Chapitre 119
Plume rouille, plume rouille,
Sous les éclairs d'amétrine,
Le tonnerre silencieux.
— Rubis ?
— Je... je vais bien.
Difficile à croire vu ma posture : je suis à moitié allongée entre notre banc et celui de devant. Gaby ne pose pas plus de questions en apercevant nos voisins du dessous nous observer d'un air suspicieux. Je n'aurais jamais cru que la curiosité malsaine des gens puisse m'octroyer quelques minutes de répit.
Une fois que mes jambes se remettent à fonctionner correctement, je me rassieds et me concentre sur le duel en cours.
J'ai beau être terrorisée, la battle m'effraie tout autant que ma vision.
Aaron semble avoir repris le dessus sur Gauthier, usant de multiples sortilèges de magie noire. Bien sûr, mon petit ami se contente de les esquiver sans contre-attaquer.
Une vague de panique monte en moi à chaque nouvel assaut de son adversaire.
Rassure-toi, Rubis. Aaron n'osera pas lui faire du mal. Il est son ami – il l'était encore il y a quelques mois, du moins.
Mais plus le temps passe, et plus mes certitudes se transforment en doutes.
Gauthier paraît épuisé, subissant les sorts toujours plus puissants d'Aaron.
Et moi je reste là, prostrée, totalement inutile.
Après ma vision, j'ai donné mon rubis à Gaby pour être sûre de ne plus le toucher. Il m'a déjà apporté suffisamment d'ennuis pour aujourd'hui.
Malgré moi, j'ai usé d'une formule pour protéger mon amoureux... et j'en ai payé le prix fort.
La seule chose que je peux faire, avec cette fichue malédiction, c'est croire en lui.
Déchaîné, Aaron l'agrippe par la nuque et l'envoie valser quelques mètres plus loin. Un craquement assourdissant retentit dans les gradins. Le bruit du choc, ou... d'un os qui se casse.
Après une minute d'agonie, Gauthier se relève péniblement en laissant une flaque rouge derrière lui. L'assemblée lâche un hoquet de surprise. D'habitude, les combattants s'arrêtent dès qu'un peu de sang est versé. Entre leur vie et une pauvre note, le choix est vite fait !
Mais ça, c'était sans compter sur les deux sorciers qui s'affrontent aujourd'hui. Pour peu que j'en sache, les duels de magie privilégient les sorts, mais ils n'interdisent pas les corps-à-corps.
Aucune règle ne stipule le contraire, en tout cas, et c'est bien dommage : les effets d'une pauvre formule auraient été moins dévastateurs sur le long terme. Ici, aucun d'eux n'abandonnera, et surtout pas Gauthier.
Pas ici.
Pas devant moi.
Pas face à Aaron.
Un brouhaha s'élève dans la salle, encerclant les deux gladiateurs dans l'arène. Mon idiot de petit ami me fait dos, alors que j'essaie désespérément de capter son attention. Est-ce qu'il le fait exprès ?
— C'est de la folie ! Il va se faire tuer.
— Ne le sous-estime pas, Rubis. Ce ne sont pas quelques globules rouges qui vont lui faire peur.
— Je ne parle pas de ça ! Il n'est pas dans son état normal. Il ne se mettrait pas autant en danger juste pour vaincre Aaron, ça cache forcément quelque chose.
Gaby ne me répond pas, ne partageant probablement pas mon avis. Elle a sûrement raison : je suis tellement attachée à lui, je m'inquiète trop...
— Je ne comprends pas pourquoi il n'utilise pas la magie noire, déclare Aloïs, sceptique lui aussi.
— C'est à cause d'une promesse qu'il s'est faite à lui-même. Il a estimé qu'il en avait assez usé pour sa vie entière, je crois.
— Rassure-moi : il a bien conscience que s'il n'y fait pas appel aujourd'hui, il va se faire tuer ?
— Il sait où il va. S'il laisse Aaron avoir l'avantage, c'est qu'il a une bonne raison.
Je n'ai pas convaincu le Saphir, mais peu importe. Ce n'est pas lui qui changera quelque chose à la situation, de toute façon.
Le combat se poursuit sur la même dynamique. Enfin, Gauthier semble se reprendre. Il prononce cinq fois la même formule énigmatique alors qu'Aaron, à genoux devant lui, paraît complètement désorienté. La répétition d'un sort, l'hébétement qu'il produit chez sa victime...
Bon sang, il l'a hypnotisé ! S'il a reçu ces coups, c'est bien par choix et non par faiblesse.
Personne ne connaît mieux son ancien acolyte que lui, et il sait comment le battre.
Armé d'un grand sourire, il se tourne vers le public et murmure quelque chose à l'oreille d'Aaron, qui se lève, fait un pas en avant et annonce d'une voix sourde qui lui est complètement étrangère :
— Je déclare forfait.
Tous, élèves comme professeurs, restent un instant silencieux, avant de réaliser : le mage noir a abandonné.
De grands cris s'élèvent parmi les gradins, aussitôt suivis d'applaudissements fournis. J'ai du mal à suivre le rythme, trop enthousiaste pour aligner des mots ou une phrase grammaticalement correcte.
Avec un grand sourire aux lèvres, Monsieur Jaffrès s'avance vers Aaron et se charge de le désensorceler. Il disparaît immédiatement, furieux.
Dire que sa défaite m'enchante, c'est un euphémisme !
Le gagnant se tourne vers nous – vers moi. Même à plusieurs mètres de distance, son regard parvient à m'incendier tout entière. Une forme de fierté, mais aussi de soulagement, se lit sur ses traits.
Finalement, c'est lui qui doutait le plus de l'issue de cet affrontement.
💎💎💎
On l'accapare toute la journée. Entre les professeurs qui le congratulent et ses groupies qui le suivent partout où il va, il n'a pas une minute à lui.
Ce n'est qu'aux alentours de 23h, alors que je retourne à mon dortoir, que je le croise au détour d'un couloir. Avec la pénombre, je ne le reconnais pas immédiatement. Ou alors, je suis trop absorbée par mes pensées pour m'apercevoir que c'est lui avant qu'il enroule ses mains autour de ma taille, me presse doucement contre lui et me chuchote à l'oreille :
— Bonsoir, toi.
Malgré la colère et la frustration mêlées qui n'ont cessé de s'accumuler tout au long de la journée, mon cœur rate un battement.
— Enfin débarrassé de tes fidèles admiratrices ?
— Je leur ai avoué que mon cœur était déjà pris et elles se sont envolées comme par magie. De vraies petites fées !
— Avoue que tu as aimé sentir leurs regards remplis de désir posés sur toi.
— Pour tout te dire, je ne les ai même pas remarquées.
— Arrête ! Elles entraient en apnée si elles réussissaient à t'approcher à moins de deux mètres.
— Serait-ce une pointe de jalousie que je perçois dans ta voix ?
— C'est possible.
Je considère l'un de ses sourires fétiches comme une réponse.
— C'est déjà assez gênant comme ça, alors n'en rajoute pas, d'accord ?
— Je trouve ça mignon, moi.
Mes joues me trahissent à nouveau. Le sourire se rapproche lentement de mes lèvres, jusqu'à les embrasser tendrement. Je le laisse quelques secondes s'amuser, avant de le repousser.
Fini de jouer.
— Qu'est-ce qui s'est passé, aujourd'hui ?
Il fronce les sourcils et hausse les épaules en faisant mine de ne pas comprendre.
Mauvaise pioche.
— Entre toi et Aaron. Vous aviez l'air de deux lions déchaînés. Plutôt étonnant, lorsqu'on sait que vous avez signé une trêve moins de 24h auparavant. Cesse de bluffer, Gauthier !
Un soupir lui échappe. J'espère qu'il a compris le message. La partie est terminée. Il est temps de mettre cartes sur table, à présent.
— On ne peut décidément rien te cacher. J'ai conclu un marché avec lui.
— Et en quoi consiste-t-il ?
— Si je gagnais, Aaron se proposait pour t'aider à rompre le maléfice en cachant la vérité à Nomis : il devait se joindre à notre cercle lors de l'Esbat.
— Et si tu perdais ?
— Je devais revenir avec lui, « comme au bon vieux temps ».
— Gauthier Chame, tu es l'homme le plus inconscient – et le plus chanceux – que la Terre ait jamais connu.
Une chance que Gauthier ait remporté le duel... 😅 Vous croyez qu'Aaron va honorer leur accord ?
– Obligé !
– On peut toujours rêver...
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