L'exaltation envahit la pièce et tous les corps dansant. Le désir est plus fort que tout. Chacun se laisse guider par son corps chancelant, un sentiment de bonheur absolu en soi. Personne n'a jamais connu cette émotion d'excitation et d'allégresse, si forte qu'elle prend pouvoir de leurs mouvements. Ce n'est qu'une fièvre incontrôlable, qui, pour la toute première fois, possède Adam

Son esprit se détache peu à peu de son corps, jusqu'à disparaître presque entièrement. Il ne peut plus contrôler ses mouvements, ses gestes, des pas de danse. Son corps s'est libéré de l'emprise de son être, il s'agite à présent à sa guise, sans que la conscience du soldat vienne perturber cette délivrance soudaine. Il n'entend plus sa petite voix dans sa tête le poussant à suivre les ordres sans contester, la peur de décevoir ou de toujours devoir bien faire. Ses regrets et son malheur d'enfance ont disparus. Seul un puissant bonheur coule dans ses veines.

Les mains posées sur les hanches d'Iwona, les deux jeunes agents tanguent depuis un temps qui leur importe peu. La seule chose qu'ils désirent, c'est de rester dans les bras de l'autre. Quelques centimètres les sépare, parfois moins. Leurs peaux ne font qu'une. Ils dansent, très proches de l'autre, trop proches pour deux êtres qui ne se connaissent que depuis peu. Pourtant, rien ne peut les séparer.

Iwona sert son bras autour du cou de son compagnon, son front collé contre le sien, son autre main tenant son cocktail. Adam passe ses mains sur ses joues avant de descendre sur ses hanches et de répéter sans cesse ce geste, parfois déconcerté par les mouvements gracieux des bras de son amie. Ils dansent tous les deux, comme s'ils étaient seuls au monde, dans cette foule toujours plus nombreuse. Des petits pas en avant et arrière, des pivots, de lents mouvements de bras, tout ça avec une élégance incomparable.

Leurs lèvres se rapprochent sans jamais se toucher. Elles sont de plus en plus magnétiques, irrésistiblement attirées l'une à l'autre, mais jamais ne se touchent, comme si une part d'eux les empêchaient d'accomplir ce geste malgré l'envie déchirante. Le peu de conscience qui leur reste leur permet de toujours rester respectueux envers l'autre, sans même le savoir.

Le souffle de la blonde sur son visage fait frissonner Adam. Ce frémissement, pourtant si doux, est comme une décharge électrique dans tout son être. S'arrêtant de danser quelques instants, le jeune homme retrouve sa douleur au crâne peu avant qu'il ne tombe dans cet état. Il cligne des yeux, titube en avant mais est rattrapé par Iwona qui ne cesse de danser, avant de reprendre ses esprits.

Oh merde.

Cette boisson. Il avait promis d'arrêter de boire. Pourtant, lui qui s'y connait en problèmes d'alcool, il est le premier à savoir que ce n'est pas après un verre - ou même une gorgée - qu'on tombe dans un état second.

Face à lui, Iwona ne dit rien - ou du moins il n'entend rien, la musique assourdissante camoufle tous les autres bruits. Ses yeux gris plongés dans ceux d'Adam, perplexes, elle ne remarque rien de ce changement d'attitude. Son corps est toujours détaché de son esprit et évolue indépendamment.

Ses lèvres sont guidées par ceux du brun, qui reprennent peu à peu contrôle. Ses lèvres, la tête, puis les bras. Adam détache ses mains des hanches de la blonde et s'écarte d'un pas, gêné par cette proximité soudaine. Comment sont-ils arrivés là ? Jamais il n'aurait osé être aussi proche d'elle de son plein gré, ce ne sont presque que des inconnus. De plus, elle est une princesse, pour lui ce serait impoli d'agir ainsi avec elle. Cependant, Iwona n'en entend pas de la même manière. Elle s'approche à nouveau de lui, son corps attiré par celui du Jocastien, comme deux êtres magnétiques.

― Iwona ! Iwona, reprend tes esprits !

Néanmoins, la jeune femme ne semble entendre que son prénom prononcé par ce jeune homme attirant. Elle pose sa main libre sur une de ses épaules, ferme les yeux puis danse toujours en légèreté, comme si rien d'autre ne comptait.

Repoussée une nouvelle fois, Iwona attire à ses lèvres sa boisson étourdissante. C'est ce cocktail, la cause de tout ça, songe Adam. Il n'en a bu qu'une gorgée, il est normal qu'il ait réussit à reprendre conscience rapidement, contrairement à Iwona qui a bu un verre entier, voire plus. Hypothèse vérifiée par les personnes autour d'eux qui tiennent dans leur verre ce même liquide. Tous en train de boire, tous dans cet état d'euphorie.

Sans qu'elle n'ait eu le temps de réagir, Adam lui arrache le récipient des mains et le laisse tomber par terre. Le verre se brise en un millier d'éclats dans un bruit sourd et intrus parmi l'intense musique. Les danseurs piétinent les bouts de verre, ne prenant pas en compte ce geste violent, tous concentrés sur leur danse, leur partenaire ou leur cocktail. Tout comme eux, Iwona réagit très peu, elle l'observe simplement prendre son verre sans montrer le moindre signe de résistance, puis repose toute son attention sur lui.

― Iwona, je t'en supplie, reviens à toi-même. Tu es plus forte que ça !

Adam tente de claquer des doigts devant son visage pour chercher la moindre réaction, mais la jeune femme n'y montre aucun intérêt. Les paroles ne semblent avoir aucun effet sur elle, la musique est une aide précieuse à cet alcool pour faire perdre l'esprit des clients. Même en voulant l'attirer loin de cette foule, elle résiste et force son coéquipier pour rester.

Adam ressent une grande pression sur ses épaules. La peur qu'elle ne revienne pas à elle entraîne un tremblement dans ses mains, puis dans ses cuisses. Il regrette d'avoir bu ce cocktail, de ne pas avoir suivi le règlement comme il le fait à chaque instant. Soudain, une idée lui traverse l'esprit. Sa dernière option est de faire appel aux pouvoirs d'empathie de la Qadarienne, selon lui plus puissants que cette euphorie. Si elle ressent un sentiment différent que ce qu'apporte cette boisson, ce sera comme un choc dans sa tête. Si cela ne fonctionne pas, il devra passer à une option beaucoup moins douce...

Le soldat pose alors ses paumes sur les mains de la blonde. Guettant la moindre réaction, il presse ses doigts sur sa peau, cherchant le bon contact physique pour la faire revenir. Cependant, Iwona bouge toujours autant, elle ne prend pas longtemps pour se libérer de sa prise malgré la force du Jocastien. Il prend alors entièrement ses mains dans les siennes, ce qui semble convenir à la blonde, celle-ci très souriante.

― Allez, utilise tes pouvoirs pour comprendre que ce n'est pas la réalité... lui chuchote-il à l'oreille.

Ses capacités ne se déclenchent toujours pas, l'effet de la boisson bien trop présente dans son corps pour ressentir autre chose de ce bien-être irréel. Son esprit aurait aimer ces fausses émotions et revenir au réel, mais son corps refuse.

Perdant espoir, Adam baisse la tête. Il serre autant ses mains, comme si par magie sa technique allait fonctionner. Il repose ses yeux bleus dans ceux d'Iwona, essayant une dernière fois de la faire revenir. Pour cela, il pose les mains de la jeune femme sur son visage, celle-ci nettement plus intéressée. Il fait glisser la paume de ses mains sur les bras de la jeune femme, tandis que cette dernière caresse avec délicatesse les joues roses du brun.

Ils ne se quittent pas une seconde des yeux. Plongée dans le regard d'Adam, la blonde se concentre enfin sur le visage de son partenaire, ses traits du visage, ses iris bleus, de sa peau sur la sienne.

― Vas-y, allez, ressens mes émotions... lui permet-il.

Ayant la permission, la jeune femme suit son ordre. Son corps se détache peu à peu de son contrôle sur tous les mouvements de la Qadarienne, lui permettant d'utiliser ses capacités. Elle eu un léger frisson lorsqu'ils se déclenchent enfin - au grand bonheur d'Adam. Ce sentiment s'accentue lorsqu'elle ressent la forte inquiétude de son ami, son tourment, sa crainte, mais tout cela en une fraction de seconde.

Elle retrouve ses esprits en même temps, avec un déchirement au crâne tout en reprenant totale contrôle de son corps. Celui-ci bascule en avant mais Adam l'aide à reprendre l'équilibre avant qu'elle ne chute. Iwona réouvre les yeux, découvrant ce qu'il se passe et où est-ce qu'elle se trouve, amnésique par rapport à ce qu'il vient de se passer.

Les mains toujours posées sur les joues d'Adam, elle les retire brusquement, gênée. Elle s'écarte aussi d'un pas en arrière, se trouvant bien trop proche de lui. D'ailleurs, pourquoi est-elle si collée à lui ? Comment se sont-ils retrouvés ici ? N'ayant aucune réponse, Iwona est dans l'obligation de se rapprocher une nouvelle fois de lui afin de lui parler dans l'oreille, la musique étant trop forte pour se faire entendre.

― Qu'est-ce qu'il s'est passé ? le questionne-t-elle.

― La même chose qu'à eux.

Ils regardent autour d'eux et découvrent tout le monde dans le même état qu'eux auparavant. Ivres de bonheur, envoûtés par cet alcool qui leur fait perdre la notion du temps et de contrôle de soi.

Il ne faut pas plus longtemps à Iwona pour comprendre que cela provient de la boisson. Mais comment ce club a réussi pour que leur cocktail fasse ce si grand effet ? Grand mystère pour elle. Même les alcools les plus forts de la galaxie ne mettent pas les personnes dans cet état d'esprit si rapidement. De la drogue peut-être ? Sincèrement, elle ne préfère pas savoir.

― Oh non... murmure Iwona en regardant les danseurs, tous inconscients de ce qui leur arrive et de ce qu'ils font.

― On doit retrouver Théo, et vite !

Adam pense d'abord qu'il a rejoint Krystal et Mia quelque part hors de ce club, puis a songé au pire en croyant qu'il s'est fait arrêté, ou pire encore. Malheureusement pour lui, il a tout faux. Théo les a simplement abandonnés, n'ayant pas cherché à les sortir de cet état second, bien trop absorbé par leur travail.

Le jeune homme à lunettes appelle ses coéquipiers lorsque ceux-ci avalent leur cocktail. Pour lui, boire en service, c'est un refus catégorique. Il aurait d'ailleurs pensé de même d'Adam. Monsieur je-suis-le-règlement-à-la-lettre qui contourne celui-ci ? Histoire du siècle. Il lui rappellera ceci lorsqu'il sera sobre, car en ce moment, il s'adonne aussi au slow. Jamais Théo n'aurait imaginé le brun danser d'une telle manière. Sans gêne, Adam prend la main d'Iwona dans la sienne et la fait tournoyer, cette dernière aussi ravie avec le sourire qui se dessine sur ses lèvres.

― Adam ? Iwona ? s'exclame Théo.

Trop tard. Les deux amis s'élancent sur la piste de danse et font à présent parti de toutes ces personnes alcoolisées qui n'ont aucun contrôle sur ce qu'ils font.

Évidemment, Théo a tout de même cherché à les faire revenir à eux – étant le premier à avoir peur de se retrouver seul à Roegan, il a couru les rejoindre. Cependant, tous les danseurs le poussent dans tous les sens. Il perd l'équilibre, comme si lui aussi était alcoolisé, mais il se rattrape au comptoir du bar avant de finir piétiné par la foule.

Poussant un gros soupir, la sobriété du jeune homme est remarquée par le barman. Aussitôt, ce dernier pose un cocktail sur le bar vers Théo avec l'idée qu'il l'avale sans problème. Malheureusement pour lui, Théo n'est pas dupe et regarde d'un mauvais oeil le serveur qui ne s'occupe déjà plus de lui, allant vers d'autres touristes moins perspicaces qui boivent sans broncher le breuvage gratuit. Quelques secondes plus tard, ils finissent dans le même état qu'Adam et Iwona. Le regard baissé vers son verre, Théo ne le touche pas mais approche son nez de celui-ci. Une odeur amer s'y émane, mais, paradoxalement, très douce par la même occasion. Le garçon ne peut s'empêcher de grimacer, retirant vite son nez d'au-dessus le verre.

― Foutu cocktail... Merci les gars, maintenant je suis seul, murmure-t-il en jetant un coup d'œil vers ses amis éloignés.

Sans perdre une seconde de plus, il se fraye un chemin hors de la foule en longeant le bar bien plus long qu'il ne le pensait. Pour vendre leurs boissons et faire en sorte que les visiteurs restent dans ce club, ils savent y mettre les moyens, songe Théo. Pas une personne saine d'esprit autour de lui, même les employés ont l'air être dans un autre univers, mais ce sont ceux qui semblent être les plus conscients. Les danseurs du club, principalement des filles avec leur tatouage fluorescent sur le front, répètent des gestes presque robotiques, manipulées par le gérant de ce club. Théo les regarde avec tristesse, une pointe d'amertume dans le cœur envers ceux qui leur font subir ça.

La musique est aussi enivrante que l'alcool, mais à une dose bien plus infime. Elle est trop forte pour avoir les idées claires, même pour Théo. Elles l'empêchent de réfléchir correctement, les notes de musique résonnent dans sa tête à la place de la conception d'un plan pour trouver ce pour quoi il est ici. S'éloignant peu à peu de la foule, il trouve un coin plus calme vers le fond du club où sont disposées des tables pour les personnes qui préfèrent boire que danser, ou profiter simplement des filles.

Le jeune homme suit le point rouge sur sa tablette qui est de plus en plus prêt. Le signal est fort, il est tout proche du but, mais où est-il exactement ? Les yeux posés sur l'écran de sa tablette, il lève un peu sa tête pour regarder autour de lui. Guidé par le signal, il avance dans les différents coins du club accessibles au public, mais sans vraiment savoir où il va et ce qu'il cherche précisément.

Soudain, le signal s'éteint. Plus de point rouge. Plus de destination. Le premier reflexe du brun est de taper légèrement sa tablette pour la remettre en marche avant de comprendre. C'était ici... pense Théo en levant sa tête pour passer au crible la salle où il se trouve. Un endroit plus calme, étendu sur plusieurs mètres pour accueillir les groupes autour de grandes tables. La musique est toujours présente mais moins forte que dans la boîte de nuit. Pour pirater les serveurs de Jocaste en tranquillité mais parmi la foule pour ne pas être repéré, c'est l'endroit idéal. En tant que hacker, Théo aurait fait ce même choix.

Il range alors sa tablette dans son sac à dos qui ne lui servira plus pour le moment. Il a trouvé d'où la source venait, il ne reste plus qu'à rechercher des indices et espérer qu'un témoin ait remarqué quelque chose de suspect. Fier de sa découverte sans avoir été aidé par ses coéquipiers, il reprend son sérieux et déambule dans la longue salle. Des danseuses font leur show autour de barres verticales tous les vingt mètres, attirant l'attention d'une dizaines d'hommes autour d'elles qui sont à la limite de se battre pour être le plus proche. Deux ou trois petits groupes discutent autour d'un verre, d'autres déambulent comme Théo, pour s'installer dans un coin tranquille.

Le Jocastien s'arrête de marcher en remarquant un homme de dos, placé devant une vitre. Une grosse carrure et des muscles en plomb. Une épaisse peau distinguable par la lumière qui brille moins dessus. Une mallette en mains assez grande pour contenir un ordinateur. Bingo. Un Menov.

Néanmoins, le Menov a aussi remarqué Théo par son reflet dans la vitre. Un homme derrière lui qui s'est arrêté pour le fixer, qui était en train de marcher sans but apparent avec une tablette la Tour, sans compter son physique typique d'un parfait Jocastien. Ça ne sent pas bon.

Il ne prend même pas le temps de se retourner pour être sûr de sa déduction qu'il porte ses jambes à son cou. En deux secondes, il s'est engouffré dans une pièce adjacente, là où la foule est plus dense. Comprenant son erreur d'être resté immobile à le fixer, Théo grommelle et se met à courir après lui.

― Non ! Stop ! Arrête-toi ! s'exclame-t-il, ne sachant que dire pour paraître crédible.

Dans les films, une course poursuite a l'air si simple : il suffit de courir après le poursuivant et de surmonter les obstacles entre eux. Mais on ne parle pas de l'endurance, et l'endurance de Théo est bien faible. Le Menov avance de dix mètres et derrière lui, Théo en fait la moitié moins. Et avec le nombre incalculable de personnes sur leur chemin, il est difficile d'avancer, autant pour Théo que pour le Menov. La musique ajoutée à cela, leur concentration est mise à rude épreuve.

Théo maudit alors Adam de ne pas être à ses côtés car ce dernier aurait déjà rattrapé leur homme. Sa musculature montre déjà comment Adam se débrouille en sport – pour l'endurance ce doit être la même chose. À côté de lui, Théo apparaît comme un gringalet, essoufflé après quelques efforts. Ce n'est pas de sa faute s'il met toute sa force dans son travail intellectuel aussi.

Il pousse les danseurs sur son chemin qui ne remarquent rien. Ils poursuivent leur amusement, sans se soucier de Théo ou du Menov qui courent à travers le club, cherchant à s'enfuir ou à rattraper l'autre. Bien que toute cette foule l'énerve au plus haut point, elle arrive à devenir un avantage pour lui. Sous le regard essoufflé du brun, l'homme est bousculé par des danseurs très actifs dont il n'a pas prévu les gestes vifs. Perdant l'équilibre sur le côté, Théo profite de cette aide inattendue pour le rattraper enfin et le pousser vers le mur le plus proche avec l'énergie qu'il lui reste. Déconcentré, le Menov se retrouve plaqué contre le mur, bloqué par le Jocastien.

― Où sont les dossiers ? Pourquoi vous les avez piratés ? Qu'est-ce qu'ils contiennent ? l'interroge Théo.

Attendant des réponses, le jeune homme ne voit pas le coup partir. Le Menov, deux fois plus imposant que lui, arrive à se défaire de sa prise en le poussant en arrière, avec une telle violence que Théo se cogne la tête par terre. Ses lunettes glissent de son nez et, avec chance, ne se retrouvent pas écrasées par les danseurs inintéressés. La vue floue pendant quelques instants, il aperçoit la silhouette de l'homme s'enfuir du club avant qu'il ne reprenne entièrement conscience. Son énergie s'est évaporée, il ne trouve pas le courage de se relever après cette défaite et erreur de sa part.

Il se relève en reprenant ses lunettes et les met sur son nez, son suspect enfuit, ses indices envolés. Ils ne trouveront sûrement plus rien ici, à part des témoins mais parmi toutes ces personnes qui ont perdu l'esprit, c'est mission impossible. Mais peut-être le gérant et ses employés ? Se sont les seules personnes qui ont conscience et qui savent tout ce qu'il se passe ici. Certes, Théo est contre l'idée d'aller voir ces criminels mais il ne trouve aucun autre moyen. Des caméras de sécurité, des témoignages, tout ça va se trouver chez ces hommes. Sans, ils n'ont aucune piste.

Avant que la peur ne prenne sur sa détermination, Théo suit les indications des locaux privés. Aller chercher de l'aide auprès de criminels, jamais il n'aura eu une idée aussi stupide, pense-t-il. Le pire ? Annoncer ce qu'il aura fait à Adam et Iwona. Là, il sera certain que le bon sens d'Adam refera surface et que cela lui apportera des ennuis. Peut-être pourra-t-il compter sur Iwona ? Il en doute, la future reine supportera son ami.

En les retrouvant, Théo a la grande surprise de voir ses coéquipiers sobres – enfin, presque. Le jeune homme aide la blonde à se frayer un chemin hors de la foule, un bras autour de ses épaules pour la stabiliser. Lorsqu'il aperçoit son coéquipier, une expression de soulagement remplace le tourment sur son visage.

― Théo !

Ne se souciant des personnes sur son chemin, Théo les pousse pour rejoindre ses amis, plus qu'heureux. Lui aussi ressent du soulagement en les voyant revenus à eux-même. Sincèrement, il n'aurait pas su comment les tirer de leur extase s'ils avaient continué à boire.

― Putain, ça fait près de deux heures que vous êtes comme ça ! s'exclame le brun à lunettes.

Adam arrête son regard sur son ami. Deux heures ? s'étonne-t-il. La notion du temps paraît infime comparé à la réalité. Dans sa tête, il aurait parié qu'il était resté dans cet état pendant, tout au plus dix minutes – et heureusement qu'il n'a bu qu'une petite partie d'alcool où il n'aurait pas retrouvé ses esprits avant une bonne dizaine d'heures.

― Quoi ? Mais il fallait nous venir en aide !

Le jeune homme continue de retenir Iwona par les épaules. Cette dernière ne semble pas suivre leur conversation, elle entoure son ventre de ses bras, penchée en avant et prête à tomber si le Jocastien la lâche. Elle gémit doucement, le visage encore plus pâle que d'ordinaire.

― Je ne me sens pas bien...

― Oui, ça c'est normal avec tout ce que tu as bu ! lui reproche Théo.

Iwona lève d'un coup son index vers lui, coupant le jeune homme qui allait répondre à Adam. Tout à coup, elle se force à se tourner pour ne pas vomir sur ses amis, bien que l'espace n'y soit pas favorable. Rejetant toute la boisson, elle se sent d'une part libérée mais son mal de crâne continue à l'oppresser.

Tandis que Théo exprime un visage de dégoût, Adam retient la blonde par le bras et pose sa main sur son dos pour la soulager. Sa colère se calme peu à peu, il est préoccupé par l'état d'Iwona, et oublie même son agacement envers le choix de Théo de ne pas les avoir aidé. Les deux garçons aident leur amie à s'asseoir un peu plus loin pour qu'elle puisse se remettre à son rythme et qu'ils poursuivent leur conversation.

― Enfin, il ne nous reste plus qu'une heure avant de retrouver les filles au vaisseau, affirme Adam. Tu as eu des nouvelles de leur part ?

― Pas de réponse à mes messages. C'est que ça doit bien se dérouler ? grimace Théo.

― Espérons le.

Les deux jeunes hommes connaissent bien les risques de ne pas avoir de nouvelles de Krystal et Mia. Ils ne peuvent pas s'empêcher de craindre le pire, mais actuellement ils ont plus important à régler que ce qu'il se passe autour d'elles. S'il y avait vraiment eu quelque chose de grave, elles nous auraient contacté, espère Adam.

― Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?

― Un Menov. Enfui. Je n'ai rien eu de plus avec lui, mais je sais où trouver des pistes.

― Où ça ?

Théo désigne d'un geste de la tête la porte des quartiers privés du club, protégé par un homme de main du gérant du club.

― Colton Mihra. Il est assez... intouchable. J'ai contacté ses sbires, mais pas le temps d'attendre. On va le voir.

Prononcer le nom du gérant du club à haute voix donne des frissons à Théo. Il ne sait pas à quoi ressemble cet homme, il a simplement entendu beaucoup de choses sur lui. Né sur Roegan, il a poursuit l'oeuvre de son père qui a créé ce club durant la guerre intergalactique et, à présent, il s'agit de l'établissement le plus renommé sur cette planète - et même dans la galaxie -, pas seulement parce que les touristes sont certains de s'amuser dans cet endroit, qu'il regroupe une multitude d'ethnicités, qu'il possède un grand nombre d'esclaves et d'employés, mais aussi puisqu'il est le repère adoré des gangsters. Pour créer un tel lieu, son gérant doit savoir s'affirmer et prouver sa puissance...

Théo avait imaginé la réaction d'Adam, et, en effet, il ne s'était pas trompé. Adam s'énerve tout de suite et hausse le ton pour lui répondre.

― Tu cherches à te faire tuer ? s'écrie-t-il. C'est le genre de type avec qui il ne faut surtout pas entrer en contact !

L'homme de main protégeant l'entrée des quartiers sécurisés tourne la tête vers le petit groupe, attiré par les fortes voix. Aussitôt, Théo pousse Adam derrière des danseurs et lui fait signe de baisser le ton pour ne pas que l'agent s'aperçoit qu'ils sont les seuls à ne pas avoir bu.

― On a déjà perdu assez de temps comme ça à cause de vous, c'est notre seule chance de trouver quelque chose !

Adam tourne la tête vers Iwona pour chercher un peu de soutien mais celle-ci se tient toujours le ventre, le regard dans le vide. Son visage toujours aussi pâle trahit sa douleur qu'elle tente de contenir. C'est à ce moment qu'elle regrette d'avoir bu, et surtout d'avoir incité Adam à la suivre dans cette bêtise. N'ayant même pas la force de se lever, elle a encore moins l'envie de s'occuper de ces problèmes.

Souhaitant avoir recours à cette option en dernier recours, Adam est quand même prêt à écouter ce que propose son collègue.

― C'est quoi ton plan ?

― Il n'y a pas de plan. On y va, c'est tout.

Le fort soupir d'Adam est presque audible parmi la musique toujours aussi intense. À présent habitués, ils n'y prêtent presque plus attention - à part Iwona qui sent avoir de plus en plus mal à cause des basses qui tambourinent son crâne. Le jeune homme tourne la tête. Les mains sur les hanches, il recherche une autre idée mais rien ne lui vient.

― Tu as peut-être autre chose à proposer ? questionne Théo.

― S'il vous plaît, les garçons... souffle Iwona tandis qu'elle se redresse sur sa chaise. Peu importe le plan, faisons le et partons...

Adam soupire une nouvelle fois, lui qui avait espéré que la jeune femme le suive pour éviter cette rencontre, mais il ne peut pas lui en vouloir, il voit bien sur son visage que sa seule envie est de sortir d'ici et d'aller se reposer, ce qui n'est pas possible afin d'éviter de perdre plus de temps. Il s'agit de leur unique chance de trouver une information intéressante. Dans un tel endroit, cela leur prendrait trop de temps de vérifier qu'il n'y ait rien de suspect, surtout qu'ils ne peuvent pas interroger les visiteurs à cause de la boisson. Et puis techniquement, rien ne nous interdit d'aller voir le gérant, bien qu'il soit un criminel. C'est un témoin avant tout, se rassure Adam.

Les deux garçons se rapprochent de la jeune femme et l'aident à se relever. Elle prend quelques secondes à trouver son équilibre, le fait de s'être assise lui a fait un grand bien. Les paupières à moitié fermées à cause des lumières éblouissantes, elle suit ses coéquipiers vers la porte de service, une main posée sur l'épaule d'Adam pour éviter de le perdre dans la foule. Les deux Jocastiens mènent la marche, puis s'arrêtent quelques mètres plus loin devant l'agent de service. Adam est alors le premier à s'adresser à lui, avec une intimidation qu'il tente de cacher derrière un visage sans expressions.

― On a besoin de voir Colton Mihra pour une affaire urgente.

― Nous l'avons contacté tout à l'heure pour une rencontre, ajoute Théo qui espère que sa précision poussera l'homme à accepter.

― Il ne prend pas de rendez-vous. Dégagez.

Sa réponse agressive fait sortir Iwona de ses pensées. Mais de quel droit ose-t-il nous répondre sur ce ton ? s'énerve-t-elle. La jeune femme dévisage l'agent qui ne prête pas attention à eux, il les pousse même sur le côté pour les décourager. Agacée par ce comportement impoli dont elle n'a pas l'habitude - et accentué par son impatience -, elle rassemble ses forces pour s'avancer vers l'homme sans l'aide de ses amis. Cependant, Adam se place devant elle pour l'empêcher d'y aller, afin d'éviter à tout prix un scandale qui supprimerait toutes leurs chances de trouver un indice pour leur mission, voire pire.

Le brun se positionne à nouveau devant l'agent. Il glisse sa main dans la poche intérieure de sa veste, mais ce geste pourtant anodin inquiète l'agent qui pose instantanément sa main sur son arme accroché à sa ceinture. Adam s'immobilise, faisant signe qu'il n'a pas d'arme, et retire de sa poche son badge de la Tour en prenant soin de ne pas être brusque. Il tend ensuite son badge vers l'agent, qui inspecte les inscriptions.

― Soit vous nous laissez entrer, soit j'appelle des renforts pour fouiller cet endroit.

Le rire de l'agent agace Adam, très sérieux, car il ne croit pas que la Tour viendrait ici pour causer des soucis, ça fait des années qu'elle ne fait rien car elle craint les possibles répercussions. Si Jocaste se met en travers de la route de Colton Mihra, les autres clubs de Roegan viendront y placer leur grain de sel en, soit apportant leur soutien à Mihra pour éviter tout conflit avec eux, soit aidant la station spatiale à faire tomber Mihra pour prendre ensuite sa place comme leader de la ville. En un rien de temps, la Planète Refuge deviendra l'hôte d'une guerre civile.

À la plus grande surprise du Jocastien, l'homme se retourne et part chercher un de ses collègues avec qui il parle durant de longues secondes. Au terme de cette discussion, l'homme ouvre la porte et se décale pour laisser passer les trois agents de la Tour, à la plus grande surprise d'Adam qui ne pensait pas que sa technique allait marcher. Ici, les menaces de la Tour ne peuvent pas être prises au sérieux, mais ils préfèrent tout de même éviter le moindre problème avec eux. Ils sont donc guidés dans les quartiers privés du club, entouré des deux employés pour plus de sécurité. Des agents de la Tour, certes, mais n'ont pas confiance en eux.

Après avoir traversé des couloirs quelques peu étroits et éclairés d'une lumière rouge, ils s'arrêtent devant une grande porte sur laquelle le premier homme toque. Au signal de la personne à l'intérieur, il entre et vient directement chuchoter quelques paroles à l'oreille de l'homme qui semble être le patron. Colton Mihra, un homme à la taille moyenne, non très musclé, mais qui n'inspire pas confiance aux trois amis. Ses cheveux bruns sont soigneusement coiffés et Adam serait prêt à parier qu'il se les fait couper presque tous les jours pour qu'ils soient parfaits. Quelques tatouages recouvrent sa peau mâte - tout comme ses employés -, dont un visible sur son cou représentant le symbole de son club.

Sa richesse se traduit autant par le luxe de ses vêtements que par la décoration de la pièce. Son costume trois pièces est ajusté à sa taille, ses chaussures cirées brillent. Les meubles proviennent de grandes maisons de luxe, quelques oeuvres d'arts sont placés d'une certaine façon pour être mis en valeur. Néanmoins, la première chose que Iwona remarque sur sa tenue est sa montre légèrement dissimulée sous sa manche. Celle-ci est constituée de pierres précieuses seulement trouvables sur Qadar.

À leur entrée, Colton est assit sur un canapé formant un demi-cercle devant lequel une danseuse s'exhibe. Il pose son verre de whisky sur la table puis fait signe à la jeune fille de sortir, elle qui n'a rien à entendre de ses affaires professionnelles.

― Des agents de la Tour ! s'exclame-t-il. Si je m'attendais à en voir ici...

La jeune danseuse recouvre sa peau presque dénudée d'un fin gilet noir. Elle passe à côté des agents de la Tour pour sortir de la pièce, baissant la tête comme on lui a apprit à le faire face aux invités de Colton. Cependant, Iwona remarque tout de même son tatouage fluorescent au front qui lui brise à nouveau le cœur. Discrètement, la jeune fille lève la tête pour observer Iwona en passant à côté d'elle, le regard admiratif. Une femme libre. Qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour l'être. Au même moment, la blonde tend légèrement son bras vers la danseuse pour frôler sa peau. Elle ressent de la honte, de la tristesse, un profond mal-être. La voir s'en aller rend encore plus triste Iwona, elle qui ne peut pas s'imaginer ce que peut être la vie ainsi.

Adam, plus préoccupé par leur mission, s'avance dans la pièce pour répondre à Colton.

― Je suis Adam Parrish. Voici Théo Mayguen et Iwona De Qadar, les présente-il. Nous avons besoin d'informations à propos de vos clients.

― Pas avant que vous ayez déposé vos armes.

Adam se fige pendant un instant. Il baisse la tête sur son arme accrochée à sa taille, pourtant bien dissimulée sous sa veste. Il aurait espéré qu'elle soit mieux cachée, il n'avait pas confiance pour la laisser à l'entrée du club comme il est demandé aux visiteurs, et cela par précaution. Hésitant, le jeune homme ne bouge pas. Donner mon arme de service ? En aucun cas ! songe-t-il. Cependant, Colton Mihra fait signe de le lui donner plus rapidement - il perd déjà assez de temps pour les recevoir, il ne va pas chercher à être patient avec eux. Forcé par un des employés, Adam finit par retirer son pistolet et le déposer dans la boîte réservée aux affaires personnelles et potentiellement dangereuses.

Pendant ce temps, deux autres employés viennent aussi fouiller Théo et Iwona. Le premier ne cherche pas à avoir l'autorisation du Jocastien pour tirer son sac et regarder ce qu'il cache. Sa brutalité énerve Théo qui se retient de faire une remarque déplacée, il attend sagement de récupérer son matériel. Le second employé cherche, lui, à fouiller au corps Iwona, mais cette dernière ne se laisse encore moins faire que ses coéquipiers et recule d'un pas, lui faisant signe de ne pas la toucher.

Perdant encore plus patience, Colton hausse le ton.

― Mademoiselle, vous n'êtes pas sur Qadar. Ici se sont mes règles, veuillez coopérer.

Ayant encore moins de patience à cause de sa fatigue, Iwona lève sa main devant l'employé pour le dissuader, restant sur ses positions. Ce n'est qu'avec les regards sérieux de ses deux amis qu'elle comprend qu'ils n'auront rien si elle n'est pas fouillée, et il ne faut pas risquer de contrarier Colton Mihra. Avec un soupir, elle baisse son bras et l'employé vient la fouiller, sous les yeux attentifs de ses amis qui vérifient qu'il n'a pas de gestes déplacés. Sur Roegan, et encore plus dans ce club, les hommes n'ont aucun respect envers les femmes, mais heureusement celui-ci semble être l'exception à la règle.

L'employé lui montre qu'il n'a pas rien trouvé comme arme, Colton fait donc signe aux trois agents de la Tour de venir s'asseoir sur le canapé avec lui pour plus de confort. Ils s'exécutent, le cœur battant à mille allure, la peur au ventre.

― À présent, je suis tout ouïe.

Adam se racle la gorge avant de commencer ses explications. Sans s'en rendre compte, il se pince le nez - sa manie lorsqu'il est mal à l'aise. Son appréhension est d'autant plus perceptible par ses gestes qui se veulent assurés mais qui sont trahis par le léger tremblement de sa voix. Iwona lui reprocherait que cela se voit trop, ses ondes négatives viennent jusqu'à elle sans même qu'elle n'ait à le toucher, et même Théo qui n'a pas ce pouvoir d'empathie remarque sa crainte - lui-même est autant atteint par ce terrifiant sentiment d'insécurité.

― Un Menov est venu dans votre club récemment. Il est suspecté d'avoir volé des informations de la Tour. Nous souhaitons avoir accès à vos données ou obtenir des témoignages sur lui.

― Ces informations sont privées, répond sèchement Colton.

La confiance d'Adam revient peu à peu grâce à la grande inspiration qu'il prend. Il ne se laisse pas déconcerté par sa réponse, et surtout le regard noir que le patron du club lui lance. Vous êtes venus pour ça ? Ne me faites pas perdre encore plus mon temps et dégagez de mon club, pense ce dernier.

Adam garde la tête haute, l'air de lui tenir tête. Il reprend doucement confiance, son job reprend le dessus sur sa crainte, au contraire de Théo qui n'ose pas parler ou Iwona qui n'a pas la force de l'aider.

― Écoutez, commence Adam, nous sommes venus pacifiquement. Si vous souhaitez qu'on passe à la manière forte, nous allons le faire, mais nous avons sincèrement besoin d'en savoir plus sur ce Menov.

Soudainement plus intéressé par ces propos qui ressemblent à des menaces, le patron du club se redresse. Il fixe le jeune soldat de Jocaste, les yeux noirs.

― Ici vous êtes sur Roegan, mais j'ai bien peur que vous ne vous en rendez pas compte. Je peux très bien passer à la manière forte aussi, et je crois - non, je suis convaincu - que vous ne pourriez rien faire contre moi.

L'air hautain, Colton reprend son verre de whisky qu'il termine d'une traite. Il ne prête même plus attention à ses invités, il est bien plus intéressé par comment il va terminer sa journée, en calculant les bénéfices qu'il a fait en ce jour ou plus tranquillement, avec une tournée au bar ? La mission de ces trois jeunes agents lui importe peu, voire pas du tout. Tout ce qui peu lui attirer l'attention dans la vie est l'argent, son club, ou des filles qu'il peut s'approprier pour ses affaires professionnelles. Même sa propre fille passe après son travail - elle-même fait partie de ses propriétés humaines en tant que danseuse.

Il finit par poser son verre vide sur la table, une idée en tête. Autant tirer le maximum de profits avec ces agents, qu'ils ne me fassent pas perdre mon temps pour rien.

― Si vous souhaitez en savoir plus, il faut faire un geste. Un simple échange en contrepartie.

Ne pouvant discuter en privé de leurs choix, Adam regarde à tour de rôle ses coéquipiers pour savoir s'il est judicieux ou non de faire affaire avec lui. Théo grimace, n'ayant pas confiance en cet homme mais montrant bien qu'ils ne peuvent pas faire autrement, tandis que Iwona hausse les épaules, son mal de crâne encore trop présent pour réussir à se concentrer entièrement sur leur tâche.

― Vous voulez quoi ? soupire Adam.

― Vous êtes de la Tour, non ? Vous devez avoir de bonnes ressources...

― Nous ne sommes pas autorisés à les diffuser...

― Dans ce cas, je ne serais pas dans la capacité de conclure une affaire.

Adam lève les yeux au ciel. Il fallait s'en douter, on ne peut rien en retirer de cet homme. Il jette un nouveau coup d'œil vers Théo, ce dernier comprend comme lui qu'ils ont perdu leur temps en venant ici. Pourtant, Théo était persuadé qu'ils auraient pu obtenir une aide, si seulement Colton Mihra n'était pas aussi égoïste... Au moins, ils auraient tenté le coup.

Ils se lèvent donc dans l'optique de s'en aller au plus vite. Cependant, au dernier moment, Iwona se redresse et rattrape ses amis par le bras pour les retenir.

― Attendez ! Adam, Théo, restez...

Ils s'arrêtent tout à coup et se retournent vers leur amie, surpris de sa réactivité, elle qui a de petits yeux et qui lutte pour ne pas tomber dans les pommes. Elle se rassied tout de même dès qu'ils s'arrêtent, la tête qui tourne à cause de la rapidité à laquelle elle s'est levée. Songeuse, elle se dit qu'ils ne peuvent pas s'en aller comme ça, sans même chercher à établir une offre. Certes, ils doivent se dépêcher mais ils iraient encore plus vite avec Colton, peu importe le prix.

Le prix... C'est avec le coeur brisé qu'elle décroche son précieux collier, le seul objet qui la rapporte maintenant à sa planète. Il s'agit aussi de l'objet qui vaut le plus parmi toutes les affaires qu'ils possèdent – sans compter le matériel de Théo dont ils sont dans l'incapacité de donner. Le bijou paraît si normal, mais ni Adam ni Théo ne connaît sa réelle valeur. Elle dépose donc délicatement sur la table le médaillon face à Colton.

― Prenez le. C'est notre unique offre.

Gagné. L'attention de Colton est entièrement porté sur le médaillon.

L'homme d'affaires se penche vers le collier, n'osant pas en premier lieu de le toucher, comme si c'était l'objet le plus précieux qu'il n'a jamais vu. Les yeux grands ouverts, il prend du bout des doigts la chaîne et la soulève afin de contempler le bijou et ses inscriptions.

― Impressionnant... un médaillon de Qadar, souffle-t-il, admiratif. Avec le Soleil, n'est-ce pas ?

Iwona ne quitte pas ses yeux de Colton qui pose le médaillon sur la paume de sa main. Elle ne remarque même pas Adam et Théo qui la fixent, aucun des deux ne s'attendait à ce qu'elle lui offre son collier, eux qui la voient souvent le toucher comme si ce bijou anodin la réconfortait. Les garçons s'échangent ensuite un regard, tous les deux attristés qu'elle a décidé de s'en séparer pour le bien de leur mission.

Leur cadeau fait effet auprès de Colton qui demande à ses hommes d'amener une boîte pour mettre le bijou à l'intérieur. Aussitôt, il se tourne vers les agents de la Tour, prêt à accomplir leur marché.

― Très bien... Votre homme est bien venu demander mes services avec trois autres Menovs. Ils voulaient avoir accès à une ancienne technologie qui date de la guerre et dont j'ai fais l'acquisition. Ils ont récupérés le dossier piraté mais ma technologie n'a pas été assez puissante pour savoir ce qu'il contient, malgré le pur bijou que c'est, parfait pour s'attaquer à la Tour.

― Oui, enfin ils ne nous ont juste retardé de quelques heures et ils n'ont même pas réussi à les décrypter, ose enfin Théo à exprimer.

― En attendant, même la Tour n'aurait pas pu avoir accès à ces archives car ils étaient cachés dans vos serveurs. Pour en avoir connaissance, votre homme a fait du bon boulot...

Théo ne répond rien. Il se sent déjà avoir été assez courageux pour s'adresser une fois à lui. Se connaissant, il craint être trop honnête et dire quelque chose qui ne passe pas auprès de Colton.

― Des noms ? l'interroge Iwona.

― Je n'ai pas cherché à le savoir. Ce que je peux vous dire, c'est qu'ils sont très dévoués à leur nouveau roi.

― Quel a été son service en échange ? s'informe Adam.

Colton ne retient pas son rire. Pendant que Théo fronce les sourcils, croyant qu'il se moque d'eux, Adam attend patiemment une réponse.

― J'ai eu le droit à une copie de ces informations, répond calmement Colton.

La colère s'empare d'Adam qui serre le point sous la table. Comme si avec les Menovs qui ont récupéré le dossier, ce n'était pas assez, il faut que l'homme le plus dangereux de Roegan les possède à son tour. Il se retient d'hausser le ton, consterné par le service qu'il a demandé.

Remarquant le changement d'attitude de son ami, Théo prend la suite de la conversation. Bien qu'aussi agacé par cet aveu, il réussit à plus garder son calme, sûrement aidé par la crainte de le contrarier.

― Vous les avez toujours ?

― C'est le principe d'une copie.

― Pourquoi donc ? Vous savez que vous pouvez être arrêté pour être en possession de documents privés, nous pouvons le faire sur le champ ! s'énerve Adam.

Colton dévisage le Jocastien, n'appréçiant pas le ton qu'il utilise pour lui parler. Il prend alors sur lui et puise dans le peu de patience qui lui reste pour répondre posément - bien que l'envie de le jeter hors de son club ne lui manque pas.

― Ces documents sont un sacré avantage. Connaître les secrets de Jocaste, ça n'a pas de prix. Mais ne vous emballez pas, agent Parrish, mes hommes n'ont pas réussi à découvrir ce qu'ils regorgent, nous en avons pas les moyens. Et puis, il n'y a aucune loi ici, j'ai tous les droits d'en avoir accès.

Adam serre de plus en plus son poing, jusqu'à sentir la douleur de ses ongles - pourtant courts - sur sa peau. Il ne peut le contredire, et c'est cela qui le rend furieux.

Techniquement, Colton a raison sur ce point. Aucune loi ne gère Roegan, au contraire de toutes les planètes de la galaxie. S'il était sur Jocaste, là il serait jugé comme coupable d'avoir aidé au piratage de la Tour et d'être en possession de ces documents. Cependant, si la Tour cherche à le condamner alors qu'il se trouve sur Roegan, les lois de la station spatiale n'ont pas le même poids. Dans ce cas, sa condamnation sera perçue comme une menace, et pas seulement pour Colton, mais pour tout Roegan car ils chercheraient à faire valoir des règles qui n'existent pas pour eux. La justice n'existe pas en ce lieu.

― Menov est en train de changer, prévient Théo. Vous ne savez pas de quoi ils sont capables, vous ne devriez pas avoir confiance en eux et marchander avec ces types...

― Je sais très bien avec qui je fais affaire, voyez vous. Tant qu'ils ne me volent pas, c'est tout bon pour mon business.

Colton se lève sans attendre la moindre réponse de ses invités, mettant fin à leur conversation. Il se dirige vers ses hommes afin de leur donner de nouvelles consignes, puis se tourne vers ses invités.

― Je vous offre une chambre pour cette nuit, mais seulement pour cette nuit. Pour la beauté de votre cadeau, je vous dois bien ça...

Les trois agents se lèvent et sortent de la pièce plus vite qu'ils ne sont entrés. Adam récupère son arme et rejoint ses amis qui se dépêchent de s'éloigner dans un endroit plus calme. Leur boule au ventre s'échappe doucement, maintenant que l'altercation avec l'homme le plus dangereux de Roegan est passé.