Chapitre 44
Aucune autre personnalité ne semble se détacher du reste de la classe, ce qui a le don de me rassurer. Les gens trop extravertis ont l'habitude de me prendre pour cible, d'où ma sympathie plutôt légère les concernant.
Un détail attire mon attention : les affaires des étudiants sont quasi identiques. Mêmes livres, mêmes cahiers à spirales, mêmes lots de pierres... C'est à croire qu'ils ont tous effectué leurs achats au même endroit !
Tous, mis à part moi bien sûr : l'éternelle décalée qui ne fait rien comme les autres.
D'accord, Gauthier m'avait prévenue qu'à cause de sa réputation, Pearlake n'était pas censée être fréquentée par les académiciens lors des courses de rentrée, mais je ne m'attendais pas à être la seule personne possédant un agenda avec une couverture incrustée de rubis et des pages bordées de poudre dorée.
C'est un peu ostentatoire, mais tout de même... j'ai pris le moins cher parmi tous ceux que j'ai trouvés !
Je vois déjà un garçon aux yeux verts – un Émeraude, me semble-t-il – m'observer en catimini.
Ça commence bien ! Je vais encore me faire cataloguer comme une anomalie terrestre. L'ennemie, pour ces soldats formés à l'éradication d'étrangers dérangeants.
— Sympa, ton mémo ! s'écrie Aloïs, enthousiasmé par la fameuse première page aux éclats fastueux. Où tu l'as eu ?
Aussitôt, tous les regards convergent vers moi.
Évidemment.
Une fois l'anomalie détectée, il faut trouver son origine pour mieux la maîtriser. Autrement dit : savoir comment l'isoler lâchement du reste du monde.
Par une chance infinie, Madame Jacolot pénètre dans la salle à cet instant, éclipsant toute l'attention qui m'était auparavant destinée. Décidément, j'apprécie de plus en plus son autorité... presque autant que ses cheveux bleus et son gloss couleur aubergine.
— Bonjour à tous ! J'espère que vous vous êtes tous procuré un recueil de nouvelles occultes comme je vous l'ai demandé.
Elle fait référence à la liste de fournitures distribuée quelques jours auparavant. Comme la majorité des élèves, j'avais opté pour l'ouvrage recommandé, Contes et récits magiques, mais c'était sans compter sur Gauthier qui, ayant jugé le livre « plat » et « trop classique » pour moi, m'avait assuré que le recueil qui contenait l'histoire de Céleste ferait parfaitement l'affaire.
C'est ce qui explique sans doute pourquoi je suis l'unique élève à ne pas avoir pris le modèle de base, sûr, efficace.
— Oh, mais c'est un exemplaire de Céleste, ou l'origine des espèces surnaturelles ! s'exclame Madame Jacolot en arrivant à ma hauteur, déclenchant une fois de plus les regards inquisiteurs de mes camarades. Comment vous l'êtes-vous procuré ?
Il faut croire que je n'avais pas prévu de répondre à cette question...
— Un... ami me l'a offert.
— Intéressant.
Elle retourne à son bureau sans rien ajouter, posant sa main sur le devant d'un carnet contenant ses annotations personnelles. Aussitôt, des lettres noires s'inscrivent sur le tableau. Pour ceux qui comptaient échapper aux recopiages de cours, c'est raté !
Quelques soupirs se font entendre dans l'assemblée et la prof s'en rend compte, esquissant un léger sourire que seules les premières rangées peuvent apercevoir.
Même mes craintes et mes appréhensions ne peuvent nier l'évidence : une routine s'installe à Talesia, bien plus palpitante que mon quotidien de mortelle.
💎💎💎
Le cours de Madame Jacolot nous initie aux mythes en partant du postulat suivant : chaque légende humaine recèle une part de vérité.
J'apprends rapidement que la chasse aux sorcières découle d'un surplus de flux magiques notifié par les humains. C'est la raison pour laquelle les rassemblements de mages sont déconseillés, à défaut d'être interdits. Le traumatisme est encore suffisamment ancré dans les mémoires pour échapper à l'obligation d'une législation.
À la fin de l'heure, l'enseignante me prend à part – comme si je ne m'étais pas assez fait remarquer pour la journée...
— Vous avez lu l'histoire de Céleste ?
— Oui, avancé-je prudemment, ignorant ce qu'elle me veut exactement. Je l'ai trouvée particulièrement réaliste.
Elle m'offre l'un de ces fameux demi-sourires dont elle a le secret avant de me répondre, enthousiaste :
— Le premier livre magique est toujours une grande aventure ! Vous m'avez bien dit que c'était un ami qui vous l'avait donné, n'est-ce pas ?
J'acquiesce simplement, ne souhaitant pas nécessairement m'étaler sur le sujet.
— Pourrais-je savoir qui ?
Impossible de ne pas détecter l'intérêt qui se lit dans ses yeux. Ne sachant trop si je peux lui faire confiance, je me risque à préciser :
— C'était Gauthier Chame.
Un sentiment que je prends pour de l'étonnement, suivi de quelque chose qui ressemble à de la peur, passe sur son visage.
L'effet de surprise dissipé, son expression redevient impassible, ne trahissant plus aucune émotion.
— Ça va vous paraître incongru, voire totalement déplacé de ma part, mais Gauthier n'est pas quelqu'un de fréquentable. Mieux vaut se tenir à l'écart de lui si vous souhaitez éviter les ennuis.
Effectivement, c'est totalement déplacé de sa part.
Elle devrait se renseigner auprès de mes anciens profs, avant de me donner des leçons : ils lui diraient que c'est un miracle de me voir m'attacher à quelqu'un.
D'ordinaire, j'aurais mis son conseil en application à la simple évocation de possibles ennuis. Mais aujourd'hui, je fais tout l'opposé : je hoche frénétiquement la tête pour lui faire croire que je suis d'accord avec elle puis prends congé et me dirige vers mon prochain cours.
Que Madame Jacolot soit dupe ou non, peu importe.
Ce qui s'est passé à Pearlake – et même avant, finalement – m'a fait prendre conscience d'une chose : je suis trop impliquée pour m'arrêter maintenant.
Que vous inspirent les dernières paroles de Rubis ? 😇
Et Madame Jacolot ? Pourquoi lui a-t-elle conseillé d'éviter Gauthier ?
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