4 : Ce pour quoi nous nous battons
Média : Teresa
Les talons de Teresa claquaient sur le parquet impeccable alors qu'elle marchait dans l'accueil du rez-de-chaussée de WICKED. Elle se dirigea vers Ava Paige, sa mentore en médecine officielle qui parlait avec un couple, une légère boule de stress au creux du ventre.
- Je vais voir si nous avons les ressources nécessaires, je vous tiens au courant. Ah Teresa ! s'exclama la femme blonde avec un sourire en l'apercevant. Veuillez m'excuser, fit-elle au couple qui hocha la tête.
Les deux femmes traversèrent le couloir, et Ava posa sur Teresa un regard maternel.
"- Tu es très chic.
- Merci.
- Pas trop anxieuse ?"
Devant le silence de Teresa, la docteure mit sa main dans son dos.
- Tout se passera bien, tu verras.
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"- Les gens sont en train de perdre confiance, Docteur, déclara Mr Brans en reposant ses dossiers. Quand vous avez fait construire les murs, vous nous avez assuré qu'il ne s'agissait que d'une mesure temporaire. Pourquoi interdire l'accès aux portes à présent ?
- Parce que les choses sont en train de changer, répliqua Ava Paige. Et pas pour le mieux. Les contaminations ont augmenté de 300%."
Elle descendit les marches de la mezzanine.
- Heureusement, nous avons peut-être un moyen de remédier à cela.
Derrière elle, l'écran-hologramme dissimulant la fenêtre s'illumina d'une lueur bleutée, révélant une espèce de diapo emplie de données, chiffres, statistiques... et une photo de Minho en plein centre. Teresa baissa les yeux, s'efforçant de lutter intérieurement contre la culpabilité qu'elle ressentait en pensant à ce qu'on lui infligeait.
- Voici le sujet d'expérience A7, déclara Ava Paige. Il a passé 3 ans dans les épreuves du Labyrinthe. Les anti-corps, plans de la Zone Mortelle et réactions chimiques dans son sang qu'il a engendrés sont tout bonnement extraordinaires, les plus puissants que nous ayons jamais vus. Nous avons été en moyen d'extraire un sérum, et peut-être celui-ci sera-t-il enfin le remède que nous recherchons. Si vous nous donnez votre aide une fois de plus, nous serons en mesure d'en préparer plus et enfin le proposer à la population.
Le silence retomba sur la salle, bientôt rompu par Mrs Smith, une femme blonde aux traits tirés et secs, l'image même de la grand-mère stricte qui ne tolérait aucune impolitesse.
- Merci pour cet excellent exposé, Docteur. Cependant, vous nous avez déjà servi ce discours une bonne dizaine de fois, et comme toujours nous n'avons aucune confirmation. Comment être sûrs que le sang de ce garçon sera bien le vaccin ? Mes partenaires et moi-même, fit-elle en désignant les deux autres hommes confortablement assis dans des fauteuils, nous demandons si nous ne ferions pas mieux de mettre notre grande fortune quelque part ailleurs.
Teresa sentit son sang se glacer.
"- Où ? interrogea Ava d'un air las.
- Dans des places protégées, décréta Mr Brans. Comme cette ville. Nous pourrions y mettre le maximum de perso...
- Combien ?" s'écria brusquement Teresa.
Tous les regards se tournèrent vers elle. Refusant de se laisser intimider, elle s'avança vers l'hologramme. Elle ne pouvait pas y croire. Ces riches complètement snobs étaient leur seul espoir, les seuls dont les dons plus qu'importants leur permettaient de financer les recherches de WICKED. Elle ne pouvait pas les laisser voir ailleurs. Ils étaient leur seule chance de trouver un vaccin et, enfin, retrouver un monde normal, celui dont elle rêvait depuis qu'elle était enfant.
- Combien de personnes ? répéta-t-elle plus calmement. Mille ? Deux mille ? En admettant que ces zones restent protégées, et nous savons tous pertinemment ici que ce ne sera pas le cas. 1 personne sur 3 est infectée par la Braise. Vos places protégées ne feraient que retarder l'échéance.
Comprenant que la jeune fille prenait le relais, Ava Paige s'assit à côté des donateurs et la couva d'un air attentif, où luisait une pointe de fierté.
Teresa parcourut du regard chacun des trois millionnaires.
- Avez-vous déjà perdu un être cher à cause du virus ?
Les deux hommes secouèrent la tête, mais Mrs Smith finit par déclarer :
"- Une nièce. Anna.
- Je suis désolée que nous n'ayons pas pu la sauver, murmura Teresa, emplie de compassion. Mais imaginez que nous puissions vivre avec la Braise. Lui survivre" ajouta-t-elle doucement, ses yeux bleus perdus dans ce doux rêve.
Elle plongea son regard dans celui de Mrs Smith.
- Imaginez-vous pouvoir dire à Anna qu'elle va être heureuse, vivre une vie normale. Nous n'avons jamais été aussi proches de trouver un remède, et nous avons sacrifié énormément de choses pour cela. J'ai sacrifié énormément de choses, avoua Teresa, une boule dans la gorge. S'il vous plait...
Elle battit des cils pour retenir ses larmes.
- Ne faites pas en sorte que tous ces sacrifices n'aient servi à rien.
*******************
Après que les donateurs soient partis, Teresa resta là. Elle rangea l'hologramme et monta les marches de la mezzanine pour activer les volets. Ils se hissèrent lentement alors qu'elle contemplait le soleil se lever sur la ville.
Les rues était déjà bien animées. De partout, des voitures se garaient, les travailleurs sortaient du bus, train, métro, on emmenait les enfants à l'école, les passants se croisaient sur le trottoir sans se voir, absorbés par leurs eCrans, des marchands ambulants criaient à qui mieux mieux, on rentrait et sortait des immenses immeubles de verre. Assis aux terrasses des cafés, des sexagénaires regardaient ce train-train quotidien, perdus dans leurs pensées.
À quoi songeaient-ils ? Qu'ils avaient de la chance d'être encore en vie et non-infectés ? Être arrivé à 60 ans de vie saine était un miracle aujourd'hui. Étaient-ils nostalgiques du bon vieux temps, celui où quand on quittait son chez-soi le matin, où on pensait à ce que la journée allait nous apporter de formidable sans cette peur omniprésente nichée au creux de nos entrailles ? Attendaient-ils le moment irrémédiable où ils tomberaient malades, et perdraient cette notion de sérénité, à défaut de bonheur ?
Au loin, Teresa entendit un hurlement caractéristique, celui qui résonnait dans la ville au moins 20 fois par jour. Les sirènes d'alarme, celles qui avertissaient qu'un nouveau contaminé avait été repéré et qu'il fallait évacuer le lieu où il se trouvait le plus rapidement possible. Quels enfants apprendraient ce soir en rentrant que leur père ou leur mère ne reviendrait pas ? Quel parent serait obligé de les prendre dans ses bras, de répondre à leurs innombrables questions ?
"- Où est Maman ?
- Maman est malade.
- On peut aller la voir ?
- Non. Plus jamais."
Teresa ferma les yeux. Cette vie, cette vraie vie si fragile qui pulsait en dessous d'elle, dans les ruelles, transports, gratte-ciels, qu'ils avaient mis tant de larmes et d'énergie à construire, alors qu'il suffisait d'un souffle pour l'arrêter. Au delà des bureaux de verre scintillant, elle distinguait derrière les murs les décombres calcinées de l'ancienne ville à côté, et en plissant les yeux, la Terre Brûlée très loin. Cela lui semblait remonter à une éternité...
Thomas, Oryane et les autres étaient-ils toujours là-bas ? Teresa avait eu vent de leur sauvetage. Elle s'étonnait qu'ils aient laissé Minho et la fille (Aphéli, ou quelque chose comme ça), il devait y avoir eu une bourde quelque part. Est-ce qu'ils tenteraient une nouvelle libération ou jetteraient-ils l'éponge ? Les reverrait-elle seulement un jour ? Tom... Et Oryane... Comme à chaque fois qu'elle pensait à eux, les remords vinrent lui enserrer la gorge dans un étau. L'expression de leurs visages quand ils avaient compris sa trahison... Elle dut se rappeler une nouvelle fois tous ses rêves, toutes ses convictions pour ne pas flancher.
Elle avait eu raison. WICKED étaient les seuls à pouvoir leur offrir un vaccin. Elle voulait que les gens s'approchent les uns des autres sans peur de se faire contaminer, que les sirènes se taisent, que les familles restent ensemble. Que la vie continue, reprenne même. Et pour cela, il fallait trouver un remède. Elle avait eu la chance de naitre Immune, d'être recueillie par les Créateurs, elle n'avait pratiquement manqué de rien. Elle avait souffert lors de leurs épreuves, mais puisqu'elle exigeait des sacrifices des gens, elle était prête à en commettre aussi. Elle aurait été prête à ce que soit elle-même sur la table d'opération tous les jours à hurler si son sang pouvait sauver la Terre entière. Elle n'abandonnerait pas les plus infortunés. Parce qu'elle aussi avait connu leur douleur. Elle aurait tant voulu que ses amis la comprennent, la soutiennent...
Elle entendit le bruit des pas d'Ava derrière elle, mais ne se retourna pas.
- Tu as été parfaite, la félicita la femme en venant se placer à côté d'elle. Ils ne sont pas un public facile, mais tu as su tourner ton discours à la perfection.
Elle soupira en fixant la ville en dessous également.
- "Retarder l'échéance"... murmura-t-elle. Thomas et Oryane disaient la même chose de nous...
Elle jeta un coup d'oeil à Teresa.
- Tu penses toujours à eux ? demanda-t-elle de but en blanc.
La brune se mordit les lèvres.
"- Je peux t'aider, tu le sais. Il suffit que tu me le demandes, et j'effacerai tous tes souvenirs d'eux. Il n'y a aucune raison que tu continues à souffrir, et c'est une procédure simple...
- Non, coupa l'adolescente. Il y a une raison. Je veux me souvenir. De ce pour quoi nous nous battons. Le monde est en train de mourir. Mais si nous trouvons un vaccin, nous n'aurons pas fait tout cela pour rien."
Ava la considéra en silence un instant avant de se détourner.
- J'espère que tu as raison, chuchota-t-elle.
Et elles scrutèrent toutes les deux la place en bas, où le malheureux infecté se débattait en hurlant, alors que les secours cherchaient à l'emmener et que les gens fuyaient tout autour.
Teresa avait eu raison. Elle le savait.
Elle continuerait d'espérer jusqu'au bout, même s'il faudrait qu'elle se retrouve seule dans le noir, au bout du sentier.
********************
Teresa passa son badge près de la clé d'entrée et pénétra dans la salle d'opération.
Il y avait encore eu une révolte en début d'après-midi, aux portes de la ville. Sauf que cette fois, WICKED avait jugé nécessaire de sortir les canons. Teresa pensait au contraire qu'attaquer les manifestants et même en tuer ne feraient qu'augmenter la colère générale des Fondus, mais d'un autre côté, ce genre de scènes démontrait à quel point il était urgent de trouver un remède.
Et justement, la première personne qui allait en bénéficier se tenait droit devant elle. Elle leur servirait de sujet-test, et ainsi sauraient-ils si le sang de Minho était vraiment le vaccin qu'ils cherchaient depuis des années.
Elle passa sans sourciller devant les immenses vitres blindées au fond de la pièce, où étaient enfermés des Fondus complètement au bout du rouleau, qui avaient atteint la phase finale et qu'on avait enfermés ici pour les étudier, mais ressentit tout de même un léger sentiment de malaise. Elle en fit abstraction et porta son attention sur ce qui l'intéressait vraiment.
La petite fille de 8 ans installée sur le siège, affreusement maigre, sa peau brune parsemée de veines noires, les yeux mi-clos. Elle avait atteint l'avant-dernier stade et se concentrer sur une chose précise lui demandait un effort colossal. Bientôt, elle basculerait dans la folie totale. Sauf si le sérum de Minho faisait effet.
"- Bonjour Sarah, la salua Teresa en s'installant près d'elle.
- Bonjour, Miss Teresa, articula la fillette en tournant avec difficulté la tête vers elle.
- Comment te sens-tu aujourd'hui ? demanda gentiment la brune en faisant signe à un médecin parmi les 5 ou 6 présents dans la salle, sur leurs ordinateurs mais aussi prêts à intervenir en cas de besoin.
- Ça peut aller..." fit Sarah alors qu'un docteur appliquait un peu de produit sur son bras pour préparer à la piqûre.
Teresa lui sourit avant de prendre l'énorme seringue bleue qu'on lui tendait, emplie de sérum. Sarah la suivit du regard, une pointe d'inquiétude dans ses yeux noirs, qui débordaient surtout d'un espoir chavirant. Teresa n'avait jamais connu d'enfant aussi enthousiaste à l'idée d'une piqûre.
"- Ça va me rendre mieux ? questionna Sarah à voix basse.
- Je l'espère. Tu te rappelles de l'histoire que tu me racontais la dernière fois ? dit Teresa pour la distraire. Tu veux bien la continuer ? Celle de la maison dans laquelle tu as grandi.
- Je... m'en souviens pas" souffla la fillette en fermant les yeux, désorientée.
Teresa sentit la peine lui serrer le coeur.
- Celle au bord d'un lac. Ce n'est pas grave, la consola-t-elle avant d'enfoncer la seringue dans son bras sans prévenir.
Sarah se raidit aussitôt et tous ses membres se crispèrent. Ses yeux luisirent et durant une seconde, Teresa crut qu'elle allait lui sauter dessus.
"- Ça brûle ! gémit Sarah.
- Je sais, je sais, ça va aller, répondit Teresa sur un ton apaisant. Dès que le piston fut vide, elle le retira aussitôt. Voilà, c'est fini, respire..."
Le souffle de Sarah ralentit légèrement, alors qu'elle gardait les yeux fermés. Teresa et les médecins autour d'elle retinrent leur souffle.
Puis la petite fille ouvrit lentement ses paupières et contempla la lampe autour d'elle. Le noir complet de ses prunelles s'était transformé en un iris couleur chocolat, le blanc de ses yeux avait dérougi, et il sembla même à Teresa que certaines de ses veines noires diminuaient de volume.
Elle sentit une joie sans fin l'envahir.
Peut-être avaient-ils enfin trouvé le remède.
****************
- Docteur Paige !
La femme blonde ne prit même pas la peine de se retourner pour attendre Janson. L'homme-rat vint marcher à ses côtés.
"- J'ai appliqué le protocole de rébellion.
- De toute façon, c'est la seule chose que nous pouvons faire. Mais nous venons d'avoir des résultats concluants avec le sérum.
- Vraiment ?"
C'est alors qu'ils s'arrêtèrent devant une vitre et Janson dévisagea le spectacle stupéfiant à l'intérieur.
La gamine infectée semblait aller parfaitement bien. Elle s'était assise en tailleur sur la table d'opération et parlait avec ardeur à Teresa, avec des gestes expressifs. Janson sentit le triomphe fuser en lui.
- C'est merveilleux ! s'exclama-t-il. Dans combien de temps le vaccin pourra-t-il être diffusé aux citadins ?
Ava Paige lui jeta un regard narquois.
"- Vous montrez beaucoup de compassion pour quelqu'un qui vient de tirer sur une foule.
- J'ai fait mon travail, rétorqua Janson, agacé.
- Mal, visiblement. Les patrouilles n'ont trouvé aucun corps qui nous intéresse. Oryane et ses amis courent toujours les rues."
Janson serra les mâchoires.
"- Et elle ? dit-il en désignant Teresa du menton à travers la vitre. Est-ce qu'elle est au courant que ses petits copains cherchent à rentrer dans la ville ?
- Non. Et elle ne doit pas l'être. J'ai besoin qu'elle soit fixée uniquement sur notre objectif. Pour le moment, elle me rend plutôt fière."
Elle poussa un soupir avant de s'éloigner. Janson la suivit aussitôt.
"- Mais j'ai besoin de savoir pour le sérum, afin de le communiquer, et aussi ce que vous comptez faire du garçon...
- Je ne crois pas que cela soit utile.
- Professeur Paige" protesta Janson en saisissant son bras.
La femme le toisa en silence, avec une telle sévérité qu'il la lâcha immédiatement, sans perdre contenance pour autant.
"- Je suis le plus efficace quand je suis le mieux informé, et...
- La seule information dont vous avez besoin est qu'on manque de temps. Si vous n'êtes pas capable de traiter un soulèvement mineur...
- Bien sûr que je le peux. Oryane est gérable. Elle finira bien par débarquer toute seule.
- Et c'est précisément ce qui m'inquiète. Oryane est beaucoup de choses, mais elle ne manque pas d'intelligence. Elle et ses amis pourraient nous arrêter avec un peu d'aide."
Ava ferma les yeux un instant, fatiguée.
- Faites juste votre travail, Janson. Faites-le bien. Comme ça, je pourrais faire le mien. Et augmentez la fichue sécurité autour de la ville.
Et elle partit pour de bon.
Janson resta seul au milieu du couloir. Il sentit un tremblement de rage le parcourir et saisit son bras pour se calmer.
"Pas tout de suite. Pas maintenant."
Lui aussi avait besoin de plus de temps.
***************
Cinq minutes plus tard, Janson se glissait dans l'aile des Immunes, une des plus sécurisées du bâtiment. Il passa devant les vigiles qui n'eurent aucune réaction, et avec son passe magnétique, entra dans la chambre forte près des dortoirs.
Il n'y avait pas encore le vrai remède (celui-ci serait sans doute jalousement gardé par Ava Paige, la directrice de WICKED) mais en attendant se trouvait dans cette chambre le second bien le plus précieux de l'organisation.
Des cinquantaines de dosettes de sérum de ralentissement du virus, produits à partir des expériences sur les Immunes. Janson ouvrit une des vitres et en sortit un flacon de liquide bleu. Il quitta ensuite la chambre forte et l'aile d'un pas assuré (après tout, il avait le droit d'entrée à peu près partout) et attendit d'être seul dans un couloir. Faute de seringue, il but le sérum à même le flacon, avant de relever la manche de son pull pour voir les veines noires sur son bras disparaitre un peu.
Il bénéficierait du remède. Il le méritait. Et il le prendrait, de gré ou de force.
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