Chapitre 21
Plume bleue, plume bleue,
Saphir argenté, clarté ;
Présage d'un sombre avenir.
Grâce au portable d'Alix, ma « colocataire », j'ai pu appeler ma mère pour la prévenir que je dormais chez une amie.
Elle n'a rien dit.
Pourtant, c'est plutôt inhabituel de ma part – en semaine, en plus ! D'un côté, je suis contente qu'elle l'ait bien pris, mais de l'autre... ça n'atténue pas ma culpabilité. J'ai comme l'impression que ce mensonge est le premier d'une longue série...
Espérons que je n'aurai pas à réitérer l'expérience trop souvent, même s'il faut bien trouver quelques inconvénients au quotidien de sorcier. Je suppose que le manque de franchise en fait partie.
La salle de Sciences Occultes – mon premier cours – est à l'intérieur du « pôle pédagogique » dans lequel je suis arrivée hier, mais je dois demander mon chemin au moins trois fois avant d'y parvenir. L'organisation géographique de Talesia est décidément bien trop énigmatique pour moi.
C'était une bonne idée de nous donner un plan, mais ça aurait été mieux de nous l'expliquer plus en détail. Je ne sais toujours pas à quoi correspond le « grand cristal » ou le « nuage argenté », par exemple. Vive le jargon universitaire !
À l'intérieur, plusieurs élèves sont déjà installés. Une angoisse fourbe monte en moi. Où m'asseoir ? Est-ce que cette place est déjà prise ? Je ne souhaite pas déranger les autres en m'incrustant près d'eux, mais je ne veux pas non plus me retrouver seule au premier rang, m'identifiant aux yeux de tous comme la fayote ingrate, l'intello de service.
Je décide de tenir tête à mon anxiété et me dirige au fond de la classe, lorsqu'un garçon me propose de me mettre à côté de lui. Je le reconnais à la couleur de ses yeux, semblable au ciel bleu d'un été caniculaire.
C'est un Saphir.
Plus exactement, c'est le Saphir qui a accroché mon regard hier. Je lui adresse un immense sourire, soulagée de ne pas me retrouver coincée au fond de la pièce. Grâce à lui, le nœud dans mon estomac se desserre un peu.
Juste un peu, mais c'est déjà ça : je ne vais pas passer pour une demeurée dès le premier jour.
— Merci. Moi, c'est Rubis. Et toi ?
Qu'est-ce qui m'arrive ? Je n'engage jamais la conversation d'habitude et là, je viens carrément de le faire en déposant mes affaires ! Je suis bien trop occupée à garder la même voix monotone devant mes détracteurs présumés, d'ordinaire, demeurant indifférente à tout ce qui m'entoure. Il faut croire qu'il y a des exceptions à la règle puisque le jeune homme m'inspire étonnamment confiance.
— Rubis ? J'aime bien, c'est original. Je suis Aloïs. C'est plus courant, je te l'accorde...
Le mystérieux Saphir souffrirait-il d'un complexe de banalité, lui aussi ?
— Non, au contraire ! C'est sympa comme prénom.
Il rit.
D'un rire doux, franc, honnête.
La manière dont il prononce mon nom, comme s'il s'agissait d'un secret qu'on murmure, fait résonner en moi une foule de sentiments.
Amicaux, pour la plupart.
On ne s'est jamais vraiment arrêté sur la façon dont je m'appelais avant, tant on m'apostrophait de surnoms grotesques – ces qualificatifs qui font marrer tout le monde excepté le principal intéressé.
Je ris en retour, ne décelant aucune mesquinerie dans sa voix, juste de la gentillesse. Oui, c'est ça : il est gentil.
C'est sans doute la première personne de ce genre que je rencontre, mais je suis convaincue que je ne fais pas erreur. C'est une évidence, chez lui. Ses yeux sont purs, dénués de tout mensonge. Le noir de ses pupilles contraste avec ses iris cristallins, et la façon qu'il a de...
— Rubis ? Tu m'entends ?
Bon sang, je suis encore en train de rêvasser !
Sur lui, qui plus est. C'est plutôt gênant.
— Tu disais ?
— Tu viens d'où ? répète-t-il calmement, sans même une pointe d'agacement.
— De Ladilis. Tu ne dois pas connaître, c'est un peu...
— Isolé ? J'ai une tante qui habite par là-bas ! J'allais tous les étés en Bretagne, avant. Tu es... tu étais dans quel lycée ?
Sérieusement : quelle était la probabilité pour que j'atterrisse dans une école magique perdue au beau milieu de nulle part et y rencontre un type charmant – rien que ça ! – qui connaît Ladilis ?
— Montmestre, murmuré-je du bout des lèvres.
— Ah.
— Il y a un problème ?
— Non, pourquoi ?
— Je ne sais pas... Ton « ah » n'était pas très engageant, je suppose.
— Ne le prends pas mal, mais je trouve que certaines personnes là-bas ne devraient même pas exister.
Son ton se durcit sur la fin, ce qui témoigne de son ressentiment profond envers l'établissement, ou plutôt ses occupants. Qui à Montmestre pourrait bien provoquer une telle haine chez un garçon aussi équilibré ? J'ai quelques hypothèses en tête, mais je n'ose pas les formuler à voix haute : mieux vaut ne pas réveiller sa colère.
Même si j'essaie de ne rien laisser paraître, je suis choquée par la virulence de ses propos. Qu'est-ce qui a pu le briser au point qu'il soit aussi hostile à l'évocation de mon ancien lycée ? Je décide d'opter pour la franchise face à un tel niveau d'intégrité :
— Tu vas me trouver déloyale, voire carrément perfide, mais je suis d'accord avec toi. Je sais combien une journée passée là-bas peut être éprouvante.
— Tu as raison ! Et ce n'est pas de la lâcheté, au contraire. C'est un peu étrange, à la rigueur, mais ta bravoure prouve que tu es quelqu'un de bien.
J'esquisse un léger sourire, heureuse de critiquer mon établissement avec un autre adolescent. Je commence à penser que je vis un rêve éveillé, même si ça reste trop beau pour être vrai.
D'aussi loin que je m'en souvienne, personne n'a jamais partagé mon point de vue sur ce sujet. Si j'avais su qu'il fallait me rendre dans un monde parallèle pour que ça arrive un jour, je l'aurais fait depuis longtemps !
— Sincèrement, je suis content que tu partages mon point de vue. Je n'ai pas envie de passer pour un fou dès le début de l'année.
— Tu auras tout le temps de le faire, crois-moi, plaisanté-je en cherchant une feuille ou un crayon du regard.
— Qu'est-ce que tu insinues ?
— Tu ne sembles pas normal. Pas comme les autres, je veux dire. Bien que la norme ne soit pas...
— Rubis ?
Bon sang, il faut que je cesse de divaguer !
— Excuse-moi. Tu n'es pas le genre de gars à étudier à Montmestre, c'est tout. Ça change de mes habitudes.
— C'est vrai ?
— Oui. Tu n'es pas assez méchant pour en être.
— Je le prends pour un compliment.
— C'en est un.
Il secoue la tête, coupant court à la conversation, puis m'épie du coin de l'œil. Sans réfléchir, je me mords la lèvre, prise d'une soudaine nervosité.
— Qu'est-ce que tu as ?
— Rien, je pensais à la même chose que toi.
— Toi aussi, tu me trouves quelque peu déluré ? Tu n'as pas tort ! déclare-t-il, partant d'un éclat de rire – ce qui ne manque pas d'attirer l'attention de nos nouveaux camarades.
— Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
— Tu peux, je t'assure : ça ne m'embête pas.
— Désolée de te contredire, mais c'est moi la plus dérangée de nous deux.
— Tu en es sûre ? Laisse-moi deviner : tu planques des araignées dans ta chambre ? Tu manges ta soupe avec des vermicelles ? Tu es team « pain au chocolat » et non « chocolatine » ? Tout, mais pas ça ! ajoute-t-il en voyant ma tête.
Rubis semble avoir rencontré son premier Saphir... Que pensez-vous d'Aloïs ?
Vous êtes team :
– Pain au chocolat ❤️
– Chocolatine 💔
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