
I.5. L'épisode de la bibliothèque (Lui)
> Lui
Décembre 2015
Quand on aime les Lettres, la bibliothèque est une sorte de Temple. Longtemps en dehors du monde et de la société à cause de mon physique, dès le collège, les bibliothèques étaient devenues mes refuges. Jeune élève je m'asseyais dans les coins des rayonnages et restait des heures le nez dans un livre. Adulte et maintenant enseignant-chercheur ce lieu était aussi celui de l'exercice de mon métier. Je venais à la bibliothèque universitaire pour chercher des documents pour mes recherches, pour en conseiller aux élèves en complément des cours mais aussi tout simplement pour flâner.
J'allais peu à celle de N., préférant celle de la métropole dans laquelle j'habitais. Mais j'appréciais son calme et sa sérénité. Ce lieu semblait figé dans le temps, probablement dans les années 70 au vue de la décoration et étrangement, c'était très relaxant. Jamais je n'aurais pu penser que ce lieu accueillerait une scène tout à fait inconventionnelle qui me marqua pour toujours tant elle pourrait tout à fait convenir au pire des cliché cinématographique.
Un soir, il me restait du temps avant le train, je m'abandonnais à mes vieilles habitudes et feuilletai, accroupi, un ouvrage espagnol qui se trouvait dans les rayonnages du bas. Quand tout à coup, je fus bousculé par une étudiante, en train de lire elle aussi. Quelle ne fut pas ma surprise quand je me rendis compte que cette étudiante n'était autre que C. ! Elle était habillée de manière décontractée : Sweatshirt, leggings, bottes cuissardes à talons, je ne pus m'empêcher de la dévisager. Dans la bousculade nous avions tous les deux perdu notre livre et, gentlemen, je me baissais pour les ramasser. C. voulut en faire de même et nous nous cognâmes. Je posai le livre que j'avais ramassé sur l'étagère et me tourna vers C. qui avait lâché le sien à cause du coup et se maintenait la tête, la mâchoire crispée. Elle avait dû se faire mal. Elle avait reculé et frottait le haut de son front vigoureusement. J'avais mal pour elle et d'un geste complètement inconsidéré mais spontané, je me rapprochai d'elle :
- « Faites-moi voir ça, je suis désolé.
- Non c'est moi qui suis désolée, je suis vraiment bête, j'espère que je ne vous ai pas fait mal ?
- Pas du tout.
Elle enleva ses mains et très naturellement je posais la mienne, toujours fraîche sur sa petite bosse naissante, pauvre ange....
- Vous allez en garder un souvenir quelques jours...
- Ce n'est pas grave. » répondit elle spontanément.
Je me figeai. Cette fille se souciait moins de son apparence que de ce que je pouvais penser d'elle : ça ne la gênait pas de garder une marque visible d'une rencontre si impromptue.
Peut être alors fallait-il qu'elle en garde un souvenir impérissable... Je me rapprochai d'elle presque involontairement, comme attiré par un aimant. Elle recula jusqu'à être prise au piège entre moi et l'étagère. Tout doucement, comme si un mouvement trop brusque pouvait tout gâcher, je ramassais le livre qu'elle avait fait tombé en se cognant et lui mis entre les mains. Son odeur m'enivrait, je la dominais de tout mon corps et elle me regardait dans les yeux, dans l'attente, figée, le visage levé vers moi qui la dépassait de quelques centimètres. J'avais complètement occulté le contexte, la bibliothèque avait disparu. Il n'y avait que nous, la pénombre des rayonnages et un lourd silence. Le monde s'était mis en pause, dans l'expectative de ce qui allait suivre. Je mourrai d'envie de me laisser aller à mes instincts et à la prendre, là au milieu des livres, courant le risque que quelqu'un nous découvre. J'approchai encore davantage mes lèvres : ma vie s'y trouva pendu pendant quelques secondes, la main sur sa joue, mon pouce sur ses lèvres entrouvertes et offertes.
Puis tout à coup une pensée me fit me raviser. Pas comme ça, pas ici, pas maintenant.
Elle devait rester concentrée pour le concours, je ne voulais pas être une source de distraction. Il faudrait que ce soit elle qui vienne à moi, je voulais qu'elle soit pleinement consentante. Par mon ascendant sur elle,... je me refusais fermement à toute ambiguïté. Je la voulais en tant qu'homme, pas en tant que professeur. Je soutins encore son regard quelques minutes avant de partir. Il fallait dire quelque chose avant de m'effacer :
- "Bonne soirée Mademoiselle C., vous devriez rentrer, il est tard et il fait nuit. La nuit est toujours propice aux incidents étranges et... inexplicables."
J'espérais qu'elle comprendrait. Il faudrait reléguer cet épisode aux rêveries et autres mystères que la nuit permet. Il fallait qu'elle puisse passer à autre chose pour rester focaliser sur son concours. J'avais compris qu'il était pour elle, plus que pour les autres, une clé de son avenir, une nécessité. Je m'en voulais de n'avoir pas su me contenir.
Cependant, je ne pouvais m'empêcher de noter qu'elle n'avait pas cherché à me repousser... au contraire même... Cette jeune femme me rendait fou.
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