TRANSE
« MAAARRIIIIIAAAAAAAA. MMMMMMMAAAAAAAAAAARRRRRRRRRIIIIIAAAAAA. MAAARRRIIIIIIIIIAAAAAAAAA... »
Dès qu'elle se laissait un peu aller, Mésange entendait sa bouche, sa gorge, son ventre, ses yeux, ses oreilles, ses jambes, ses mains, son dos, son crâne, tous à l'unisson, tonitruer le nom de sa sœur de cœur. Ce doux sentiment d'amour recouvrant son épiderme s'était mué en un terrible sentiment de manque. Son âme hurlait, se battait contre cette enveloppe corporelle indolente qui refusait de la laisser courir jusqu'à la fenêtre et s'envoler rejoindre sa complice. Mésange était un loup garou sous une éternelle pleine lune, répondant à l'appel des colombes. Mésange était une bête assoiffée de sang, de repos et d'attention. Mésange était la victime de la morsure du vampire, son esprit étiolé et son âme amoureuse.
Sa conscience malingre ne suffisait pas à combattre cette démence vésanique. Depuis l'accident, la cécité la rongeait, mais là, elle voyait tout autour d'elle les oiseaux croassant, le brouillard étouffant, et la jeune fille, monstrueusement attirante, mystérieusement terrifiante. La patiente était perdue, surprise à chaque seconde par les ailes des oiseaux qui frôlaient ses cheveux, par un grognement dans la pénombre, par des mains, des rires, des flashs de lumière, des appels.
« MAAARRRIIAAAAAAAA » hurlait son corps.
« MEEESAANNGEEE ! » criait sa mère.
Elle se réveilla en sursaut, et s'assit, tremblotante, le regard vide, sur le 107e lit de hôpital Saint-Pierre. Sa mère et son frère l'observaient, inquiets. Une infirmière vint lui proposer à boire et à manger, mais elle ne répondit que par de vagues bougonnements, perdue dans ses pensées. Elle prit tout de même une feuille et dessina pendant une bonne dizaine de minutes. Tantôt ses griffonnements étaient rapides et secs, tantôt elle esquissait lentement de longs traits noirs. Tous ceux qui l'avaient connue ne pouvaient pas se méprendre, son ébauche représentait Maria. Mais ce n'était l'habituelle Maria gaie, enjouée et colorée, c'était là une Maria sombre, errante, morte. Lorsque Mésange finit son travail, elle gravit à la craie noire quatre lettres qui ensemble formaient un mot :
LOVE
La jeune patiente se fit happer à nouveau par sa lugubre léthargie. Elle sentait toujours la main de sa mère dans la sienne, les rayons du soleil sur sa peau, l'odeur du repas qu'on lui apportait, mais elle sentait aussi le froid chaleureux du brouillard équivoque, les volatiles sombrement éclairés picorant ses doigts de pied, et l'odeur de la délicieuse tarte aux prunes si souvent préparée par Maria. Et par dessus elle voyait dans ce cauchemar suave ce qu'elle ne voyait pas dans cet hôpital insipide ; Maria. L'apparition n'était en réalité qu'un pâle entremêlement de différents visages dont Mésange se souvenait, notamment le sien, mais pour la jeune fille, c'était indéniablement son infirmière. Sa voix, ses gestes, sa chaleur. Elle avait vu un ange où d'autres verraient le diable. Cette incarnation était Maria, où en tout cas envoyée par elle, et cette entité l'appelait. Ici était la place de l'âme Mésange, auprès de son amie, et là bas était la place de son corps, auprès des vivants.
Mésange entendait au loin sa mère l'appeler, et savait, comprenait, qu'il fallait se réveiller, sortir, courir, jouer, rire, retenter l'opération, aimer, aller à l'école, et continuer sa vie. Mais la consistance de cette nécessité s'effaçait dans le brouillard, et le réel perdait en importance, pour n'être bientôt qu'être un grain de sable dans la mer noire. Les yeux ténébreux de la jeune fille étaient traversés par des éclats sardoniques. Dans sa narcose, Mésange souriait, Mésange vivait, Mésange brillait.
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