Chapitre 105
Plume rousse, plume rousse,
Des stalagmites enflammées,
Et le jais embrassant ton âme.
Le sujet est relativement simple, même s'il recèle quelques pièges pour qui n'a pas révisé correctement. Par chance, ce n'est pas mon cas : rien ne me déconcerte, même pas l'odeur de saucisson venant de mon voisin de derrière – là où les autres apportent des gâteaux ou des fruits, lui préfère visiblement se goinfrer de charcuterie.
Les examens ont toujours été une source de stress, bien sûr, mais aussi donneurs d'espoir. Depuis le collège, ils me permettent d'augmenter ma moyenne, tout en constituant un moment de répit sans précédent dans mon quotidien hostile. Si les surveillants faisaient bien leur travail, personne ne venait m'insulter ou me bousculer.
Le sourire aux lèvres, je rends ma copie et sors de la salle sans attendre Aloïs, estimant que notre brouille ne mérite pas que je lui pardonne une nouvelle fois.
Pas tout de suite, du moins.
Au réfectoire, Alix occupe déjà une bonne partie de la banquette, étalée de tout son long, alors que les autres sont assis sur le banc d'en face. Pourquoi diable prend-elle toute la place ?
Avant que je puisse formuler ma pensée, Gaby lève son portable vers moi et me fait signe d'attendre son message avant d'agir. Comme Alix ne m'a pas encore remarquée, je reste quelques secondes debout les bras ballants, à tous les dévisager.
En m'attardant sur elle, je réalise qu'elle s'efforce de cacher son visage à la vue de tous parce qu'elle pleure. Même si elle m'insupporte, parfois, je ne peux pas la laisser dans cet état. Instinctivement, je m'approche d'elle et la prends dans mes bras pour lui faire un câlin.
Au même moment, je reçois le SMS de Gaby :
Épreuve foirée.
— Ce n'est qu'une partie de l'examen, la rassuré-je, il y a d'autres épreuves à passer.
Elle ne répond pas, mais se redresse un peu, comme si mes mots avaient réussi à percer sa carapace aux écailles de larmes, alors même que ses yeux sombres se colorent d'étincelles mordorées.
— Je me suis embrouillée...
— Ça arrive, Alix ! Ce n'est pas à cause d'une pauvre copie que tu vas louper ton année. Tu as eu un coup de stress, c'est normal. Tu m'as toujours dit que tu détestais les Sciences Occultes, en plus. Ça ira mieux avec une autre matière !
Alors même qu'il était resté silencieux jusqu'à présent, Gauthier se penche par-dessus la table pour lui tendre une fiole verte.
— Bois ça. Si ça peut t'éviter une nouvelle crise d'angoisse, tu en as plus besoin que moi.
Tout le monde se tourne vers lui, interloqué. Après deux secondes de pur étonnement, Émilie formule tout haut ce que tout le monde pense tout bas :
— Comment ça se fait que tu possèdes un élixir de sérénité ? C'est extrêmement rare.
— Disons qu'Acacia me permet régulièrement de piocher dans sa réserve. Je crois qu'elle m'aime bien.
— Quoi ? Acacia en pince pour toi ?
Me détournant de la conversation, je fouille dans mon sac pour donner un paquet de mouchoirs à Alix, mais ma diversion n'est que de courte durée.
Mon regard rencontre celui du Diamant. Il prend un malin plaisir à ancrer ses yeux dans les miens, avant de déclarer, on ne peut plus sûr de lui :
— Oui, mais ce n'est absolument pas mon genre de fille.
— Tu ne vas pas me dire que parmi toutes les demoiselles qui craquent pour toi, tu n'as pas un petit faible pour l'une d'entre elles.
Ambroise ! Si le réfectoire n'était pas bondé et que je n'avais pas peur d'être exclue, je l'aurais étripé. D'accord, il fait ça pour m'aider, mais s'il savait que je sortais déjà avec Gauthier, il fermerait son clapet !
La balle est dans son camp, à présent.
Pourtant, le jeune homme reste interdit. Même si notre relation s'est affirmée ces derniers jours, nous n'avons pas encore discuté d'une quelconque officialisation auprès des autres, et j'avoue que ça m'arrangerait bien de garder la nouvelle pour nous pendant encore quelque temps.
— Alors ? insiste Em', fascinée par les histoires de cœur.
De plus en plus gêné – une première ! –, mon petit ami toussote à plusieurs reprises, avant de se lancer :
— C'est possible, oui.
Gaby, qui s'était faite discrète jusqu'à présent, intervient à son tour :
— Et on peut savoir qui c'est ?
— Je ne vois pas pourquoi ma vie sentimentale vous intéresse à ce point.
— C'est sûrement parce qu'on t'aime bien, petit cancre. D'ailleurs, Rubis ne nous a pas encore dit ce qu'elle pensait...
Ils se sont tous donné le mot, ou quoi ? Mes yeux armés comme des revolvers, je me tourne vers l'Émeraude, au comble de la colère. Est-ce de cette façon que les amis doivent s'entraider ? Ça m'étonnerait !
Ce dont je suis sûre, c'est qu'à défaut de me cacher la tête dans le sable, mes mains me démangent de l'étrangler. Bon sang, c'est la journée des pulsions meurtrières, aujourd'hui ! Même si ces deux options sont tentantes, je prends sur moi pour me calmer. Ce n'est pas le moment d'exploser.
À la place, je corrige Gaby le plus calmement possible avant de m'adresser directement au principal intéressé, davantage sur le ton d'une conseillère que d'une amie. J'espère que le résultat paraît naturel ! Sinon, je ne donne pas cher de notre idylle secrète.
— Tu oublies Alix, Gaby. Quant à toi, Gauthier, tant mieux que tu l'avoues enfin. La question que tu dois te poser maintenant, c'est si elle ressent ou non la même chose pour toi. L'amour est toujours hasardeux, et tu n'es pas à l'abri qu'elle te rejette.
Comme on pouvait s'y attendre, ma remarque est suivie d'un froncement de sourcils interrogateur et d'une réplique acérée qui me fait prendre conscience de mes talents cachés d'actrice : même lui y a cru !
— Je ne suis pas myope, non plus. Elle n'est pas plus maladroite que toi, mais à chaque fois qu'elle passe près de moi, elle se prend les pieds dans un tapis ou tombe sur quelqu'un. Tu as raison, ce doit être une série de coïncidences, chez elle.
Déclaration à laquelle il s'empresse d'ajouter face à mon air outré :
— Mais je trouve ça mignon.
— Tu n'aurais pas un petit côté romantique, toi, par hasard ? l'interroge Émilie, toujours aussi rêveuse.
Même s'il aurait adoré lui répondre, le Diamant n'en a pas l'occasion : il est interrompu par l'arrivée impromptue du Saphir le moins honnête de Talesia... Aloïs !
J'éprouve soudain une envie irrépressible de prendre l'air et de me téléporter pour me retrouver à mille lieues d'ici. Heureusement, mon âme sœur supposée a le réflexe de ne pas s'asseoir à côté de moi. Elle a dû comprendre à mon air farouche qu'il valait mieux qu'elle ne me cherche pas aujourd'hui.
Un détail me frappe alors : Aloïs sait qu'Aaron est de retour, même s'il n'en connaît pas la raison. Et il sait aussi que je suis allée lui parler de mon plein gré et que notre échange a été plutôt vif. Compte-t-il en parler aux autres, avec qui je n'ai pas encore évoqué la menace envoyée ce matin, ou va-t-il se comporter en tant qu'ami et garder tout ça pour lui ?
— Tu étais où ? s'enquiert Gaby, à qui l'arrivée tardive du jeune homme n'a pas échappé.
Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines.
— J'avais...
À votre avis, Aloïs va cracher le morceau ? 😬
– C'est sûr !
– Je ne pense pas...
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