Chapitre 43
Je pars sans me retourner, avec deux regrets en tête : laisser Alix seule avec ces abrutis – même si ça n'est pas pour lui déplaire –, et filer avant d'observer la réaction d'Aaron.
Je lui ai rabattu le caquet, c'est déjà ça.
Ce qui me préoccupe davantage, c'est l'origine de cette soudaine impertinence. Mon instinct rebelle s'est manifesté pour la première fois auprès de Nathan et Kilian ; alors c'était justifié, mais je ne comprends pas pourquoi je me suis emportée aujourd'hui. Peut-être parce que je n'ai pas apprécié la façon dont ce Diamant présomptueux m'a sous-estimée, me considérant dès notre première rencontre comme une sorcière inexpérimentée, fragile et ignorante ?
J'erre sans idée précise sur le campus, jusqu'à me retrouver devant ma salle de classe. Elle est ouverte, même si les cours ne débutent que dans une demi-heure.
Je m'installe à ma place, préférant me mettre à l'abri au lieu de traîner dans les couloirs. Je farfouille dans mon sac et tombe sur Céleste, ou l'origine des espèces surnaturelles, le livre que Gauthier m'a offert. Contrairement à mon manuel de Sortilèges, ses pages sont couvertes d'une encre noire – un ouvrage classique, en somme.
Un sentiment inexplicable m'envahit en entamant ma lecture. La pièce se dissipe à une vitesse fulgurante et je suis plongée dans l'histoire.
Réellement, je veux dire.
J'atterris dans un désert en ressentant déjà les effets d'une chaleur écrasante. Mes pieds s'enfoncent dans le sable, comme si l'aridité propre à ce milieu se répercutait dans tout mon corps.
« L'histoire des hommes s'écrit depuis des milliers d'années. Les pouvoirs de la Terre Mère ont réussi à traverser les âges et à parvenir jusqu'à nous, jeunes sorciers ignorants de ce vaste monde. Il y a de cela trois millénaires, des traces d'humanité sont apparues sur notre planète. Joie et bonheur se répandirent massivement sur la Terre, jusqu'à ce jour funeste où un homme surgi du Néant se proclama « Roi des Enfers ».
Il pilla les terres sumériennes pendant près de dix ans. Son nom fut craint de tous, et l'odeur des cadavres terrassa les plus infortunés.
« Le Roi Lucifer, tout droit venu des Enfers. »
C'est ainsi que les démons apparurent.
Pour débarrasser les hommes de ce fléau, une femme du nom de Céleste implora la Terre, désespérée après le meurtre de son compagnon, lâchement abattu pendant qu'il cultivait ses champs. Elle seule n'était pas assez puissante pour vaincre le monstre des Enfers, mais les paysans voisins étaient bien trop terrorisés pour l'aider. La Terre Mère, de son regard bienveillant, lui accorda le don de combiner les quatre éléments.
En invoquant les forces spirituelles un soir de solstice d'été, alors que Lucifer et ses démons s'apprêtaient à massacrer les fidèles d'un temple, Céleste les prit au dépourvu et les piégea dans un tourbillon d'air, d'eau, de terre et de feu. Dotée d'une grande sagesse, elle décida d'un châtiment plus moral que la mort : le ban.
Elle enferma les criminels dans le gouffre terrestre, les vouant à un exil certain. Lucifer et ses hommes furent damnés.
Pour remercier et féliciter la bravoure de cette femme, la Déesse décida de lui donner la vie éternelle, la jugeant digne d'arpenter notre planète pour l'éternité.
L'histoire de Céleste s'est quelque peu oubliée dans les couloirs du temps, jusqu'à devenir un mythe. De nombreuses civilisations louèrent son courage et l'associèrent régulièrement à la mort, personnifiant ainsi cette veuve éplorée qui accéda au rang de femme mystique.
Depuis, l'on parle d'une éternelle incarnation qui arpenterait la Terre et rétablirait l'équilibre entre l'homme et la Nature, laissant derrière elle des étincelles qualifiées de poussières d'étoiles pour certains, de magies pour d'autres... »
— Salut ! m'interrompt Aloïs, visiblement embarrassé. Pardon de te déranger. Il faut croire que j'ai eu la même idée.
— Non, pas de problème ! Je finissais juste.
— Tant mieux ! Tu lis quoi ?
Un silence gênant s'installe. J'éprouve des difficultés à me reconnecter à la réalité pour lui répondre. J'étais tellement prise dans l'histoire ! Je lui montre la couverture, incapable de parler. Il acquiesce, et quelques mots finissent par sortir de ma bouche :
— Tu aimes lire, toi aussi ?
— Pas vraiment. Je suis plutôt musique.
— Tu joues ? m'étonné-je en posant l'ouvrage sur un coin de ma table.
— Oui, du piano.
— C'est génial ! J'ai toujours été admirative des musiciens.
— Et moi des écrivains.
— Pareil.
— Je parlais de toi, argue-t-il en désignant le stylo que j'ai machinalement pris entre mes mains.
— Moi ? Non, c'est plutôt rare de me voir écrire. Ça fait juste office de défouloir, histoire d'extérioriser ce que je ressens. D'essayer, du moins.
— C'est toujours ça de pris. Pour moi, c'est pareil. La musique est un moyen comme un autre de décompresser, à l'image d'un sac de frappe pour ceux qui aiment les poings. Certains ont besoin de parler pour se sentir mieux, d'autres de lire. Moi, je joue.
Je lui adresse un sourire en signe de compréhension. Au même moment, un groupe d'élèves entre dans la salle, interrompant notre discussion.
Le Saphir et moi nous observons distraitement du coin de l'œil, l'un et l'autre intrigués. Je réalise qu'il a tout de l'ado populaire, du genre du quarterback ou du basketteur qui sort avec une pom-pom girl ultra sexy – et blonde, si on s'en tient aux clichés. Pourtant, il s'est montré très gentil avec moi, sans nourrir une quelconque animosité à mon égard.
Seul le temps permettra de confirmer son empathie. S'il y a bien une chose que j'ai apprise par le passé, c'est de me méfier des premières impressions. Les sourires factices ne sont pas rares, dans le monde de l'hypocrisie.
Que vous inspire l'histoire de Céleste ?
Et Rubis, peut-elle faire confiance à Aloïs ?
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