Chapitre 31
Une dame d'une trentaine d'années, les cheveux teints dans un violet qu'on pourrait qualifier d'abusif, le sourire malicieux et le nez rehaussé de lunettes de tailleur, m'étudie depuis son comptoir.
Elle est entourée de tissus en tous genres : taffetas, soie, velours... Tout est dans l'excès ! Des mannequins que je prends d'abord pour des clients portent avec une vraisemblance extraordinaire les créations de la couturière, affichant eux aussi un grand sourire et, plus étrange encore, déambulant à travers l'échoppe.
— Bienvenue, Mademoiselle Brightwood.
— Vous connaissez mon nom ? m'enquiers-je naïvement, m'efforçant d'ignorer le nœud qui se forme dans mon estomac.
— Bien sûr ! Vos exploits lors de votre épreuve d'entrée à Talesia ont fait le tour de la communauté magique, même ici, à Pearlake. C'est une faculté très prestigieuse que vous venez d'intégrer. Ses cours de Sortilèges sont sans nul doute les meilleurs qu'on puisse vous proposer.
— Oh, murmuré-je, ne sachant trop s'il faut me montrer prudente ou non face à cette femme.
— En quoi puis-je vous aider ?
C'est une excellente question.
— Peut-être pourrais-je commencer par prendre vos mesures ?
J'acquiesce d'un signe de tête en la suivant derrière un rideau de perles mauves. Elle déroule un mètre – mauve, lui aussi – et se met aussitôt au travail, tandis que je me demande pourquoi Gauthier m'a fait venir ici. Je ne me rappelle pas avoir lu « robe de sorcier exigée » sur la liste...
Mon côté rationnel, lui, songe vaguement à la somme d'argent qu'il m'a donnée. Je n'ai aucune idée de ce à quoi elle correspond !
C'est peut-être pour ça qu'il m'a laissée effectuer cette course seule : afin de prendre conscience que ma vulnérabilité et mon inexpérience combinées me seront à coup sûr défavorables dans cet univers.
J'espère qu'il ne le pense pas vraiment. Ça me ferait mal de l'admettre.
Si j'ai réussi à me débrouiller par moi-même dans le monde réel, ça ne devrait pas être bien compliqué avec un peu de magie pour m'aider, non ?
Moi qui n'ai pratiquement jamais bénéficié d'une présence paternelle, ça ne m'a pas rendue plus faible que les autres, au contraire. Après une semaine passée loin de chez moi, je ne regrette en aucun cas mon choix. Ça m'est souvent arrivé de ne pas voir ma mère durant des périodes extrêmement longues : il est encore trop tôt pour qu'elle s'aperçoive de mon absence.
Elle m'aime. Elle a juste une drôle de façon de me le montrer...
Il faudrait tout de même que je trouve un motif pour régler mes affaires du passé, au moins celles qui renvoient à l'école. Je devrais me renseigner auprès des professeurs de Talesia pour obtenir un gage de ma scolarisation ici, s'il s'avère que je dois un jour retourner à ma vie d'avant.
À moins bien sûr qu'ils ne s'en soient occupés lors de mon inscription, ce qui, il faut le dire, ne m'étonnerait pas.
— C'est terminé ! s'exclame la couturière en coupant court à ma rêverie. Maintenant, passons aux essayages. Quelles sont vos couleurs préférées ? Je vous avoue que la lavande est mon péché mignon.
Prise de court, je lui balance le premier coloris qui me vient à l'esprit :
— Le vert. Le vert, c'est très bien.
Sans plus attendre, elle me désigne un petit tabouret près du rideau – noir, cette fois-ci – et disparaît derrière un pan du mur. Je l'entends farfouiller dans ce qui doit être sa remise, tandis que je m'interroge sur ce à quoi peut bien ressembler la garde-robe d'une sorcière. J'espère de tout cœur qu'elle n'est pas uniquement constituée de chapeaux pointus et vêtements velus. Le style toile d'araignée, très peu pour moi, merci.
La femme réapparaît quelques secondes plus tard avec un portant immense duquel s'échappent froufrous et autres freluquets.
Ce relooking magique commence sérieusement à m'effrayer.
— Les tenues quotidiennes d'abord !
Elle me tend un débardeur macramé doré qu'elle accompagne d'un gilet noir brodé et d'un pantalon à sequins, le tout assorti d'une paire de bottines rouges. Je m'empresse de me cacher dans la cabine dissimulée derrière le rideau.
En ressortant, je me sens beaucoup plus confiante. Il faut dire que ces vêtements sont très agréables à porter, bien plus que mes jeans habituels. La couturière a un sourire satisfait lorsqu'elle me fait tourner sur moi-même. J'ai l'impression d'être une princesse !
Son œil critique me toise de toutes parts, jusqu'à trouver le détail manquant pour parfaire ma tenue. Elle s'éclipse un instant pour revenir avec une chaîne ornée d'un pendentif qui ressemble vaguement à un œil de cyclone.
— C'est le collier « troisième œil », m'informe-t-elle, le must-have de toute jeune sorcière qui se respecte. Si vous devez retenir une chose – rien qu'une seule – de la mode des sorciers, c'est bien celle-là : rien n'est plus important que la sobriété classieuse. Un accessoire original fait parfois toute la différence.
Et elle me pousse à l'intérieur de la cabine en fourrant dans mes mains de nouveaux habits encore plus somptueux que les précédents.
La sobriété classieuse, d'accord.
💎💎💎
Les essayages se poursuivent ainsi tout au long de l'après-midi, alternant entre vêtements de tous les jours – mais pas moins extraordinaires – et robes de galas. Je perds rapidement la notion du temps, enveloppée dans cette douce ambiance où seuls le taffetas et le velours occupent mes pensées. Par un quelconque procédé magique, la matière s'adapte à toutes les morphologies, épousant parfaitement mon corps.
Tandis que j'ajuste quelques-unes de mes mèches sur une veste de velours rouge, la tailleuse – qui répond au nom de Lily Dishau – se tourne vers moi et me désigne le rideau de perles qui sépare la boutique de l'atelier en chuchotant :
— C'est votre compagnon ? Je n'ai jamais vu un homme attendre aussi longtemps dans une boutique de vêtements. Généralement, ils sont à bout de patience dès la...
— Non, la coupé-je, c'est juste un... ami ?
Bon sang ! Est-ce que je peux seulement le qualifier ainsi ?
— Vous avez beaucoup de chance, dans ce cas.
Rubis et Gauthier amis : vous en pensez quoi ?
Quelle est selon vous LA qualité que doit posséder un ami ? 🥰
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