SOMMEIL
Le corps de Mésange reposait sur les draps blancs de la chambre 107 de l'hôpital Saint-Pierre. Sa poitrine se soulevait par sursaut, très légèrement. On aurait pu dire qu'elle dormait. Mais l'esprit de Mésange n'était pas là. Il volait. Le vent effleurait ses méandres et la pluie aiguisait sa cautèle. Surplombant les rues de Los Angeles, son regard aviaire esquivait les gratte-ciels pour explorer le béton humide des rues. Mésange cherchait quelqu'un. Quelqu'un qui depuis longtemps, quelques heures en vérité, était parti rejoindre sa famille. Famille qui était maintenant réunie, enfin prospère, autour d'une table dans les cieux. Ces cieux plongés dans une noirceur invoquant l'enfer, noirceur résumant assez bien l'état d'esprit de la patiente de la chambre 107.
L'opération avait eu lieu peu de temps auparavant, et ne s'était pas aussi bien déroulée que prévu. Mésange ne s'était pas montrée coopérative, mais elle avait une excellente justification : au même moment, dans une rue de Los Angeles, sa meilleure amie s'était faite percuter par une voiture. Maria était son infirmière depuis deux ans. Elles se confiaient tous leurs secrets, se soutenaient mutuellement, rêvaient ensemble d'un futur heureux et d'un monde meilleur. Maria était le pilier de Mésange. Quand elle était au plus bas, après l'incident, c'est elle qui lui avait redonné goût à la vie. C'est elle qui lui demandait tous les matins si elle avait bien dormi. C'est grâce à elle que Mésange avait accumulé l'énergie et la volonté nécessaire pour tenter cette opération. Mais quand après deux ans de souffrances, le bonheur peut enfin lui revenir, son pilier était absent et Mésange s'était effondrée, au plus grand désespoir de sa famille et des médecins.
Quelques heures après cette opération ratée, Mésange cauchemardait sur son lit, qui malgré l'accueil d'une seule et même patiente pendant deux ans ne s'était toujours pas accommodée à sa présence. Les médecins quant à eux, s'affolaient dans le dortoir.
« Dort-elle encore ?
- Oui, c'est étonnant, elle n'a jamais dormi autant, et elle semble toujours aussi faible...
- Nous pouvons nous estimer heureux qu'elle soit encore en vie, elle ne devait surtout pas bouger pendant la chirurgie, elle aurait du avaler ses fichus médicaments !
- Sans Maria, elle n'en était pas capable, et tu le sais très bien... Maria n'est plus là. Espérons qu'elle finisse par accepter d'être prise en charge par un autre infirmier...
- Oui ! Sinon on ne pourra rien faire pour elle. »
« Mésange ? Mésange tu dors ? Tu dois te réveiller, et manger, et apprendre... et vivre. Mésange, tu dois vivre. Je t'en supplie Mésange réveille toi ! Je t'aime.
- Désolé Madame, mais je vais devoir lui faire une perfusion si elle ne se réveille pas.
- Très bien, faites. Au revoir Mésange, mon ange. Reprends vite des forces. A demain. »
Mésange entendait les va-et-vient des gens dans la salle, mais elle ne réagissait pas. Parce que Mésange n'arrivait pas à se réveiller, et parce que Mésange avait peur. Parce qu'en plus d'entendre les conversations des passants, elle entendait une voix sépulcrale, qui au fin fond de son âme criait sans relâche le nom de l'infirmière défunte :
« MMMAAAAAAARIIIIIIIIIAAAAAAAAAAAAAAAAAA »
Tantôt plaintif, tantôt monstrueux, cet être invisible hurlait, pleurait, menaçait, se déchainait, usant uniquement du nom du pilier brisé de l'adolescente. Plus effrayant encore, Maria entendait ce gémissement guttural, mais les médecins autour d'elle l'entendaient aussi. Toujours dans son sommeil, Maria rugissait, criait, pleurait. Evidemment, ses hurlements n'étaient pas aussi sombres que ceux du monstre malheureux, mais ils terrifiaient tout de même les infirmiers.
« Elle est hantée par le fantôme de Maria.
- J'imagine que nous l'avions tous compris. Le souci, c'est qu'on ne peut pas régler ce problème si elle dort. »
Comme une bonne ironie du sort, le lendemain, en milieu d'après-midi, Mésange se réveilla. Malgré des cernes immenses, un teint verdâtre, un corps amorphe et une grosse envie de se rendormir, elle fit la joie de toute sa famille. Elle parlait peu mais son oncle réussit à lui voler un sourire. Elle réussit à marcher jusqu'à la salle de bain, mais ne souhaita point sortir dehors. Elle dessina durant les quelques minutes offertes entre le passage des médecins alarmés et de sa mère inquiète. Une psychologue vint plusieurs fois lui demander si elle souhaitait exprimer ses sentiments et communiquer suite à la mort de Maria. Mésange ne dit rien.
Les médecins interprétaient cela comme une part banale du deuil. On est trop occupé à penser à la personne morte pour communiquer avec son entourage. Mais Mésange ne faisait pas que penser. Mésange entendait, Mésange parlait, et Mésange, aveugle depuis deux ans, voyait.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro