Chapitre 2 - Meute de chiens
« Quand, du bout de leurs doigts,
Les astres de l'enfer effleurent, brûlant,
Les ailes de soie d'un être papillonnant,
Il ne peut que fouetter son effroi,
Dans l'espoir d'y trouver autre choix. »
Chanyeol s'immobilisa. À la télévision, les images défilaient. Le visage de Baekhyun se décomposait au fur et à mesure.
- Baekhyun...
Chanyeol se leva lentement pour que Baekhyun en fasse de même. Celui-ci passa ses mains sur son visage, puis dans ses cheveux noirs. Il avait perdu toutes couleurs. Livide, il fixait l'écran tandis que Chanyeol était là, debout et incrédule.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, hésitant.
Baekhyun ne détourna pas le regard.
- Ils vont venir me chercher, répéta-t-il.
Chanyeol fronça les sourcils.
- Qui ça, ils ?
- Lui, je le connais, pointa-t-il sur une photo qui passait à la télévision.
Chanyeol s'approcha de lui et prit sa main.
- Baekhyun, je t'en prie, ils ne savent même pas où tu te trouves.
- Ils vont trouver.
Chanyeol ne comprenait pas totalement la situation, il cherchait ses mots.
- Mais ça fait longtemps, pourquoi reviendraient-ils ? Enfin je veux dire... Il n'y a pas de raison, pour l'instant ils fuient la police.
Il s'embrouillait.
- Ils sont plus, parla Baekhyun.
Il avait l'air soudainement calme. Du moins, plus calme que Chanyeol, qui lui, ne comprenait absolument rien.
- Ne te fais pas des idées. Ils...t'ont sûrement oublié. Tu es en sécurité, ici. On est loin de la ville.
Baekhyun secoua la tête en souriant légèrement.
- Non, Chanyeol, ils n'ont pas oublié.
Chanyeol voulut l'enlacer mais Baekhyun se déroba.
- Non ! Ils se souviennent, ils savent tout, ils vont chercher ! Ils vont me trouver, moi et Minseok !
Chanyeol recula.
- Mais pourquoi ?
Baekhyun s'accroupit et cacha son visage dans ses mains. Chanyeol posa une main dans son dos.
- Je suis sûr qu'ils croient que c'est nous qui les avons dénoncés... murmura-t-il. On est les seuls à savoir...
- À savoir quoi, Baekhyun ? Il n'y aucune logique à ce que tu dis. Pourquoi viendraient-ils vous chercher alors que ça fait longtemps maintenant et que de toute façon, ils sont recherchés ?
- Ils sont beaucoup. Tout ce qu'ils recherchent, c'est la vengeance. Ils vont d'abord trouver Minseok, puis moi.
- Baekhyun... soupira Chanyeol.
Il espérait que tout ce que disait Baekhyun était des sottises, mais Baekhyun n'était pas fou, il savait ce qu'il disait.
- J'ai peur, Chanyeol.
- Je sais. Viens par ici.
Chanyeol éteignit la télévision et s'assit dans le canapé. Baekhyun se blottit contre lui.
- Qu'est-ce qu'on va faire ... ?
- Pour l'instant, rien, Baekhyun. On va attendre et faire attention, d'accord ?
Baekhyun acquiesça.
- Je t'aime Chan.
Chanyeol embrassa son crâne.
- Moi aussi.
- Promets-moi d'être toujours là.
Le cœur de Chanyeol se serra à la pensée des choses que ces hommes avaient fait subir à Baekhyun. Il comprenait sa peur. Il sentit sa gorge se nouer.
- Je promets.
Les mains de Baekhyun se crochetèrent à son pull. Il inspira l'odeur de lessive et clôt ses paupières. Il aimait l'odeur de Chanyeol. Il aimait être contre lui, se blottir comme un grand enfant. Chanyeol caressa sa chevelure. Il faisait toujours cela avec tendresse et douceur, comme si ses cheveux eussent été la chose la plus fragile. Comme si, au moindre toucher trop vif, ils eussent pu se briser. En général, il faisait toujours tout avec calme et précaution. C'était ce que Baekhyun aimait tant chez lui. Ce qu'il avait tant besoin.
- Grésil n'est pas rentré... ? demanda-t-il doucement en parlant du chat qu'ils avaient accueilli depuis quelques années.
- Non, je ne crois pas.
- Il va falloir l'appeler. J'y vais.
Baekhyun se leva en hâte et alla vers la porte d'entrée. Il avait toujours peur qu'il lui arrive quelque chose. Sur la porte, il y avait une petite cloche. Il la fit sonner pendant quelques instants. Puis il fit un léger sifflement, comme celui du vent lorsqu'il se faufilait à travers les fentes. C'était les sons qui indiquaient au chat qu'il était attendu. Mais les chats étaient vraiment têtus. Une fois qu'ils avaient une idée en tête, il était difficile de les faire changer d'avis.
Baekhyun laissa son regard se balader dans la pénombre qui recouvrait la rue. Elle était déserte, seuls les quelques lampadaires l'animaient un minimum. Il attendit un peu. Une voiture passa, mais aucun chat en vue. Une brise froide secoua ses cheveux. Il croisa les bras sur le torse. Puis, il soupira et rentra à l'intérieur. Il prit soin de laisser la chatière déverrouillée. L'animal n'aurait qu'à pousser la petite porte avec sa tête pour rentrer.
- Il n'est pas là, dit finalement Baekhyun en revenant au salon.
Chanyeol se leva.
- Demain il sera dans son panier. Allons manger. Comme je suis fatigué, c'est des ramen ce soir.
- Ça me va, sourit Baekhyun.
Chanyeol sourit en retour. Dans la cuisine, c'était toujours Baekhyun qui dressait la table et Chanyeol qui cuisinait. C'était devenu une habitude au fil du temps. Ils allumaient la radio et laissait la musique emplir la salle pendant qu'ils s'occupaient du repas. Chanyeol était légèrement déconcerté par l'attitude de Baekhyun. Il avait l'art de passer d'un air totalement angoissé à un air serein et heureux. Mais il ne fit aucune remarque. Il savait que c'était comme cela qu'il se calmait, qu'il refoulait cette peur. S'il y pensait trop longtemps, il n'en dormirait même pas. Chanyeol était partagé entre l'étonnement et l'admiration.
Une fois la table mise, Baekhyun remplit une gamelle de pâté pour chat avec l'espoir que demain elle serait vide. Alors que l'eau était en train de bouillir dans le chauffe-eau, Chanyeol prépara les bols en y mettant les nouilles, les épices, l'ail et l'huile. Baekhyun était assis sur une chaise et l'observait faire silencieusement. Son regard suivait chacun de ses mouvements.
Chanyeol déposa les bols à leur place puis versa l'eau chaude dessus et les recouvrit d'un couvercle. Il prit également une bouteille de soju et une d'eau. Il servit l'eau à Baekhyun et le soju pour lui. Il n'avait même pas besoin de lui proposer, Baekhyun avait horreur de ça. Il disait que ça empoisonnait les gens. Voilà aussi pourquoi il regardait le verre de Chanyeol d'un mauvais œil.
- Le père de Minseok en buvait. Ça le rendait méchant et il le frappait. Puis ça a été au tour de Minseok d'en boire. Et ça le rendait aussi méchant et il me frappait, tenta-t-il de dissuader Chanyeol.
- Je ne boirai qu'un seul verre, sourit celui-ci.
Baekhyun tira une légère moue puis enleva le couvercle de son plat. Une forte odeur d'épices s'en dégagea. Il aimait cela. Il prit ses baguettes, regarda un court instant Chanyeol puis commença à manger.
.
.
.
La chambre était plongée dans une lumière tamisée. Une couleur chaude et agréable, qui rendait leur peau lisse et dorée. Baekhyun avait déposé sa tête sur le torse nu de Chanyeol et caressait inlassablement le bas de son ventre. Il avait remonté son t-shirt pour pouvoir y toucher la peau. Il avait les yeux entrouverts et sa respiration était calme et lente. Tandis qu'il faisait cela, Chanyeol avait une main sur son épaule tandis que l'autre tenait un livre. Lire l'aidait à mieux dormir et pour Baekhyun, être ainsi à ses côtés lui faisait oublier ses craintes et ses cauchemars.
Baekhyun ouvrit complètement les yeux et jeta un regard sur le visage de Chanyeol. Puis il glissa sa paume légèrement plus bas, passant subtilement au-dessus de son boxer. Chanyeol décrocha aussitôt le regard de son livre et le posa sur le visage de Baekhyun. Il ne dit rien et le regarda simplement alors que Baekhyun continuait ses caresses sensuelles. Ses doigts suivaient lentement la fine ligne de ses muscles, montaient jusqu'au milieu de son torse puis redescendaient calmement jusqu'à l'élastique de son short. Baekhyun sentit la peau frémir sous ses doigts.
- Dis, Chan.
- Hm... ? répondit celui-ci tout en le regardant intensément, les pupilles brûlantes.
Baekhyun ralentit ses caresses, pensif.
- Pourquoi es-tu venu me voir ce soir-là ?
Chanyeol déposa définitivement le livre de côté et mit sa main sur celle en mouvement de Baekhyun. Il croisa leurs doigts. Baekhyun le regardait, l'air interrogatif. Chanyeol s'étira légèrement.
- Je ne sais pas, Baekhyun. Parfois, il y a des choses qui ne s'expliquent tout simplement pas.
Baekhyun baissa brièvement le regard, fixant leur main. Puis, il se redressa doucement, retira le drap de son corps et se mit sur les hanches de Chanyeol, lui faisant face. Leur visage n'était séparé que par quelques centimètres. Leur regard s'enflammait tellement ils étaient proches. Ils sentaient le souffle de chacun se répercuter contre leurs lèvres.
- Moi je sais... murmura Baekhyun avant de clore les paupières et d'embrasser fougueusement Chanyeol.
Celui-ci glissa aussitôt ses mains dans son cou pour approfondir le baiser. Elles montèrent dans sa chevelure de jais et agrippèrent quelques mèches. Lorsqu'ils reprirent leur souffle, l'envie les avait déjà gagnés.
Baekhyun savait pourquoi Chanyeol était venu le voir cette journée d'hiver, alors qu'il venait de descendre d'une voiture. Ce n'était pas par pitié ou parce que Chanyeol avait voulu s'excuser de ne pas avoir réagi lorsqu'il s'était fait tabassé devant ses yeux.
C'était simplement parce qu'il avait eu un grand cœur à offrir.
.
.
.
Cela faisait plusieurs jours que les nouvelles qui avaient secoué Baekhyun n'arrêtaient pas de hanter ses pensées. Chaque fois, lorsque, dans le bruit des verres qui se cognaient, il allait d'une table à une autre, il ne pouvait s'empêcher de scruter chaque visage un à un. Ses pupilles étaient vives. Mei Lin, comme à son habitude, avait remarqué que quelque chose l'occupait. Voilà donc qu'elle était là, dans la cour arrière du restaurant, après l'avoir tiré avec elle, à regarder minutieusement le visage baissé de Baekhyun. Celui-ci était appuyé dos contre le mur et ne cessait de faire tourner son anneau à son doigt.
- Baekhyun, regarde-moi.
Il leva les yeux au ciel et la regarda enfin.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Crache le morceau, ça te torture.
Elle le regardait, les sourcils froncés, sérieuse comme elle ne l'avait jamais été. Baekhyun baissa à nouveau le visage, ne voulant pas lui montrer son expression. Il avait les yeux larmoyants.
- On dirait que tu as un poids énorme sur le cœur. Tu dois en parler. Tu peux m'en parler, tu le sais.
Baekhyun passa une main sur son visage, mordit sa lèvre inférieure et expira douloureusement.
- C'est tellement compliqué, Mei Lin... Tellement... Tu ne sais vraiment pas... c'est-
Il la regarda. Mei Lin avait l'air vraiment inquiète.
- Tu en as parlé avec ta copine ? demanda-t-elle.
Baekhyun fixa son anneau.
- Je- il y a-... des choses qu'elle ne sait pas...
Il secoua la tête.
Mei Lin s'approcha de lui et posa une main réconfortante sur son épaule.
- Ce n'est grave, je t'assure, ça passera, dit finalement Baekhyun en tentant un sourire rassurant.
Mei Lin haussa brièvement un sourcil.
- Comme tu voudras. Mais sache que tu peux tout me dire. Ce n'est pas moi qui vais aller raconter tes secrets au monde entier. Tu peux me faire confiance.
Baekhyun mordit discrètement sa lèvre. Mei Lin lui sourit gentiment avant de se retourner.
- Mei Lin, merci, de t'inquiéter pour moi.
- T'en fais pas, c'est gratuit.
Baekhyun sourit nerveusement avant de poser son regard sur le bout de ses chaussures. Il faisait nuit noire, et ici, il pouvait voir les étoiles. Il leva le regard au ciel. Ses cheveux tournoyèrent au vent. Bestiale et perfide telle qu'elle l'était, finalement, la nuit le suivait partout.
Toujours la première présente pour cacher les défauts qu'il portait sur lui.
.
.
.
Il était essoufflé et le froid martyrisait ses membres. Cela faisait un long moment désormais qu'il marchait d'une rue à l'autre. Rien, il ne trouvait rien ! Cet abruti lui avait sûrement donné une adresse quelconque. Quel con avait-il été pour croire à un fichu gars pareil ! Il aurait pu s'épargné de revoir cette horrible tête et aurait gardé le peu d'argent qu'il détenait. Il jura dans la nuit. L'air s'échappait de ses lèvres en une fumée vaporeuse. Il frappa dans un bouchon en plastique qui traînait au sol. Il était foutu, dans la merde jusqu'au cou ! À peine sorti et voilà qu'il se devait déjà de fuir.
Il passa violemment sa main dans sa chevelure, serra son blouson un peu plus près du corps. Le froid se faufilait dans les moindres endroits. Il était frigorifié. Des heures et des heures chaque jour à chercher cette fichue adresse et toujours rien ne lui indiquait le moindre indice. Il serrait fortement le papier fripé dans son poing. Un vent glacial balaya le paysage et toute sa chevelure par la même occasion. Il cacha son visage dans son écharpe. Ses bottines martelaient le sol. Il renifla. Quand il se dit qu'il aurait pu être au chaud, dans un bon appartement seul devant sa télévision, il avait envie de frapper son crâne contre un mur. Mais les « chiens » étaient à ses trousses, et il n'était pas en sécurité, bêtes acharnées et assoiffées qu'ils étaient. Et il était sûrement parti loin, depuis le temps, avec son libraire. Loin, à l'abri et pourtant si proche et en danger. Il sourit. Mais ce n'était pas le moment pour lui d'en rire. C'était sa seule chance s'il voulait sauver sa peau. Sinon il aurait pu rester devant sa télévision à attendre les « chiens ». Ils l'auraient flairé, aussi proche qu'il était. Il puait la chair vive. Comme un morceau de viande qu'on jetterait aux loups, s'il n'avait pas fui. Quand il pensait qu'il y en avait un qui devait roucouler en paix, naïf et innocent comme il l'était, ça lui donnait de l'énergie en plus. Il trouverait avant ces « chiens ». Ces animaux, dont la pensée se restreignait à l'argent et à la vengeance de ceux qui avaient su oser y toucher. Il arriva dans une rue, regarda le panneau qui affichait son nom et soupira de soulagement. Le passé reviendrait toujours les chercher, il l'avait su. Tôt ou tard, ce qu'on avait caché ou tenté d'oublier referait surface.
Minseok le savait mieux que personne.
.
.
.
Baekhyun aperçut le couple, fidèles clients, à une table. Comme toujours, leur fils était resté chez eux et devait sûrement dormir profondément. Il leur sourit grandement en s'approchant d'eux.
- Vous avez choisi ? demanda-t-il comme à son habitude, un carnet et un stylo en main.
- On va déjà prendre les boissons.
- Très bien. Une grande bouteille d'eau pétillante ?
- C'est ça, Baekhyun, sourit la femme. Parfois il ne vaut mieux rien changer aux habitudes.
- Vous avez raison, je vous apporte ça tout de suite et prendrai vos commandes à ce moment-là alors. Ah, et si je peux me le permettre, le plat du jour à l'air excellent.
Les deux gens sourirent et Baekhyun se retourna déjà pour aller chercher la commande.
- Une bouteille d'eau s'il te plaît, dit-il au barman.
Celui-ci en retira le bouchon, déposa deux verres avec des glaçons sur un plateau et le tendit à Baekhyun.
- Merci, je reviens tout de suite.
Il retourna à la table et leur posa le plateau. Il disposa les verres et les servit. Puis, il s'empara de son carnet en souriant.
- Laissez-moi deviner... Le plat du jour ? Tout de suite !
Le couple n'eut même pas le temps de discuter. Mais tout ce qui importait à Baekhyun, c'était d'avoir réussi à laisser un sourire sur leur visage.
Une fois la commande déposée dans la cuisine, il alla à un endroit retiré avec un verre d'eau et sortit le pot de médicaments qui tenait dans la poche de son tablier. Il en prit et l'avala cul sec. Lorsqu'il reposa le verre, il aperçut Jongdae au loin qui venait de détourner le regard. Baekhyun secoua la tête et voulut retourner aussitôt dans la salle de réception, mais Mei Lin vint à sa rencontre. Elle avait une mine troublée.
- Baekhyun, il y a un homme au bord de l'hypothermie qui dit vouloir te voir, je lui dis quoi ?
Baekhyun fronça les sourcils. Son cœur fit un bond.
- Comment ça ?
Mei Lin le regarda bizarrement.
- Je lui dis que tu n'es pas là... ?
Baekhyun dut s'appuyer sur le bord d'un lavabo. Il réfléchit un court instant.
- Dis-lui qu'il n'y pas de Baekhyun ici.
- Oui, mais bon je lui ai dit que j'allais voir...
- Il n'y a pas un cuisinier qui a presque le même nom que moi ? Je t'en prie, montre-le lui, je dois partir. Dis au chef que je suis parti plus tôt parce que je ne me sentais pas bien. Merci Mei Lin !
Immédiatement, il se dépêcha de sortir par la porte arrière. Il ne prit même pas le temps de se changer, enfila seulement son caban. La porte coupe-feu claqua derrière lui. Il courut tout le long du chemin, faisant claquer les talons de ses chaussures sur le trottoir. Tout en courant, il retira son tablier et sortit son portable pour appeler sur celui de Chanyeol. Il allait sûrement finir le cours. Dans quelques minutes, les derniers élèves seraient libérés. La messagerie répondit.
- Rappelle-moi dès que tu peux, je viens à l'université, laissa Baekhyun en message tout en continuant sa course folle avec les fantômes du passé.
.
.
.
Les visages des étudiants paraissaient fatigués. Alors qu'il écoutait un de ses élèves donner son interprétation d'un texte de Rimbaud, il sentit son portable vibrer furieusement dans sa poche. Il hésita à le sortir. À pareille heure, c'était sûrement Baekhyun et il n'appelait jamais pour rien. Il passa la paume sur sa poche, mais ne sortit pas l'appareil. Il se mordit la lèvre. La sonnerie cessa.
Lorsque le cours fut fini, alors qu'il voulait voir son téléphone, sa meilleure élève, très jolie jeune femme aux longs cheveux brun foncé descendit la salle d'audience et le rejoignit au pupitre du professeur.
- Mr. Park ? signala-t-elle sa présence.
Chanyeol leva soudainement la tête de son portable et la regarda en souriant.
- Oui ?
L'étudiante coinça une longue mèche derrière son oreille. Sur son visage mature se dessina également un sourire.
- Je voulais vous demander si vous étiez libre un de ces soirs, enfin si ca vous dirait de boire un verre.
Chanyeol entrouvrit la bouche et ne put s'empêcher de passer une main dans sa nuque. Au même instant, la jeune femme aperçut la bague qu'il portait à l'annuaire.
- Ah, excusez-moi, Monsieur Park, se courba-t-elle poliment, je n'avais pas vu...
Au même instant, Baekhyun apparut sur le seuil de la salle de classe, Chanyeol lui lança un regard. Elle en fut encore plus gênée et ne sut cette fois-ci que dire. Mais Chanyeol lui sourit et l'incita à arrêter de se courber pour s'excuser.
- Ne soyez pas gêné, je comprends totalement. Vous ne pouviez pas savoir, lui sourit-il. Je suis vraiment désolé. Ça aurait été avec plaisir, sinon...
Chanyeol ne put que sourire. La présence de Baekhyun était inattendue et la situation l'était tout autant. Mais il aurait dû se douter que vu son jeune âge pour un professeur, on lui ferait un jour une remarque.
- Nous nous verrons la prochaine fois. Passez un bon weekend, parla-t-il finalement.
- Vous aussi, au revoir, dit-elle avant de se diriger vers la porte, de saluer Baekhyun et de s'en aller.
Le silence n'eut pas le temps de s'installer. Baekhyun s'approcha lentement de lui. Il avait couru sur le tout le chemin et sa frange collait à son front mouillé. Chanyeol le prit dans ses bras.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, inquiet.
Baekhyun recula légèrement.
- Allons parler dans ta voiture, s'il te plaît... souffla-t-il encore hors d'haleine.
Chanyeol ne discuta pas, prit son cartable et sa veste et ils sortirent de la salle de classe.
Quand ils arrivèrent au parking extérieur, la nuit tombait. En hiver, il faisait nuit beaucoup plus tôt. Baekhyun avait hâte d'être au printemps. Chanyeol déverrouilla le véhicule et ils montèrent tous les deux à l'avant. Ils restèrent un instant silencieux, dans la pénombre. Seuls les lumières du tableau de bord illuminait un minimum l'habitacle. Baekhyun avait repris son souffle. Le cuir de son fauteuil bruissa lorsqu'il se tourna vers Chanyeol. Dans l'obscurité, ses pupilles brillaient légèrement. C'était parfaitement calme. Il suffisait à Chanyeol de regarder ses deux yeux noirs pour comprendre que rien ne serait plus comme avant, que tout changeait et que tout revenait. Que le malheur les rattrapait. Il soupira, passa lentement une main sur le volant en cuir. Les bruits paraissaient étouffés, dans la voiture. Il regarda devant lui, posa son regard vague sur le mur devant lequel ils étaient garés.
- Qu'est-ce qu'on va faire... murmura-t-il enfin.
Baekhyun s'enfonça un peu plus dans son siège, tourna le regard et fixa la boîte à gants. Son souffle était calme et silencieux malgré tout. Le regard baissé, il se tut. Chanyeol posa sa main droite sur sa cuisse et Baekhyun la prit et croisa leurs doigts.
- Je ne sais pas... répondit celui-ci doucement.
Il serra fortement sa main.
- S'en aller ne servira à rien...
Chanyeol hocha lentement la tête.
- Je-je dois te dire quelque chose... Quelque chose dont je ne t'ai jamais parlé...
Chanyeol tourna la tête vers Baekhyun. Celui-ci avait gardé les yeux rivés sur la boîte à gants. Sa main tremblait légèrement.
- Je t'ai caché quelque chose... et en parler, là, maintenant, ça me coûte beaucoup d'efforts... Alors j'aimerais juste...
Il déglutit difficilement et planta son regard dans le sien.
- Que tu m'écoutes tout simplement et fermes les yeux... Je ne veux pas te regarder en te le racontant, d'accord ? C'est... Trop difficile pour moi sinon.
Le cœur de Chanyeol fut comme pétrifié par le regard de Baekhyun. Il lui sembla qu'il avait arrêté de respirer. Baekhyun détourna à nouveau ses yeux et ramena ses jambes sur son siège. Puis il clôt ses paupières.
- Tu te rappelles... Je t'avais raconté qu'après la mort de mes parents, j'étais allé chez Minseok... Son père a un jour abandonné sa famille. Je m'en rappelle exactement...
La main de Chanyeol était précieusement tenue et serrée. Il eut cru que Baekhyun faisait de même avec son cœur.
- Nous nous entendions vraiment bien Minseok et moi. Tous les deux enfants perdus et abandonnés par les adultes. On se comprenait. On ne se parlait pas souvent, mais on se comprenait grâce aux regards.
Chanyeol pensa à tous les regards qu'ils s'étaient chacun échangés. Ils avaient toujours exprimé bien plus de choses que les mots. Il comprit pourquoi ceux de Baekhyun étaient tant significatifs.
- On ne souriait jamais, ne jouait jamais avec les autres enfants du quartier. Les autres ne faisaient pas l'effort non plus. On se retrouvait toujours à cette maison abandonnée. On y jouait pendant des heures et des heures dans le silence des grillons. On courait dans les hautes herbes, dans le petit bois qui entourait cette maison. Une très belle maison où avait sûrement un jour vécu une famille.
Les paupières fermées, Chanyeol put distinguer le léger sourire triste qui se peignait sur le visage de Baekhyun.
- Minseok et moi nous imaginions y vivre, avec des parents qui s'occuperaient de nous, qui nous appelleraient dans le jardin pour qu'on vienne à table. On s'imaginait un père qui rentrerait à la maison et qui nous ébourifferait les cheveux avant de prendre notre mère dans les bras. Mais cette famille n'était que le fruit de notre imagination. Alors, le soir, quand on ne voulait pas rentrer, on restait au grenier et se blottissait l'un contre l'autre, à contempler simplement le vieux parquet en bois, accroupis dans nos pantalons courts.
Baekhyun bougea légèrement. Chanyeol avait toujours les yeux fermés, et s'imaginer tout ce que Baekhyun lui racontait créait en lui des milliers de sentiments.
- Cette période-là s'est passé en printemps. On passait nos journées seuls dans cette compagne où personne ne vivait. Aller de la maison de Minseok jusqu'à cette maison abandonnée nous prenait une heure, tellement elle était éloignée de toute civilisation. Notre petit jardin secret, en quelque sorte. Mais ça ne faisait rien, ça nous arrangeait.
Baekhyun souriait légèrement, un sourire triste et nostalgique.
- Alors un an est passé ainsi, pendant lequel nous ne suivions même plus de cours. Tous les jours la même chose, le même chemin. Toujours à pied. On devait passer par un long chemin lequel normalement aucune voiture n'avait le droit d'emprunter. C'était un chemin caillouteux avec à sa droite de vastes champs de blé et de maïs et à sa gauche une forêt profonde, que nous longions toujours. Je m'en rappelle bien... On marchait côte à côte, dans le silence des sifflements des oiseaux et la chaleur du soleil. Je pense que c'est le fait que nous répétions toujours la même chose chaque jour qui nous a fait découvrir. Des jeunes qui prenaient chaque jour le même chemin à la même heure et qui allaient chaque fois au même endroit. À un moment donné, ça devenait flagrant. Cette journée d'été, Minseok et moi, alors que nous allions arriver à la maison, nous avons entendu le bruit de pneus arriver derrière nous... Sans même réfléchir, nous avons commencé à courir jusqu'à la maison de campagne. Cet endroit qui nous tenait tant à cœur. Minseok a pris ma main et on est monté jusqu'au grenier. Et... c'est surtout à partir d'ici que j'ai menti...
Baekhyun avait les joues humides sans même qu'il ne s'en soit rendu compte. Tous les deux avaient fermé les yeux et Baekhyun se remémorait tous ces évènements, tandis que Chanyeol se les imaginait, ce qui était tout aussi douloureux.
- On s'est blotti l'un contre l'autre, apeuré comme on ne l'avait jamais été... continua-t-il d'une voix sur le point de briser. On se demandait pourquoi il y avait une voiture qui nous avait suivis... On tremblait alors qu'il devait sûrement faire étouffant. On inspirait l'air d'herbe et de campagne, cette odeur si douce, tous deux cachés dans un coin du grenier. On a entendu le bois grincer parce que des gens marchaient et montaient les escaliers. On s'est regardé, Minseok et moi. Son regard ce jour-là a été le plus sincère qu'il n'ait jamais eu... Et puis... la lourde trappe du grenier s'est ouverte. Un homme, d'âge moyen en est sorti. J'ai attrapé le chemisier de Minseok et l'ai serré dans mes mains de toutes mes forces. D'autres hommes, certains vraiment jeunes, presque aussi jeunes que nous, sont venus et nous ont attrapé, séparé l'un de l'autre. Cinq en tout. Ils ont commencé à frapper Minseok jusqu'à ce qu'il ne puisse plus bouger et...
Baekhyun sentit sa poitrine se comprimer.
- Et... ils m'ont attrapé...
Les images passèrent dans sa tête. Chanyeol ne voulut pas se les imaginer, mais elles apparurent instantanément au fur et à mesure du récit. La voix de Baekhyun était calme, basse.
- Minseok était allongé sur le flanc, le visage tourné vers moi, à peine conscient, les yeux entrouverts et le visage maculé de sang et de saleté. Il a tout vu, tout suivi. Je l'ai regardé tout le long. Je l'ai regardé et j'ai observé son visage. Il n'a pas bougé, mais dans ses yeux je pouvais lire toute l'horreur et la tristesse qu'il ressentait à être spectateur d'un tel acte. Je-
Son cœur se serrait dans tous les sens, se contractait, criait à ce qu'on arrête de le torturer.
- Les adultes sont des êtres immondes. C'est pourquoi, à partir de ce moment-là, je me suis juré de ne jamais en faire parti. Minseok a fermé les yeux pendant un moment et puis je n'ai plus supporté.
Chanyeol sentit une larme salée s'éteindre sur sa commissure.
- Quand nous nous sommes réveillés, nous étions tous les deux dans le coffre d'une camionnette et nous étions déjà bien loin de notre maison. Je me rappelle qu'on a longtemps roulé sur une route endommagée, avec des rugosités, des cailloux, des pentes, avant de rouler sur une route lisse. Minseok a repris conscience avant moi. Il s'est mis prêt de moi et m'a regardé, les yeux vides. Je sais que c'est là que notre relation a complètement changé. Il ne m'a plus jamais vu comme avant.
Baekhyun garda les yeux fermés. C'était comme s'il sentait à nouveau les odeurs, comme s'il revivait le moment.
- On ne voyait rien dans le véhicule. Je ne bougeais pas et Minseok non plus. On se regardait tous les deux sans savoir ce qui allait encore nous arriver. Ça sentait l'huile de moteur. C'était plein de terre et de saletés. J'ai regardé mes mains puis mon corps, mais j'avais trop mal pour faire un autre mouvement. Nous n'avons pas pleuré. Nous nous sommes tus car nous savions que c'était peine perdue. Il y avait aussi un pneu de rechange, je me rappelle. Nous n'entendions pas ce qu'ils disaient à l'avant. Je sais juste qu'il devait y avoir une deuxième voiture qui suivait la fourgonnette. C'est seulement bien plus tard qu'ils se sont enfin arrêtés. Le coffre s'est à peine ouvert qu'un homme nous a lancé une décharge électrique avec un taser. Nous nous sommes réveillé une nouvelle fois, cette fois-ci dans une cave ou quelque chose comme ça... C'était sûrement ça, je n'en sais toujours rien. C'était inimaginable... Il... y avait six autres enfants et Minseok se trouvait dans un coin, loin de moi. Six autres enfants, en boule dans une couverture sale, le ventre en sang. J'ai regardé le mien et j'ai vu que j'avais également le ventre scarifié. Je ne sentais même pas la douleur. J'ai frotté le sang et la terre avec mes doigts... À partir de ce moment-là, j'étais le numéro 76.
Lentement, Baekhyun souleva son t-shirt et prit délicatement la main de Chanyeol afin de la poser sur son bas-ventre. Toujours les yeux fermés, Chanyeol sentit les cicatrices du bout de ses doigts. Ce fut comme un couteau dans le cœur.
- Tu t'en rappelles, n'est-ce pas ? Ces cicatrices mystérieuses... Je n'étais qu'un numéro, une marchandise. Avec une petite étoile derrière, qui indiquait à quoi je serai utile. Je t'ai caché ça pendant tout ce temps. Mais je pense qu'il était temps que je te le raconte. Minseok a le numéro 75. Sans étoile. C'était là qu'on a compris que c'était bien plus grave que ce qu'on imaginait. Que nous étions les 75 et 76ème enfants ou adolescents à avoir été enlevés. Autour de nous, il faisait sombre. Mais moi je les entendais pleurer, renifler autour de moi, certains très jeunes. J'étais... sous le choc encore et ça n'a rien arrangé. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. C'était inimaginable.
La paume chaude de Chanyeol lui donna du courage pour continuer.
- J'ai passé des heures dans le noir à me demander ce qui m'arrivait ou ce qui allait encore m'arriver. Et puis... finalement, un peu de lumière. Un autre homme est venu, celui que j'ai vu à la télévision, celui qui est recherché, il a pris tous ceux avec une étoile sans même dire un mot. On m'a traîné par le bras et la dernière chose que j'ai pu faire c'est regarder Minseok derrière moi.
Baekhyun garda la tête baissée et expira douloureusement.
- Tu t'imagines bien maintenant ce qu'il se passe avec ceux qui ont l'étoile marquée au couteau sur leur ventre ? Ces gros porcs. Ces chiens. Des gens immondes. L'argent. Tout ce qui comptait. Tout ça pour de l'argent. Toutes ces vies détruites pour de vulgaires billets.
Il eut envie de rire, mais ce fut un sanglot qui lui parvint. Il cacha son visage entre ses mains.
- Si tu savais comment j'ai honte de ce que j'ai fait... De ce qu'on m'a fait faire... Si tu savais les horreurs qu'on faisait, tu voudrais quitter ce monde... Je ne savais même pas que ça existait... Tu comprends pourquoi je ne t'en ai pas parlé... ? Tu comprends pourquoi je garde ça pour moi ?
Chanyeol hocha la tête. Il se racla la gorge. Elle était serrée.
- Oui, Baekhyun, oui je comprends.
- C'était tellement horrible... C'était tellement répugnant... sanglota-t-il. Je m'en veux, je m'en veux d'avoir fait ça...
- Tu n'y peux rien, Baekhyun. Tu n'y peux rien...
Chanyeol se pencha vers lui et le serra dans ses bras. Baekhyun fut pris de soubresauts. Il gardait cela pour lui depuis tellement longtemps. Il pleura toutes les larmes de son corps.
- Je n'ai rien pu faire... Je n'ai même pas osé dire quelque chose... C'est Minseok qui un jour est venu me voir. J'ai appris qu'il était occupé dans une bande qui volait les voitures ou ce qu'il y avait dedans. Il- il est venu me voir alors que j'étais dans une salle où les autres prostitués dormaient. Il m'a pris le poignet et on est parti. On s'est juste enfui. C'était le plus beau jour. On a couru dans la nuit, on a couru jusqu'à en perdre haleine. On avait grandi. J'avais dix-sept ans. Il avait réussi un garder un gros tas d'argent qu'il aurait dû remettre et on s'est débrouillé par la suite. Moi, j'ai continué à monter dans les voitures d'inconnus, et lui il avait ses contacts. Il a commencé à boire et il n'a plus jamais su être comme avant. Et puis tu es venu...
Baekhyun ouvrit les yeux et le regarda fixement.
- Tu es ce dont tout le monde rêve.
Ses yeux larmoyants brillaient dans la nuit. Chanyeol le regarda et l'embrassa tout simplement. Puis il passa sa main dans sa chevelure de jais et posa sa tête contre son cœur.
.
.
.
Il faisait nuit et Baekhyun dormait à côté de lui. La chambre était plongée dans la pénombre mais il n'arrivait tout simplement pas à dormir. Ils étaient rentrés dans le silence et étaient aussitôt allés dormir, mais Chanyeol était bien trop secoué pour arriver à s'endormir. Il était donc là, le dos contre le mur avec le souffle lent et régulier de Baekhyun et sa main sur son ventre. Il scrutait la pénombre, loin dans ses pensées. Il ne savait même pas comment il se sentait après avoir entendu tout cela. Lui qui, chaque fois qu'ils faisaient l'amour, effleurait ces cicatrices du bout des doigts, il n'aurait jamais imaginé que telle était l'histoire qu'elles renfermaient.
Alors il était là, le chat sur les genoux, avec son grand cœur, et pleurait les horreurs qui s'étaient abattues sur celui qu'il aimait plus que tout au monde. Et il se promit que rien de tel ne se passerait à nouveau.
Il se pencha vers la table de chevet et ouvrit doucement le tiroir. Dedans se trouvait un revolver, noir, qui se confondait dans l'obscurité.
« Qu'on nous apporte le tonnerre et l'orage,
Qu'on les tue devant nos mages,
Pour chaque fois qu'ils grondent on les punisse,
Que maudits et pourris en enfer ils y finissent ! »
---
Merci de venir lire la suite, ça me fait très plaisir. J'espère ne pas vous décevoir. Il y a déjà 10 chapitres finis, je les publierai régulièrement. ^^
(Ils deviennent de plus en plus longs, le dernier terminé fait plus de 10.000 mots...)
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro