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Chapitre 11 - Sur l'échiquier de sa vie

(Extrait de la chanson "La Superbe" de Benjamin Biolay)

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« On reste Dieu merci à la merci d'un sacrifice,
D'une mort à crédit,
D'un préjugé né d'un préjudice,
Le soleil s'enfuit,
Comme un savon soudain qui glisse,
Quelle aventure, quelle aventure... »

Baekhyun s'était assis dans la douche, à même le carrelage froid. L'eau chaude ruisselait sur sa peau, suivait la forme de son corps nu avant de couler jusqu'au caniveau. Il avait déposé la tête contre le mur et ne pensait à rien. Il était vide. Il ne ressentait rien, ni la douleur, ni le soulagement. Sa peau nue avait rougi sous le jet d'eau mais il ne s'en souciait pas. Il avait simplement besoin de rester là sans rien faire, sans rien dire, rester là et ne pas devoir s'expliquer. Chanyeol n'allait pas tarder, de toute manière. Il ne regrettait rien. Il ne s'en voulait pas d'avoir réagi ainsi face à Minseok même si quelque chose en lui s'émouvait. Il aurait vraiment voulu ne pas en arriver là.

Sa chevelure était trempée. Son regard fatigué et bouffi se posa vers la fenêtre de la salle de bain. Les larmes avaient cessé. Maintenant ses yeux n'étaient plus que douloureux et rouges. Il décolla son crâne du mur, baissa la vue sur son corps, sur ce qu'il était et sur ce qui le composait. L'impression de saleté constante ne l'avait jamais quitté. Cette peau, qui enveloppait son corps, cette peau était maculée de taches, de saletés. Mais cette peau ne se renouvelait plus. Elle restait la même. Sa chair était marquée, comme des morsures dont on voyait les vilaines traces. À l'intérieur des cuisses, il avait plusieurs cicatrices, des vrais, pas des abstraites que son regard faussé lui infligeait. Des petits ronds blancs, quatre ou cinq. Il passa un doigt dessus, comme si ce geste allait les effacer. C'était les cicatrices de brûlures de cigarettes. Peau sensible sur laquelle on avait éteint des cigarettes consumées. Il ne les avait pas faites lui-même, il ne s'était jamais mutilé.

Son regard remonta sur son corps, vers le bas de son ventre. Il prenait chaque parcelle de peau à la loupe. À cet endroit, les cicatrices de la mutilation au cutter. De nombreux traits parfois au même endroit, jusqu'à former un nombre entier. « 76 ». Heureusement, la cicatrice s'était beaucoup atténuée. Elle n'attirait plus autant son regard qu'avant. Les hématomes de l'incident avec Minseok avaient presque entièrement disparu, eux. Il avait aussi une vilaine cicatrice sur la tranche de la main, survenue un jour où il avait dû se cacher dans le coin d'une pièce. Il appelait cela une pièce, mais ce lieu avait servi de chambre. Une des chambres d'une maison isolée, dont Baekhyun ne connaissait pas l'adresse. Il ne savait toujours pas où elle s'était trouvée. Elle avait été bien choisie. Elle était très discrète, très seule, avait l'apparence d'une maison quelconque. C'était tout ce qu'il savait à son sujet. Pendant un an, il n'en était jamais sorti. On venait à lui, pas le contraire. Il y avait vécu avec plus ou moins huit autres adolescents, il ne se rappelait plus exactement. Il ne voulait pas se souvenir. Le jour où il s'était fait cette blessure, il l'avait retenu. La chambre était en mauvais état, le parquet avait tendance à se défaire, il y avait de nombreuses échardes épaisses et pointues qui ressortaient du bois. Il n'y avait pas de meubles exceptés les deux ou trois matelas au sol. Ce jour-là, Baekhyun avait pris peur et s'était isolé dans un coin de la pièce. Les autres adolescents ne se trouvaient pas dans la même pièce que lui, un peu dispersés partout de la maison. Il avait pris peur et avait refusé de bouger de là. Le client s'était impatienté et il l'avait pris par le poignet. En le tirant, Baekhyun s'était enfoncé un morceau de bois dans la tranche de la main.

Il avait un peu appris, au fil du temps, ce qui se passait réellement. Il avait compris que ce n'était pas la seule maison. Il était le numéro 76. Il y en avait donc sûrement d'autres. Pour chaque demeure, il y avait deux hommes et même une femme responsables. Baekhyun se rappelait bien son visage parce que cela l'avait marqué, de voir soudainement un visage féminin et mature au beau milieu d'un monde obscur. À un certain moment, il s'était douté que cette femme se trouvait là pour s'occuper des autres filles. Un des deux hommes venaient aussi parfois pour voir comment ils allaient. Ce n'était rien de tendre, rien de très soucieux, c'était simplement une sorte de routine. Comme un éleveur de cochons qui contrôlait la santé de ses animaux avant de les envoyer à l'abattoir. Si un des adolescents était blessé, on le soignait quand c'était possible. Quand Baekhyun s'était fait cette blessure à la main, « Silence » était venu s'en occuper, spécialement. La plaie s'était infectée et il lui avait fait les soins nécessaires. Il lui avait également fait une injection, qui l'avait longtemps inquiété. Maintenant il savait que cela avait dû être un vaccin contre le tétanos ou quelque chose comme cela.

Il contempla la trace dépigmentée sur le côté de sa main. Pendant qu'il faisait cela, il se remémorait toutes ces choses qui étaient arrivées. Était-ce une thérapie ? Était-ce un moyen pour pouvoir oublier ? Il le faisait, c'était tout.
Même si ces traces-là avaient disparu, il revoyait les rougeurs, il voyait les marques des regards sur sa peau, les marques des sourires et des bouches. Il s'imaginait les yeux malsains sur sa peau, d'une manière concrète, de façon à matérialiser ce qui n'avait existé qu'abstraitement. Il s'imaginait les mots, les paroles, les voix luxuriantes, il s'imaginait l'allégorie de la douleur et plus il créait ces choses et plus sa peau se tachait, plus elle se couvrait. Petit à petit, elle disparaissait complètement, ne laissait plus qu'entrevoir certains morceaux pâles de son tissu.

Il leva le bras, coupa le jet d'eau, puis se leva, las et terriblement fatigué. Il sentait le dessous de ses yeux piquer, l'appeler au sommeil. Son regard vide se mit à pendre dans la pièce au rythme de ses mouvements. Il se sécha, enfila une chemise en lin, ne prit pas le peine de la boutonner, et se vêtit d'un pantalon de jogging avant de marcher vers la chambre. Le plancher en bois grinça légèrement sous ses pas. La lumière de la lune traversait une fenêtre de toit et éclairait l'étage de sa lueur blanchâtre. Il alluma une lampe de chevet dans la chambre. Le lit n'avait pas été fait. Il arrangea vaguement les draps avant de s'y glisser. Aussitôt la chaleur de l'édredon le réconforta, lui fit oublier ce dont il s'était rappelé. Il eut à peine posé la tête sur l'oreiller moelleux que ses paupières se fermèrent. Il inspira l'odeur de lessive, l'odeur d'eau de toilette laissée les jours paresseux, l'odeur de pain et de poussière, l'odeur de Chanyeol et de ses cheveux lorsqu'ils se partageaient le même oreiller, l'odeur de l'amour. La chaleur, le réconfort, la présence, les choses qui faisaient fondre son cœur quand les journées étaient telles qu'elles étaient ces derniers temps. Il ne pouvait pas changer la situation, il ne pouvait que l'apaiser.

La lumière tamisée de la lampe ombrait la chambre, la réchauffait. La pièce que Baekhyun chérissait, la pièce qui rassemblait tout et rien. Le tapis doux, sur le parquet, le petit fauteuil, dans un coin, dans lequel Chanyeol lisait parfois lorsque Baekhyun s'était endormi et qu'il revenait tard. Il y avait une grande armoire, le long du mur, des murs peints, en alternance avec le foncé et le clair. La pièce était à peine éclairée, la lampe n'émettait qu'une lueur sucrée. L'ambiance était douce et rassurante. Baekhyun avait l'impression que cette pièce était à l'abri de tout, qu'elle ne laisserait rien passer de mal, que les démons étaient loin. Pourtant, elle ne le mettait pas à l'abri des cauchemars. Car c'était un autre monde. Un univers hors de portée.

Baekhyun dormait quand la porte d'entrée s'ouvrit. Le bruit de clés, puis le bruit de manteau déposé, la fermeture de la porte, discrète. Ses paupières papillonnèrent. Il entendit les bruits de pas dans l'escalier, après la porte de la chambre qui s'ouvrit doucement. Chanyeol entra sans rien dire et alla le rejoindre sous la couverture. Baekhyun se rapprocha alors de lui et Chanyeol le serra contre lui, contre son torse. Il aimait tant se loger dans ses bras, il aimait tant savoir que Chanyeol était là. À la chaleur des draps se rajouta la chaleur constante de son corps et Baekhyun se sentit pansé. C'était une sorte de baume sur le cœur. Un baume qui couvrait ses plaies avec douceur et compassion. Le souffle de Chanyeol frôlait son oreille, sa nuque, le faisait agréablement frissonner.

- Les journées sont courtes... murmura Baekhyun, la voix abîmée d'avoir crié et d'avoir pleuré puis de s'être tu.

Chanyeol passa une main dans ses cheveux, descendit sur sa taille.

- J'ai fait aussi vite que je pouvais... répondit-il.

Baekhyun sourit doucement.

- Tu as de bonnes nouvelles, au moins... ?

- Ça dépend... Tu veux savoir ?

Il acquiesça. Chanyeol caressait sa peau.

- Ils ont retrouvé le véhicule qui a servi à causer l'accident... commença-t-il. C'était bien une dodge, comme tu l'avais dit, noire. Elle avait été abandonnée à une vingtaine de kilomètres de l'endroit où on a été percuté, endommagée évidemment. Grâce à la plaque d'immatriculation, ils ont pu retrouvé le propriétaire, qui avait signalé le vol il y a quelque temps. Il a été écarté de l'enquête.

Baekhyun hocha doucement la tête.

- Comme tu leur avais décrit l'homme recherché ils ont cherché de ce côté-là... Ils m'ont expliqué la même chose que toi. Ils avaient commencé à avoir des doutes sur ce qui se passaient dans une maison isolée et ils l'ont perquisitionnée. Ils ont découvert des adolescents, enfin... le même spectacle que tu m'as raconté. Comme tu peux l'imaginer, dès que ça s'est su, les gens immiscés là-dedans ont pris la fuite. Puis ils ont découvert qu'il y avait en tout vingt-cinq maisons dans tout le pays lié à tout ça. Ils ont pu arrêté une dizaine d'hommes et de femmes qui s'occupaient des maisons mais pas les principaux responsables... D'où les avis de recherche à la télévision que tu avais vus. L'homme que tu as décrit a aussi été décrit par les adolescents retrouvés et aussi tous les autres hommes ou femmes qui s'occupaient des maisons. En plus du réseau de prostitution, ils ont découvert un réseau de vol organisé par les mêmes personnes, mais beaucoup moins vaste.

- Minseok était occupé là-dedans... l'interrompit Baekhyun.

Chanyeol alla chercher sa main et croisa leurs doigts.

- Ils supposent que la dodge volée vient de là, mais ils n'en sont pas encore tout à fait sûrs. Donc grâce à cette affaire, ils ont pu effectivement découvrir que l'homme qui conduisait la dodge ce jour-là était celui que tu avais décrit. Ils ont retrouvé ses ADN et celui d'un autre homme, inconnu des services de police dans le véhicule. Tu es fatigué ?

Baekhyun soupira de manière à peine audible.

- Ça va, j'ai envie de savoir...

- Ils m'ont dit qu'ils allaient justement nous contacter pour nous tenir au courant de l'affaire. Ils voulaient te poser tes questions parce que tu étais celui qui était encore conscient lors de l'accident et que tu semblais au courant. Mais je leur ai dit que ce n'était pas possible aujourd'hui et que tu passerais dans la semaine.

Baekhyun hocha une nouvelle fois la tête.

- Il y autre chose aussi... continua Chanyeol. L'homme qu'ils recherchent et dont ils ont perdu la trace... C'est bien celui que tu dis connaître ?

- Oui...

Le souvenir de son visage apparut brièvement devant ses yeux. Il ferma les yeux.

- Ils ont trouvé beaucoup de choses à son sujet. Sa vie, son enfance même, sa vie professionnelle. Ils m'ont dit qu'il était médecin, qu'il était même chef d'un service cardiologie et que personne n'avait remarqué quelque chose de bizarre chez lui. Personne n'était au courant de rien, pendant plus de dix ans. Personne ne savait ce qu'il faisait en dehors de son travail.

Chanyeol secoua la tête.

- Tu... savais qu'il avait perdu ses parents, quand il avait tout juste quinze ans... ?

- Ils se sont suicidés, comme les miens... chuchota Baekhyun. C'est lui qui les a découverts, pendus, tous les deux, il me l'a dit...

Chanyeol ne répondit pas. Il comprenait à présent.

- J'étais spécial parce que j'avais vécu la même chose... J'étais spécial parce qu'il se voyait en moi...

Il serrait plus fort la main de Chanyeol sans s'en rendre compte.

- Pendant des semaines et je ne l'ai compris que plus tard, il ne faisait qu'évoquer les similitudes qu'il y avait entre nous. Il me faisait du mal parce qu'au fond il voulait se faire du mal, à lui. Il me manipulait et me mettait à l'écart parce que c'était comme si j'étais une sorte de... de poupée qui le représentait...

En y repensant, c'était quelque chose de profondément dérangé. Chanyeol ne dit toujours rien.

- Je sais, c'est sinistre. Mais en même temps il voulait me garder, que je reste en vie. Une sorte de haine alimentée par un amour obsessionnel. Je n'en sais rien. Il m'a raconté que c'est un parent lointain qui l'a pris en charge après l'enterrement. Un oncle éloigné, je pense, plutôt riche, qui a su lui payer les frais d'université...

- C'est un taré... parla enfin Chanyeol. Il a aussi des antécédents criminels... Il a déjà été arrêté pour des faits d'agressions sexuelles et d'actes de violence. Pourtant il a toujours été relâché pour preuves insuffisantes ou invalides et il a gardé sa place en tant que chef de service.

La main de Chanyeol se défit des doigts de Baekhyun et glissa sur sa hanche, le serrant plus près de lui. La colère était grande, en lui. Elle grandissait parce que savoir tout cela, savoir que cet homme avait approché celui qu'il aimait était insoutenable pour lui.

- Il est malin et prévisible, dit Baekhyun. Il a sûrement réussi à ne laisser aucune preuve ou alors il a dû manipuler ses victimes de telle sorte à ce qu'elles retirent leur plainte. Il essayait de toujours faire retourner les choses contre moi. J'étais toujours celui qui en avait décidé ainsi, j'étais consentant, c'était moi, moi, moi.

- Sûrement un moyen pour mieux pouvoir se déculpabiliser.

Baekhyun sourit légèrement, caressa la main de Chanyeol sur sa hanche.

- Je ne pense même pas qu'il soit susceptible de culpabiliser... Je pense qu'il faisait cela afin d'avoir plus de distance avec ce qu'il faisait. Je ne m'y connais pas assez en psychologie pour en dire davantage, mais à mon avis, c'était un moyen pour mieux planifier, pour mieux maîtriser. C'était lui qui était plus responsable, c'était lui qui me remettait à la place parce que j'exagérais, quelque chose comme cela... Peut-être que c'était tout simplement de la perversion.

- C'est très possible. La police m'a mis au courant de son passé, mais je ne pouvais pas en savoir plus sur l'affaire. Il faut que tout reste discret puisqu'ils ne savent pas où il se trouve.

Le regard de Baekhyun se posa sur la table de chevet.

- J'ai mis le semi-automatique en dessous du canapé.

Chanyeol ne réagit pas immédiatement. Il soupira.

- Je te fais confiance... Je-

Il ne termina pas sa phrase.

- Tu n'as pas faim ? Tu veux que je t'amène de quoi manger dans la chambre ?

Baekhyun se défit de l'étreinte et se tourna vers Chanyeol. Il plongea son regard sombre dans le sien et passa doucement la main sur sa joue. Puis, hésitant, il posa ses lèvres sur les siennes et l'embrassa amoureusement. Son cœur se mit à bondir dans sa poitrine. Il avait toujours l'impression que c'était nouveau. Il clôt ses paupières. Peut-être qu'il s'abandonnait dans la confiance qu'il avait pour Chanyeol. Il lui faisait tellement confiance qu'il ne mettait aucun de ses gestes en doute. Il le suivait aveuglément. La chance avait fait qu'il n'avait pas eu tort de baisser sa garde face à Chanyeol. Il pouvait lui faire confiance, à cent pourcent. Chanyeol n'était pas un homme qui manipulait, il était sincère. Baekhyun savait faire la différence, à présent, entre quelqu'un qui faisait semblant de se soucier et quelqu'un qui se souciait réellement. La manipulation de l'homme avait su le faire douter, parfois, le temps de quelques secondes. Voulait-il vraiment lui faire du mal ? N'était-il pas quelqu'un de bien, au final ? C'était son but, il voulait qu'il hésite ainsi. Mais il n'y était jamais arrivé totalement. Baekhyun comprenait aussitôt et en souffrait. C'était comme un poison qu'il tentait de lui injecter pour l'anesthésier mais Baekhyun l'en empêchait et il restait éveillé, conscient de chaque geste qui lui était infligé.

Chanyeol avait le regard sombre. La lueur qui habitait ses pupilles ne l'avait pas quitté. La douceur de ses lèvres paraissait irréelle, de temps à autres. Cette bouche, ces doigts dans sa nuque qui faisaient attention à lui, à ce qu'il désirait ou non. Jamais Chanyeol ne lui forçait un baiser, jamais il ne lui forcerait une telle chose. Il savait distinguer les moments où il pouvait le toucher et les moments où Baekhyun ne voulait pas. Il savait ce qui lui faisait peur. Il savait à quel point tout ce qui était sexe et baisers était délicat et il faisait attention au moindre de ses signes. C'était un soulagement, un poids déchargé, parce qu'il avait le choix de refuser, parce qu'il savait qu'on ne le forcerait à rien. C'était une inquiétude qu'il n'avait plus à avoir. Chanyeol savait lire dans son regard.
Tout était sain, entre eux, tout était consentant. Il n'y avait aucune perversion, aucun sadisme dans les rapports ou dans les gestes. Cela pouvait passer pour quelque chose d'ordinaire, mais pour Baekhyun c'était un changement considérable.

La main de Baekhyun avait dévié sur la peau de Chanyeol, s'était frayé un chemin sous ses vêtements et caressait son ventre, frôlait le bas.

- Je n'ai pas faim... répondit-il.

Chanyeol sourit et embrassa sa commissure, puis ses lèvres, puis de nouveau sa joue. Lentement, Baekhyun passa une main dans son cou, puis approcha la bouche de cette peau sensible. Chanyeol ne l'avait pas quitté des yeux.

- Tu sais, Chan, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas pourquoi moi, mais il m'est tombé un ange du ciel. Et je ne sais même pas si je m'en rends compte.

La main de Chanyeol se posa sur sa joue, caressa le dessous de son œil avec son pouce. Puis Baekhyun déposa un baiser sur ses lèvres, sur son cou, sur son torse, sur son ventre. Il faisait en même temps glisser ses mains sur son corps, avec légèreté, avec douceur, elles descendaient toujours et encore. Ce n'était plus qu'un jeu de mains, un jeu de baisers auquel Chanyeol joignit les siens.
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.

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Baekhyun se réveilla en sursaut. Il se redressa sans douceur, le cœur battant la chamade. Sa respiration était bruyante, désordonnée. La chambre était vide. Chanyeol était parti travailler. Sa poitrine était douloureuse, sa gorge sèche. Il sortit les pieds de la couverture, frotta la poussière de ses yeux. Il fallait qu'il se calme. Ce n'était rien qu'un cauchemar, des images qui s'étaient évaporées dès qu'il avait ouvert les paupières. Son regard scruta la chambre, étrangement vide. Il faisait clair dehors. Le soleil s'était levé depuis un certain temps. Il remarqua la lourdeur de son crâne et aperçut la boîte de médicaments, la tasse et la bouilloire sur la table de chevet. Il les avait oubliés sur la terrasse. Chanyeol avait tout remonté, même la bouilloire. Il avait laissé un petit mot doux et Baekhyun ne put s'empêcher de sourire légèrement malgré sa mauvaise humeur et son mal de crâne.

« Tu es beau quand tu dors. »

Baekhyun se leva, prit son médicament et alla tirer les rideaux pour laisser vue sur dehors. Son regard s'arrêta sur une voiture garée devant la maison, sur le trottoir. Il fronça les sourcils, se tourna et alla enfiler une chemise et un pull avant de descendre les escaliers. Il prit les clés, enfila une écharpe et des chaussures et marcha jusqu'au véhicule. Une personne se trouvait de dos, à côté de la voiture. Baekhyun s'approcha doucement, étonné.

- Qu'est-ce que vous faites là ? demanda-t-il soudainement.

La personne se retourna aussitôt et une autre sortit du côté passager. Un sourire se dessina aussitôt sur son visage. Il alla embrasser la femme.

- Baekhyun, ça fait du bien de te voir...

Le visage de la femme était marqué de ridules et de cernes. Il sourit à l'homme qui lui sourit en retour. Ils avaient l'air fatigué.

- Comment allez-vous ? parla-t-il doucement.

La femme soupira et passa une main tendre dans le dos de Baekhyun. Cela faisait longtemps que Baekhyun n'avait plus vu le couple et leur fils. Comme il n'allait plus travailler, il n'avait plus eu l'occasion de les revoir.

- Ça peut aller, répondit la femme. On s'apprêtait à partir avec le petit...

Baekhyun la questionna du regard.

- On ne t'a plus vu, au restaurant. On se demandait si tu allais bien alors on voulait passer te dire bonjour...

- Qu'est-ce qui se passe... ?

Il la regarda, puis son mari.

- On doit amener le petit dans une institution spécialisée alors on déménage, Baekhyun. Ça devient...

Baekhyun amena une main sur son épaule. Ils avaient tellement souffert de la maladie de leur fils. Et il avait su créer un lien, au fil du temps, avec le couple. Il était touché par ces parents, parce qu'ils se souciaient réellement de leur fils, parce qu'ils savaient l'aimer malgré sa déficience mentale. Ce n'était pas facile, au quotidien, pour eux de s'occuper d'un garçon qui ne savait pas répondre à cet amour.

- Ça devient trop difficile...

Baekhyun ne savait que répondre. Il ne savait pas ce que c'était d'avoir des enfants, il ne le saurait jamais, mais il se doutait de la douleur que cela pouvait provoquer.

- On ne va pas rester trop longtemps. Pour l'instant il dort mais il ne va pas tarder à se réveiller. Prends soin de toi, Baekhyun. On reviendra si on le peut...

Baekhyun avait un pincement au cœur.

- Le restaurant sera vide, sans vous. Vous aussi, prenez soin de vous, et du petit.

Le couple se rassit dans la voiture et sourit gentiment. Ils firent signe de la main et Baekhyun fit de même. La voiture s'éloigna et il songea à ses propres paroles. Il avait tant aimé les voir régulièrement à la même table et pouvoir leur offrir son sourire, cette petite habitude. Cela lui manquerait.
Une légère brise balaya sa chevelure. Il regarda autour de soi. La rue était vide. Il n'y avait plus aucune trace de la neige. C'était étrange.

Il retourna à l'intérieur de la maison, brièvement, seulement pour prendre son manteau long. Il fourra les clés dans sa poche, prit son portefeuille et son portable et serra on écharpe avant de claquer la porte derrière lui. Quelle heure était-il ? Il regarda sur son écran et fronça les sourcils. Quatorze heures ? Il avait dormi tout ce temps ? Il passa une main dans ses cheveux, se mit à marcher dans la rue. Malgré le plaisir et l'amour de la veille avec Chanyeol, il avait le cœur lourd. Cela n'allait pas, il le sentait. Rien n'allait, c'était horrible. Il sentait la balance vaciller. Le malheur prenait sur le bonheur. Était-il arrivé à un point de non-retour ? Est-ce sa vie se résumerait éternellement à cela ? Peut-être qu'il n'était tout simplement pas possible de recommencer un vie. Peut-être que ses espoirs d'une vie meilleure avaient toujours été insensés. Il avait l'impression que le bonheur tirait sur son bras droit et que le malheur tirait sur son bras gauche, comme un combat de corde. Tomberait-il du côté gauche ?

Ses pas résonnaient dans la rue, comme toujours lorsque personne ne pointait le bout de son nez dehors. C'était comme si tous les habitants avaient déserté le village. Depuis quelques jours maintenant, Baekhyun tombait de plus en plus rarement sur des gens, sur des voisins. La toux l'immobilisa brièvement. La maladie n'arrangeait rien à sa situation. Il frappa dans une cailloux, le faisant valser plusieurs mètres plus loin. Il avait tellement envie de se déverser tout ce qu'il retenait en lui, il avait tellement envie de vomir ses inquiétudes, de crier à quel point tout était mauvais, à quel point on essayait de le détruire. Il voulait le briser jusqu'à ce qu'il ne puisse plus du tout, jusqu'à ce que soit tout simplement beaucoup trop, trop, trop et trop. Jusqu'à maintenant il avait tenu. Il était resté lucide, du mieux qu'il pouvait. Il jurait qu'il faisait tout pour rester ce qu'il était. Il faisait tout pour ne pas se perdre dans la folie, dans la dépression, mais c'était tellement difficile... Il était tiré des deux côtés. Abandonne ou résiste.

Il subissait littéralement. Il se prenait tout, chaque coup, chaque mot porté comme un coup de poignard dans le cœur. « Tu n'as jamais été seul. » « Tu te rappelles ? » « C'était quand on t'aimait encore. » « Tu ne seras pas attendu. » Toutes ces phrases, tous ces mots, toutes ces armes utilisées contre lui. Il s'amusait sûrement de le voir se battre, crier et pleurer, puis rire, il s'amusait sûrement de le voir agir vainement, de le voir se perdre dans ce conflit intérieur, dans ce tourbillon qu'il lui avait soufflé en lui. Cette tornade dévastatrice contre laquelle il se battait, cette masse de vent qui le frappait de plein fouet mais laquelle il s'entêtait à contrer. Il ne voulait pas se laisser emmener, il ne voulait être envolé par les hélices du mal, il ne voulait pas devenir comme eux, il ne voulait pas cela, non, il ne voulait pas en arriver là. Le vent ne l'emmènerait pas, que la tornade fût violente ou non, il ne laisserait pas tout cela s'abattre sur lui. Il voulait rester quelqu'un de bien. Même s'il voulait le faire tomber, même s'il voulait faire de lui quelqu'un de mauvais, même s'il le détruisait jusqu'à ce que larmes ne cessent de couler le long de ses joues, s'il fallait pleurer éternellement pour rester quelqu'un de bien, s'il fallait passer ses journées à rester dans le silence morose des larmes, s'il fallait tout cela, alors Baekhyun continuerait à rester ce qu'il était. Il continuerait à se battre contre le mal. Il pleurerait toute sa vie son cœur brisé, mais jamais il ne deviendrait comme eux. Eux, les criminels.

Il s'était mis à courir. Comme si un aimant l'y avait attiré, il courait sur le chemin de campagne, ce chemin qui traversait la forêt. Ce sentier qu'il aimait emprunter parce qu'il lui apportait la sérénité dont il avait tant besoin. Il lui semblait que les mots, que les regards et les mains dont il se souvenait s'étaient plantés dans sa chair en prenant la forme de couteaux. Des dizaines de couteaux introduits dans sa chair avec brutalité. Les lames avaient perforé sa chair, ses muscles, faisait couler son sang, sa substance restante, tout ce qui restait de son énergie, de sa force. Le temps passait sans que Baekhyun ne s'en rende compte. Le temps passait, les oiseaux volaient au dessus de sa tête mais il continuait à courir. Parce qu'il ne pouvait pas crier, parce qu'il ne voulait pas pleurer, pas maintenant, il déversait ses peurs, sa haine, sa rage, sa tristesse et sa douleur en courant à s'en trouer les poumons. Ses chaussures martelaient le sol, ses cheveux et les pans de son manteau virevoltaient au rythme du vent. Les poings serrés, les phalanges saillantes, sa silhouette filait entre les arbres, entre les ombres d'un soleil taquin. Les rayons apparaissaient puis disparaissaient, la lumière se battait contre les nuages, contre la barrière de l'ombre. Il courait comme un fou, les mâchoires serrées, insouciant de son cœur ou de ses poumons fragiles et malades.

Il atteignit la fermette abandonnée, poussa la clôture délabrée qui s'ouvrait sur elle. La porte d'entrée n'était pas verrouillée, les carreaux avaient été brisés, le lierre s'était déjà faufilé à travers comme un serpent venimeux. Elle s'ouvrit en grinçant terriblement. Le bois était vermoulu, en pleine décomposition. L'air dans le couloir était humide. Toutes les fenêtres laissaient entrer le vent et la pluie qui s'était mise à tomber. Baekhyun longea le mur avec les mains, sur le papier peint complètement déchirés et décolorés. Il ne prit pas la peine d'aller voir la cuisine, ni les autres pièces du bas. Les souvenirs refaisaient surface. Les sourires de Minseok et les siens. Les mains qu'ils se donnaient en courant d'un étage à l'autre. L'endroit était dangereux, délabré et totalement instable, mais peu lui importait.
Il monta les escaliers, fit grincer les marches en bois sous son poids. La rempart en chêne s'écrasa sous sa peau, molle à cause de la moisissure et des vers qui l'avaient trouée. Il arriva à l'étage, passa son regard de gauche à droite. Des anciennes chambres d'enfants, une ancienne salle de bain. Des tableaux complètement déchirés. Tout était là pour rappeler la maison abandonnée que Minseok et lui avait trouvée. Leur petit jardin secret et dangereux. Leur endroit préféré. Leur endroit maudit. Les images repassaient dans sa tête, cette enfance qu'il avait chérie et détestée en même temps.
Il leva le bras et tira sur la poignée pour ouvrir le toit au grenier. Le cœur de Baekhyun battait tellement fort dans sa poitrine. Tout était tellement cinglant. Il était pris d'assaut par les images de son passé mais c'était lui qui s'infligeait tout cela. Est-ce qu'il voulait comprendre ? Est-ce qu'il voulait oublier ? Il monta les marches du grenier. Etrangement, la vieillesse et le manque d'entretien semblaient moins les avoir atteintes que les autres endroits de la maison. L'odeur chaude et humide du toit le frappa tellement que son cœur rata un bond. Sa respiration s'accéléra. Il s'assit à même le sol, ramena se jambes près de son torse et posa le regard sur ses chaussures. Il clôt les paupières. Il se revoyait, là, dans le grenier, il se revoyait contre Minseok, leur regard apeuré, cette incompréhension qu'ils pouvaient se lire sur le visage. Minseok avait pris fermement sa main et pourtant il l'avait lâché par la suite sous les coups qu'on lui portait. Depuis Baekhyun avait toujours tendu la main, pour qu'il rattrape ce geste perdu. Minseok l'avait ignorée, pendant neuf ans. Il faisait chaud, ce jour-là. Baekhyun l'avait regardé se faire frapper, il avait secoué la tête. Il n'avait pas voulu qu'on le frappe. Il savait que son père avait fait pareil et que Minseok était toujours revenu en pleurs. Il ne voulait pas. Minseok criait. Baekhyun plaqua les mains sur ses oreilles tandis que les souvenirs remontaient, le prenaient à la gorge, appréhension qu'il se fixait lui-même. Le moment arrivait. Les pas qui s'approchaient de lui. Les mains puis les paroles. Il avait regardé Minseok. Il n'avait pas voulu. Il avait les yeux ouverts. Il avait tout vu, tout suivi. Tout suivi de ses yeux d'adolescents. Baekhyun se mit à secouer la tête. Il serra ses jambes, les cacha de son manteau long. Les mains, les mains, partout. Il secouait la tête, inlassablement. Minseok le regardait. Il le regardait lui aussi, il appelait à l'aide. Il n'avait pas voulu. Il n'avait rien demandé. La pluie tombait comme des balles de plomb. Elle frappait le toit avec acharnement. Ce jour il faisait beau. Baekhyun plongea la tête entre ses jambes, se balança d'avant en arrière. C'était fou comment on pouvait se rappeler de sa propre voix, il s'en souvenait avec une telle clarté, avec une telle précision que cela en devenait effrayant. Les cris, ses cris. Pourquoi avait-il retenu cela ? Sa voix, stridente, tranchante, marquée d'incompréhension, de douleur, de surprise.

Baekhyun releva la tête et cria. Il cria et cria, tira sur le tissu de son pantalon. Il hurla à en perdre la voix et sa vue se flouta. Il plaqua les mains sur son crâne et se mit à pleurer. Cette impression d'être coincé, que la scène recommençait. Cette incapacité à bouger, à se sortir du danger. Les mains, toujours les mains. Autour de ses poignets, sur lui, autour de ses chevilles, dans ses cheveux parce qu'il se débattait. Il cria encore, partit dans un sanglot déchiré. La sensation du bois contre son dos, l'odeur du bois et de la chaleur dans ses narines. Puis ce regard, qu'il découvrait pour la première fois. Ces yeux froids, terriblement froids. Des yeux dans lesquels la lumière s'était éteinte, des pupilles mortes, des pupilles rétrécies à leur maximum et un iris gris, pénétrant. Il n'y avait plus rien en lui, plus rien de vivant, pas de cœur qui battait. Le néant. Baekhyun ferma les yeux et hurla encore, sans retenue. Ses poumons se bombaient et se relâchaient avec violence. Puis sa voix tremblait, sa respiration aussi et il n'arrêtait plus de se balancer. Les bras de sa mère, le sourire de son père, pourquoi, pourquoi, pourquoi... Le grenier, les bruits de pas sur le bois, toujours et encore qui revenaient, ce concert machiavélique de chaussures. La terreur et les mains et les cris.
Il n'avait pas voulu...

Il se mit à rire entre ses sanglots. Il voulait le détruire, il voulait jouer. Il passa une main dans sa chevelure. Les larmes avaient mouillé ses joues et les cris abîmé sa voix. Il avait compris. Il se releva soudainement. Tout cela allait se terminer, tout cela devait cesser. C'en était assez, c'en était trop. Il descendit les marches du grenier, dévala celles de l'escalier, en brisa une au passage, il se mit de nouveau à courir, sortit de la fermette abandonnée. Son cœur criait, son cœur se déchirait. La pluie mouilla ses vêtements, l'eau l'éclaboussa à chaque pas de plus. Ses cheveux se balancèrent dans le froid de la pluie, se trempèrent mais il continuait. Le sentier était devenu boueux en moins d'une heure. Le démon était à ses trousses. Au loin il put apercevoir une silhouette frêle dans la pluie. Baekhyun ralentit, observa. Sa respiration était totalement saccadée. La colère avait pris place en lui. La colère et surtout la rage. Mais une rage saine. Une rage qui lui donnait la force de terminer, la force de mettre terme à tout cela. Pourtant il n'y avait pas que cela. Son corps tout entier tremblait de peur, de terreur face à ce qui allait se passer inexorablement. Il s'approcha de la silhouette, lentement, et la chair de poule ne tarda pas lorsqu'il remarqua que c'était la même vieille dame que la dernière fois. Le début des emails et le début de cet enfer. Comme avant, la dame ne sembla pas de suite apercevoir sa présence. Il pleuvait des cordes. Elle murmurait dans sa barbe, la tête baissée. Baekhyun secoua la tête. Il se retint de lui crier dessus, de lui crier de dire ce qu'on lui avait dit de dire, ce dont on l'avait convaincue, pauvre femme instable qu'elle était. La dame leva un regard hésitant vers lui, fit deux pas pour s'avancer et se pencha vers Baekhyun.

- Je crois que le chasseur est là. Le chasseur est là. Il est là... Il faut faire attention, il ne faut pas rester dans la forêt.

Puis elle baissa à nouveau le regard. Elle lui parlait sans lui parler. Il frissonna.

- C'est dangereux, vous voyez... Il risque de prendre les gens pour du gibier. Et les chiens, les chiens sont lâchés...

Baekhyun respira douloureusement.

- Vous savez où se trouve mon petit-fils ? Je lui ai dit que j'irai chercher sa sœur mais je ne la trouve pas...

Puis elle continua à marcher tout en secouant la tête. Baekhyun n'attendit pas pour se remettre à courir. Il jeta un dernier regard paniqué vers la dame et fila sur le chemin du retour. Son cœur n'avait jamais battu aussi fort. Il laissa la pluie s'abattre sur sa peau, sur ses vêtements sans s'en soucier. Il aperçut le bout du chemin, remonta la rue, sortit le portable de sa poche. La pluie s'écrasa sur l'écran, il composa le numéro de Chanyeol tout en courant. En quelques secondes, il entendit sa voix.

- Baekhyun ?

- Chanyeol... Il est là, dit-il, au bord des larmes, tiraillé entre la rage et la peur.

Il coupa aussitôt et regarda derrière lui. Son cœur était parti dans un rythme infernal. Il courait comme il n'avait jamais couru. Son souffle était erratique, son corps était tendu, tremblant, conscient. Il respirait et sentait son cœur se serrer de plus en plus. Ce n'était pas vraiment de peur, c'était un mélange d'angoisse et d'appréhension. Il entendait le tic tac de l'horloge, du minuteur. Il voyait le sablier écouler ses dernières minutes. Ses bottines martelaient le sol, il n'arrêtait pas de courir avec pour seul but d'atteindre le plus rapidement possible la maison. Il courait sur la route, insouciant des rares voitures qui l'empruntaient. Ce n'était que la fin de l'après-midi mais le soleil se couchait déjà, dévorait doucement le ciel. Les lampadaires projetaient déjà son ombre au sol et de insectes affolés par la pluie se cognaient contre la source de lumière. Il était trop tard pour réfléchir, il était trop tard pour regretter. Le moment était venu, il le savait. Il fallait qu'il atteigne la maison le plus rapidement possible. Il le fallait absolument, c'était le seul moyen.

Le vent et la pluie étaient glacials. Seuls ses membres réagissaient, ses sens, cet instinct qu'il avait tant entraîné pour sa survie. Il aperçut leur maison au loin et accéléra sa cadence. Ses poumons étaient en souffrance, sa gorge et sa langue étaient sèches. Ses cheveux virevoltaient, ses pupilles tremblaient. Baekhyun savait qu'il était là, il avait compris que le jour qu'il avait redouté pendant si longtemps était arrivé. Ce « test » qu'il avait toujours et encore craint. Ce moment où ses peurs, ses souvenirs, son passé allaient refaire surface et le guider, ou au contraire le noyer.

Il entendit des pas pressés derrière lui et son sang ne fit qu'un tour. Il fallait qu'il supporte tout cela, il fallait surtout qu'il ne laisse pas tomber, qu'il arrive à la maison. S'il n'y parvenait pas, il n'aurait aucune chance, aucun avantage. Il gémissait tellement sa respiration était irrégulière. Son état était déjà handicapant. Sa santé le désavantageait. Avec sa maladie il arrivait rapidement à saturation et devait tousser, ce qui l'empêchait de contrôler sa respiration. Ses poumons étaient malades et les antibiotiques ne le soulageaient qu'un peu. Mais il mordit ses joues, serra les poings, courut jusqu'au portail de leur maison. Aussitôt il se jeta sur la porte d'entrée et sortit ses clés. Les mains tremblantes il tenta de déverrouiller la porte, dut s'y reprendre à deux fois avant qu'elle ne s'ouvre devant lui. Au même instant, un violent coup lui fut porté dans le creux des genoux et il s'effondra sur le sol du couloir. Son menton rencontra le sol sans douceur et un gémissement de douleur s'échappa de sa gorge. Il se força à se reprendre aussitôt, son cœur battait tellement fort que l'inconscience ne sut même pas l'emporter. Il s'obligea à éclaircir sa vue et à se relever, s'appuya sur ses bras. Son regard se leva, la porte claqua, un homme s'approcha. Baekhyun serra les mâchoires et porta son regard sur son agresseur. Sa cage thoracique s'était paralysé tellement l'angoisse l'avait gagné. Les tendons saillaient à son cou. Ses pupilles avaient rétréci à leur maximum, ses joues s'étaient creusées. Le visage de l'homme était impassible. En quelques années, il avait eu le temps de changer, mais Baekhyun aurait pu malgré tout le reconnaître entre mille. Jamais de sa vie il n'aurait pu oublier ses traits.

- Tu es terrifié, dit l'homme, comme en un murmure.

Cette voix silencieuse, cette voix sans intonation. Il eut du mal à ne pas baisser le regard devant ces yeux de glace. La cicatrice, au-dessus de son sourcil, et puis ce tic qu'il avait, un mouvement de doigt, à cet endroit. Cela ne servait à rien de cacher sa peur, de cacher à quel point il n'était pas sûr de lui. Son rythme cardiaque et son regard, sa position le trahissaient. L'homme pouvait voir à travers lui, il pouvait lire tout ce qu'il voulait. Il connaissait Baekhyun mieux que Baekhyun ne se connaissait lui-même. Il s'approcha, lentement, une forme d'intimidation, mais c'était plus encore. Il s'approcha et posa une main, légère, sans aucune violence sur la joue de Baekhyun. Ce geste suffisait à lui seul. Son index se mut sur sa peau et il frissonna de répugnance et de peur.

- Tu étais heureux d'avoir de mes nouvelles ? demanda-t-il en passant un doigt sur les lèvres de Baekhyun.

Son regard vide brillait dans l'obscurité. C'était comme si, profondément en lui, la flamme s'était éteinte. Baekhyun était paralysé par la peur qui suintait de ses vieilles blessures, ces entailles dans sa chair infectée qui ravivait ces douleurs oubliées. La terreur, dans son état brut, de sa seule et unique facette. La terreur qui désormais le faisait trembler tout entier. Cette terreur et les souvenirs qu'elle ressuscitait. Les images qui remontait et qui le noyait dans un raz de marée. Il était pris de secousses, de sueurs froides et de nausées, il avait l'impression de s'être perdu, que la présence de cet homme l'asphyxiait, qu'il aspirait ses forces, sa flamme de vie. Affronter ce regard, sentir cette main et cette voix frôler sa peau le vidait de son âme. Et c'était la terreur qui comblait ce vide.

- Pourquoi après tout ce temps... demanda Baekhyun, la voix à peine audible.

Son buste se bombait sous sa respiration saccadée et cette appréhension maladive. Le visage de l'homme n'exprimait aucune émotion. Rien ! Comme un visage de fer, impassible. Ses yeux étaient sombres et froids, immobiles, ils se frayaient un chemin dans son regard et sa peur. La main glissa à nouveau sur sa bouche, son index tenta de se frayer un chemin entre ses lèvres.

- Pourquoi... murmura-t-il à nouveau.

L'homme émit un très léger rire. C'était à peine perceptible mais Baekhyun le remarqua. L'obscurité assombrissait son visage. Il n'avait jamais rit ainsi, il n'avait jamais émit des sons qui auraient pu trahir ce qu'il ressentait. La terreur le fit trembler de tout son corps. Le doigt suivit la ligne de ses lèvres. Baekhyun ne recula pas, il ne fit que tourner la tête. Cela suffisait. Il savait à quel point il avait horreur qu'il se dérobe.

- Très bien, dit l'homme toujours sans émotion dans la voix.

La gifle arriva immédiatement, d'une violence telle que Baekhyun chancela puis resta pétrifié sur place. La douleur se propagea instantanément sur tout son visage et sa joue s'enflamma. Il amena une main au niveau du coup et le regarda, complètement effaré. L'homme s'approcha une nouvelle fois de lui, prit son menton entre les doigts et regarda brièvement la trace rouge vive qu'il avait laissé sur son visage. Puis, lentement, il secoua la tête comme on secouerait la tête devant un enfant difficile. Baekhyun ne se rendait même plus compte si la situation était bien réelle ou non. Elle n'avait rien de réel.

Il ne sut reculer lorsqu'il s'approcha de lui. Il ne sut pas bouger non plus quand il se baissa vers lui pour l'embrasser. Ses poils s'hérissèrent et il ferma la bouche, serra les mâchoires. Son sang s'était glacé. L'homme s'arrêta sans reculer et le regarda. D'une main soudaine et violente, il tira son crâne en arrière par les cheveux. Baekhyun desserra la bouche sous la surprise et il sentit aussitôt sa bouche contre la sienne. Il tenta de le repousser mais il lui força le baiser sans qu'il n'ose faire un mouvement de plus. Ses muscles étaient tendus, il n'arriva plus à faire un seul mouvement. Lorsqu'il sentit tout à coup que sa langue se forçait entre ses lèvres, il passa les mains entre leur ventre et le poussa pour le faire reculer. L'homme accentua la force de sa main dans sa nuque et de celle dans ses cheveux mais Baekhyun se débattit plus fort en gémissant. Son cœur était déjà parti au galop, il grimaça sous la douleur et tenta de se soustraire à son emprise. Le visage de l'homme changea de ton, devint soudainement plus noir, beaucoup moins calme. Sans attendre, il attrapa le cou de Baekhyun et le serra entre ses deux grandes mains. Ses muscles saillirent sous la violence de son geste et il le poussa brutalement contre le mur. L'homme pouvait sentir chacune de ses vertèbres sous ses doigts, chaque courbe de cet endroit fragile. Baekhyun ouvrit la bouche sans pouvoir émettre un seul son, suffoqua sans qu'un seul bruit ne sorte de sa bouche. Ses pouces appuyaient fermement sur sa trachée, empêchait un passage quelconque d'air. Tous les deux se fixèrent dans un silence terrible. Les veines du cou de Baekhyun ressortaient sous la violence du geste, ses yeux larmoyaient, ses oreilles bourdonnaient. Le regard de l'homme se perça dans celui terrorisé de Baekhyun. Son front était plissé, ses sourcils haussés de désespoir, tout son visage témoignait de ses émotions. Il porta ses mains sur celles de son agresseur, griffa la peau du dos de ses mains, se débattit, mais plus il bougeait plus ses paumes se resserraient autour de sa trachée. D'un coup Baekhyun cogna ses deux paumes contre les tempes de son agresseur et assena un coup violent entre ses jambes. L'homme siffla et cria de douleur, se tordit en deux. Baekhyun en profita pour se libérer et avaler toute une goulée d'air, pour se remplir les poumons d'oxygène. L'agresseur poussa un cri de rage comme il n'en avait jamais fait et agrippa tout à coup son col avant de l'envoyer sur la gauche. Baekhyun valsa et retomba sans douceur sur le parquet. Le criminel s'avança avant de se pencher sur lui.

- Non... supplia soudainement Baekhyun en tressaillant.

L'homme le bloqua au moyen de son genou et de son poids.

- Tu n'es pas tendre, je m'y attendais, répondit-il en sortant quelque chose de sa veste.

Baekhyun le repoussa de toutes ses forces, mais il ne fit que se prendre un coup au visage en riposte. Il aperçut la lame d'un couteau jaillir de son manche, briller brièvement. L'adrénaline le réveilla d'un coup. Alors que son agresseur s'apprêtait à approcher l'arme blanche de lui, il élança son bras et heurta violemment la main qui la tenait. L'homme fut contraint de le lâcher. Le couteau à cran d'arrêt glissa sur plusieurs mètres avant de s'immobiliser devant une fenêtre. Les yeux noirs de colère, son adversaire le frappa au visage, une fois, deux fois, le souffle bruyant. Baekhyun cria sous la douleur, se débattit sous ces coups qui rappelaient chaque hématome que Minseok lui avait laissé. D'un geste rapide, l'homme releva son t-shirt et découvrit ses cicatrices.

- Ne m'oblige pas, rugit-il entre ses dents, à le faire avec mes propres ongles !

Il attrapa son col et frappa une troisième fois son visage d'un coup de poing vif. Le sang se mit à couler aussitôt de son nez. Le regard avait perdu toute lucidité, amplement contrôlé par la rage. Baekhyun suffoqua devant ce regard, cette sensation qu'il lui procurait. Le bras de l'homme se releva pour s'abattre sur lui, mais il l'arrêta de justesse de sa main gauche. Aussitôt avantagé, il riposta d'un coup violent dans la gorge. L'agresseur fut brièvement déséquilibré. Baekhyun planta instantanément deux de ses doigts dans les yeux de son vis-à-vis. Il put alors immédiatement se relever et se défaire de son emprise. La douleur était telle que l'homme hurla et ne sut pas empêcher Baekhyun de se lever. Lui s'était complètement redressé et tentait de contenir la souffrance au niveau de ses yeux. Malgré l'horrible douleur, il rouvrit les yeux, rouges et larmoyants, se redressa et se jeta sur le couteau près de la fenêtre. Il le brandit juste en face de Baekhyun.

- Fils de pute ! Tu veux faire le plus malin ? rit-il. Très bien, on va jouer à ça... !

- Je ne joue à rien ! hurla Baekhyun la voix éraillée, au bord des larmes, pris par la panique.

Il avait plié les genoux, le cœur battant la chamade, prêt à éviter un coup. L'agresseur fit un pas en avant, fit siffler le couteau devant son visage. En voulant se dérober, sa joue fut écorchée et le sang n'attendit pas pour perler de sa plaie. Il fit un pas vers la droite, fit valser un vase qui se trouvait sur la table sur son adversaire. Le verre le frappa de plein fouet mais l'homme avait une carrure musclée et forte, cela ne fit que ralentir sa capacité à réagir. Il revint alors à l'assaut, le couteau fermement tenu et l'agita agilement en sa direction. Baekhyun se baissa, évita, donna un coup de jambe dans la hanche de son vis-à-vis du mieux qu'il put pour le faire reculer. Il avait du mal à respirer, sa langue était lourde et il avait l'impression de ne plus avoir de palais. L'agresseur réussit à attraper son poignet à dépourvu, le tordit brutalement et le poussa jusqu'au fond de la pièce. Il bloqua son corps contre un meuble, faisant tomber tous les objets qui s'y trouvaient. Baekhyun planta ses ongles dans ses phalanges, griffa ses mains comme une bête enragée, en mordit même la peau du dos. L'homme serra les dents et ne se laissa faire. Il lui mit le couteau à la gorge et sourit soudainement. Baekhyun se déchaîna et se tordit dans tous les sens, mais c'était une main de fer. Le dos plié, ventre contre la surface de la commode, il déglutit difficilement en sentant le froid métallique contre sa peau.

- Je t'ai finalement, parla l'homme, essoufflé. Tu manques vraiment de discipline, enculé.

Il plaqua une main dans sa nuque pour garder sa joue contre le bois du meuble. Baekhyun tenta de se relever en s'appuyant sur la surface du meuble mais sa force ne suffisait pas. Il gémit et tortilla les bras mais un craquement dans sa nuque le fit cesser tout mouvement. La douleur s'accompagna d'une sensation de chaleur désagréable qui se dispersa dans son dos. Il grimaça. L'homme ne fit plus un seul mouvement, se contenta de le retenir avec une force inimaginable. En plus de ses mains il le bloquait également du bas de son ventre. Face à lui, couché, Baekhyun bougeait comme un serpent furieux qu'on tentait de retenir entre ses deux mains. La seconde main de son attaquant passa dans sa chevelure, sans violence, caressa ses mèches.

- Ça ne te rappelle rien, cette position... ? sourit-il en se courbant sur lui, rapprochant son visage du sien.

Baekhyun repéra une statuette sur sa droite. Alors que l'homme pensait le tenir fermement, il réussit à s'en emparer et le frappa brutalement à la tête. Sous la surprise il recula et flancha brièvement sans tomber pour autant. Il était bien plus résistant que ce qu'il avait cru ! Baekhyun se redressa et chancela, se rattrapa au mur. Son agresseur s'était déjà relevé quand il se jeta soudainement sur un outil de cheminée en métal noir et l'abattit violemment au niveau la nuque. Il ne tomba pas tout de suite alors il frappa une seconde fois, hors d'haleine, plus forte cette fois-ci. Le bruit du fer contre l'os le fit trembler de dégoût. Le criminel s'écroula enfin au sol, sifflant entre ses dents. Le sang bourdonna dans les oreilles de Baekhyun. Il eut du mal à retrouver sa respiration, ses membres tremblaient terriblement. Il voulut reculer mais au même instant l'homme agrippa ses deux chevilles et tira dessus avec brutalité. Baekhyun perdit l'équilibre et tomba de tout son long sur le dos. Il cria de douleur tandis que l'agresseur rampa d'un coup jusqu'à lui et appuya sur ses épaules pour le bloquer au sol. Comme il se mit à se débattre de toutes ses forces, il coinça ses jambes avec ses genoux et les lui enfonça dans les muscles. Baekhyun poussa des plaintes alors qu'il essayait de libérer ses jambes, en vain. La terreur le prit de nouveau. Le regard était tellement sombre, tellement froid et fou. Son visage était tendu, concentré mais l'indifférence semblait avoir été brisée. Il revit le sourire et réentendit le rire d'à l'instant. Les souvenirs l'assaillirent sans attendre, sans pitié, et les cris sortirent de sa bouche de manière presque irréelle. Une main se plaqua sur son visage et il se débattit plus furieusement encore. Mais le poids et la force du médecin étaient de trop pour lui. Ses mouvements étaient vains. L'homme sortit quelque chose de la poche arrière de son pantalon et il entraperçut une seringue entre ses doigts. Le coup fut porté sans qu'il n'ait eu le temps de réagir. Il tenta de le repousser et de forcer sa main mais l'aiguille s'enfonça dans son cou et le liquide se mit à couler instantanément dans ses veines. Il hurla sous la paume et son regard se bloqua sur celui de l'homme. « Silence ». Pas un son ne franchit ses lèvres. Pas une seule trace de colère, pas une seule trace de satisfaction au fond de pupilles. Un gouffre géant. Une trou noir qui l'emportait tout entier, à chaque fois. Pire que les gestes, pire que les paroles. Le silence des regards. La main passa sans douceur sur son pantalon et à partir de ce moment-là il ne sentit plus que la lame sur sa gorge. Son cœur fit un bond puis se mit à ralentir. Son esprit se mit à flotter, il fut pris de tournis, de sueurs froides, une douleur atroce électrisa ses tempes. Que contenait la seringue... ? Devant ses yeux tout se confondit. Il essaya de se concentrer sur ses membres. Tout semblait soudainement lent, très lent. Son regard, ses mouvements. Il cligna des yeux et tâta le parquet de sa main. Il eut comme une décharge dans le bas du corps, ses doigts touchèrent le bout de l'arme, sous le canapé, mais ne purent l'attraper. Son souffle devenait lent et irrégulier. Sa tentative pour s'emparer du semi-automatique lui parut durer éternellement. Il ne savait plus ce qui lui arrivait, ni ce qu'on lui faisait. Il ne reconnaissait plus son environnement. Il se concentra uniquement sur le pistolet. Des sons incontrôlés sortaient de sa gorge, entre le sanglot et la douleur. C'était étrange, effrayant. Sa vue était couverte d'un voile blanc. Il voyait des ombres mais pas de contours précis. Il sentait sa conscience lui échapper et sa dernière chance s'envoler. Ses yeux n'avaient pas de repères, se baladaient presque au rythme des vagues. Il sentait le battement de son cœur ralentir, de plus en plus. C'était douloureux, c'était oppressant, étouffant. Il avait toujours son bras tendu vers le dessous du canapé mais l'homme ne semblait rien remarquer. Il avait l'impression que sa voix ne lui appartenait plus. Tout ce qu'il entendait était des sons dont il ne reconnaissait pas l'origine et le bruit de sa respiration, lente et bruyante. Le sang lui monta à la tête, bourdonna encore et encore, comme un son interminable et strident. Poupée de chiffon, son corps ballant, mou, dont il ne contrôlait plus rien. Il se sentait infâme, sa tête tournait dans un sens, puis dans l'autre. Tout devait se passer rapidement, mais c'était comme si ses sens s'étaient mis au ralenti. Ce n'était pas plus mal, s'il ne sentait rien. Il ouvrit la bouche mais il n'y avait que ce son, qui ne lui correspondait pas. Il contracta une nouvelle fois le bras, tendit les doigts au maximum puis il y eut un mouvement et sa paume heurta le métal de l'arme. En une fraction de seconde, il saisit le manche de l'arme, leva le bras et la pointa sur l'ombre de l'homme. La proximité était telle qu'il fut sûr de toucher s'il tirait. Et il tira, sans une once d'hésitation. Le flash du coup de feu l'éblouit, le bruit éclata ses tympans et il ressentit une immense douleur dans le poignet droit. Le sang gicla à son visage, il tressaillit, lâcha l'arme en un fracas métallique. Il ne vit rien venir. Baekhyun relâcha entièrement son corps. Il regarda ses mains, tremblantes, puis regarda l'homme. La balle avait troué le crâne. Il laissa pendre son regard dans le vide de la pièce. Le son autour de lui s'étouffa. Il n'avait plus la force de pousser le corps, de se libérer de cette chose répugnante affalée sur lui. Tout ce qu'il entendait à présent, c'était son cœur, lent, très lent, toujours plus. Il faisait un effort incroyable pour garder les paupières ouvertes. Il voulut pleurer mais ses yeux étaient secs. Aucune pensée ne traversa son esprit. Le poids du corps appuyait sur sa poitrine, accentuait la sensation que son cœur étouffait. L'impression qu'il rétrécissait, qu'il durcissait. Il sentait le battement givré de l'organe. Un nom passa devant ses paupières lorsqu'il les ferma. Chanyeol.

La porte s'ouvrit en trombes et la voix de Chanyeol retentit dans la pièce. Un cri. Comme si le temps était au ralenti. L'inertie de Baekhyun. Il accourut, se jeta à genoux, le soustrait au corps qu'il le recouvrait. Le temps était flou. Les cris comme étouffés. Les cris à en trouer le cœur. Des cris comme des balles. La voix qui suppliait de répondre. Baekhyun ne les entendait pas. Pas de pouls, pas de respiration. Pas de réponse ni de regard. Puis deux mains sur son sternum, l'une sur l'autre. Cent mouvements par minute. Des mouvements violents, gestes pour appeler son cœur à la raison. Les minutes étaient comptées. Un, deux, trois. Plus le cerveau restait sans air, plus les dégâts étaient graves. Huit, neuf, dix. Chanyeol ne comptait même plus. Le visage de Baekhyun était pâle, devant lui. Ses lèvres étaient plissées, tranquilles. La voix était à peine perceptible. Il n'entendait plus rien, ne voyait plus rien. Ni les gyrophares, ni les sirènes stridentes. Absence de pouls, pas de respiration. Chanyeol n'arrêtait plus. Chaque mouvement comptait. Des ambulanciers arrivèrent. Baekhyun n'avait toujours pas rouvert les yeux. Il frotta le sang de son visage. On le prit sur un brancard. Les roues claquèrent sur le seuil de la porte. Chanyeol se glissa à l'arrière du véhicule. Des voitures de police s'étaient arrêtées devant la maison. L'ambulance démarra en tombes. Puis l'autoroute. Il n'entendait pas les voix des ambulanciers.

- Baekhyun, réponds, je t'en supplie...

Les ordres. Faites ceci. Donnez ceci. Chanyeol avait rivé son regard sur Baekhyun. Le rythme cardiaque n'existait plus. Son visage paraissait doux. Il lui prit la main, la broya presque entre ses doigts.

- 3000 volts, préconisé ? – Oui. – Un, deux, trois, choc.

Son torse sauta en l'air, retomba sur le brancard. Pas de réponse, pas de changement. Bruit strident de la machine. Sa poitrine sauta une nouvelle fois, son visage retomba. Toujours rien. Les regards concentrés.

- 5000 volts, ok ? – Ok. – Un, deux, trois, choc.

Son buste se souleva violemment, ses bras retombèrent. Et puis soudain la petite courbe sur l'appareil. Le bip qui se met en marche. Le soulagement. Chanyeol serrait sa main inerte comme il ne l'avait jamais fait.

- C'est bon. – Stable ? – Irrégulier.

Ils semblaient avoir oublié Chanyeol. L'ambulance filait à toute allure sur l'autoroute. Les sirènes hurlaient. Chanyeol lâcha la main à contrecœur lorsqu'un ambulancier voulut prélever du sang.

- Blessures visibles ? – Poignet mou, saignement au nez, coupures légères sur la joue.

Le cœur de Chanyeol n'avait jamais battu aussi fort. Un ambulancier remit le pantalon de Baekhyun sur sa peau. Il remarqua l'énorme trace rouge autour de son cou, déglutit.

- Appelez l'hôpital pour prévenir le service de médecine légale. – Tout de suite.

Il avait arrêté de pleuvoir, dehors. Des bâtiments gris, moroses à l'horizon. Bientôt ils aperçurent la ville.

« Sur l'échiquier de sa vie
Il déplace ses pions
Mais la peur c'est ainsi
La vie n'est qu'une partie d'échec. »

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