Chapitre 120
— C'est mon choix, Rubis. Je l'ai fait pour toi.
— Je m'en fiche ! Tu n'avais pas à te mettre en danger. Et encore moins pour moi !
— Tu crois vraiment que j'étais enchanté à l'idée de rejoindre Aaron ? Si je suis parti, c'est pour une bonne raison.
— Justement, c'est ça le problème ! Ta défaite nous aurait irrémédiablement séparés, et ça, ça aurait été pire qu'une malédiction.
— En amour, il faut parfois faire des sacrifices, mon cœur.
Est-ce que j'ai bien entendu ? Non, il voulait probablement dire « docteur » ou « douleur », pas « mon cœur ».
— Rien de tout ça ne justifiait ton choix.
— Rubis, je...
— Non, laisse-moi finir. Peut-être que ça t'évitera de reproduire la même erreur. Peu importe ce que l'avenir nous réserve, je ne veux pas que tu te mettes en danger à cause de moi. Ne recommence plus jamais ça. Ça me rend déjà assez malade de t'imaginer retourner à ton ancienne vie... Je ne pourrais pas mener une existence paisible si je te sais en train de souffrir ou si tu n'es plus là par ma faute. Je n'ai pas envie de m'emballer, de te faire des promesses que je ne pourrais peut-être pas tenir, mais s'il te plaît : dis-moi qu'il n'y aura pas de seconde fois. Sinon, je ne pourrai pas le supporter...
Des sanglots incontrôlés m'agitent aussitôt, suivis de spasmes violents. C'est une porte de ma mémoire que je gardais soigneusement fermée qui s'ouvre maintenant. Mes yeux sont pourtant secs, aucune larme ne s'en échappe. Gauthier me force à relever la tête avant de déclarer, plus sérieux que jamais :
— Rubis Brightwood, il serait peut-être temps que tu acceptes que quelqu'un prenne soin de toi, non ?
— Promets-le-moi.
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne suis qu'un piètre menteur. Être avec moi implique de respecter certaines de mes décisions, même si tu ne les comprends pas. Et c'est non négociable, s'empresse-t-il d'ajouter avant que je le contredise.
— Gauthier...
— Tu ne pourras pas m'empêcher de te protéger, sauf si je te mets directement en danger. Depuis le début, ça m'obsède ; ça m'obsède tellement que ça en devient maladif, d'où mes sautes d'humeur à répétition.
— Tu as conscience que si je n'étais pas furieuse contre toi, je te trouverais adorable ?
— Mais je suis adorable ! N'as-tu jamais été témoin de ma perfection ?
— Non, je n'en ai pas le souvenir. En revanche, on m'a beaucoup parlé de ton narcissisme excessif.
— C'est ce qui fait mon charme...
— Assurément.
— Alors pourquoi persistez-vous à y résister, Mademoiselle Brightwood ?
— Je n'en sais rien...
Je suis trop occupée à fuir son regard insistant pour trouver la raison appropriée, le mot adéquat pour lui dire ce que je ressens. Il comprend sans doute que je ne suis pas encore prête à lui dévoiler tous mes sentiments, alors il abandonne et se contente de me prendre dans ses bras.
Ce n'est qu'à cet instant que je réalise que la senteur conifère-citronnelle m'a terriblement manqué, aujourd'hui.
— Qu'est-ce que tu mets dans ton parfum ? Un envoûtement ?
— Mon parfum ?
Il semble déconcerté par ma question. Ça n'a rien de surprenant : lui-même n'a jamais dû humer une telle fragrance.
— Tu as toujours la même odeur, comme si tu revenais d'une sapinière où poussent des citrons. Chaque fois que tu passes à côté de moi, j'ai l'impression de voyager dans un autre monde.
— Si j'étais imbu de moi-même...
— Mais tu es imbu de toi-même !
— Tu n'as probablement pas tort, c'est vrai. La fragrance est seulement extraite d'un endroit dans lequel je me rends souvent.
— Oh.
— Je te le montrerai peut-être un jour, qui sait ?
Je comprends à son ton que je n'en apprendrai pas plus ce soir. Il faut laisser du temps au temps, et ni lui ni moi ne sommes pas prêts à nous défaire complètement de notre passé.
Mes bras se détachent de son cou, souffrant déjà de ne plus sentir le contact de sa peau sous mes doigts.
Mais il est tard, et demain nous réserve de nouvelles surprises que je préfère affronter en étant pleinement reposée.
💎💎💎
La semaine précédant l'Esbat passe à la vitesse de l'éclair.
Je jongle constamment entre les préparatifs du solstice d'été et mes séances de « semi-exorcisation », comme les appelle Aaron.
Comme convenu, il a passé les sept derniers jours à tenter de percer ma malédiction, avec plus ou moins de réussite. J'y ai d'ailleurs laissé quelques larmes – on ne peut pas dire que le Diamant soit un adepte de la méthode douce.
Gauthier m'a conseillé de m'économiser en vue de la soirée de ce soir, mais je ne l'ai pas écouté. Je ne suis pas en pleine possession de mes moyens et vu ce qui est prévu, ça a de quoi m'angoisser sérieusement.
La veille, il m'a escortée jusqu'à chez moi, à Ladilis, pour me changer les idées. Curieusement, ma mère n'a pas posé de questions en le voyant débarquer en habitué des lieux. Elle se rattrapera sûrement lors de notre prochaine entrevue, quand elle manifestera un intérêt beaucoup moins subtil pour ce beau jeune homme qui a passé la soirée à examiner ma bibliothèque, tandis qu'elle me racontait les derniers ragots de son boulot.
Sur le retour, mon petit ami et moi avons commencé à élaborer un plan pour les prochains mois : je resterai à Ladilis cet été, mais dès la rentrée, j'utiliserai le prétexte de l'internat pour ne plus avoir à me soucier des venues surprises de ma mère.
Mais pour pouvoir retourner à Talesia en septembre, encore faut-il que j'aie récupéré mes pouvoirs...
— Rubis, tu es absolument magnifique !
Ce que j'ai oublié de spécifier, avant que Gaby ne coupe le fil de mes pensées, c'est que les filles et moi avons décidé de nous préparer collectivement pour l'Esbat.
Autant dire que le taux d'hormones est actuellement à son paroxysme, dans la chambre d'Em' et de ses colocataires qui ont accepté de déserter pour la soirée.
Chambre qui me paraît ridiculement petite pour abriter les petits cris d'excitations de quatre adolescentes complètement émoustillées.
C'est l'inconvénient de loger dans la Cité Souterraine, même si la vie sous-marine de Talesia est intéressante à bien des égards – je ne me lasserai jamais des somniis qui vagabondent dans l'eau à dos d'hippocampes.
— N'exagérons rien, temporise Alix. Rubis est toujours magnifique. Mais oui, cette robe lui va merveilleusement bien. Un peu trop, même.
— Tu es éblouissante, renchérit Émilie, un sourire éclatant collé sur ses lèvres.
— Je n'y serais jamais arrivée sans toi, Alix, déclaré-je, pleine de gratitude envers ma colocataire.
— Ne remets pas en cause ton propre talent. C'est l'Esbat. Pas de modestie, ce soir !
Ça y est, c'est le soir de l'Esbat ! Qu'attendez-vous de cette soirée ? 😇
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