Après un débat intérieur tumultueux, j'en viens à la conclusion suivante : puisque Gauthier n'a pas dérobé la gemme quand il en a eu l'occasion, je n'ai pas de raison de m'inquiéter, et donc de céder à une futile paranoïa.

Et puis, c'est lui qui m'a déposée dans mon lit lorsque j'ai perdu connaissance. Une attention délicate non dénuée d'un certain sens.

Je me couche un peu rassurée, croisant les doigts pour que le sommeil m'aide à faire le vide dans ma tête – sans succès.

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Les récents événements ont beau m'avoir épuisée, je n'arrive pas à dormir. Au matin, je juge valable le motif de l'insomnie pour justifier mon absence à l'école. J'appelle le lycée à huit heures tapantes : j'ai même le droit à un « repose-toi bien » du CPE, apparemment convaincu par mon explication. Je ne me targue pas d'être une bonne menteuse, mais tout de même... je suis assez fière de moi, sur ce coup-là.

Comme je ne ressens pas encore les effets de ma nuit blanche, j'en profite pour me préparer avant de fouiller minutieusement chaque recoin de ma chambre à la recherche du moindre indice ou d'une preuve suffisante qui puisse attester la présence du mystérieux inconnu. Je prends également garde à ce que Gauthier ne m'ait rien volé, même si je ne possède aucun objet de valeur.

La scène du jour précédent se répète en boucle dans ma tête. Chaque nouveau visionnage donne lieu à une série de questions supplémentaires qui s'ajoutent à la longue liste créée spécialement pour l'occasion.

Je suis prête à imploser.

Son « à bientôt » assuré signifie forcément qu'il reviendra. Reste à savoir quand...

Comme d'habitude dans ces moments-là, j'attrape une feuille volante et un crayon, extériorisant tout élément susceptible de m'affecter. Puisque je suis davantage douée pour aligner des mots que pour jouer d'un quelconque instrument ou dessiner un simple soleil, j'essaye d'agir à bon escient et d'effacer mes tourments.

L'opération fonctionne une nouvelle fois. Je démêle le fil de mes pensées entortillé autour d'une seule et même idée : la signification du rubis.

Souffrance ?

Souffrance, es-tu là ?

Souffrance, entends-tu l'écho de mon silence ?

L'isolement et la peur sont mes seuls confidents,

Les larmes et les pleurs émanent de mon confinement.

Une blessure ouverte, une âme morcelée.

Un corps inerte, un cœur déchiré.

Le souffre-douleur idéal subissant continuellement les assauts de cet odieux despotisme,

Auquel seule l'illusion d'une existence dépourvue de haine se substituera à l'acharnement.

Souffrance, quand disparaîtras-tu ?

Pleure, crie, souffre !

La honte m'accable, je ne sais si ce manque de courage pourra retenir plus longtemps ma rage.

Souffrance, laisse-moi plonger, m'engouffrer, tomber, abandonner, exister !

Comme l'a dit un illustre inconnu, « écrire, c'est se raconter des histoires ». C'est ce que j'aime dans les livres : une part d'imagination s'installe dans notre petit nid douillet, notre monde rien qu'à nous. C'est cette même sensation qui m'a enveloppée hier à la clairière, un lieu inconnu et pourtant lourd de sens.

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Lessivée comme je le suis, je réussis sans trop de mal à trouver le sommeil pendant quelques heures.

Mais lorsque je me réveille, au milieu de l'après-midi, je comate encore de mon insomnie.

Sans plus réfléchir, je sors, équipée de ma tenue de combat – bottes et anorak –, prête à faire face aux intempéries de janvier. La Bretagne est connue pour ses pluies régulières, mais je m'en accommode bien. Un petit crachin de temps en temps provoque moins de dégâts que de grandes inondations.

Sans céder à l'inquiétude, je m'enfonce dans les sentiers forestiers et me laisse porter par le clapotement des gouttes et le bruit de mes pas sur l'herbe boueuse.

Curieusement, je n'ai aucun mal à retrouver la clairière alors que je ne m'y suis rendue qu'une fois auparavant.

J'ai toujours eu l'habitude de me balader autour des champs et chemins qui bordent la propriété, passant mes après-midis à déambuler entre les arbres contre vents et marées. Pourtant, je n'ai jamais découvert cet endroit au cours de mes escapades, alors qu'il doit se situer à un kilomètre à peine de mon habitation.

Ça non plus, ce n'est pas normal.

La bise hivernale se faufile entre les arbres, apportant quelques caresses glacées dans son sillage, mais peu m'importe.

Là, assise en tailleur sur la stèle, je suis bien. Et c'est tout ce qui compte.

Je dois faire le point sur les événements pour le moins extraordinaires dont j'ai été témoin ces derniers jours, et ce lieu chargé en flux me semble être un bon endroit pour méditer tranquillement.

Personne ne viendra me déranger, ici.

Au début de ma longue liste de questions se posent celles en rapport avec ma pierre : c'est sa découverte qui a tout déclenché.

Qui me l'a envoyée, et dans quel but ?

Quelle est sa signification ?

A-t-elle une influence sur ce qui se passe depuis deux jours ?

Ensuite, ma première vision. J'y ai vu Gauthier – sa silhouette élancée, du moins – prendre ma défense face à un homme qui paraît me mépriser, mais il est resté antipathique avec moi par la suite.

Pourquoi et comment cette vision m'est-elle apparue ?

Dois-je prendre au sérieux la discussion entre l'adolescent et son acolyte ?

Sa réaction quand, plus tard, j'ai fait allusion à leur conversation m'a surprise.

Qui est la chatte au pelage noir que j'ai aperçue ? C'est elle qui a arrêté l'illusion, mais pour quelle raison ?

Et la stèle ? Ce n'est pas une coïncidence si je me suis retrouvée dans la clairière étrangère avec ma pierre en trébuchant par hasard sur un croissant de lune dessiné au sol.

Pourquoi s'est-elle actionnée au toucher du rubis ?

Mon tatouage a-t-il une signification particulière ?

Va-t-il disparaître un jour, où s'est-il inscrit dans ma chair pour l'éternité ?

Enfin, la rencontre avec l'inconnu. Je suis passée par bon nombre de sentiments durant notre entrevue, tantôt agacée, tantôt décontenancée.

Qui est-il ?

Gauthier est-il son véritable prénom, ou un mensonge éhonté ?

Quelle est la raison de sa venue ?

Est-ce lui qui a déposé la gemme ?

Et... et pourquoi m'a-t-il déstabilisée à plusieurs reprises ? J'ai eu l'impression qu'il jouait un rôle à son arrivée, mais en repartant il est redevenu totalement naturel, comme s'il avait changé d'avis sur moi. Il est passé d'un ton dédaigneux à quelque chose qui ressemble à de la compassion. Je me demande quel sentiment est le pire des deux, d'ailleurs.

D'où vient-il ? Son croissant de lune est semblable au mien sans être identique, puisqu'il est cerclé d'une ligne blanche, et non rouge.

Pourquoi, au contact de nos tatouages, avons-nous ressenti une forte brûlure ? Je suis persuadée que c'est en lui que réside le cœur du problème, la source de toutes ces suspicions.

— Viendra un jour où tu trouveras la réponse à tes questionnements, mon enfant.

Je pivote sur moi-même et observe la chatte noire de mes visions s'avancer de sa démarche féline, s'arrêtant à quelques mètres de moi à peine.

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