> Elle
Au lycée, il y avait un garçon. Un jeune homme du même âge que moi, dans la même classe, en Seconde. Il avait les yeux et les cheveux noirs de jais. Je ne sais plus dire s'il était beau, mais il avait un charme incontestable. Il était un peu plus grand que moi et fort bien bâti.
Nous prenions le même bus et, alors qu'en classe nous ne nous étions jamais adressé la parole, nous nous retrouvâmes un soir, assis côte à côte. La ligne était bondée. Il fallait choisir : à côté de moi ou debout dans l'allée.
Il faut savoir que si je me plais à dégager une aura de confiance et de maîtrise, la réalité est bien différente. Je ne suis pas très à l'aise socialement. D'un premier abord plutôt timide, je me suis donc tu pendant la durée du voyage. Félicien, c'était son prénom, ne prononça pas un mot non plus puis descendit vingt minutes plus tard. Le lendemain matin en montant dans le bus - j'étais déjà assise car je montais au tout premier arrêt - il me fit un signe de la tête et s'assit devant moi. Nous ne nous adressâmes pas la parole de la journée mais le soir à 17h, il se rassit à côté de moi alors qu'il restait d'autres places.
- Je peux me mettre là ?
J'ai trouvé ça étrange, mais j'ai acquiescé silencieusement sans penser que c'était le début d'une routine qui s'installait. Le matin, Félicien s'asseyait soit devant soit derrière moi et le soir, dans le car scolaire plein à craquer d'élève chahutant, à côté.
Un soir de Décembre, il faisait déjà noir. La chaleur humaine des élèves serrés dans le bus surchargé créeait un cocon apaisant. J'étais fatiguée après le cours de natation et malgré le brouhaha de fond, je m'assoupis. Je fus réveillée une petite vingtaine de minute plus tard par Félicien :
- Je suis désolé, je descends au prochain arrêt.
Je ne comprenais pas, mon cerveau était encore dans le brouillard du sommeil. Je m'obligeai à reprendre contenance et compris en quelques instants, que j'avais dormi sur l'épaule de Félicien. Voyant ma gène, ce dernier se mit à rire :
- T'inquiète c'est rien, t'as un peu ronflé mais je le dirai à personne.
Il descendit du bus me laissant la bouche ouverte. Durant le reste du trajet je me repassais la suite des évènements en boucle : et si j'avais bavé ? Honteuse, je me jurais qu'on ne m'y reprendrait plus car je commençais à comprendre que je l'aimais bien Félicien... et je ne voulais surtout pas passer pour une quiche devant lui !
Le lendemain matin, les écouteurs enfoncés dans les oreilles et un livre à la main, je ne souris pas à Félicien quand il rentra dans le bus, je mourrais intérieurement de honte et de gêne. Mais il s'assit quand même devant moi et ayant posé son sac sur la banquette à ses côtés, se mit à genoux sur la sienne, se retournant pour se pencher vers moi :
- Hé miss, tu fais la tête ?
- Non.
- Si, tu m'as pas dit bonjour ce matin.
- Je ne te dis jamais bonjour...
- Menteuse, tu me regardes avec un sourire et tu tournes la tête sur le côté comme un petit chiot mignon.
Oh, il avait remarqué que je lui souriais... Un chiot mignon ? Vraiment ? Je ne répondis pas.
- Si c'est à cause d'hier, ne t'en fais pas, je t'ai dit que ça resterait notre petit secret.
- Je n'ai pas ronflé ! Répondis-je indignée.
- T'es trop mignonne quand tu t'énerves, rit-t-il.
Je me renfrognais et croisais les bras sur ma poitrine. Je ne sortis plus un mot avant la fin du trajet. Après les cours, la routine reprit mais je ne pouvais plus me taire. Comme tous les soirs, Félicien me demanda s'il pouvait s'asseoir à côté de moi.
- Pourquoi ? demandai-je alors provocatrice.
- Parce que j'adore ton parfum, répondit-il en s'asseyant malgré ma défiance.
J'étais bouche bée. Que répondre à ça ?
- Donc depuis tout ce temps, tu te mets à côté de moi pour me sniffer ? T'es clairement un psychopathe.
- Nan, j'y peux rien tu sens trop bon, je kiffe l'odeur de la violette ça me rappelle les bonbons que mange ma grand mère.
- Ok donc je te rappelle ta grand-mère, super ! Je fis la moue.
Il se figea quelques secondes, se demandant probablement si j'étais vexée, puis voyant ma tête hilare, il se mit à rire avec moi. Félicien faisait décidément des comparaisons très imagées !
- Je savais que t'étais cool !
Nous discutâmes de tout et de rien jusqu'à l'approche de son arrêt. L'échange était fluide et sans prise de tête. Nous nous rendions compte que nous avions plein de points communs.
- À demain Ronflex, me dit-il en prenant son sac, un petit sourire en coin.
- T'es sérieux ? Ça se fait pas...
- Je rigole, ricanna-t-il et il se pencha pour me faire une bise à laquelle je répondis machinalement
Pendant le reste du trajet je ne pus m'empêcher de penser qu'il sentait bon lui aussi...
Le lendemain matin, lorsque Félicien monta dans le car scolaire, il ne me trouva pas tout de suite. Il dû s'avancer dans la rangée pour m'apercevoir penchée sur mes cours.
- Qu'est ce que tu fais ?
- Le DM de Maths pour 10h...
- T'as pas terminé ?
- Comme tu vois, rétorquais-je un peu amère. J'y comprends rien, je me suis couchée à deux heures du mat' pour le finir et malgré ça j'ai pas réussi...
- Tiens, prends le mien, me dit-il en ouvrant son sac à dos.
Encore une fois, il me scotchait : pourquoi faisait-il ça pour moi ? Cette gentillesse spontanée me questionnait.
- T'es sûr ?
- Certain ! T'auras une bonne note pour une fois, lança-t-il en rigolant.
- T'as remarqué hein... les maths c'est pas trop mon truc, dis-je penaude.
- T'inquiète, si tu veux celui qu'on va recevoir aujourd'hui, pour la semaine pro, on a qu'à le faire ensemble !
- Tu voudrais bien ? Je m'illuminais en entendant cette nouvelle.
- Bah carrément ! À la prochaine heure de perm si tu veux.
- Tu me sauves la vie !
C'est ainsi que Félicien devint mon binôme de Mathématiques et m'aida à garder la tête hors de l'eau pendant tout le semestre. De fait, il avait pris la fâcheuse habitude de se mettre à côté de moi le matin aussi...
Il était drôle, spontané, enjoué et nous avions beaucoup de points communs. Entre autres, une passion pour les jeux-vidéos. A présent, nous passions aussi du temps ensemble pendant les pauses et j'appris à connaître son groupe d'amis geek, qui m'accepta très facilement.
Un soir, je restais plus tard à discuter avec le professeur de Mathématiques à propos d'un devoir raté et je m'aperçus de l'heure tardivement. Le bus scolaire était déjà sûrement parti... Angoissée, imaginant déjà la réaction disproportionnée de ma mère, je me mis à courir pour essayer de l'intercepter. Quelle ne fut pas ma surprise quand je me rendis compte qu'il était à sa place et n'avait pas encore démarré ?! Félicien m'attendait à côté du chauffeur.
- En voyant que tu n'étais pas arrivée, j'ai demandé au chauffeur de t'attendre.
Je me confondis en excuses et en remerciements devant le chauffeur amusé.
- Je t'ai gardé une place, me dit Félicien tout sourire.
- Merci franchement, t'as assuré. Qu'est ce que je peux faire pour te remercier ? Tu veux ma dissert' de français ?
- Non, je veux un bisou.
Je n'avais pas encore repris ma respiration et j'eus le souffle coupé net par cette réponse. Je le regardais, pensant qu'il essayait comme à son habitude, de me charrier. Mais cette fois, il était très sérieux et tourna sa tête en mettant l'index sur sa joue.
- Un vrai bisou.
Mon cœur battait la chamade. Une chaleur se répandit dans mon corps et je sus, comme une évidence, ce que mon cœur voulait que je fasse. Je pris son visage en coupe dans mes mains l'embrassai sur la bouche. Le temps du baiser je n'avais pas pensé aux conséquences : je me réjouissais en me disant qu'il s'était laissé faire et en même temps je paniquais de sa prochaine réaction.
- Ouah, je retiendrais le bus tous les jours si c'est la récompense !
C'était l'approbation qu'il me fallait et j'en tentai un deuxième puis un troisième. Nous ne nous arrêtions plus...
Une fois arrivés à l'arrêt de Félicien se fut un déchirement. Nous n'arrivions pas à nous séparer. En descendant, il formula "par sms" sur ses lèvres. Autant dire que cette nuit-là je dormis peu et me couchais fort tard, après de très longues conversations téléphoniques par sms qui ouvrirent ma relation avec Félicien.
Je vécus avec Félicien quelque chose de fort, de passionnel mais de monstrueux en quelque sorte. Nous partions dans tous les sens, nous nous sommes aimés énormément et très mal. Un amour difforme, maladroit, égoïste. Un amour d'enfant. Nous nous sommes donnés l'un à l'autre sans limite et sans restriction.
Partageant tout et ne laissant rien à la vie.
Tout était intense : l'émotion, le sexe, la joie, la séparation, l'absence, la distance...Nous restâmes ensemble pendant nos trois années de lycée mais durant la classe de terminale, notre relation fut chaotique. Son père avait décidé que je n'étais pas assez bien pour son fils et lui faisait miroiter des études supérieures lointaines, sans attaches. J'étais le boulet, socialement inférieur qui l'empêcherait de faire un bon métier et de rencontrer la femme de sa vie : celle dont les parents seraient plus riches que les miens. Félicien changea. Nous n'avions plus les mêmes valeurs, plus les mêmes ambitions. Il voyait grand mais il voyait sans moi. Nous nous séparâmes plusieurs fois cette année-là. Il me trompa avec d'autres filles. À la fin de l'année, nous n'étions définitivement plus ensemble.
Le bac en poche, Monsieur s'était inscrit dans une grande classe préparatoire scientifique et moi je décidais de partir en Afrique pour un voyage humanitaire quelques temps. Subissant un échec scolaire cuisant, frustré, Félicien se retourna contre moi et fit circuler parmi nos amis et connaissances des rumeurs visant à me discréditer. Elles portaient essentiellement sur une supposée sexualité débridée avec un harem de mâles noirs lors de mon séjour. Les rumeurs ne sont jamais sans fondement : certes, j'avais eu une relation torride et décomplexée avec un jeune homme africain de six ans mon aîné pendant ce voyage mais ce n'était certainement pas à l'échelle de ce qu'il colportait. Il est vrai qu'au vue de mon physique, bien en chaire, je me sentais très à l'aise dans ce pays qui avait plus de considération pour les femmes rondes.
À mon retour, je décidai de rencontrer Félicien pour le confronter et mettre les choses au point avec lui.
Évidemment, ce qui devait arriver arriva. Après avoir crié tous les deux pendant un moment, se lançant à la figure l'ensemble de nos rancœurs respectives, nous finîmes par faire l'amour brutalement dans sa chambre d'étudiant. Malheureusement, nous étions très accrochés l'un à l'autre. Premier amour...
Par la suite, nous continuâmes à coucher ensemble régulièrement, parfois même lorsque nous étions déjà engagé avec quelqu'un. Moralement, cela me faisait souffrir mais je n'étais pas vraiment maîtresse de mes émotions... En réalité, j'étais sa maîtresse à lui.
C'était cyclique : nous ne nous voyions plus pendant quelque temps, nous vivions une relation à droite, à gauche, puis finissions inévitablement, peut être inconsciemment, par revenir l'un vers l'autre.
Cette relation "amour-haine" me faisait énormément de mal et je savais pertinemment que je ne serais jamais "sa femme", toujours sa compagne de l'ombre. Pour lui, il était impensable d'avouer à son père qu'il me fréquentait de nouveau et devant ses nouvelles connaissances personnelles et professionnelles, je ne pouvais être autre chose qu'une bonne amie du lycée. C'était un cercle infernal dont il profitait allègrement. J'étais incapable de lui dire non. J'étais faible face à lui et face à mon désir. Je maudissais ses absences et chérissais les nuits que nous passions ensemble.
Souvent, le matin, il partait en catimini, me laissant avec mes regrets puis revenait, deux ou trois soirs plus tard, m'assurant qu'il ne pouvait aimer que moi. J'étais aussi coupable que lui, je ne le nie pas. J'étais rentrée dans le cercle vicieux d'une dépendance affective dont je n'avais pas la force de me sortir.
À l'époque de mon entrée à l'université de ... je couchais encore avec Félicien périodiquement bien qu'un certain professeur brun et charismatique prenait de plus en plus de place dans mon esprit...
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