment, j'en viens même à courir pour oublier mes peines et problèmes. Je me concentre uniquement sur mes poumons et leur rythme saccadé, peinant à compter les pulsations de mon cœur.

Ça m'occupe l'esprit, au moins.

Je finis par arriver à l'orée d'une clairière jamais vue auparavant. Elle est cerclée d'arbres très anciens qui datent sûrement de plusieurs décennies. Les rares feuilles qui pendent encore au bout des branches virevoltent au gré du vent d'une façon poétique, subtile invitation à se laisser bercer par la brise hivernale.

Silencieusement – pour ne pas briser la quiétude du lieu, je suppose –, je serpente entre les brins d'herbe encore gelés et m'étale de tout mon long en trébuchant sur une grosse pierre. Ma chute déplace des particules terreuses et une dalle en forme de croissant de lune se découvre.

Je ne remarque pas immédiatement la disparition de la gemme. Ce n'est qu'en me relevant, dépitée par mon ignorance sur la question, que je distingue le minerai sur le sol, pile au centre du croissant. Étrangement, sa surface n'est pas abîmée. Même pas une rayure, elle est toujours aussi lisse et brillante !

Vu sa résistance, il n'y a plus de doute possible : c'est un vrai rubis.

Une pierre retrouvée, un lieu magique découvert à deux pas de chez elle... Dans quoi Rubis s'embarque-t-elle ? 😲

Vous auriez essayé de comprendre ce qui vous arrivait, à sa place, ou vous seriez resté.e dans le déni ?