Chapitre 40
— Tu deviens très philosophique, quand tu divagues.
Il ne me faut que quelques secondes pour comprendre que je me suis évanouie, en plus de m'être montrée en spectacle.
Je m'apprête à m'excuser lorsque Gauthier reprend la parole d'une voix douce et posée qui achève de me réveiller :
— Aaron nous suivait, il n'était pas prudent de rester sur son territoire. On se dirige vers le sud, à un endroit suffisamment éloigné de Pearlake pour qu'on puisse rentrer sans éveiller les soupçons.
Je lui suis reconnaissante de ne pas s'attarder sur ma nouvelle perte de conscience. Et d'avoir été bref. Faire preuve de logique quand on a une migraine, c'est quasiment impossible. Même si l'odeur s'est dissipée, mon mal de tête persiste, lui. Pas besoin de l'accabler d'une honte toute récente.
En me redressant un peu, je découvre le bateau.
Le premier terme qui me vient à l'esprit pour le décrire est « luxueux », mais je me rends compte qu'il est lui-même insuffisant. Des banquettes de velours d'un mauve ensorcelant sont disposées de part et d'autre de la pièce, offrant un peu d'intimité aux rares passagers y somnolant. J'ai du mal à mesurer la longueur d'un tel engin. Une centaine de mètres, peut-être ?
Le Diamant ne semble pas inconnu à tout cet univers, lui, vu comment il se tient : le coude sur le rebord de la fenêtre, les pieds sur la table basse.
— Ce n'est pas la première fois que tu prends ce bateau, n'est-ce pas ?
— C'est d'ici que les gens du coin partent lorsqu'ils cherchent à éviter la téléportation.
— Tu veux dire que tu habites ici ?
— Je ne vivais pas très loin, en effet, mais je n'ai jamais pris le ferry pour me rendre à la fac. Généralement, il transporte des L2 et L3 qui s'installent pour la rentrée, après l'inscription des L1. Ils ont besoin d'acheminer leurs affaires, et c'est impossible avec une simple gemme.
— Mais tu es...
— ... non, je n'étais pas là l'année dernière, m'interrompt-il pour couper court à ma curiosité. Comme je suis familier à la magie, j'ai directement intégré le cursus en Deuxième année.
Voilà qui explique bien des choses...
Pas toutes, malheureusement.
— Mais comment l'infirmière a su ton nom ?
— La collègue d'Acacia ?
— Oui.
— C'est sa mère.
Sa mère ? Pour le coup, je ne pouvais pas m'en douter.
— D'accord, mais ça ne me dit toujours pas comment tu la connais.
— Acacia et moi étions dans le même village, avant. On faisait des cabanes dans les arbres, ce genre de choses...
Gauthier et Acacia jouant dans les bois ? C'est difficile à imaginer, même si je ne vois pas pourquoi il me mentirait alors que je peux vérifier l'information auprès de son amie d'enfance.
J'aurais continué mon interrogatoire pendant encore longtemps si un léger détail n'avait pas attiré mon attention à ce moment-là.
Un... pied ? Oui, un pied dépasse de la banquette adossée à celle de Gauthier. Avant que je puisse réagir, il se pose sur le sol et son propriétaire se lève pour venir s'asseoir à côté de son ancien comparse.
— Vous croyez qu'on sera beaucoup, en L3 ? J'appréhende un peu d'être le nouveau. Tout le monde se connaît déjà, et... j'ai peur d'être rejeté.
Aaron, et son talent certain pour la comédie.
Son ex-complice lâche un grognement à vous faire froid dans le dos. Je suppose que s'il n'est plus le bienvenu à Pearlake, Aaron ne l'est pas non plus à Talesia.
— Heureusement, poursuit-il, on m'a laissé le choix de ma chambre.
— Ne me dis pas que tu...
— On va être voisins, Gaugau ! Comme au bon vieux temps !
Profitant que le sorcier, trop occupé à jubiler devant son ancien acolyte, me prête moins attention, je cherche dans mon sac de quoi l'immobiliser. Est-ce que ce sont les feuilles de ficaptus qui provoquent l'oubli temporaire, ou celles de menapse ? J'essaie désespérément de me rappeler ce que m'a dit le vendeur à ce sujet.
— Ne te dérange pas, Rub's. Je ne voudrais surtout pas gâcher votre petit tête-à-tête. Je m'en vais essayer de trouver des camarades à l'extérieur de cette épave. Autant socialiser dès maintenant !
Et comme si le sorcier avait synchronisé son départ avec l'avancée du navire, il disparaît au moment même où le ferry s'arrête, me laissant juste le temps d'apercevoir une chaîne à son poignet... chaîne à laquelle est suspendu un pendentif en diamant.
Bon sang !
Alors c'était lui, la seconde silhouette de ma fameuse vision ? Celui qui dialoguait avec Gauthier, à qui il rappelait sans cesse que je n'étais qu'une pauvre fille qui n'en valait pas la peine ?
Est-ce que mon camarade m'a menti, plus tôt dans la forêt, lorsqu'il m'a assuré ne pas avoir reconnu l'homme à qui il s'adressait ?
Je ne sais plus quoi penser. Se joue-t-il de moi depuis le début, depuis qu'il a débarqué dans ma maison sans prévenir et tenté de me dérober ma gemme ?
Retour à la case départ.
Malgré le bon moment que j'ai passé en sa compagnie, Gauthier reste un mystère... peut-être même plus qu'hier.
— Rubis, murmure-t-il en interrompant le cours de mes pensées, c'est l'heure de descendre. Encore cinq minutes, et nous sommes de retour à Talesia.
Stoïque, je hoche la tête sans lui adresser un regard. Pas question de me perdre dans son numéro de parfait gentleman, je me suis déjà assez fait avoir comme ça. Il faut que je sache ce que j'attends de lui exactement... ou que je le laisse tomber pour échapper à son emprise.
Je le sens s'agiter sur ma gauche tandis que j'essaie de rassembler mes pensées, toujours aussi perdue. Dans quelques secondes, je vais pourtant devoir jouer la comédie et prétendre que rien n'a changé depuis le départ d'Aaron. C'est loin d'être gagné...
— Ça va mieux ? poursuit-il calmement, remarquant mon changement de comportement.
— Oui, c'est passé. Allons-y.
Sans plus attendre, il me conduit à l'extérieur et se dirige vers un coin reculé du port auquel nous venons d'amarrer. J'ignore ce qu'il prévoit pour nous faire revenir à la faculté, mais j'espère qu'il va se dépêcher. Chaque minute de plus passée en sa compagnie attise mes doutes et mes incertitudes.
— Tu es sûre que tout va bien ?
Son ton insistant m'agace. Ça ne lui pose pas de problème de m'amadouer et d'acquérir ma confiance alors qu'il me cache la vérité ?
— L'homme avec qui tu discutais lors de ma première vision, c'était Aaron.
— Oui.
— Est-ce qu'il sait que j'étais assise dans un coin de la pièce lorsqu'il parlait de moi ?
— Non.
Il comprend à mon expression que ses réponses sont insuffisantes, et se charge de préciser :
— On reparlera de tout ça demain, d'accord ?
J'acquiesce une nouvelle fois, plus par dépit qu'autre chose. Gauthier n'a pas nié qu'il a voulu me duper. Ça m'étonne de sa part. C'est triste à dire, mais j'en attendais moins de lui.
— Tu te souviens du réceptacle de l'épreuve d'entrée à Talesia, celui dans lequel tu as plongé ta gemme ? s'enquiert-il après quelques secondes d'hésitation.
— Comment pourrais-je l'oublier ? Toutes les flammes des autres Rubis étaient rouges, mais étrangement, les miennes étaient noires.
— Je n'ai toujours pas trouvé d'explication rationnelle à te donner, mais ça ne saurait tarder. En attendant, sache que la faculté utilise ce procédé pour tester nos compétences magiques, bien sûr, mais aussi pour nous lier à l'université. Tu te doutes bien que tu ne peux pas y entrer et en sortir comme bon te semble.
— Alors comment fait-on ? demandé-je, commençant déjà à m'impatienter.
— C'est très simple : il te suffit de tenir ta pierre entre tes mains et te focaliser sur l'énorme cristal au milieu du campus – tu l'as forcément aperçu. Lorsque ton rubis est connecté à un cristal, tu peux te téléporter dans le lieu où il se trouve en un clin d'œil.
— C'est tout ? Il n'y a même pas de formule magique incompréhensible à prononcer ?
— Non, pas pour cette fois.
Son sourire moqueur ne m'échappe pas. Ça doit bien l'amuser de me voir me perdre parmi la multitude d'informations qu'un jeune sorcier doit emmagasiner. Lui baigne dans la magie depuis longtemps. Il en sait tellement sur le monde qui nous entoure que je m'interroge sur ce qu'il peut encore apprendre en venant étudier ici...
L'honnêteté, peut-être ?
💎💎💎
La nuit étant déjà bien avancée, nous retournons sans tarder sur le site de la faculté. Même si je me suis remise des deux attaques des derniers jours, la fatigue se fait encore sentir et j'ai bien conscience que ma paranoïa va reprendre le dessus dès demain matin, lorsque je devrai scruter chaque visage inconnu pour m'assurer qu'il n'appartient pas à mon agresseur.
Il me faudra également me méfier d'Aaron, un mage qualifié qui ne me veut pas du bien. D'après le peu que m'a confié Gauthier, c'est une personnalité extrêmement redoutable, quelqu'un qui n'a certainement pas besoin de suivre des cours de magie.
Alors pourquoi s'est-il inscrit ici, si ce n'est pour mieux apprendre des autres ?
Si on en croit Gauthier, Rubis est liée à Talesia, comme tou.te.s les autres étudiant.e.s de la faculté. Vous trouvez ça :
– Rassurant 😊
– Plutôt inquiétant 🥶
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