Chapitre 28
— Trois jours au total.
— Trois jours ! Mais... et ma mère ?
— Une certaine Alix est passée pour me prévenir qu'elle l'avait appelée en lui disant que tu étais chez une amie. Ne t'inquiète pas, ton secret est bien gardé, ici. C'était intelligent de sa part ; il vaut mieux que toi et tes camarades réussissiez à vous en occuper vous-mêmes avant que l'administration s'en mêle.
— S'en mêle... c'est-à-dire ? répété-je, perplexe.
— Disons simplement que quand Talesia veut avoir le contrôle sur quelque chose, elle ne s'attarde pas vraiment sur le « pourquoi ». Seul le « comment » compte.
Les révélations d'Acacia ont quelque peu ébranlé mes certitudes vis-à-vis de la faculté, c'est vrai, mais le plus important, c'est que ma mère ne se doute de rien. Je me demande comment Alix a eu son numéro...
— Tu as eu de la chance, ajoute-t-elle après m'avoir tendu deux ou trois cachets à avaler. Tout le monde ne se remet pas aussi facilement d'une lévitation inconsciente. Ta convalescence aurait pu être beaucoup plus longue. Tu dois avoir des prédispositions physiques concernant la magie. Il y a un sorcier dans ta famille ?
— Pas à ma connaissance.
— Mystère à résoudre, alors ! Le principal, c'est que tu ailles mieux : je vais pouvoir tranquilliser tout le monde.
— Tout le monde ?
— Oui ! Les professeurs, tes nouveaux camarades... Ils se sont tous inquiétés, tu sais.
Incroyable.
Plusieurs personnes se sont souciées de moi ces soixante-douze dernières heures – dont ma colocataire, qui m'a littéralement sauvé la vie. Déjà qu'une, ça relève de l'exploit, alors une dizaine... c'est carrément exceptionnel.
Un grognement étouffé me tire de ma rêverie. C'est Gauthier.
Acacia et moi nous retenons de rire, mais sans grande réussite. Il s'en rend compte, ce qui ne fait que l'agacer davantage. Contrairement à moi, lui semble être victime de quelques ankyloses.
— J'imagine qu'on ne peut pas tous être du matin.
— Effectivement.
Pendant que je m'esclaffe, Acacia s'éclipse discrètement, me laissant seule avec mon veilleur nocturne.
— Merci, glissé-je à son intention.
Je crois l'entendre marmonner un « pas de problème », mais je n'en suis pas totalement sûre.
Au même moment, quelqu'un toque à la porte. Aloïs, mon voisin de Sciences Occultes, passe sa tête à travers l'embrasure. D'un signe de la main, je l'invite à entrer. Son grand sourire et son enthousiasme naturel me mettent immédiatement de bonne humeur.
— Salut, Rubis ! Content de te revoir.
— Hey, Aloïs ! C'est gentil d'être venu !
Gauthier en profite pour se redresser, sans grognements, cette fois. Le Saphir jette un regard suspicieux dans notre direction, mais garde le silence ; mes joues virent au cramoisi.
L'arrivée de Madame Jacolot et de la collègue d'Acacia me permet de faire diversion. S'ensuit une série de questions-réponses digne d'une enquête policière sur les récents événements, bien que je doute que mes confidences leur en apprennent davantage sur le sujet. Comme j'avais les yeux fermés et que je divaguais complètement lorsqu'on m'a attaquée, je n'ai pas de réelle perception de ce qui s'est passé.
Arrive l'heure du bilan médical. Mon état s'est grandement amélioré et les infirmières me conseillent d'aller acheter mes fournitures dans la journée – j'ai raté le coche à cause de mon profond sommeil. Gauthier se propose pour m'accompagner, disposant dit-il d'une « quantité excessive de temps libre ».
Je lève les yeux au ciel. Tout est toujours dans l'excès, avec lui.
Nous concluons que mon agresseur ne réitérera pas l'opération cette fois-ci : il lui est impossible d'anticiper notre sortie imprévue. Ça ne suffit pas pour me rassurer, mais c'est tout de même mieux que d'entreprendre mes courses de rentrée seule.
Maintenant que tous mes camarades de classe y sont allés, je suis enchantée d'avoir trouvé quelqu'un pour m'accompagner, quand bien même il s'agit de Gauthier. Puisqu'il est resté alité deux jours à la suite du premier accident, lui non plus n'a pas pu chercher ses affaires.
C'était logique de sa part de me le proposer, même si je le soupçonne d'avoir une idée derrière la tête, comme... poursuivre mon interrogatoire, par exemple.
💎💎💎
Nous partons tous les deux après nous être préparés.
Les Appartements sont vides lorsque je m'y rends et je dois bien admettre que ça m'arrange. Je n'ai pas envie de passer pour un phénomène – pas encore.
Nous nous sommes donné rendez-vous devant le réfectoire, Gauthier insinuant par là que je serais incapable de trouver l'entrée de la forêt toute seule. Son sarcasme légendaire est de retour...
D'un accord tacite, aucun de nous n'évoque les récents événements. L'objectif est de décompresser et de s'échapper un moment de Talesia, qui me paraît désormais beaucoup moins accueillante.
Mon partenaire d'infortune a décidé de prendre les choses en main : il étudie attentivement chaque élément de ma liste.
— Normalement, on devrait commencer par le « Bric-à-brac des sorciers », mais il est trop classique pour toi. C'est quasiment impossible de se démarquer des autres avec ce qu'on trouve là-bas.
« Trop classique » pour moi ? Il plaisante, j'espère !
— Je croyais qu'on était censés suivre les indications de la feuille ?
— C'est une proposition, donc sans obligation d'achat.
Et il est sérieux, en plus ! Je soupire bruyamment. Ce type m'exaspère vraiment, parfois.
— Quoi ?
— Ne fais pas ton économiste avec moi, j'ai l'impression d'entendre d'anciennes connaissances.
— J'ai quelques notions, c'est tout.
— Si tu pouvais les garder pour toi, ça m'arrangerait. L'étude approfondie d'un oligopole, très peu pour moi, merci.
— Tu connais ? s'étonne-t-il, visiblement impressionné.
— C'est ce qui arrive lorsqu'on s'ennuie tellement que la moindre distraction est la bienvenue, même lorsqu'il s'agit d'économie. Mais parlons d'autre chose, d'accord ? Que faisais-tu avant d'arriver ici ?
Ses yeux se voilent. Ce doit être un sujet tabou pour lui. Félicitations, Rubis, belle diversion !
— Désolée, je ne voulais pas...
— C'est rien, t'inquiète.
Il s'éclaircit la voix. C'est sa manière à lui de reprendre contenance.
— On a environ une heure de route devant nous, ça ne te dérange pas ?
— Ce n'est pas comme si j'avais le choix.
— Pas vraiment, en effet.
— Et quand tu dis « environ »...
— Tout dépend de la vitesse à laquelle tu marches, ironise-t-il en m'adressant un clin d'œil.
— Je suis tout à fait capable de tenir le rythme, je te signale !
— C'est ce qu'on verra.
Et il commence à partir à grandes enjambées. Évidemment, je suis rapidement distancée par ses longues foulées – c'est l'inconvénient d'avoir de petites jambes –, si bien qu'il doit s'arrêter toutes les cinq minutes pour m'attendre.
Nous nous enfonçons dans un chemin sinueux, sans qu'il me donne plus d'informations sur notre destination. Curieusement, les piaillements des oiseaux ou les bruits de la nature environnante me semblent loin.
C'est comme si le temps était suspendu, ici.
💎💎💎
Après de longues minutes de marche intensive, Gauthier se tourne vers moi, me gratifiant d'un sourire narquois. Si je ne le connaissais pas un peu, je l'aurais pris pour un psychopathe.
— Qui a dit qu'elle allait tenir le rythme, déjà ?
Je serre les dents et lui passe devant. S'il cherche à m'énerver, bravo, c'est gagné !
— Rubis, ce n'est pas par là.
Je pivote vers lui, furibonde.
— Ça fait une demi-heure qu'on va tout droit et que tu fais tout pour m'irriter juste pour m'humilier deux mètres plus loin. C'est quoi, ton problème ?
— Aurais-je blessé ton ego ? questionne-t-il d'un air innocent tout en se rapprochant de moi.
— Mon ego se porte très bien, merci. J'ai du mal à te cerner, c'est tout. Tu es lunatique.
— Lunatique, moi ?
— Oui. Hier soir, tu étais plutôt sympa, mais cet après-midi... c'est tout le contraire.
— Est-ce que je t'agace ?
— Fréquemment.
— Et que faut-il faire exactement pour provoquer ta colère ?
— Je pense qu'entrer chez moi sans mon accord est une raison suffisante, mais tu le sais déjà, n'est-ce pas ?
Il m'offre un grand sourire, comme s'il était heureux que son sadisme réussisse à m'atteindre. L'espace d'un instant, je suis de retour dans ma maison, il y a quelques jours à peine, désemparée face à son air insolent et ses fausses bonnes manières.
— L'autre fois, j'allais partir et... tu as dit quelque chose, commence-t-il, les sourcils froncés comme s'il cherchait à percer un mystère.
— Oui, et tu t'es retourné. Pourquoi ?
— C'est à moi de poser les questions.
— Si tu veux des réponses, il va d'abord falloir que tu m'en donnes, rétorqué-je, agacée.
Je le vois se renfrogner du coin de l'œil. Persuadée qu'il se cachera derrière son habituel voile d'énigmes, je me détourne de lui et continue mon chemin. C'est pourtant bien sa voix qui résonne par-dessus mon épaule quelques secondes plus tard :
— Tes paroles... j'ai eu l'impression que je les avais déjà entendues. Ça m'a déstabilisé.
— J'ai dit ça parce que je l'ai vu. Dans une vision. Tu parlais à un homme un peu plus petit que toi, la voix plus nasillarde, aussi. Il avait une chaîne à son poignet, accompagnée d'un pendentif en diamant. Tu essayais de le calmer en disant « Certes, Rubis n'est pas...
— ... un Diamant, ni même un Saphir ou une Émeraude. Rubis est juste Rubis. »
Quelles sont vos attentes quant à la virée shopping de Rubis et Gauthier ? 🥰
Vous pensez que Rubis se saisira de l'occasion pour en apprendre plus sur lui ?
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