Chapitre 22
L'intensité avec laquelle me fixe Aloïs est désarmante. Sans que je sache pourquoi, le débat pain au chocolat/chocolatine semble primordial, chez lui.
— Pain au chocolat, déclaré-je enfin, comme si ces trois petits mots suffisaient à tout expliquer.
Et il part d'un fou rire, tellement contagieux que j'ai du mal à me contrôler.
Aloïs n'a peut-être pas tort, finalement.
Rien que le fait qu'il admette l'existence des chocolatines prouve qu'il n'est pas totalement normal.
Bien sûr, c'est ce moment que choisit Madame Jacolot pour faire son entrée.
L'effet de surprise dissipé, je peux enfin l'étudier plus en détail. Elle m'a d'abord paru jeune, avec ses cheveux bleu océan. Après une observation plus approfondie, je distingue plusieurs mèches grisonnantes qui s'échappent de sa tignasse pourtant bien colorée. Quelques plis marquent son front. On lui donnerait quarante ans, peut-être plus. Ce qui détonne vraiment dans son apparence, c'est le croissant de lune au contour rouge – l'indice de son appartenance aux Rubis – qui orne son poignet, tel un bijou vieux de plusieurs siècles. C'est comme si son tatouage avait acquis ses lettres de noblesse au fil du temps.
Après avoir constaté l'agitation qui règne dans la salle – notamment au second rang –, elle obtient le silence d'un simple haussement de sourcils, sans même le demander, puis toussote et entame son cours comme si de rien n'était.
💎💎💎
Une puis deux heures passent sans que je m'en aperçoive. Madame Jacolot nous explique le fonctionnement de Talesia et je commence à réaliser que je vais étudier ici, dans cette université enchantée.
Elle arrive à nous captiver d'un seul regard, comme si son charisme résultait d'un envoûtement propre aux sorciers. Il me reste encore beaucoup à découvrir sur cet univers rempli de magie, le seul endroit où je peux laisser divaguer mes pensées sans m'inquiéter de ce que pensent les autres.
Et je ne suis pas la seule.
Mon voisin de classe, qui triturait nerveusement son stylo en début d'heure, a griffonné plusieurs dessins sur sa table : lacs, arbres et animaux en tous genres se confondent, donnant une perception quasi réelle à ses coups de crayon.
Il est doué.
Je jette régulièrement un coup d'œil à son œuvre grandissante. Ce qui m'étonne, en revanche, c'est que Madame Jacolot ne l'ait pas remarqué. Elle est sûrement trop absorbée par ses explications.
💎💎💎
À la fin de la deuxième séance, un papier semblable à un parchemin se matérialise devant nous. Aloïs et moi échangeons un regard perplexe, comme les autres.
Chacun le déplie à sa manière sous l'œil attentif de l'enseignante ; je vois même un garçon le déchirer sans égard.
De mon côté, j'essaie de le dérouler le plus soigneusement possible – sans grande réussite. Le reste de mes camarades n'a pas l'air d'avoir plus de succès...
Brusquement, le papier jauni, alors vierge, se replie sur lui-même dans un claquement sec. Stupéfaction et ahurissement se lisent sur nos visages. Comment diable s'est-il...
— Je suis navrée de constater que vous avez tous employé une méthode archaïque. Pour moi, tout au moins. Nous allons corriger cela. Quelqu'un peut-il partager son expérience et nous expliquer comment il est entré à Talesia ? Lisa, par exemple.
Une jeune fille rousse assise devant moi lève la tête. Elle se trémousse quelques secondes sur sa chaise avant de balbutier, visiblement intimidée :
— On m'a envoyé un rubis, et...
— Que s'est-il passé ?
— Quelqu'un l'a lancé depuis l'extérieur. Il a traversé ma fenêtre et fait un trou dans mon carreau, avant d'atterrir à mes pieds. Je ne savais pas comment ni pourquoi on me l'avait expédié, alors j'ai décidé de m'en débarrasser : je l'ai jeté dans un fleuve, puis dans un bois près de chez moi, et même dans une bouche d'égout. À chaque fois, il revenait par un moyen ou un autre. J'ai fini par le garder par dépit.
— Et après ?
— Je me suis disputée avec mes parents et je me suis retrouvée ici. J'ai réussi à trouver une clé, et... vous connaissez la suite.
— Merci, Lisa. Je suppose que vous avez tous vécu des aventures plus ou moins similaires. Vous devriez réfléchir au sentiment qui vous habitait juste avant que vous ne pénétriez dans la faculté. Il révèle un aspect de votre personnalité plus fort, plus puissant chez chacun d'entre vous. Si vous êtes ici, ce n'est pas par hasard. Le destin a sa place à Talesia, bien plus que vous ne l'imaginez.
Elle s'arrête un instant afin que nous puissions saisir l'un de ces silences magistraux dont elle a le secret, avant de se tourner vers le tableau :
— À présent, montrez-moi comment des magiciens, aussi inexpérimentés soient-ils, doivent réagir face à un vieux parchemin fermé.
Quelques secondes passent, le temps pour nous de prendre conscience de sa requête. D'un geste qui en deviendrait presque habituel, j'extirpe la gemme de ma poche et la pose face à moi, me concentrant sur le document.
Une odeur de renfermé embaume la pièce. Elle me rappelle la senteur des vieux livres que je lisais chez moi, les soirs d'hiver. Tendue au maximum, je visualise le parchemin déployé jusqu'au sol, puis chuchote sans que je sache d'où me viennent ces mots :
« Parchemin un jour ouvert, secrets toujours découverts. »
Un bruit de papier froissé se fait entendre. J'étouffe un cri de surprise en réalisant que ma rime insignifiante a pour une fois pris tout son sens.
Autour de moi, les autres parviennent au même résultat. Des lettres écrites à l'encre rouge se dessinent et je reconnais bientôt les objets que notre professeure de Sciences Occultes nous a indiqués comme « indispensables » pour exercer la sorcellerie.
Je m'attends à y découvrir des chaudrons, des chapeaux pointus et même des baguettes magiques, mais rien de tout ça n'y figure.
À la place, les titres de divers ouvrages se confondent – sûrement des manuels ou des livres théoriques. Quelques matériaux insolites se sont glissés entre les lignes, comme le « lot de cristaux » ou les « pierres basiques ». Nous sommes censés trouver nos fournitures dans les boutiques recensées ici.
Évidemment, tous les noms me sont inconnus.
Je songe également à renouveler ma garde-robe. Après tout, ce début de janvier est considéré comme la rentrée des nouveaux mages à Talesia, et qui dit rentrée dit shopping !
Les séances sont organisées en sessions de quarante-cinq minutes, ce qui nous dégage une à deux heures de temps libre chaque jour. Les quatre mois et demi de cours jusqu'aux partiels ne devraient pas nous mettre en difficulté, nous précise Madame Jacolot. Il faut les voir comme une entrée en matière, une façon de nous familiariser avec les rouages de l'université avant de réellement les expérimenter dès octobre prochain.
Nul doute que cette faculté, qui s'inspire pourtant du système scolaire classique, se révélera de plus en plus intrigante au fil du temps...
Pour vous, quel est l'objet indispensable que tout bon sorcier devrait posséder ?
Rubis trouvera-t-elle son bonheur dans la liste que lui a donnée Mme Jacolot ? 🤭
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