Chapitre 100
— Entre la France et l'Angleterre, quelque part au milieu de la Manche.
— On aurait affaire à une stèle sous-marine ?
La perspective d'une séance de plongée magique me retourne l'estomac. C'est à peine si je maîtrise la nage du petit chien, alors ne me parlez pas du reste ! C'est mission impossible, avec moi.
— C'est tout à fait possible, oui. Après le feu, l'eau...
— Et donc les Saphirs, complété-je.
— Reste à déterminer sa position exacte, renchérit Gauthier en se tournant vers moi. Une intuition ? Ton rôle de guide a peut-être plus d'influence que tu ne le crois.
— Non, ça ne me vient pas. Je n'ai pas eu de vision depuis longtemps, et je n'arrive plus à méditer. C'est perdu d'avance !
— Ne te tracasse pas trop avec ça. Elles reviendront quand tu en auras besoin. Les visions sont rares dans la vie des sorciers.
— C'est facile à dire pour toi !
— Dois-je en déduire quelque chose en particulier ?
Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je me retrouve par terre à crier ma surprise. Je ne supporte pas d'être chatouillée, je... non, juste non.
Bien sûr, cette brute a l'extrême obligeance de s'esclaffer pendant que je fulmine intérieurement. Ma maladresse, combinée à l'effet désastreux d'un contact inattendu, a régulièrement tendance à me faire m'étaler sur le sol face à des adversaires pliés en quatre.
Heureusement pour Gauthier, son rire n'est pas moqueur. Sinon, je me serais vengée avec une invasion de limaces dans sa chambre.
Ou d'escargots, au choix.
J'ignore lequel des deux peut produire le plus de bave.
— C'est pas drôle ! braillé-je comme une gamine de quatre ans – la preuve qu'on garde toujours une part d'enfant en nous.
Monsieur l'Idiot réussit quand même à articuler un « si » entre deux éclats de rire. Même si j'essaie de prendre un air boudeur, je suis bientôt contaminée par sa bonne humeur.
Il nous faut bien dix minutes pour nous calmer. C'est le syndrome du rire contagieux : à chaque fois qu'un individu atteint reprend son sérieux, l'autre le fait rechuter.
— Je devrais faire ça plus souvent, me taquine-t-il.
— Ne t'avise même pas de recommencer, ou j'emploierai la manière forte.
— C'est-à-dire ?
— Comme ça, par exemple : capillum tousle.
Aussitôt, ses mèches savamment ordonnées se hérissent pour former un amas d'épis. Avec un air dédaigneux, Gauthier me met au défi :
— « Cheveux ébouriffés » ? C'est ton seul moyen de défense ?
— Je sais pertinemment que tu détestes qu'ils soient décoiffés. Bonne chance pour ordonner ta crinière ! Et si tu veux vraiment jouer à ça, sache que j'ai encore plein d'autres tours de magie en réserve.
C'est faux, mais je me porterai mieux s'il le croit.
Avec un sourire malicieux, je prononce une formule plus puissante, plus sombre aussi, qui lui provoque une paralysie des membres inférieurs. Je l'ai chinée dans un de mes livres, aujourd'hui. Le résultat est plutôt satisfaisant, pour un premier essai. C'est toujours plus fun de réviser lorsqu'on se sert d'un ami comme cobaye !
Il m'attire contre lui et nos visages se touchent, lui assis et moi debout. Même si ses yeux restent résolument fixés sur mes lèvres, nos regards se rencontrent de temps à autre. Délicatement, ses mains se faufilent sous mon haut, juste au-dessus de mon bassin. Si mon immobilité soudaine n'est pas due à un quelconque sortilège de sa part, elle a forcément un lien avec ce qu'il peut, ce qu'il risque de se passer ensuite.
Ce n'est pas comme dans le souterrain, un instant fugace, un baiser de folie. Ici, nous ne jouons pas. C'est presque un supplice tant la tension est palpable entre nous. Nous pouvons fuir, nous éloigner l'un de l'autre, nous terrer chacun dans un lieu inconnu, caché de tous.
Seulement, et ce avec toute la peur et l'angoisse du monde, je ne peux consentir à me déloger volontairement de ses bras.
J'ai beau être tétanisée, j'y reste.
Il faut parfois affronter ses cauchemars pour découvrir le bonheur, ou tenter de l'entrevoir. Et puis, j'ai une certitude : Gauthier n'est pas un briseur de cœurs.
Après notre rencontre, je le haïssais sans pouvoir m'empêcher de le désirer. L'effroi s'est installé quand j'ai entrevu les aspects les plus sombres de sa personnalité. Mais en apprenant à l'aimer pour ses pensées, j'ai fini par accepter ses actes et sa nature mystérieuse.
Attirée, prête à sombrer, à pleurer, à oublier.
Alors non : jamais je ne briserai cette étreinte de mon plein gré... quand bien même suis-je terrifiée à l'idée de ce qui peut se passer maintenant.
— Gauthier... murmuré-je comme pour lui donner l'opportunité de revenir sur sa décision.
— Rubis ? répond sa voix en retour.
Esquissant un sourire gêné, mes yeux divaguent vers le ciel. La nuit est déjà tombée et quelques étoiles éblouissent la Voie lactée.
D'un infime mouvement, mon visage pivote vers celui du Diamant, et mes mains se nouent lentement autour de sa nuque. Un frémissement parcourt mes doigts, mais ça ne m'arrête pas pour autant.
Il est trop tard.
Approchant ma bouche de la sienne, je laisse nos souffles s'entremêler durant quelques secondes, avant qu'enfin ils ne se rencontrent. Une bouffée de chaleur monte en moi à mesure que l'espace entre nos deux corps se réduit. Sa mâchoire s'étire en un sourire et mes lèvres s'ouvrent doucement.
Il m'offre un baiser langoureux, ce genre de baiser qui me fait littéralement chavirer et auquel je ne m'habituerai jamais. Plus rien ne compte : l'est, le nord, l'ouest et le sud n'ont plus aucune signification pour moi.
Je savoure ce moment de bonheur à l'état pur.
Après de longues minutes, Gauthier se décolle de moi. Des étincelles – les miennes ou les siennes ? – se reflètent dans ses yeux. Nous restons dans la même position pendant quelques instants pour ne pas briser la magie du moment.
De temps à autre, il replace l'une de mes mèches électrisées derrière mon oreille ou resserre son emprise au bas de mon dos. Tout autour de nous paraît futile, superficiel.
Un coup d'œil à mon téléphone. Le couvre-feu est dans dix minutes, et nous n'avons toujours pas mangé. Tant pis. Les papillons dans mon ventre suffiront largement à contenter mon appétit.
Une minute passe, puis deux, bientôt neuf.
Flirtant comme toujours avec la limite, nous nous séparons dans un même élan. J'ai la vague impression d'être un pansement vieilli arraché à une peau à laquelle il s'est parfaitement intégré. La brûlure vive de l'oxygène sur ma chair sonne comme un réveil, étrange paradoxe avec l'intense nuage de bonheur sur lequel je flottais il y a encore un quart d'heure.
En m'éloignant maladroitement, groggy, je vois enfin clair, comme si notre étreinte m'avait délivrée d'un maléfice.
Notre destinée commune et cet amour malsain ne sont peut-être pas si dangereux que ça, finalement.
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre Gaubis ? Il s'en est passé des choses, depuis leur première rencontre !
Vous croyez qu'ils sont faits pour être ensemble, ou qu'ils sont voués à se séparer ?
– 💞
– 💔
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