> Lui

Fin Juin - Début Juillet 2016

J'étais en effet clairement devenu l'incarnation du pervers sexuel et je ne me reconnaissais pas.
La masturbation ne me suffisait plus tellement l'obsession était forte. Plusieurs actes par jour ne me contentaient pas : je voulais plus. Je la voulais elle. Toute entière.

Et j'étais paralysé.

J'étais plus vieux, j'étais prof et selon la loi, « exerçait une hiérarchie morale sur elle », on aurait pu briser ma carrière. Il fallait que je prenne mes distances. L'oral arrivait et heureusement, elle partait le passer à Nantes. Pour cela, il fallait traverser la France : elle devrait donc forcément y passer quelques jours.

Après quelques secondes d'égarement - j'avais définitivement perdu le contrôle - pendant lesquelles je m'imaginais déjà descendre en voiture à Nantes et traîner dans l'établissement d'examen pour croiser C. "par hasard", je me fis à l'idée qu'un peu d'éloignement me ferait du bien. Car alors même que les cours avaient cessé, je la savais présente sur le campus. Elle passait ses journées à travailler à la bibliothèque universitaire et ça me rendait fou de la savoir à proximité sans pouvoir aller la voir. Quel motif aurais-je utilisé ? Je serais passé pour un harceleur...

Je décidais donc de ne plus me manifester. La rupture n'en serait que moins douloureuse.
Pendant son séjour, après être passé à l'épreuve qui concernait mon enseignement, elle m'envoya son sujet avec un commentaire qui ouvrait la discussion. Je lui répondis extrêmement sèchement et fut très expéditif : je voulais anticiper la séparation et tentais de mettre de la distance entre nous.

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"Monsieur,

Voici le sujet sur lequel je suis tombée : le poème "Evadné" de René Char, l'image l'accompagnant était un tableau de Miro et j'eus une question de grammaire ardue sur les constructions verbales, qui m'a particulièrement destabilisée.

Dites moi que le jury sera plus indulgent parce que c'est René Char !

Promis, j'ai limité les tics de langages que vous me reprochiez en oral : pas de "on a" et de "finalement".

Cdlt,

C."

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"Chère C.,

René Char n'est vraiment pas un cadeau et les membres du jury le savent bien, donc a priori, oui, ils sont plus indulgents - et heureusement !

Je transmets votre sujet à M. Siden. Bon courage pour la suite des épreuves.

Cordialement,

Monsieur B. "

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Après l'envoi, je regrettai immédiatement mon geste. Je savais mon petit soleil très sensible et je me doutais qu'elle serait déçue - n'étais-ce pas mon intention d'ailleurs, à la base ? -. Et si elle avait fait ça pour avoir de mes nouvelles justement ? Si elle avait utilisé son sujet comme prétexte pour m'entretenir ? Je n'avais aucun moyen de repasser au-dessus de mon mail et mes questions restèrent sans réponses.

Pour me consoler un peu, j'imaginais ma petite princesse sur le front de mer, ses longs cheveux blonds dans le vent, contemplant l'océan de son petit air triste mais savourant une paix bien méritée après cette année de labeur. En rêve, je la rejoignais par derrière pour glisser mes doigts entre les siens et lui sourire.

Tybalt revient parmi nous... C'est comme ça que tu prends de la distance ?

Cela ne m'empêcha pas, comme pour les écrits, de guetter ardemment les résultats sur la plateforme en ligne. Heureusement ils tombaient deux ou trois jours après le passage de C. qui passaient dans les dernières à cause de son nom de famille. Tous les ans, je regardais les notes de mes élèves mais cette année, particulièrement stressé, je commençais évidemment par C. . 

J'étais tellement convaincue de sa réussite ! Autant les écrits s'étaient révélés un véritable défi pour elle, qui parvenait difficilement à se contraindre aux exigences académiques, autant l'oral semblait presque une formalité pour C. qui lumineuse, dynamique, souriante et éloquente, avait les atouts parfaits pour convaincre le jury. 

Ce qui touchait en elle, et moi le premier, c'était cette ambivalence systématique : à la fois déterminée mais très peu sûre d'elle, volontaire mais très humble. Si elle était talentueuse et savait le montrer, elle ne pouvait s'empêcher, par ses comportements non verbaux, de s'excuser de ce talent. Comme si elle ne parvenait pas à faire autrement que de justifier sans cesse son existence. J'avais passé l'année à la rassurer sur sa légitimité à passer le concours : 

- Non C. votre dernier échec lors de la dissertation ne conditionne pas votre réussite au concours. 

- Non C. vous n'êtes pas trop jeune, j'ai passé le concours au même âge que vous et votre manque d'expérience n'influe en rien sur vos connaissances. 

- Non C. vous n'êtes pas "nulle" et bien sûr que vous avez les capacités à passer ce concours. Je voudrais que vous retiriez "nul" de votre vocabulaire.

- Vous avez fourni un travail très sérieux cette année, il n'y a pas de raison pour que ça ne fonctionne pas. 

Et maintenant que ce mail avait été envoyé, le seul espoir qui me restait pour recoller les morceaux et tenter quelque chose avec le petit chaton farouche... c'était le dîner de promo.