Plume orange, plume orange,

Ambre à creuser, enfouie ;

Et sourire instinctivement.

Comme l'a prédit Gauthier, ma nuit a tourné à l'insomnie. Je suis bien trop énervée pour réussir à fermer l'œil.

Le seul avantage que j'en retire, c'est d'avoir consacré mon temps de sommeil perdu à une réflexion profonde sur ma situation actuelle.

Au réveil, je suis certes épuisée, mais au clair avec moi-même.

Alix, conciliante, m'aide à trouver une formule pour camoufler mes cernes, qui pourraient être un peu trop abondants au goût de certains professeurs – dommage que les potions de sommeil ne soient pas en libre-service. Il ne manquerait plus qu'ils se posent des questions !

Comme nous en avons pris l'habitude depuis quelques jours déjà, notre bande s'est donné rendez-vous au réfectoire, entre la zone des Diamants et des Émeraudes.

— Je vous rejoins plus tard, glissé-je à ma colocataire. Il faut que je règle quelque chose.

Je file sans lui laisser le temps de me questionner, peu désireuse de m'attarder sur le sujet.

Ce « quelque chose » consiste à attendre que Gauthier apparaisse. Postée à l'entrée de la cafétéria, je guette les allées et venues des étudiants, mais, trop concentrée sûrement, je ne remarque pas immédiatement la présence sur ma gauche.

Tranquillement adossé contre le mur, Aaron prend visiblement beaucoup de plaisir à m'observer me tourner les pouces en attendant que son comparse apparaisse.

— Ce n'est pas la peine de t'impatienter, Rub's : il ne viendra pas.

— Et qu'est-ce qui te fait dire ça ? répliqué-je du tac au tac en m'efforçant de ne montrer aucun signe d'étonnement.

— Dois-je te rappeler que sa chambre est à côté de la mienne ? Tu devrais sortir un peu la tête de tes bouquins, petite sorcière.

Je ne relève pas. Mieux vaut passer au-dessus de ce genre de remarques... surtout quand quelqu'un d'autre le fait à votre place :

— Et toi, la remettre. La courtoisie, ça te dit quelque chose ?

J'étouffe un ricanement. Aaron paraît sincèrement surpris en découvrant l'identité de l'inconscient qui ose s'attaquer à lui.

Ça se comprend. Il ne s'attendait probablement pas à voir surgir Gauthier en personne – pour me défendre, en plus.

— Encore faut-il ne pas s'en attacher. Tu as raison : plus c'est petit, plus c'est mignon, plus c'est grand, plus c'est...

Son collègue l'interrompt avant qu'il achève sa phrase, le plaquant contre le mur auquel il s'est adossé quelques secondes plus tôt.

— Reste en dehors de ça, OK ?

Le ton a beau sembler interrogatif, ce n'est pas une question, mais un ordre qu'on exécute immédiatement sous peine d'être persécuté jusqu'à la fin de sa vie.

Adoptant un air que je ne lui connais pas, le Diamant réplique tout aussi sérieusement :

— On est un binôme, Chame. Quand tu te fourres dans le pétrin, je suis également impliqué, que tu le veuilles ou non.

— C'est révolu, tout ça. J'en ai terminé avec lui, tu le sais bien. Disparais, maintenant, et laisse mes... amis tranquilles.

Son duo présumé aborde une expression indéchiffrable et hausse les épaules. Enfin, il tourne les talons, me laissant seule avec un Gauthier.

— Excuse-moi, commence-t-il, anxieux. Je ne pouvais pas le laisser t'embobiner, même si je sais que tu ne le crois pas. Il me rend fou, parfois. La nuit porte conseil, mais tout de même...

Décidément très gêné, il commence à partir dans la direction opposée.

« La nuit porte conseil... »

Quelle subtile allusion à notre virée onirique.

— Attends !

J'ai formulé ma phrase sans réfléchir, sans même être certaine de savoir exactement ce que j'allais dire ensuite, mais tant pis. Je prends une grande inspiration et me lance, les joues en feu, mais le regard planté dans celui de Gauthier :

— Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai bien conscience qu'Aaron est psychorigide. Et puis, je me suis emportée trop rapidement. Je veux bien admettre que je me suis comportée comme une ado stupide, si tu me promets de ne plus jamais t'incruster dans mes rêves. Les insomnies, ça me fait perdre tout sens moral... la preuve.

À mon grand étonnement, un immense sourire s'étire sur ses lèvres, comme s'il n'attendait que ça : que je lui pardonne. Il fait mine de réfléchir, avant de mettre un terme à ce suspense désastreux :

— Je te rends ton sommeil et toi, tu évites les amalgames. C'est un bon compromis. Sur ce, je suis désolé de m'être comporté en parfait imbécile en discutant avec Aaron. Je sais qu'il n'est pas fréquentable. Moi non plus, je ne suis pas très doué pour me lier d'amitié avec les autres...

Réconciliés, nous entrons tous les deux dans le réfectoire. J'ai du mal à cacher mon embarras en présentant mon nouvel ami aux autres.

Une fois que tout le monde est installé, la conversation dévie rapidement sur lui, comme on aurait pu s'y attendre avec des curieuses telles qu'Alix et Gaby. Ses joues rosissent légèrement sous l'effet de toute cette attention. Serait-il timide ?

Par compassion, j'essaie tant bien que mal de changer de sujet... sans grande réussite.

— Alors, l'interroge Gaby, tu es quoi, toi ?

— Un Diamant.

— Chouette, ça veut dire que le groupe est au complet ! Et tu as une copine, ou...

— Gaby !

— Quoi ? Il faut bien que je sache s'il est digne d'intégrer la bande ! proteste-t-elle, faussement indignée.

— Je n'ai pas eu besoin de subir un interrogatoire, moi.

Merci, Émilie ! Je lui adresse un clin d'œil discret.

— C'est normal, tu as aidé Rubis à se dépêtrer de sa maladresse. Sans toi, elle n'aurait plus parlé pendant les trois jours suivant sa chute.

— Oui, mes pieds me perdront.

— Maladroite, vraiment ? s'enquiert Gauthier.

Je ne peux m'empêcher de lui lancer un regard noir. Pour une fois que je suis gentille, voilà qu'il profite de la situation !

— Oui, particulièrement lorsque je sors de ma zone de confort.

— C'est bon à savoir.

— Le jour où j'ai eu mes pouvoirs, par exemple : je suis tombée sur une stèle. Sans ça, je ne l'aurais jamais découverte, c'est sûr.

— Une stèle ? répète-t-il, de plus en plus intrigué.

— Elle s'est activée quand ma pierre a roulé sur le sol, je crois, puis son tracé s'est reproduit sur ma peau.

D'après ce que les autres m'ont raconté, le croissant de lune se dessine d'ordinaire dans la nuit qui suit l'obtention de la gemme. Les nouveaux sorciers peuvent commencer à utiliser la magie dès leur réveil, s'ils ne filent pas sur Internet chercher un moyen de camoufler leur tatouage le temps de le comprendre.

Pour moi, il faut croire que c'était différent... encore.

— Tu me la montreras, un jour ?

— Euh... si tu veux. Mais je ne peux pas te garantir que je me souvienne du chemin.

Il n'insiste pas, retenu par notre récente dispute, sans doute.

Pourtant, je vois bien que quelque chose le tracasse. J'espère qu'il osera venir m'en parler le moment venu.

Qu'est-ce qui tracasse Gauthier ? 

Et à qui va sa loyauté ? 

– Aaron 💎

– Rubis 🔥