Chapitre 17
Gauthier se tient face à moi, l'air faussement étonné.
J'en reste bouche bée. Je ne m'attendais pas à le revoir de sitôt, et encore moins ici !
Quoique... à bien y réfléchir, c'était prévisible de sa part.
— Rubis ? insiste-t-il comme je ne lui réponds pas.
— Tu crois vraiment que je vais parler à un type qui a tenté de me terroriser ? Si c'est pour ma gemme que tu es là, tu peux partir.
Il paraît décontenancé par mes propos, ce qui m'amène à me demander si je n'ai pas été trop dure avec lui. Il ne m'a pas agressée, après tout.
Pas encore.
La soigneuse postée au coin de la pièce intervient pourtant, m'octroyant un moment d'accalmie :
— Monsieur Chame, vous devriez accorder un peu de repos à notre nouvelle élève.
Gauthier Chame... voilà donc son identité complète. J'aime bien.
— Bien sûr, Madame. Je pensais que Rubis aurait voulu évoquer certains... détails de son arrivée ici. Mais vous avez raison, ça peut attendre, lâche-t-il en me jetant un regard qui signifie que notre interrogatoire n'est que partie remise.
Il poursuit à voix basse :
— Tu as pu soigner ta blessure avec ce que je t'ai donné ?
Comme si ça l'intéressait !
— Non. On m'a toujours appris à ne pas faire confiance aux inconnus.
— Évidemment. Fais comme tu voudras, mais je reste persuadé qu'Acacia devrait jeter un coup d'œil à ta blessure et crois-moi : je ne manquerai pas de le lui dire.
Quel fayot !
Et il sort sans rien ajouter, me laissant de nouveau seule avec les deux femmes. Celle qui m'a défendue quitte son poste et s'avance vers moi en poussant un soupir de soulagement :
— Enfin débarrassées de ce loustic ! Comment vas-tu, ma belle ?
Je tique sur le « ma belle ». Je n'aime pas qu'on m'appelle par ce genre de petits noms censés être affectueux, mais qui cachent souvent une hypocrisie bien gardée. C'est comme le « ça va » faussement intéressé de Monsieur Reicot, tout à l'heure.
Monsieur Reicot... Montmestre, Ladilis, ma mère ! Comment je vais rentrer chez moi ?
Sans remarquer mon trouble, l'amatrice de mixtures continue sur sa lancée :
— Tu es un peu pâlotte. Ne t'inquiète pas, la potion devrait bientôt faire effet. S'il en existe une totalement innocente pour ta santé, c'est bien celle-là.
J'acquiesce d'un signe de tête, n'étant pas d'humeur à faire la conversation. J'ai besoin de me vider la tête, d'organiser mes pensées pour ne pas céder totalement à la folie.
Talesia, son herbe rouge et ses nuages au sol, c'est réel et ça l'est tellement peu à la fois. Peu importe ce que ce rêve m'apporte, j'ai une seule peur : me réveiller et revenir à mon ancienne vie, comme si rien de tout ça n'était arrivé.
💎💎💎
Après quelques minutes, je commence à me sentir mieux... jusqu'à être pleinement reposée. La potion semble avoir agi, finalement.
Je m'approche de l'une des nombreuses baies vitrées que compte la salle : rien n'altère l'horizon... jusqu'à ce qu'une immense forêt se glisse dans mon champ de vision. Elle s'étend à perte de vue, comme s'il s'agissait d'une barrière naturelle érigée pour séparer Talesia du reste du monde.
D'un même mouvement, je remarque mon reflet dans la vitre : mes cernes ont disparu ! Mon teint est parfaitement lisse, frais, reposé. Acacia ne m'a pas menti en disant que ce médicament magique éliminerait les marques de fatigue ! C'est tellement surréaliste que j'ai l'impression de ne pas être cette fille, là, devant la glace.
Mais même si c'est difficile à croire, c'est la réalité. Impossible d'en douter.
Un coup frappé à la porte me tire de mes pensées. Les infirmières sursautent, surprises elles aussi. La femme souriante qui m'a accompagnée jusqu'ici passe sa tête à travers l'embrasure, une mèche de ses cheveux couleur abysse retombant sur son visage :
— Et un deuxième ! s'exclame-t-elle bruyamment, aussitôt suivie d'un garçon au teint pâle. Livide, même.
Il m'adresse un léger sourire avant d'être pris en charge par Acacia.
— Et ce n'est que le début !
Elle note la nette amélioration de mon état et me propose de retourner près des gradins. Comme je n'ai plus rien à faire ici, je décide de la suivre. Le trajet est le même qu'à l'aller, mais dans le sens inverse. Mes yeux repèrent toutefois des détails qu'ils n'ont pas perçus en traversant le campus la première fois : un grand édifice transparent de la taille d'un stade de foot surgit sur ma droite, réveillant ma curiosité.
Mon nez aussi est stimulé : après le curieux mélange de l'infirmerie, une odeur de poisson et de friture embaume l'air. Elle provient d'un bâtiment sur ma gauche – le restaurant universitaire, je suppose. La senteur de la cire s'en mêle lorsque nous parvenons près d'une étrange dalle entourée d'un cercle de rubis. Je ne pose aucune question pour ne pas paraître impolie, mais j'en meurs d'envie. Pourquoi la dame ne me donne-t-elle pas plus d'informations ?
Avant de pénétrer dans l'arène, elle me renseigne au moins son nom : Madame Jacolot.
La porte étant déjà ouverte, personne ne nous prête attention, mais le répit est de courte durée. Tous les regards se braquent sur moi lorsque je m'assieds dans la tribune vide en attendant que les nouveaux s'y installent eux aussi.
Une vraie extraterrestre, comme toujours !
Les ignorant, je me concentre sur le spectacle qui se joue en bas, sur la terre rouge.
Des parois lumineuses se font face, comme si elles étaient directement projetées l'une sur l'autre. J'en déduis qu'il s'agit de pièces blanches identiques à celle dans laquelle on m'a enfermée en découvrant un adolescent qui, lui non plus ne semblant pas nous voir, s'acharne sur la poignée derrière la vitre sans tain. Pendant qu'il se démène pour l'ouvrir, tambourinant et tapant successivement sur le battant, j'ai tout le loisir de tirer les conclusions de la dernière heure.
Les murs blancs qui bougent, la chatte noire qui parle... tout ça n'est décidément pas rationnel. Il faut me rendre à l'évidence : les récents événements auxquels j'ai pris part sont authentiques, même s'ils semblent plutôt... farfelus d'un point de vue extérieur.
Pourtant, je suis persuadée que tout ce qui arrivera à partir de maintenant sera plus positif que ma vie passée, à moins qu'il ne s'agisse d'un tremplin tortueux précipitant ma chute. Je serais capable d'y sauter à pieds joints, si ça pouvait m'éviter de revenir à Montmestre !
Une fois que le garçon est parvenu à franchir la barrière magique et se retrouve parmi nous, aussi déboussolé que je l'étais, plusieurs élèves défilent de la même façon, les uns à la suite des autres.
Lorsqu'ils déposent leurs gemmes dans le réceptacle, un tourbillon s'en élève, changeant selon la nature de leur gemme : l'eau pour le saphir, la terre pour l'émeraude, l'air pour le diamant et le feu pour le rubis.
Contrairement à moi, les flammes qui jaillissent des pierres rouges ne noircissent pas, ce qui renforce la sensation d'isolement qui s'immisce peu à peu dans mes pensées.
Si je ne me suis pas intégrée dans un lycée parfaitement banal, censé me représenter, qu'en sera-t-il de cette faculté magique ?
Gauthier à Talesia... qu'est-ce que ça signifie ?
Et Rubis ? Aura-t-elle plus de chances de s'intégrer ici qu'à Montmestre ? 😥
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