— Aucune idée, c'est à toi de trouver. Aimes-tu chanter ? Ecrire ? Ou dessiner ?

— Ah oui, j'adore le dessin, je lui réponds avec un grand sourire.

Il y a longtemps que je n'ai plus tenu un crayon en main, les médecins pensaient que je ne résolvais rien à poser sur le papier les horreurs que je voyais. Mais il fut un temps où je pouvais dessiner sans que mes cauchemars s'invitent sur le papier.

L'ange réfléchit, fait quelques pas en rond les mains derrière le dos puis vient se positionner devant moi. Ses yeux bleus clair me scrutent longuement avant qu'il ne se décide à me révéler le fond de sa pensée. Ses ailes se déploient de part et d'autre de ses épaules. Elles sont immenses et émettent une lumière blanche et aveuglante. Je ressens le besoin de toucher les plumes. Mes doigts frémissent d'anticipation. elles doivent être aussi douce qu'un nuage. Si on pouvait les toucher.

Il replie la gauche et agrippe une des plus petites plumes, -qui fait quand même quinze bons centimètres de la pointe dure du rachis à l'extrémité bleutée- et l'arrache.

Je sursaute de ce sacrilège. Comment ?

— Mais pourquoi vous abîmer vos ailes ?

Je m'inquiète, que va-t-il faire avec ?

— Ne te fais pas de soucis, bien que ce soit tout à ton honneur, me répond-il avec un sourire rassurant. Je t'offre cette plume, qui repoussera, n'ai crainte.

Il me tend ce vestige du symbole extérieur de sa position et je l'accepte. Dès que je la touche, un frémissement remonte de ma main jusqu'à mon coeur. Un pouvoir extraordinaire est caché dans cette plume. Elle scintille et vibre de bonté.

— Merci... mais que dois-je...

— Tu vas peindre le monde de tes Rêves avec et elle t'aidera à réaliser le passage entre tes pensées, tes souhaits et la concrétisation de ta création.

Il me montre une place vide à l'ouest de notre position et me pousse vers un creux dans le sol. De l'eau s'y cache et miroite au soleil de minuit.

— Prends cette eau et sers toi s'en pour peindre. Demande lui de changer de couleur et elle le fera.

Je m'agenouille et plonge mon regard dans le reflet qui me nargue. Mon visage semble plus calme, moins réel, comme si certains détails manquaient. Je me concentre pour comprendre ce qui me trouble et finalement je repère les différences. Je suis vêtue d'une tunique blanche avec une épaule dénudée, mes cheveux sont relevés en chignon et ma peau est intacte. Les traces qui recouvrent ma peau ne figure pas dans cette image jumelle. Je me redresse et manque de tomber. Damabiah rit de ma surprise.

— Tu vois l'image que tu as de toi même au plus profond de ta psyché. Vas-y, m'exhorte-t-il, prends cette eau comme une peinture et change ta réalité.

Je lui obéit et plonge la pointe de la plume comme celle d'un stylo à l'ancienne. Je réfléchit et émet le souhait d'avoir une couleur proche de celle du bois. Je soulève le bras, vois que la magie de mon esprit a fonctionné et me redresse. Mes pensées deviennent plus lentes et en même temps plus nettes. Je vois les détails de ce que je désire. Je dessine dans l'air comme si j'avais une toile transparente sur laquelle apposé les traits de mon dessin. Je sursaute, mais tente de ne pas arrêter sous l'effet de la surprise, ayant bien trop peur que la magie stoppe son miracle. Devant moi, apparaît un pan de bois, des planches assemblées entre elles, tenant debout sans le moindre support. Je continue, ajoute les détails qui m'étaient venus quelques instants plus tôt. La poignée est dorée, la couleur change sans que je le demande ni que je replonge dans la cuvette d'eau. L'oeil de boeuf est aussi transparent que le verre. Je rajoute un encadrement et par dessus une lumière qui indique "EXIT".

Le flux d'inspiration, ce calme et cette paisible frénésie qui s'étaient emparées de moi retombent. La sortie est là, tangible et réelle. Il me semble bizarre et étrange qu'elle soit au milieu de nulle part. Derrière se trouve le même paysage que devant. Mais j'ai l'intime conviction que si je pousse ce battant, je ne verrais pas l'herbe verte et les fleurs des champs mais plutôt ma chambre et le ciel de lit.

Je suis submergée par le soulagement. J'ai réussi à créer un objet de toutes pièces et qui plus est, une échappatoire pour le cas ou il me faudrait me réveiller le plus vite possible.

— C'est très bien, tu as bien géré.

Sa voix tinte de satisfaction et me prend dans ses filets. Il est à nouveau rempli de beauté, bonté et j'ai envie de lui dire oui pour tout ce qu'il pourrait exiger de moi. J'essaie de sortir de cet engouement.

— Oui, je ne pensais pas que ce serait si facile.

— Tu es douée et ton pouvoir est à son paroxysme. Tu ne l'as jamais utilisé avant aujourd'hui et il ne demande qu'à s'exprimer.

— Je vais encore m'exercer pour apprendre à le maîtriser.

— Je vais te laisser maintenant, car d'autres obligations attendent que je m'occupe d'elles.

— Mais ...

La panique de me retrouver seule est pire qu'un chien sur un os. Elle ne me lâche pas.

— Je reste au Manoir cette nuit, mais je dois encore discuter avec O'Kyel et D'Arkho. La plume viendra s'incruster dans ta peau, me dit-il en prenant mon poignet. Dès que tu reviendras ici, tu pourras la réutiliser.

— Encore un tatouage ?

— Oui, les marques sur le corps sont des symboles des serments et des aptitudes. Tu fais à présent partie de notre monde et tu y gagneras des dessins sur ton corps.

Il m'étreint soudain dans ses bras et ses ailes, ses lèvres se posent sur mon front en une bénédiction puis il recule. Il me salue d'une main et sourit tout en disparaissant doucement. Son image s'efface comme dans une brume.