14 : Loin de toi
Média : Sonya (ou Lizzy ❤️)
"- Vous mentez, bredouilla Oryane, blanche comme un linge.
- Oh non je ne mens pas" chuchota Mary.
Oryane retira ses mains comme si elle l'avait brûlée, et le visage de Mary se tordit de douleur.
- Oryane, essaie de comprendre...
Mais la jeune fille était déjà bien trop occupée à noter toutes leurs similitudes effarantes. Comment avait-elle fait pour que ça ne lui saute pas aux yeux ?
Même visage. Même nez. Même peau. Même forme d'yeux. Même type de cheveux.
Elle faillit basculer en arrière, sa vue brouillée par les larmes.
- Comment avez-vous pu me faire ça ? souffla-t-elle d'une voix étranglée.
Le regard bas et triste, Mary se laissa tomber sur un tabouret derrière elle. Elle fit signe à Oryane de faire de même, mais elle était incapable d'esquisser le même mouvement. Elle ne put que rester plantée, poings figés.
"- J'avais 17 ans, commença Mary d'une voix lasse, quand les éruptions solaires ont frappé le monde. Puis la Braise est arrivée. J'étais jeune, j'avais vu plus de 90% de l'espèce humaine mourir dans d'atroces souffrances. Je ne voulais jamais, au grand jamais, revivre ça. Une telle impuissance... Tu n'as plus rien, juste tes yeux pour pleurer. Et moi, je voulais plus, je voulais aider. Alors quand WICKED a été fondé, je me suis engagée sans hésiter. Et j'ai été prise, malgré le fait que je n'avais pas eu de formation, que je n'avais aucune expérience. Et j'ai aimé mon métier. J'ai aimé sauver des vies...
- Abrégez, coupa sèchement Oryane. J'en ai rien à foutre de vos états d'âme."
Elle, irrespectueuse ? Peut-être. Mais Mary méritait tout ce qu'elle lui disait, elle ne reviendrait pas dessus. Elle méritait de souffrir elle aussi, elle méritait de finir prostrée au sol, luttant désespérément pour respirer après avoir trop pleuré, comme l'avait trop souvent été sa fille dans sa propre vie.
- Et puis j'ai rencontré ton père. Tu lui ressembles beaucoup, tu sais. Lui aussi était roux aux yeux bleus. Tu as son sourire. Nous étions jeunes, nous étions fous, et malgré les interdictions nous sommes tombés amoureux.
La voix de Mary se brisa.
"- Quand je me suis rendue compte que j'étais enceinte, il était trop tard pour faire machine arrière. Ton père a totalement nié ton existence. Il fallait dire qu'il était brillant, et il venait d'obtenir une promotion, il ne pouvait pas laisser un bébé gâcher tout ce qu'il avait accompli. Sous prétexte qu'il ne serait pas un bon père, il a rompu. Entre sa carrière et moi, il a choisi sa carrière.
- Au moins a-t-il toujours été clair, lui, persifla Oryane. Il n'a jamais voulu de moi. Il ne m'a pas abandonnée volontairement sans jamais laisser de traces avant de me tomber dans les bras en pleurant d'émotion des années plus tard."
Mary accusa le coup. C'était mesquin, mais Oryane n'en avait jamais assez. Son coeur en lambeaux se réjouissait de voir l'abattement de la femme, et réclamait toujours plus à cor et à cri.
- Vint un moment où je ne puis plus dissimuler ma grossesse. Je fus contrainte d'en parler au dirigeant de l'époque. Jamais je ne l'avais vu dans un tel état de rage. Pourtant, curieusement, il ne me renvoya pas. Il faut dire que j'étais particulièrement douée. C'est moi qui ai découvert l'agent chimique capable de ralentir le remède. Je me suis retrouvée seule, à ronger mon frein, sans pouvoir exercer. Mon brillant avenir était gâché, et je sentais la colère monter. Contre ton père, contre WICKED, contre toi. Toi, ce bébé qui m'avais pris tous mes rêves et espérances pour les piétiner."
Oryane laissa échapper un rire sans joie.
"- Laissez tomber le drama, j'avais compris que j'étais pas désirée.
- Si, tu l'étais, murmura Mary. Mais moi je voulais tout. Et quand tu es née, dès que je t'ai vue, ma colère s'est envolée. Tu étais tellement belle... Tellement innocente, dans un monde si cruel. Durant ma grossesse, j'avais eu l'occasion de me questionner sur WICKED. Puis après mon accouchement, on m'a annoncé l'inimaginable : tous les enfants Immunes allaient être enlevés à leurs parents pour pratiquer des tests sur eux, pendant des années. C'est là que j'ai compris que je ne voulais plus être dans ce camp. Je devais partir.
- Mais évidemment, ça ne vous a pas gênée de partir en laissant seule votre fille Immune derrière vous !
- Comprends-moi, Oryane ! À l'époque, je n'avais jamais entendu parler du Bras Droit, il venait d'être fondé, je partais donc vers le néant. J'aurais pu mourir au bout de trois jours. Et toi tu n'avais même pas un an... Et puis comme tu l'as dit toi-même, tu es Immune, alors que personne dans notre famille ne l'est. J'avais envie de donner une dernière chance à WICKED... Je savais que tu leur serais utile, et que tu serais mille fois plus en sécurité dans leurs locaux que sur la Terre Brûlée. Jamais je n'aurais cru possible qu'ils puissent aller aussi loin dans les mensonges et la manipulation. J'avais 19 ans, je sais que tu vas me dire que ça ne change rien, mais 19 ans c'est bien tôt pour être mère. À 19 ans, on est une adolescente dans un corps de femme, on ne sait rien de la cruauté du monde, surtout moi qui avais grandi dans une famille aisée. J'ai fait ce qui me paraissait le meilleur choix à l'époque."
Oryane prit une grande inspiration.
- Admettons. Admettons que ça explique un tant soit peu que vous m'ayez abandonnée. Qu'est-ce qui vous a empêché, quand j'ai pris contact avec le Bras Droit, de me révéler la vérité ? J'étais devant vous, il n'y avait personne d'autre...
Mary ricana.
"- Au fond de toi, tu sais pourquoi, Oryane. Tu veux que je te le dise en face ? J'avais peur. Horriblement peur de ta réaction, et vu comment tu es maintenant, j'avais sans doute rai...
- Ne me mettez pas ça sur le dos ! C'est vous l'unique fautive dans cette histoire !
- C'est vrai. Mais quand je t'ai vue apparaître ce soir-là dans la combe, j'ai été déstabilisée, choquée. Je t'ai immédiatement reconnue, mais rien n'aurait pu me préparer à te revoir. Tu étais là, jeune fille de 13 ans bien loin du nourrisson que j'avais laissé. Tu étais superbe, courageuse, mais je voyais dans tes yeux une lueur qui me brisait le coeur. Une lueur effarouchée, désespérée, qui dépérissait chaque jour de plus aux mains de WICKED. Et j'ai regretté, oh Oryane, j'ai tellement regretté. Jamais je n'avais cessé de penser à toi, mais mon cerveau s'obstinait à me représenter une fille sereine et en sécurité, à défaut d'être heureuse, tant j'étais persuadée d'avoir pris la bonne décision. C'était la seule chose qui me permettait de m'endormir le soir, qui compensait le fait de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras. Et puis je t'ai vue. Complètement brisée, s'accrochant à la vie de toutes ses forces malgré ce que tu avais vécu et je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. Mon coeur criait à l'agonie. Et j'ai eu peur, Oryane. Peur que tu me rejettes comme maintenant. Peur que cette révélation soit le coup de trop sur ton armure fragile. Alors j'ai gardé le silence."
Oryane ne parvenait pas à digérer. Les larmes coulaient silencieusement sur ses joues alors qu'elle restait là, hébétée.
"- J'ai besoin d'être seule, murmura-t-elle.
- Oryane, je t'en supplie.."
Brusquement c'en fut trop pour elle. Son coeur battait dans sa poitrine, il prenait trop de place, il l'étouffait. Elle devait partir, maintenant. Alors sans écouter Mary, elle fit volte-face et se mit à courir.
Elle filait à toute vitesse entre les allées. Elle entendait des voix étonnées mais elle n'en avait rien à faire. Elle voulait juste aller loin, très loin d'ici, là où personne ne la retrouverait jamais. Son cerveau tournait en boucle alors que les débris de son coeur hurlaient à l'infini :
POURQUOI ?
Et puis elle rentra dans quelqu'un.
Elle poussa un petit cri de surprise, alors que sa course s'arrêtait brusquement. La personne qu'elle avait heurtée chancela légèrement, mais la maintint. Elle releva les yeux.
C'était Sonya.
La blonde contempla son état, les yeux écarquillés. Tout en continuant de la soutenir, elle demanda d'une voix emplie d'inquiétude :
- Oryane ? Qu'est-ce qui se passe ?
La rouquine la contempla un instant, incapable de dire ou faire quoi que ce soit. Puis soudain un barrage céda en elle et elle hoqueta :
- Oh, Lizzy...
Et elle éclata en sanglots dans ses bras.
Choquée, la jeune fille garda le silence, se contentant de serrer Oryane alors qu'elle pleurait. La rousse savait bien qu'elle devait passer pour une folle aux yeux de Sonya, à l'appeler par un autre nom et à pleurer dans ses bras alors que pour elle elles ne se connaissaient ni d'Ève ni d'Adam. Mais son cerveau ne pouvait émettre la moindre pensée rationnelle, il pouvait juste se déverser, encore et encore.
Petit à petit, ses pleurs s'apaisèrent et elle ne fut bientôt plus que secouée de hoquets nerveux.
"- Désolée, marmonna-t-elle en s'écartant de Sonya.
- Pas de problème. Écoute, je sais qu'on en a pas toujours envie, mais des fois ça fait du bien de parler de ce qu'on ressent..."
Oryane hésita un instant. N'était-il pas mieux de tout garder pour elle, raconter une histoire quelconque et passer à autre chose ? Elle ne voulait pas entacher sa nouvelle relation avec Sonya.
Mais elle ne voulait pas être comme sa mère, non, sa génitrice. Et surtout, elle avait retenu la leçon. Elle ne voulait pas que ça se termine comme avec Newt ou que leur amitié manque de péricliter comme avec les Blocards.
Alors, elle lui déballa tout, sans rien oublier. Elle parla pendant une bonne demi-heure, alors que les yeux de Sonya s'arrondissaient de plus en plus. Mais plus elle parlait, plus Oryane avait besoin de continuer. Se confier à quelqu'un était libérateur, elle avait l'impression que son coeur devenait plus léger.
Quand elle s'arrêta enfin pour reprendre son souffle, Sonya la contempla sans mot dire, la bouche ouverte alors qu'elle se remettait peu à peu du choc.
"- Ça va ?
- Oui, oui. J'ai juste besoin d'une minute."
Elle soupira un peu avant de fixer attentivement Oryane.
"- C'est tellement frustrant de ne pas me rappeler de toi. Je sais que tu dis vrai, je le vois dans tes yeux, et personne n'inventerait une histoire pareille. Et d'un autre côté je me sens soulagée, parce que j'ai toujours ressenti cette part de vide en moi. Comme tous les Blocards mais... j'arrive pas à me dire que j'ai une meilleure amie. Et un frère. Enfin, fit-elle en fronçant les sourcils. T'es sûre que c'est le mec blond mon frère ? Il me regardait mal.
- Vous vous regardiez tous les deux mal.
-... Peut-être, mais c'est lui qui regardait le plus mal."
Oryane sentit un petit rire lui échapper. Sonya la regarda en souriant, puis spontanément elle lui sauta au cou.
"- Je suis tellement contente de t'avoir trouvée ! Ou retrouvée, plutôt.
- Moi aussi. Mais tu disais tout à l'heure que tu n'avais pas de meilleure amie. Il n'y a pas Harriet ? Vous semblez assez proches.
- Et bien en fait... sourit Sonya. C'est ma petite amie.
- Oh, lâcha Oryane, un peu surprise. Puis elle reprit contenance et la serra affectueusement. Je suis contente pour toi."
Sonya lui rendit son étreinte.
"- Je suis désolée pour tout ce que tu as vécu. Je sais que je ne peux rien faire... mais laisse passer du temps. Je connais Mary, c'est une femme profondément gentille, et je suis sûre qu'elle t'aime et s'en veut horriblement.
- Fallait y penser avant, marmotta Oryane.
- C'est vrai. Mais d'une certaine manière, je comprends pourquoi elle a agi ainsi, même si c'était horrible. Elle ne pouvait pas savoir. Mais toi, prends ton temps et quand tu seras prête retourne lui parler.
- Je n'ai pas envie d'aller lui parler.
- Je comprends, mais il le faut. Tu te rends compte de ta chance ? Tu as une mère encore vivante, qui t'aime ! Peut-être que ce n'est pas exactement celle que tu espérais, mais ce serait dommage de perdre l'occasion de créer un lien avec elle. Et si vraiment, tu préfères l'éviter, parle-lui au moins une dernière fois, pour dire que tu comprends sa version de l'histoire, que tu lui pardonnes, mais que tu ne veux rien avoir à faire avec elle. Ce serait méchant de la laisser mariner indéfiniment."
Oryane réfléchit quelques secondes avant de soupirer.
"- J'imagine que tu as raison.
- Allez courage, fit son amie en la frottant dans le dos. Prends ton temps, d'abord. Et pour l'autre fille, Teresa ? Je suis sûre qu'elle finira par se re-manifester.
- Elle est du côté de WICKED.
- Elle se rendra peut-être compte qu'elle fait une erreur ? suggéra Sonya qui pour le coup ne paraissait pas vraiment convaincue. Et si jamais ce n'est pas le cas, il faudra passer à autre chose. De toute façon dans quelques mois, on mettra les voiles.
- C'est vrai. Loin de Brenda."
Sonya garda le silence, un silence empli de sollicitude, parce qu'il n'y avait rien à dire, hormis la soutenir par sa présence.
Sentant la morosité d'Oryane, la blonde l'encouragea :
"- En revanche... j'ai peut-être un moyen de te réconcilier avec mon frère.
- Ah oui ? fit Oryane en relevant brusquement la tête.
- Oui. Enfin, ce n'est pas un moyen à proprement parler, mais... Il faut que tu t'excuses, Oryane. Et que tu ne recommences pas. J'ai bien vu à quel point tu regrettes, et que tu ne veux surtout plus agir de la même façon. D'après ce que tu m'as dit de mon frère, je pense qu'il t'aime encore à la folie et qu'il t'a déjà pardonné au fond de lui-même. Mais il attend que tu fasses le premier pas, et il a raison. C'est à toi de lui jurer que tu regrettes, et je sais qu'il te retombera dans les bras immédiatement, il verra bien que tu as changé. Et puis, je veux vous voir ensemble, vous avez l'air incroyablement mignons" ajouta Sonya, espiègle.
Oryane sourit et sentit brusquement une bouffée d'énergie l'envahir, comme elle n'en avait pas ressenti depuis longtemps. Elle sauta dans les bras de son amie.
- Merci Lizzy. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Je vais aller marcher un peu.
Elle se leva.
- Bon courage ! cria Sonya, souriante, derrière elle.
Avec un regain de sérénité, Oryane s'éloigna. A présent qu'elle s'était confiée, elle avait besoin d'être seule avec elle-même.
Et elle avait repéré l'endroit parfait pour cela : une corniche surplombant le campement, qui offrait une vue imprenable sur l'horizon. Le lieu parfait pour se poser et se perdre dans ses pensées.
Elle entama la montée et poussa un soupir de soulagement quand elle parvint enfin en haut. Mais il y avait déjà une personne assise, qui contemplait les vastes plaines ensablées et désertiques.
Aphéli.
"- Désolée, souffla Oryane en se retournant pour revenir sur ses pas.
- Tu ne me déranges pas."
Aphéli tapota la pierre à côté d'elle. Songeant qu'il serait malpoli de refuser, Oryane vint s'asseoir en silence.
Elle lorgna Aphéli du coin de l'oeil. L'adolescente avait le regard mélancolique, fixé sur le ciel jaunâtre et terreux. Ses mèches décolorées pendaient sur son visage, tranchant d'une étrange manière avec ses cheveux auburn.
"- Dis-moi, Aphéli...
- Appelle-moi Aphé.
- Dis-moi Aphé... pourquoi tu as des mèches blondes comme ça ?"
Comme par réflexe, la jeune fille passa une main sur les mèches en question.
"- C'est... compliqué.
- J'ai tout mon temps" l'encouragea Oryane.
Elle devait penser à ce qu'elle allait faire maintenant, mais si le ciel lui envoyait une courte échappatoire elle la prendrait sans hésitation.
Aphé soupira, se tordant les mains sans s'en rendre compte, les yeux dans le vague.
- Je n'étais même pas née quand la Braise a commencé. Mes parents ont rejoint le Bras Droit à ses prémices, alors j'ai toujours connu cette combe. C'est là où j'ai appris à marcher, c'est auprès de ces gens qui sont comme ma famille que j'ai dit mes premiers mots. Mais mes parents ont tous les deux attrapé la Braise, et il ne me restait plus que ma grande soeur.
Une expression d'adoration passa un instant sur le visage d'Aphéli.
"- Je la considérais comme ma seconde maman, je l'adorais même. Elle a toujours été là pour moi, pour me soutenir. C'était ma confidente, nous nous disions tout malgré nos quatre ans de différence.
- Et où est-elle maintenant ?
- Morte."
L'espace d'une seconde, les yeux de la jeune fille s'emplirent d'une immense douleur.
- J'avais 12 ans, elle avait ton âge. Elle est partie dans une escapade du Bras Droit libérer des Immunes, mais le plan a mal tourné. Elle n'est jamais revenue. WICKED l'a fusillée.
Hésitante, Oryane finit par poser une main sur son épaule pour la réconforter, sans un mot. Mais Aphé n'avait pas terminé.
- J'ai plongé dans la dépression. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus, je broyais du noir. Je me suis même mutilée, avoua-t-elle alors qu'Oryane découvrait pour la première fois les fines cicatrices sur ses mains. Mais il y avait Alex.
Aphéli n'exprima aucune émotion en prononçant ce prénom.
"- Qui est Alex ?
- C'était mon ancien petit ami. Il a toujours été présent pour moi pendant les moments difficiles. Je sentais bien que je le soûlais parfois, alors je faisais des efforts et ça allait mieux."
Oryane fronça un peu les sourcils devant cette précision.
"- Petit à petit j'ai repris ma vie. Je savais que ma soeur n'aurait pas voulu que je m'apitoie sur mon sort, j'étais déjà allée trop loin. Je me sentais mieux chaque jour et puis Alex m'a déclaré ses sentiments et j'ai dit oui. C'était la première fois de ma vie que je tombais amoureuse. C'est une drôle de sensation.
- C'est vrai" reconnut Oryane, qui sentait le malaise monter en elle. Elle percevait le danger dans le récit d'Aphéli, elle avait un mauvais pressentiment.
Elle avait raison.
- Au fil du temps, Alex a commencé à changer. Il devenait plus impatient, irritable, possessif. Il voulait que je passe tout mon temps avec lui, que je n'aie plus d'autres contacts. Il me calomniait tout le temps et l'amour que je ressentais pour lui s'est peu à peu transformé en peur. Il me menaçait souvent de faire du mal à mes amis ou de mettre fin à mes jours.
La voix d'Aphé devenait de plus en plus froide.
- Et puis un jour il a franchi la ligne rouge. Il a levé la main sur moi. Je n'ai rien fait, parce que j'étais terrifiée et que je tentais de me persuader qu'il m'aimait, qu'il ne le faisait pas exprès. J'avais 13 ans et je n'avais jamais entendu parler des relations toxiques.
Elle s'absorba dans le mutisme. Abasourdie, Oryane demanda :
"- Et ?
- Il y a eu une attaque de Fondus une nuit. Il était à côté de moi quand au moins quatre Fondus lui ont sauté dessus. Il était complètement dépassé, il se faisait déchiqueter. Il m'a hurlé de venir l'aider..."
Pour la première fois, sa voix flancha et Aphéli enfouit son visage dans ses mains.
- Je lui ai tourné le dos, dit-elle à voix basse.
Oryane contempla l'adolescente. Quel âge avait-elle ? 14 ans environ. C'était trop tôt pour vivre de telles horreurs, faire face à de tels choix. Elle sentit l'empathie envahir tout son corps alors qu'elle se tenait face à cette fille qui aurait pu être sa soeur, cette fille qui lui ressemblait cruellement, cette fille qui venait de lui avouer qu'elle avait assisté à un assassinat sans lever un doigt.
Avait-elle pris la bonne décision ? Sans doute pas. À moins que si ? Comment pouvait-elle juger ? Elle n'était pas là, elle ne serait jamais à la place d'Aphéli.
L'adolescente prit une grande inspiration pour se calmer et termina son récit.
- Personne ne m'avait vue, on a juste pris la mort d'Alex pour une horrible malchance. N'importe qui aurait pu se faire tailler en pièces par des Fondus. Et moi, je ne sais plus quoi penser, je n'ai plus jamais su. D'un côté, je sais qu'il agissait mal, qu'il fallait que ça s'arrête. Mais d'un autre, il est mort devant moi. J'ai tout regardé, il m'a appelée encore et encore, et je n'ai rien fait. Alors quelques jours plus tard, je me suis décoloré ces mèches comme symbole de renouveau. Et pour ne jamais oublier ce que j'avais fait.
Aphéli releva les yeux pour les plonger dans ceux d'Oryane. La rousse resta coite, subjuguée par le désespoir sans fin qu'elle y lisait. Et elle comprit soudain pourquoi Aphé lui semblait si familière.
Il y avait dans son regard la même lueur hantée que dans ses propres prunelles.
- Je ne sais pas quoi dire, chuchota enfin Oryane. Hormis que tu devrais faire ce que tu as commencé : continuer à avancer. Personne ne saura jamais vraiment si tu avais raison ou tort. Il faut juste que tu vives, en essayant toujours d'agir pour le mieux, selon tes propres valeurs.
Ouais. Oryane était définitivement douée pour donner des conseils, mais pas pour les suivre elle-même.
Aphéli la jaugea du regard, puis ses yeux s'illuminèrent légèrement.
- Merci, souffla-t-elle.
Elle secoua la tête et un sourire espiègle apparut sur ses lèvres.
"- Sinon, j'avais une question.
- Je t'écoute.
- Ton pote là, le gars Asiatique... Il est célib ?"
Oryane ne s'y attendait tellement pas qu'elle explosa de rire.
"- Minho ? T'es sérieuse ?
- Quoi ? Il est plutôt mignon. Et puis il a l'air d'avoir le sens de l'humour, au moins. Même si quelque chose me dit qu'il peut être très chiant.
- Tu veux dire... un peu comme toi ? demanda sournoisement Oryane.
- Va te faire" siffla Aphé entre ses dents.
Et elles se mirent à pouffer toutes les deux.
"- Sérieusement, tu penses que j'ai une chance ?
- Honnêtement, j'en ai aucune idée. Minho ne m'a jamais parlé d'un crush potentiel, donc je ne sais absolument rien sur ses goûts. Mais vous vous entendriez bien, ça c'est sûr.
- Le reste, j'en fais mon affaire" marmonna Aphé, satisfaite.
Elle se leva et s'étira.
"- Une chose que je dois savoir sur lui avant de l'aborder ?
- Il est Coréen. Ne le traite pas de Chinois, Japonais ou que sais-je encore sinon tu vas te faire déglinguer.
- Penses-tu ! C'est la première chose que je vais lui dire, fit Aphéli avec un sourire angélique.
- Ça ne m'étonne même pas..."
Aphéli commença à redescendre de la corniche mais elle l'interpella une dernière fois.
- Au fait, j'ai bien vu que toi non plus ça n'allait pas. Si tu n'as pas envie de parler ou de réfléchir, tu pourrais peut-être exprimer ce que tu ressens d'une autre manière.
Et sur ces paroles énigmatiques, Aphéli dévala la pente en sautillant.
Oryane resta assise là, pensive. Que voulait dire la jeune fille ? Lui conseillait-elle d'écrire ? Oryane aimait bien la poésie, mais elle n'avait pas le nécessaire sous la main.
Et puis elle se rappela ces soirées, ou ces matinées dans le Bloc, au jardin, où pour passer le temps pendant qu'ils travaillaient, Newt chantait. Il avait une voix magnifique.
Oryane était seule. En haut de la corniche, personne ne l'entendrait. Pourquoi pas, après tout ? L'envie de chanter la prit soudainement à la gorge alors elle ouvrit la bouche et la mélodie se joignit à la brise du soleil couchant.
https://youtu.be/OKHUQsSNdNM
Jamais elle n'avait ressenti une telle délivrance. Les mots coulaient de sa bouche, et elle en voulait plus, encore et encore.
Quand son cri du coeur fut apaisé, elle referma la bouche, le coeur battant. Un immense silence régnait toujours sur l'endroit.
Et puis soudain une voix prit la relève derrière elle.
https://youtu.be/24lawvHgQ-s
Il était là, le garçon qu'elle aimait plus que tout au monde. Ses yeux noirs pensifs, ses cheveux dorés, son visage mystérieux.
Il resta figé. Oryane se leva lentement, et s'approcha de lui.
Puis elle se jeta dans ses bras.
Surpris, Newt vacilla légèrement puis comme par réflexe ses bras vinrent s'enrouler autour d'elle pour lui rendre son câlin.
"- Pardon, murmura Oryane. Pardon, pardon, pardon... Je te promets que plus jamais je n'agirai ainsi. Mais j'avais peur, peur de te perdre, peur que tu me voies comme un monstre... Et au final, c'est exactement ce qui s'est passé, parce que je t'ai menti et caché des choses. Je suis tellement désolée... Plus jamais je ne ferais ça !
- Hey Oryane, ça va... "
Il attendit qu'elle se calme un peu avant de la serrer contre lui.
- Je te pardonne. Je voulais juste être sûr que tu prennes conscience de tes actes, chuchota Newt.
Elle sentit une bulle d'espoir gonfler en elle.
"- Alors on pourrait peut-être... repartir à zéro ?
- Ça me semble une excellente idée."
Un torrent de joie explosa en Oryane et elle enfouit sa tête dans le cou de Newt, pleurant et riant à la fois, en se disant que décidément l'amour et l'adolescence étaient un mélange des plus étranges.
Newt rit avec elle en posant son menton sur ses cheveux. Il se dégagea un peu et lui sourit :
"- Et maintenant, je vais faire quelque chose dont je meurs d'envie depuis longtemps.
- Et qu'est-ce que c'est ?
- Ça."
Et il l'embrassa passionnément sur les lèvres.
Leur baiser avait un goût de bonheur intense, de secrets révélés et de retrouvailles.
Quand ils se détachèrent enfin l'un de l'autre, Oryane questionna, curieuse :
"- Comment m'as-tu trouvée ?
- Je t'ai vue en larmes dans les bras de la fille blonde là, Sonya. Et puis Minho m'a appelé pour m'aider à monter la tente, et je t'ai perdue de vue. Mais après quand j'ai aperçu la corniche, j'ai su qu'il n'y avait que là que tu pouvais être. Les anges sont toujours au sommet" ajouta-t-il avec un sourire taquin.
Oryane s'esclaffa un peu et Newt retrouva son sérieux.
"- Je ne t'avais jamais entendu chanter.
- Je sais. C'est une première fois pour moi.
- Tu as une voix... d'ange, justement."
Oryane soupira en posant sa tête sur son épaule. Là encore, Newt se mit à caresser ses cheveux. "Décidément on a vraiment nos petites habitudes" songea la rousse, amusée.
"- Toutes ces semaines où tu m'as ignorée... ça a été horrible. D'autant que je pouvais m'en prendre qu'à moi-même. Je ressassais en boucle, mais je n'osais pas venir m'excuser...
- Au début, je t'en voulais comme un fou. J'avais une soeur, et tu ne m'en avais rien dit ! Toi, l'une des seules personnes au monde à qui je pensais pouvoir faire confiance ! Et puis on a été séparés lors de l'explosion, seuls Thomas et Brenda sont revenus et ça m'a rendu complètement dingue. Je n'étais plus moi-même, j'étais juste enragé. La seule chose que je voulais c'était te retrouver, m'assurer que tu allais bien, éventuellement démarrer l'enfoiré qui t'aurait fait du mal et te prendre dans mes bras."
Oryane ricana. Newt poursuivit avec un sourire :
- C'est fou, parce que nous avons affronté tant de choses, on a flirté avec la mort. On a vécu tant de pertes, tant de souffrances... Mais la pire chose que je pourrai vivre, c'est d'être loin de toi.
La rouquine retint un petit soupir d'aise, puis elle se souvint de toutes les révélations de ces dernières heures et sentit plus déterminée que jamais. Leur nouveau couple serait sain, elle ferait tout pour, et cela commençait par parler des choses qu'elle avait apprises dernièrement.
- Dis, Newt. Tu te souviens de ta soeur et que je ne suis pas exactement humaine ? Ben, j'ai deux trois trucs à te dire...
***************
-.... Ah oui quand même.
Ébahi, Newt contemplait Oryane. Puis ses yeux s'illuminèrent.
"- T'es en train de me dire que ma soeur est vivante dans la combe en dessous de nous ?
- Oui !
- Je n'arrive pas à y croire" murmura Newt, fou de joie.
Puis il parut déchanter.
- T'es sûre que c'est la fille blonde ? Elle regarde super mal.
Oryane éclata de rire.
"- Figure-toi qu'elle m'a dit exactement la même chose tout à l'heure ! Il faut croire que vous vous ressemblez plus que vous ne le pensez !
- Mouais, à voir. Il faudra que j'aille lui parler" ajouta Newt avec un sourire.
Puis il la dévisagea avec inquiétude.
"- Quant à ta mère... je ne sais pas quoi dire. Je n'ose même pas imaginer le choc que ça doit être, dit-il en la serrant contre lui.
- Je lui en veux terriblement, avoua Oryane. Ce qu'elle a fait, c'est juste... Inqualifiable.
- Certes. Mais il faudrait que t'ailles la voir au moins une dernière fois pour lui dire ce que tu comptes faire.
- Je sais. Mais pas tout de suite."
Newt lui traça de petits cercles apaisants dans le dos.
- Je regrette de devoir interrompre ce moment merveilleux, mais on devrait rejoindre les autres.
En effet, la nuit tombait sur les montagnes. On allumait les premiers feux dans le campement, et tout le monde se rassemblait gaiement pour préparer le repas.
- Allons-y, dit Oryane en se levant et en prenant la main de Newt.
Ils descendirent la pente pour rejoindre les autres Blocards qui se tenaient assis sur des rochers un peu plus loin et contemplaient avec bonheur et nostalgie le camp grouillant de vie.
Leur nouveau foyer.
En entendant Newt et Oryane approcher, leurs amis se retournèrent pour les accueillir. Et leurs yeux se vrillèrent à l'unisson comme un rayon laser sur leurs mains entrelacées.
Un sourire s'étira lentement sur les lèvres de Minho.
- C'est bien ce à quoi je pense ?
Pour toute réponse, Oryane déposa un rapide bisou sur la joue de Newt, qui rigola.
- LES GARS, LE NEWTYANE EST DE RETOUR ! hurla Frypan.
Et lui, Thomas et Minho se levèrent et vinrent les féliciter à renfort d'acclamations et de grandes tapes dans le dos.
Les premières étoiles apparaissaient.
- À TABLE !
Les Blocards les rejoignirent joyeusement. La nourriture était excellente. Ils observèrent le groupe se passer la nourriture, rire et discuter.
"- Chuck aurait adoré ça, déclara brusquement Thomas. Une maison, une famille... c'est ce dont il a toujours rêvé.
- Et Ben, fit Minho.
- Alby aussi, renchérit Newt.
- Et Winston" termina Frypan, les yeux dans le vague alors qu'il replongeait dans les souvenirs de son amour perdu.
Tous s'absorbèrent dans le silence alors qu'ils pensaient à tous ceux qui auraient dû être présents avec eux, tous ces êtres chers qui s'étaient sacrifiés pour leur permettre d'en arriver là.
Dans quelques mois, ils partiraient vers un nouveau monde, leur paradis. Leurs épreuves étaient enfin terminées.
Quelques personnes se mirent à danser au coin du feu, et Oryane remarqua que Minho suivait avec intérêt les mouvements d'Harriet. Se rappelant la manière dont il l'avait faite chier avec Newt au début, elle se pencha vers lui et lui glissa :
"- Alors, les brunes, hein ?
- Ah. Ha. Ha. Lol. Je suis pété de rire."
Oryane lui tapota le bras, compatissante.
"- Malheureusement, elle est déjà en couple. Avec Sonya.
- Ma soeur est en couple ? s'étonna Newt. Il suivit Harriet du regard d'un air suspicieux. Il faudra que je m'assure qu'elle est fréquentable."
Minho, lui, faisait grise mine. Prise de pitié pour son ami, Oryane dit, l'air de rien :
"- Mais tu sais, il y a plein d'autres filles dans le campement.
- C'est vrai, acquiesça l'asiatique en reprenant un peu du poil de la bête. Il y en a une qui est venue me voir par exemple, avec les mèches décolorées. Ophélie ? Ah non, Aphéli. Je sens qu'on va devenir potes elle et moi.
- Ou peut-être plus..." souffla Oryane pour elle-même, narquoise, en prenant garde à ce que personne ne l'entende.
Aris, qui mangeait plus loin, leur adressa un signe de tête. Les Blocards lui rendirent.
"- J'aime bien ce gosse, déclara Frypan.
- Bof, moi je me méfie, déclara Minho avec un sourire. Après tout, il voue un culte aux brioches."
Un vent frais se leva dans la combe et la rouquine frissonna. Elle se frotta machinalement les bras, cherchant sa veste du regard. Avant de se rappeler qu'elle l'avait oubliée en haut de la corniche.
"- Je vais chercher ma veste, je reviens ! lança-t-elle à ses amis en se levant.
- Attends j'y vais" déclara Newt, se redressant.
Puis une bourrasque d'air froid le cueillit. Il contempla la haute falaise où les vents devaient souffler encore plus fort. Il regarda Oryane.
"- Allez monte, le provoqua celle-ci avec un sourire moqueur.
- Naaaan mais ta viande est cuite je crois, je vais la retirer faudrait pas que tu manges cramé" se sauva-t-il avec un adorable sourire de gamin.
Oryane ricana en s'éloignant.
Elle démarra l'ascension puis se stoppa, stupéfaite.
Une personne se tenait déjà en haut de la corniche. Une personne qu'elle n'aurait jamais cru revoir ainsi.
Une personne dont son dernier souvenir remontait à une violente dispute, puis une disparition. C'était Teresa.
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