Chapitre 8. D'Arkho.
Je suis tiraillé entre le besoin de partir, car l'aube est proche et d'écouter la suite. Ils ne font pas attention à moi. Oh, Damabiah est conscient de ma présence, mais Cassie est totalement prise par toutes ses explications. Mes muscles se tendent et la douleur habituelle refait surface. Comme chaque jour, je suis appelé, n'ayant pas le choix, obligé d'obéir à mon instinct. Le repos est incontournable, je ne peux y échapper. Plus je résiste pour rester, plus les sensations deviennent intenses et désagréables. C'est le prix à payer pour reprendre des forces et guérir.
Bon, il est vrai que cette nuit n'a pas été très difficile. La sortie à l'hôpital et son extraction ont été une promenade de santé. La réussite de cette manœuvre est due avant tout à la force de persuasion de Damabiah.
Et quand O'kyel a réclamé l'aide de notre boss, c'était surtout pour soigner une blessure inquiétante de D'raal et non pour l'épauler dans la baston. Les Moissonneurs étaient peut-être en surnombre, mais ils n'étaient ni assez fort ni suffisamment motivés pour gagner. Si l'effet de surprise n'avait pas joué en leur faveur, ils n'auraient jamais pu mettre mon frère d'armes à terre. Mes compagnons se seraient sorti de cette embuscade en deux temps trois mouvements. Pour ma part, seules les jointures de mes doigts sont douloureuses, je m'en suis donné à cœur joie en leur défonçant la tête, et mon aile droite est abîmée, l'une de ces sales fouines a sauté sur mon dos pour tenter de l'arracher. J'ai horreur qu'on touche aux membranes qui les composent. Elles sont sensibles, fines, mais solides. J'ai pété un câble et je l'ai démembré ce foutu Moissonneur. Il n'a pas eu le temps de réagir. Je souris à ce souvenir.
- Ces gardiens seront toujours là pour te protéger, ils seront ton bouclier contre les démons, explique l'ange.
- C'est très gentil à eux.
Cassie est polie, mais on lit sur son visage qu'elle n'est pas totalement rassurée de savoir qu'elle a hérité d'un garde du corps personnel. Elle qui n'a jamais connu de paix n'aura pas la liberté espérée. Elle n'est pas prisonnière, mais sera en permanence suivie et surveillée. Quand elle réalisera toutes les conséquences de sa position d'Equill, je parie sur une phase de déni et de refus.
Je grimace sous l'effet d'une décharge électrique qui se propage dans mon dos, essayant de nier l'Appel. L'ange se retourne, coupant ses explications et me fixe de son regard bleu glacier qui lit au plus profond de mon être.
- Vas-y tout de suite, m'ordonne-t-il d'un ton catégorique.
Il ne tolère aucun refus et ça se ressent dans sa voix dont le timbre mélodieux qu'il utilise pour détendre et subjuguer les humains vient de disparaître à la vitesse de l'éclair.
- Je peux encore attendre un peu, ça va.
Je négocie sans grande conviction. Il est ferme et ne plaisante jamais avec le Repos, c'est sûrement un coup dans l'eau, mais qui ne tente rien, n'a rien.
- Non !
Il marque un arrêt, semblant comprendre que je suis curieux de ce qu'il va dire de mes frères et moi.
- Ah ! Cassie, tu as déjà appris beaucoup en peu de temps. Nous terminerons plus tard. Il faut maintenant que tu reposes ton corps et prenne un moment pour réfléchir à tout ce que tu viens d'entendre.
- Mais j'ai tant de questions encore, le contredit-elle.
- Plus tard, jeune fille.
Elle se tourne vers moi, cherchant un appui. Raté ma belle, on ne discute pas avec le Boss ! Je ne suis pas fou, tête brûlée à la rigueur, mais pas con. Je ne suis pas certain qu'elle se souvienne de moi, sa peur et son recul m'ont blessé et choqué plus que je le pensais. Je suis un bagarreur avec un physique imposant, pour autant, je suis contre la violence envers les plus faibles. Maintenant que la situation est différente, elle est moins effrayée.
Mes pas sont ralentis par l'effort que j'applique pour résister et dénier mon instinct. Je serre les dents et prends une expression relax. Si j'ai l'air de souffrir, Dam va me renvoyer. Mon sang coule moins vite, s'épaississant de plus en plus. Le froid s'étend dans toutes les parties de mon corps et je me raidis lentement.
- Je suis D'Arkho, si tu ne te souviens pas. On s'est rencontré, enfin j'ai fait connaissance avec tes dents.
Je lui fais mon sourire de charmeur, celui qui marche à chaque fois, le tombeur de petites culottes. Je ne veux pas la sauter, mais un simple flirt n'a jamais fait de mal.
- Oh ! Je suis navrée... je vous ai fait mal ?
- Non pas du tout, juste surpris. Et puis, je ne suis pas contre une morsure ou deux à l'occasion.
Je termine avec un clin d'œil et file par la porte-fenêtre. Évitant ainsi les foudres bien réelles de mon ange de chef, ce foutu caractériel à plumes. C'était risqué, mais quel plaisir de le choquer et lui secouer les ailes régulièrement. Beaucoup trop sérieux ce mec.
J'arrive sur la terrasse et me tourne dans la direction d'où les premiers rayons de soleil vont poindre dans quelques instants. L'agonie quotidienne me submerge et je la laisse me réduire au néant. Je me fige, ma chair, mes muscles, mes os, tout devient solide comme la roche. Je ne suis vulnérable qu'à ma propre folie. Emprisonné dans cette gangue de pierre, je suis seul avec mes pensées. Je respire avec peine, mon cœur ne bat plus qu'une dizaine de fois à la minute et les ténèbres me recouvrent pendant toute la course de l'astre diurne dans le ciel. L'asphyxie commence, mes poumons cherchent fébrilement les moindres molécules d'oxygène présentes. Un mince filet d'air parvient encore à destination. Je dois me contrôler, ne pas refuser de me figer. Mais ce n'est pas ma nature, je suis d'un caractère contradictoire. Quand je peux être libre, je reste et inversement quand je suis bridé il me faut partir.
Cette malédiction sur ma race me gave. Oui, j'assume ce mot. D'aucuns diraient que c'est une bénédiction de pouvoir se régénérer et ne se révoltent pas contre cette fatalité journalière. Mais moi, je déteste ce destin, être paralysé et ne plus être maître de mes gestes.
Avant mon passage à l'état de statue, je laisse mon véritable aspect réapparaître, prenant de la masse, grandissant en taille et en muscles. Mes cornes reviennent à leurs places d'origine, pointues et recourbées vers l'arrière de mon crâne. Mes ailes se déploient, m'offrant quelques précieuses secondes de plénitude avant qu'elles aussi ne soient recouvertes de roche comme une seconde peau.
Mon pas ralenti et alourdi, je vais me poster au bout de la terrasse, sur le promontoire qui m'accueille tous les jours que je passe au manoir. J'arrête de lutter, relaxe mon esprit et trouve l'endroit où il s'apaise et se relâche. Je ne peux pas contrecarrer plus ma nature, je ferme donc les yeux et m'endors, statue de pierre, gardien de la maison, je suis une Gargouille.
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