— Nomis, ad infernum dedicavisti.

Aussitôt, le sort jeté par Nomis s'annule et nous nous libérons de son emprise, entonnant déjà l'incantation prononcée par Gauthier.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

Plus le cercle récupère son énergie, et plus elle gagne en intensité.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

On dirait que même s'il l'a considérablement affaibli, Nomis n'est pas parvenu à le rompre.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

Aussi grande soit sa force, elle n'est pas comparable à l'unité de notre groupe.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

Par je ne sais quel miracle, l'effet de la malédiction qu'il m'a lancée s'est dissipé et je retrouve enfin mes pouvoirs, sans aucune entrave, comme si je revoyais l'éclat du soleil après de longs mois tapie dans l'obscurité.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

La puissance qui s'en dégage est tel que j'ai l'impression que nous tirons notre magie de la Lune elle-même, moi et les autres.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

À présent, nous sommes tous ses fils et ses filles, exerçant une telle pression sur l'Ombre qu'elle s'effondre sur le sol, impuissante.

— Nomis, ad infernum dedicavisti.

Nous allons le vaincre.

Bientôt, il ne nuira plus à personne.

Bientôt, mon cousin juvénile perdra définitivement ses traits abominables, effaçant à jamais le sombre souvenir que je me fais de lui.

Bientôt, nous serons...

Soudain, un autre cri se répercute dans la clairière. Un cri à vous glacer le sang, tellement aigu qu'il interrompt le sortilège.

Gaby...

Gaby qui se tord de douleur sur le sol, son front marqué d'un croissant aussi noir que la nuit. Tous les regards se tournent vers Nomis, qui appuie sa main le plus fort possible contre son visage obscurci.

Le brouillard dans le réfectoire, l'Émeraude en transe qui gît sur le linoléum... Sa première apparition.

Depuis le début, il a un coup d'avance sur nous. Pas besoin d'avoir un doctorat en Histoire de la magie pour comprendre que son lien avec Gaby était beaucoup moins ténu qu'elle le pensait. Il était peut-être en veille depuis plusieurs jours, mais il est toujours présent... et puissant.

Maintenant, il ne lui reste plus qu'à drainer toute son énergie pour se sauver.

Même en étant mourant, il parvient à nous poser un ultimatum. Continuer, c'est la tuer. Et si nous formons véritablement un cercle, aucun membre ne peut remettre en cause la décision d'un autre.

Instinctivement, je lâche les mains de Gauthier et d'Aloïs et éteins ma bougie.

Mais la douleur de Gaby ne cesse pas pour autant, elle... elle agonise.

J'arrache la pierre rouge de mon cou et me précipite vers elle pour la presser contre le tatouage à mon poignet. La lésion se referme, mais son cri persiste toujours, jusqu'à ce qu'enfin, un léger chuchotement s'échappe de ses lèvres.

Au même moment, quelqu'un tente d'arracher la pierre de mes mains. Sans que je puisse la retenir, elle lévite jusqu'à Aaron, qui se tourne vers moi avec un sourire contrit :

— Je suis désolé, Rubis. J'espère qu'un jour tu comprendras...

Et sans laisser le temps à quiconque de réagir, il se transforme en Ombre et s'éclipse dans la clairière, prêt à se fondre dans la cruauté de sa défection.

Comme s'il s'attendait à une telle tromperie, Gauthier le rattrape en quelques secondes à peine et lui plante une dague en plein cœur, sans une once de culpabilité. Nomis n'était pas le seul à s'être imaginé plusieurs scénarios, ce soir.

Terrifiée, je me précipite vers eux. Le temps que j'arrive à leur hauteur, Gauthier a déjà récupéré la première gemme de l'Esmantium.

— J'aurais dû m'en douter. La lâcheté n'a aucune limite, chez toi.

Aaron m'implore du regard, mais je suis trop choquée pour pouvoir articuler le moindre mot.

— Je croyais que tu pouvais changer, toi aussi... mais tu n'es rien d'autre qu'un monstre, tout comme Nomis.

Gauthier s'apprête à lui asséner un deuxième coup, mais je l'arrête d'un geste :

— C'est inutile. Les traîtres ne méritent pas qu'on se salisse les mains pour eux, encore moins la conscience.

Il prononce tout de même quelques mots à voix basse, son arme toujours en main :

— Que le sang versé soit le dernier,

L'ennemi banni, mais en vie,

Banni pour des temps infinis.

Il répète la même malédiction en latin, rompant une bonne fois pour toutes sa promesse de ne plus user de la magie noire.

Son bras, celui qui retient la dague, tremble tout entier. Les arbres s'espacent devant Aaron pour lui laisser un passage, et ensuite...

Ensuite, tout devient confus. Il est aspiré par la forêt et quitte la clairière avec une lueur de regret dans les yeux, comme s'il essayait de nous convaincre du bien-fondé de son action.

Gauthier reste quelques secondes sans rien dire, désarmé face à l'abandon de son comparse de toujours, présent même dans ses mauvais jours.

Je lui prends la main, celle qui retient encore le poignard, et il desserre lentement son emprise sur le pommeau. Une larme coule sur son visage et tombe sur son poignet, avant de ruisseler jusqu'à nos deux mains entremêlées.

En l'espace de quelques minutes, je l'ai perdu deux fois : dans ma vision, puis dans cette brume hostile, celle dans laquelle il lui est impossible de distinguer les ténèbres de la réalité.

💎💎💎

Un quart d'heure plus tard, nous rejoignons enfin les autres. Ambroise et Alix sont partis chercher des renforts il y a un moment déjà, tandis qu'Émilie reste auprès de Gaby. Elle s'efforce de la maintenir en vie. Aloïs, lui, semble complètement atterré. Il déclare tristement :

— Nomis s'est volatilisé. L'occasion s'est envolée aussi vite qu'elle s'est présentée.

— Nous étions obligés. Gaby serait morte, sinon.

Mais le Saphir ne m'écoute pas. Une colère froide monte en lui. Il se sent trahi, comme tout le monde.

De nous tous, c'est pourtant moi la plus fautive. C'est moi qui ai laissé Aaron pénétrer dans notre cercle, moi encore qui l'ai cru lorsqu'il nous a présenté ses intentions factices. Si Gauthier n'avait pas été là, nous aurions perdu la pierre rouge...

La question qui domine, c'est : Aaron a-t-il agi pour Nomis, ou contre lui ?

— L'opportunité ne se reproduira pas. Nous avons gâché notre seule chance de l'avoir.

— Nous réussirons. Avec ou sans aide. Aujourd'hui, nous avons échoué, mais demain nous gagnerons.

— Et puis, ça m'étonnerait qu'il réapparaisse pour tous nous exterminer.

Au mot « exterminer », Gaby reprend conscience et affirme d'une voix sinistre, possédée :

— Il ne s'arrêtera pas. Ceci... n'était que le commencement.

À suivre...

Et voilà, c'est la fin du tome 1 d'ESMANTIUM ! J'espère de tout cœur que cette histoire vous a plu. Merci d'avoir soutenu et encouragé Rubis jusqu'ici. ❤

Qu'avez-vous pensé de son arrivée à Talesia et de la trahison d'Aaron ? 

Quels sont vos personnages préférés ?

Et quelles sont vos attentes concernant le tome 2 ?