Dam respire un grand coup et se lance dans ses explications. Il doit impérativement rassurer notre invitée. Sa panique et sa terreur ont été ressenties jusqu'à l'autre bout du manoir. Un beau bordel dans nos têtes, au point que j'ai un bébé migraine qui tente une approche. Ses cris mentaux ont provoqué un tsunami dans nos esprits. Notre commandant a écourté de façon abrupte le briefing et Damabiah a suivi les cris de Dame Nesa jusqu'à la chambre d'invité. Et moi, j'en ai profité pour venir voir comment allait cette fille.
Je pose une épaule contre le chambranle de la porte, croise les bras et écoute, curieux de la façon dont il va introduire notre monde à cette jeune femme. Je n'approche pas trop. Il a besoin de toute la concentration de celle-ci pour qu'elle comprenne correctement et n'ait pas peur des conséquences de ces révélations.

- En toute première chose, je veux t'affirmer qu'ici, tu es à l'abri. Tu ne risques rien, cet endroit est protégé ainsi que ceux qui y vivent. Nous sommes sur un terrain qui a été béni et est désormais un refuge pour les âmes pures.

Ma nature me permet de ressentir le soulagement de Cassie de là où je me trouve. Cette femme est un concentré de sentiments. Elle en déborde littéralement et laisse tout filtrer.
Elle s'agite sur le lit et se redresse pour s'asseoir. Ses petites mains nerveuses agrippent le dessus de draps et le triturent.

- Qui êtes-vous ? Vraiment ? insiste-t-elle.

Je savais qu'elle avait un caractère de guerrière. Elle est perdue, mais veut savoir.

- Qui penses-tu que je sois ?

Elle ouvre la bouche, hésite, tourne le regard vers Nesa qui est retournée à son tricot. Gênée de donner son avis, elle a peur.

- Dis-le, je ne rirai pas de ta théorie. Tu verras que tu seras toujours écoutée parmi nous et crue aussi.

-... eh bien, j'ai vu... j'ai observé vos ailes quand votre compagnon m'a emportée et installée dans la voiture. Je n'ai pas tout imaginé et eu des hallucinations ?

Sa phrase se termine sur un ton interrogatif. Comment oser parler de fantastique quand tous les jours de sa vie ses paroles ont été mises en doute et raillées. Elle a du cran, je dois le reconnaître.

- Oui, tu n'as pas rêvé. Je suis un ange, de la catégorie des anges gardiens. Je me nomme Damabiah.

- Oh...

Elle observe son vis-à-vis avec curiosité et surprise.

- Mais là... vous avez l'air si normal, vos ailes...

- Je les cache, elles ne sont pas visibles.

- OK...

- Bon, maintenant nous allons discuter de toi, de ta présence dans cette propriété et de ce que tu vois.

Elle sursaute et son teint déjà pâle prend un ton encore plus clair. Elle va finir par devenir transparente si elle continue.

- Connais-tu les légendes ? Je ne te parle pas de la Bible, mais juste des démons et de leur existence sur terre.

- Non, juste qu'ils me torturent pour le plaisir de me savoir totalement apeurée, et m'empêchent de dormir paisiblement depuis mon enfance.

Le timbre de l'ange adopte des intonations célestes, jouant leur rôle de calmant et de décontractant. Il fait effet immédiatement et la jeune femme se décontracte. Elle boit ses paroles, complètement fascinée.

- Au début des temps, quand Notre Père à tous a créé les hommes, il leur a laissé le libre arbitre.

Malheureusement, les mortels sont corruptibles et manipulables.
Cassie sursaute et semble sur le point d'objecter puis se reprend. Elle connaît la nature humaine, ayant malgré elle fait les frais de certains comportements de ses pairs.

- La nature est une belle chose, merveilleuse, mais parfois brutale. Le bien et le mal s'équilibrent. Ce statu quo doit être maintenu pour que l'espèce humaine survive. Il y a plusieurs siècles de cela, des guerres incessantes ont fini par détruire les civilisations et mettre à mal le futur, l'obscurité est tombée sur la liberté d'expression et de pensée. Des démons ont profité d'une faille.
Dans ton monde, il existe une espèce à part, rare et fragile. Ces personnes sont dotées de dons psychiques qui leur permettent d'avoir une grande sensibilité au surnaturel. Tout ce qui vit dans les différents plans leur est accessible et visible. On les nomme les « Rêveurs ». Leurs songes sont des portes ouvertes vers les âmes regroupées dans les étoiles et les constellations. En dormant, ils deviennent le réceptacle de leur connaissance et relaient celle-ci vers l'humanité.

- Comme un relais-satellite ou une antenne ? interrompt la jeune femme visiblement fascinée.

Elle s'est détendue au fur et à mesure que mon boss explique l'Histoire. Sa peur a disparu face à la douce lumière intérieure qui brille de Dam.

- Oui voilà, confirme-t-il. Ils rêvent et émettent des ondes positives vers leurs frères de race. Celles-ci encouragent l'éveil, la connaissance et la fraternité. Les inventeurs trouvent des solutions, les artistes sont inspirés par leur muse, les grands du monde veulent le bien de leur peuple. Vous êtes un phare pour les vôtres.

- C'est utopique...

- Les Démons sont malins, le mal l'a toujours été. Ils ont compris le rôle des Rêveurs. Ils ont alors envoyé à leurs trousses des Moissonneurs. C'est une sorte de monstres qui effraient ceux-ci avant le sommeil, quand les ombres apparaissent et le soleil se couche. Ils donnent des cauchemars en les harcelant et arrivent à briser la paix de l'âme du dormeur. C'est de là que viennent les histoires de monstres dans la chambre des enfants, car vos petits sont sensibles et ouverts au surnaturel.

- Comme moi ?

- Toi, tu es spéciale.

- Plus que les Rêveurs ? Comment est-ce possible ?

- Les premiers cercles de la hiérarchie angélique sont intervenus. Ils nous ont envoyés pour vous seconder, et murmurer des prières protectrices. Notre rôle est de vous guider dans cette découverte, vous protéger, pour vous demander de vous ouvrir encore plus à vous-mêmes et aux autres par le cœur et l'âme. L'amour est la clé pour recevoir la connaissance de la Lumière.

- Mais, je n'ai jamais eu cette chance.

- Non et j'en suis désolé.

Son feu intérieur pâlit un peu sous l'effet de la peine et du chagrin.

- Quand nous avons su pour toi, nous avons fait au plus vite pour te libérer de leur emprise. Ces fils de Lucifer avaient réussi à te cacher de notre vue, avec une sorte de malédiction. Vois-tu, tu es presque unique. Il ne reste plus qu'une poignée d'êtres tels que toi dans le monde.

Il tend la main vers son poignet et lui montre ce que j'ai aperçu, il y a quelques heures, en la déposant inconsciente dans ce lit. Une marque de naissance composée de cinq points, des petites étoiles discrètes sur l'intérieur de son bras disposées en un W assez allongé.
Je me remémore cette sensation bizarre quand j'ai passé le doigt dessus, comme si un courant électrique me traversait, doux, mais vivifiant.

- Tu es l'une des Equill, tu peux diriger par toi-même tes songes en bien comme en mal. S'ils avaient réussi à te pervertir, tu aurais pu faire pencher la balance de leur côté.

- Je ne comprends pas, quelle différence avec les Rêveurs ?

- Tu n'es pas qu'une simple porte, un simple canal vers les étoiles, mais tu es une partie des constellations, une enfant de l'Univers. Non pas un miroir qui reflète leur état, tu peux les changer aussi. Si tu es corrompue, tu peux transmettre aussi ta noirceur. Et si ça arrive...

- Les autres Rêveurs seront contaminés aussi, souffle-t-elle.

Elle est intelligente. Les conséquences lui sont apparues comme une évidence.

- Donc... je serais toujours une cible.

- Oui, il te faut une protection. Je suis ton ange gardien. Nous sommes neuf en tout, dispersés à protéger le monde, ce qui est beaucoup trop peu. Donc, nous avons créé avec l'autorisation des plus hautes autorités des gardiens, des protecteurs.

Ah... Voilà, on va moins rire maintenant. Elle est zen, mais je sens qu'elle ne va pas aimer la suite.