Chapitre 10 - Les mains blanches
« Je sais, je sais,
Ce que vous voulez
Je sais, je sais
Que vous voulez ma peau
Je sais combien elle vaut. »
Le silence meublait la chambre. Sa lourdeur ne démangeait pas, au contraire, elle apaisait. Dehors, certains arbres au tronc fin se mouvaient au rythme de la brise nocturne qui brossait les maisons. Le village entier était complètement silencieux. Pas de miaulement rauque de deux chats en conflit, pas de ululement mystérieux ni bruits de pattes sur l'herbe ou craquement de brindilles. C'était comme si l'endroit tout entier avait été mis en pause.
Baekhyun et Chanyeol étaient tout deux couchés, immobiles, partis loin dans un sommeil profond de rêves et de cauchemars. Une sorte de deuxième monde, un monde imaginaire, un univers que Baekhyun maîtrisait encore moins que le réel. Il était parti dans cet abîme tant redouté, un trou noir de souvenirs mélangés avec toutes ses craintes imaginables, avec toutes celles qui l'hantaient un peu chaque jour. Il s'était perdu dans ce monde utopique et terrifiant où il était un acteur forcé et dans lequel il n'avait qu'un repère : ses souvenirs.
Les choses qu'il fuyait s'imposaient avec violence et il lui était impossible de les ignorer. Elles lui faisaient face, il était attaché. Dans son cauchemar, il tentait de se débattre, essayait de fuir, de courir, mais ses membres étaient enchaînés. Les souvenirs déguisés en monstres ou en démons s'avançaient vers lui et il ne pouvait rien y faire. Sa respiration était saccadée, ses membres rougissaient sous ses efforts pour se défaire de cette toile de fer. La noirceur commençait à l'engloutir, il vit des visages, des dizaines et des dizaines de visages. Il n'arrêtait pas de tirer sur ses liens. Il tirait, s'abîmait la peau, s'éraflait les poignets, les chevilles, s'ouvrait la chair jusqu'au sang. Il se vit lever le regard. Dans la pénombre, les visages le fixaient. Il entendait des bruits, semblables à des cris, il tournait la tête avec angoisse, dans tous les sens, regardait autour de lui. Il ne parlait pas, personne ne parlait, on ne faisait que le regarder. Des pairs d'yeux, partout, braqués sur lui. Il ne pouvait rien dire, il ne pouvait éviter leur regard. Les chaînes qui le retenaient se transformèrent en mains, des doigts qui se mirent à serrer violemment ses poignets, ses chevilles, attrapèrent ses cheveux. Son corps s'était soudainement paralysé et il ne put plus se débattre. Il tressaillit et ouvrit les yeux.
Son corps était trempé, il tremblait. Sa respiration était désordonnée. Il se redressa et baissa le regard vers Chanyeol. Son repère, son vrai repère. Le seul et l'unique. Il dormait calmement, le visage recouvert par la pénombre. La lumière d'un lampadaire traversait les lamelles du store et se posait sur un bout de sa joue. Baekhyun inspira profondément et amena une main tremblante à son propre visage, le frotta anxieusement.
Les cauchemars se répétaient. Baekhyun connaissait leur signification. Tous symbolisaient la même chose, le même moment. Tous s'arrêtaient au même instant.
Il se découvrit. Il regardait vers le bas, immobile, le dos relevé. Son visage n'exprimait que la fatigue, la fatigue de tout. Il était lassé de ressasser chaque fois la même chose, la même tristesse, la même horreur. Il était fatigué de sentir à chaque fois son cœur se serrer. Il subissait, il n'en pouvait plus, ne savait plus, ne sentait plus, ne voulait plus. Il était arrivé à la limite qu'il s'était courageusement fixée.
Il se leva du lit, enfila un pantalon, un cardigan en laine et s'approcha de la fenêtre. Il jeta un coup d'œil dehors et aperçut les flocons de neige qui tombaient sur la route. Son regard s'y accrocha brièvement, le cœur battant. Dehors, le calme régnait, dehors la neige semblait adoucir la forêt, les quelques maisons isolées. Baekhyun se retourna et marcha silencieusement vers la porte de la chambre. Avec précaution, il l'ouvrit, se glissa derrière et la laissa contre. Sa silhouette se mut légèrement dans l'obscurité de la maison, il descendit les escaliers et s'approcha de la porte d'entrée. Il tâta sur une commode l'interrupteur d'une lampe sur pied, sa lueur respira puis il passa ses mains sur le tiroir, en ouvrit un ou deux avant de trouver son écharpe et ses gants. Il se baissa pour enfiler ses bottines fourrées avant de prendre doucement son manteau long. Enfin, il éteignit la lumière, prit les clés et ouvrit la porte d'entrée. Il avait le cœur qui battait fort. Il savait et en même temps ne savait pas pourquoi il faisait cela.
La porte se referma calmement derrière lui et il fit un premier pas sur la neige. Petit à petit, il se mit à marcher. La rue était déserte, les lampadaires l'éclairaient d'une lumière orange et les flocons de neige s'échouaient avec légèreté sur sa chevelure sombre. Il posa ses mains gantées contre sa poitrine et s'avança doucement. Sa respiration flottait dans le froid en un nuage vaporeux. Ses pas faisait bruisser la fine couche de neige. Il marchait, il ne savait où. L'ombre de sa silhouette était projetée au sol par les lampadaires. Il y avait peu de maisons, dans cette rue. Elles étaient chacune espacée par leur grand terrain et les petits chemins qui les séparaient.
Baekhyun serra son manteau plus près de son corps. Ses jambes fines filaient dans la nuit en un rythme lent et pourtant rapide. Il prit le chemin qu'il avait toujours emprunté, pendant toutes ces années. Ce chemin qu'il aimait tant. Il ne pensait pas. Il s'en fichait. Il avançait, c'était tout. Dans la neige, dans le froid, dans la nuit, entouré d'un danger qu'il connaissait par cœur. Mais il n'allait pas arrêter de vivre pour autant, il n'allait pas arrêter ses escapades secrètes, il n'allait pas cesser de faire ce dont il avait envie. Parce qu'il voulait être libre, parce qu'il voulait choisir, parce qu'une seule fois dans sa vie, il voulait s'assurer qu'il pouvait être celui qu'il désirait être. Il voulait être soi-même, il voulait être le Baekhyun qu'il était, il voulait avoir ses petits secrets inoffensifs.
Parce que cela le rendait heureux.
Il neigeait. Il faisait nuit, et c'était son petit bonheur. C'était là qu'il voulait être. Il ne voulait plus côtoyer la ville, l'urbain et sa morosité. Il voulait être au plus près de la nature, contradiction totale de ce que l'être humain avait créé. Il ne voulait appartenir à rien ni personne, être indépendant de ses cauchemars, il voulait simplement respirer ce qu'il y avait de plus beau, ce qui lui était le plus cher. Sur ce chemin, avec cette neige, avec cette pénombre, il avait l'impression que tout était au même niveau, que personne ne valait mieux ou moins, qu'il avait droit, lui aussi, de se sentir lui-même. Il avait le droit de vivre, et ce droit, on le lui avait toujours et encore arraché.
Les arbres étaient imposants, déjà recouverts de neige. Le chemin était peu éclairé, Baekhyun s'avançait à tâtons. Quelle heure était-il ? Il ne savait pas. Il aperçut une branche d'arbre cassée au bord du chemin et s'en empara. C'était un bâton plutôt lourd et noueux, sûrement brisé lors d'un jour de vent fort. Il se sentit plus en sécurité muni de quoi se défendre si un animal décidait de s'en prendre à lui. Il savait que des sangliers vivaient dans la région et qu'ils étaient particulièrement agressifs lorsqu'ils escortaient leur progéniture. La nuit, les risques de tomber sur une de ces bêtes était deux fois plus élevée.
Le chemin continuait jusqu'à une petite fermette, vraisemblablement abandonnée. Baekhyun, malgré les nombreuses fois où il était passé à côté, n'y avait jamais vu la moindre trace de vie ou d'activité. Il fallait dire que la nuit, elle paraissait encore plus angoissante. Les fenêtres brisées n'étaient que des rectangles de noirceur profonde et impénétrable. Baekhyun s'y arrêta et secoua la neige de ses cheveux de jais.
Au même instant, il aperçut la silhouette frêle d'un animal, sur sa droite. Il tourna le regard et retint son souffle. La biche avait la tête baissée et son museau grattait la couche de neige à la recherche de nourriture. Son cou fin et musclé bougeait calmement mais ses oreilles restaient dressées, à l'affût d'un quelconque danger. Baekhyun pouvait entendre son souffle de là où il se trouvait. Il se tint immobile, ne voulant pas effrayer l'animal. Il posa son regard surpris et émerveillé sur le corps svelte de la biche. Il entendait le battement de son cœur raisonner dans son crâne. Il fit un pas prudent vers elle, puis demeura à nouveau figé. Le cervidé remua les oreilles avant de brusquement lever l'encolure. Son regard nerveux se posa derrière Baekhyun et il avança le museau vers l'avant, percevant la venue d'un possible danger. Cependant, le regard trop peu perçant, il ne put voir Baekhyun et se remit à gratter le sol, de son sabot cette fois-ci. Alors que Baekhyun ne bougeait pas et retenait pratiquement sa respiration, il y eut un bruit soudain et la biche détala d'un bond athlétique, le faisant sursauter. Le chemin fut aussitôt de nouveau désert. Baekhyun soupira mais le bruit se répéta. Il se tourna tout à coup, surpris, et regarda autour de lui. Son cœur se remit au galop. Il faisait trop noir pour qu'il puisse distinguer quoique ce soit dans l'épaisseur des sapins et des chênes. De même pour la fermette, qui n'avait pas changé. Baekhyun referma les doigts sur le bâton et se remit à marcher. Il tournait régulièrement la tête, restait sur ses gardes. Les bruits ne manquaient pas dans la forêt, mais il préférait se rassurer en guettant ses arrières.
Il n'était pas terrifié à l'idée d'être totalement seul dans cette forêt. Il n'était pas terrifié par l'absence cruelle de lumière ou par la froid piquant. En fait, il n'avait pas peur, pas de cela. Il y a bien longtemps qu'il s'était habitué à se retrouver dans le noir complet. Il s'était souvent retrouvé à des endroits dépourvus de toute lumière. Parfois Minseok et lui étaient restés à « leur » maison abandonnée et y avaient passé la nuit. Ils s'étaient aussi trouvés pendant plusieurs heures à l'arrière d'une camionnette, ignorant totalement où on les emmenait. Baekhyun avait passé de nombreuses nuits dans une cave avant qu'on l'en sorte. Baekhyun avaient passé des nuits dans le noir. Baekhyun avaient aussi passé de nombreuses années dans une pénombre abstraite. Le noir des sentiments, le noir du cœur. Non, ce n'était pas cela qui le terrifiait, qui l'angoissait au point que cela le ronge de l'intérieur. Qu'importait la nuit, qu'importait le froid ou la solitude, ce dont il était terrorisé au point de vomir ses tripes, c'était de revoir celui qu'il avait fui toute sa vie durant. Il n'était pas sûr, pas du tout même, de pouvoir supporter une telle chose. C'était trop pour lui, trop dur, trop douloureux, trop horrible.
Il s'arrêta au milieu du chemin et s'accroupit, enfouit son visage dans cette boule de pull, de cheveux, de peau et de douleur qu'il était. Il n'était que matière, que substance épuisable. Il était consumé, commencé, usé, un vieil objet, une vieille poupée dont on avait abîmé les cheveux et les articulations. Il était une poupée de porcelaine tombée du balcon, dont on avait essayé de recoller les morceaux brisés. Il n'était que cela.
Baekhyun, pourquoi te fais-tu tout ce mal ? Les mots de Chanyeol lui semblaient tellement lointains, presque irréels.
- Je ne sais pas... murmura Baekhyun entre ses genoux saillants. Je ne sais pas...
Du bout de ses doigts, il pinçait le tissu de son pantalon. Sa voix n'avait plus de portée, telle une fileuse elle souffrait à raccrocher les nombreux fils qui la constituaient. Il avait tellement maigri, en quelques jours. Il avait l'impression de retourner au point de départ. Au final, il tournait en rond. La maladie lui en voulait de se faire maltraiter ainsi. La maladie le punissait de ne pas prendre soin de lui. Pourquoi lui ? Qu'avait-t-il fait pour mériter le sida ? La maladie le punissait-elle d'avoir vendu son corps ? Il n'avait pourtant voulu que survivre. Il n'avait pas eu le choix, on l'y avait obligé, il avait continué. Pourquoi n'avait-il pas exigé que ses clients se protègent ? Il avait été bien trop faible et refuser de faire sans c'était risquer de perdre de l'argent. Il n'avait pas eu ce luxe. Et s'il l'avait attrapé cette journée d'été ? Il avait envie de pleurer. Il s'était tellement rarement protégé, soit par contrainte soit forcé, et il savait malgré tout qu'il aurait pu l'éviter. Mais il n'avait jamais eu le droit à la parole, le droit de choisir, le droit de contredire ou de protester. Il n'avait jamais eu aucun droit et c'était bien la raison pour laquelle il se trouvait là.
- Chanyeol... sanglota-t-il. Je veux redevenir enfant, je veux retourner dans le ventre de ma mère...
Sa voix misérable retentissait à peine. Une boule frileuse, accroupie au sol, qui gémissait. Pourtant, Baekhyun savait bien qu'on ne pouvait pas faire marche arrière. La neige n'arrêtait pas de tomber, derrière la fermette n'avait plus l'air angoissante, lui non plus, ne savait pas faire marche arrière. Toujours avancer, toujours endurer, toujours, toujours plus, jusqu'à ce que ce jour arrive, tant redouté et appréhendé, la fin, le noir et le néant parce qu'on n'aura plus tenu.
Si Baekhyun continuait ce chemin, verrait-il ce jour arriver ?
La couche de neige grossissait, devenait de plus en plus épaisse. Il laissait ses pas, ses empruntes, traces qu'il était encore là, bien vivant. Il s'était relevé, la boule de pull, de cheveux, de peau et de douleur était redevenue une silhouette. Tout ce dont il avait rêvé ne semblait que vapeur, fumée inatteignable qui filait entre ses doigts. Tout paraissait mécanique, faux, matériel. Au final, ce que Baekhyun ressentait ne faisait que refléter ce que la société était, ce que les gens étaient : des matérialistes. La vie n'était que marchandise que l'on passait d'une main à l'autre, que l'on échangeait, que l'on fraudait, à bon ou à mauvais escient. Les vies n'étaient que bonnes à cela. Ceux qui avaient la main maîtresse manipulaient, utilisaient, parce qu'ils le pouvaient, parce qu'ils savaient se le permettre. Et Baekhyun s'était toujours senti objet. Il ne réapprenait pas, il apprenait à vivre. Et la vie était comme un plat ou un bonbon auquel il aurait goûté et dont il ne se lassait pas. Il en souhaitait plus, son entièreté.
Il faisait nuit noire. Des centaines d'arbres et des dizaines champs l'entouraient et l'encerclaient. La neige tombait, infatigable, tombait encore et encore, et Baekhyun sourit. Il sourit, les yeux piquants par les larmes ou la température négative, les joues et le nez rougis par le froid, les cheveux bientôt blanchis par la blancheur humide des flocons. Il se mit à courir doucement vers le prochain lampadaire du chemin. L'ampoule clignotait, illuminait brièvement puis s'essoufflait aussitôt. Ses pupilles sombres brillaient dans l'obscurité. Rivées sur la vieille lanterne électrique, il ne prenait plus en compte le tableau sombre qui l'enveloppait. Un vent glacial balaya les cheveux de sa nuque. Il frissonna malgré son manteau, son pull long, ses gants et son écharpe. Il baissa ensuite les yeux sur ses bottines. Ses jambes semblaient encore plus frêles, comme plantées dans petits pots de laine et de daim. Il soupira dans le froid, sans perdre ce petit sourire mystérieux. Quelle en était la raison ? Là encore, il ne savait pas.
Peut-être qu'au fond, Baekhyun avait autant souffert et souffrait autant afin qu'il se rende compte de la beauté du monde que les gens ignoraient. La beauté innée, invisible aux yeux des matérialistes. La beauté que la nature, le paysage ou même les gens renfermaient. Celle bien cachée, molletonnée dans une couche d'indifférence et de haine, enlaidie et masquée par les sourires cyniques et pervers. C'était comme si, au fil du temps, il avait acquis un sixième sens, celui de pouvoir distinguer la beauté brute, pas l'artificielle - façonnée par le maquillage ou les vêtements - mais celle portée dans le regard, dans la façon d'être, dans le sourire. Baekhyun la voyait nettement chez les gens. Comme si elle se faisait remarquée par une variation d'intensité en lumière que seul lui réussissait à distinguer. Il était inutile de relever à quel point Chanyeol était beau, de ce côté-là, à quel point il brillait. Peut-être bien qu'avoir tant vécu dans l'obscurité lui avait permis de voir la lumière.
Il était d'un ordinaire pensif, compréhensif et doux, et il se redécouvrait cette nature tant oubliée. Il avait dû s'en séparer, il avait dû se réduire à un acteur forcé, comme dans ses rêves. Ne rien dire, se résigner, jouer coûte que coûte.
Il se remit en marche, sur le chemin pour rentrer. Il repassa à côté de la fermette, conscient que s'il chérissait autant ce chemin c'était parce qu'il lui rappelait celui de son enfance, où tout avait commencé et où tout avait également basculé. La fermette abandonnée, symbole de la maison abandonnée. Cet endroit qu'il avait aimé et détesté par la suite. Les bruits de roues sur le chemin caillouteux, les bruits de pas sur les étages délabrés, les voix soudaines et la peur qui les avait pris à la gorge, tous les deux serrés l'un contre l'autre dans le grenier. Vulnérables.
Baekhyun avait clôt les paupières et marchait. Il se remémorait tout cela comme pour s'assurer que tout n'était pas qu'un rêve. Les pans de son manteau virevoltèrent. Le regard de Minseok, dans le sien, si sincère et tendre. Ce regard d'adolescent. Il avait espéré naïvement un jour rencontrer à nouveau ces yeux qui l'avait marqué. En vain. Depuis ce jour, Minseok n'avait plus jamais été le même. Il cherchait quelque chose qui avait disparu. Comme un con il n'avait cessé les recherches. Chaque fois, il se demandait pourquoi. Pourquoi avait-il changé ? Pourquoi n'avait-il pas gardé ce sourire malicieux et rieur et ces yeux de garçon abandonné ? Eux qui avaient tous les deux vécu la perte d'un parent. Eux qui avaient fui pour ne pas devenir adulte. Est-ce que l'avoir vu ainsi se faire agresser avait tout changé ? Est-ce que d'avoir été spectateur de tout ce qu'on lui avait infligé ce jour-là l'avait marqué au point qu'il agisse pareillement ? Baekhyun se sentait tellement désolé. Si Minseok n'avait rien vu, n'avait pas entendu sa voix, il serait probablement resté le même. Si Baekhyun avait pu changé une seule chose à cet instant, cela aurait été la présence de Minseok.
Mais il ne pouvait pas.
Il aperçut la fin du chemin. Une maison apparaissait au loin, dans la blancheur de la neige. Ses traces de pas avaient déjà été recouvertes. Ils étaient en mars et pourtant la neige faisait son apparition soudaine. Qu'est-ce que cela signifiait ?
Il arriva dans la rue, accueillit par la lumière, plus forte, des lampes. Le silence était resté le même. Il n'y avait que le vent qui différenciait le moment de celui où il avait quitté. Il regardait autour de lui, calmement. Il était heureux de n'être tombé sur personne. Il n'aimait pas parler à une heure pareille, lorsque sa seule envie était de se trouver seul. Avec la maladie, il aurait dû rester au chaud, dans son lit, à côté de Chanyeol. Il était conscient. C'était un 12 mars. Son temps était compté. Il n'y pouvait rien.
Il avait les mains blanches.
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Une odeur de café moulu et torréfié se frayait un chemin à travers l'entrebâillement de la porte. Doucement, Baekhyun ouvrit les yeux, chassa le voile de sommeil qui couvrait sa vue. Il s'appuya sur les paumes, se redressa et sortit du lit. Par réflexe, il passa une main sur le côté de Chanyeol. La couverture était défaite. Chanyeol apparut sur le seuil de la porte. Son petit sourire serra le cœur de Baekhyun.
- Je suis rassuré que tu réussisses à dormir malgré tout, parla-t-il. Je t'ai préparé tes médicaments.
Baekhyun s'étira avant de se lever et de s'approcher de lui. Il porta son visage devant le sien puis posa un baiser futile sur ses lèvres. La paume tiède de Chanyeol se posa aussitôt dans sa nuque, passa les doigts dans ses cheveux courts.
- Merci, Chan.
Une fois à table, Baekhyun prit les quelques gélules prescrites et les avala à l'aide d'un verre d'eau. Puis il se laissa aller contre le dos de sa chaise et se mit à observer Chanyeol, occupé au niveau de l'évier.
- Je vais partir travailler, tu sais. Je te fais confiance, Baekhyun. Tu prends tes médicaments ce soir aussi. Tu manges, tu restes au chaud, à l'abri. Au moindre souci tu m'appelles, hm ? Si tu penses que tu n'es pas en sécurité, tu m'appelles ? Je vais passer au commissariat pour savoir où en est l'enquête, je te tiendrai au courant. Je...
Baekhyun baissa le regard.
- Oui... Ne leur parle pas des emails, s'il te plaît... Je ne veux pas prendre le risque.
Chanyeol s'immobilisa.
- Je te le promets. L'hôpital est débordé mais tu auras une chambre libre pour toi seul après-demain. J'ai téléphoné et tu auras un médecin spécialiste qui s'occupera de ta thérapie.
- Et les frais...
- Ne t'en fais pas pour ça. On va se débrouiller.
Chanyeol se tourna vers lui. Ils se regardèrent.
- L'important c'est que tu puisses mener une vie normale, d'accord ? L'argent c'est le moins important. Lorsque tu pourras de nouveau travailler, on pourra tout rembourser et puis la mutuelle nous aide pour une bonne partie. Il n'y pas de quoi se faire du souci. Je continue de travailler, mais je viendrai te voir tous les jours.
Baekhyun secoua doucement la tête.
- Je ne sais même pas comment te remercier...
- Continue de te battre, c'est tout ce dont j'ai besoin, Baekhyun. Et prends soin de toi, je t'en prie.
Baekhyun sourit. C'était subtil, à peine perceptible. Au même instant, Grésil se glissa à travers la chatière et s'amena de sa démarche féline du couloir. Il alla aussitôt se frotter avec douceur contre les jambes de Baekhyun, qui lui laissa une caresse tendre sur le crâne. Son corps svelte se mut alors sous le toucher et il se mit à ronronner longuement. Lorsqu'il eut décidé que c'en était assez, il frôla gentiment sa paume une dernière fois avant de trottiner jusqu'à Chanyeol et de s'asseoir face à lui. Son regard bleu était d'une extrême clarté. Il se mit à remuer lentement sa queue blanche et touffue. Son pelage blanc était dense et soyeux. Les moustaches se mirent à frétiller sous ses petits miaulements. Chanyeol sourit avant de poser la gamelle qu'il avait préparée sur le carrelage. Baekhyun s'était affalé sur la table et regardait la scène du coin de l'œil.
- Tu reviendras tard ?
Chanyeol se redressa.
- Pas plus que d'habitude. Je vais essayer de partir plus tôt pour que le détour au commissariat ne me fasse pas perdre trop de temps.
- Merci de t'occuper de ça.
- Je suis ton conjoint, c'est normal, Baekhyun. Je ne vais te laisser t'occuper de ça avec tout ce qui se passe.
Baekhyun passa un doigt sur la table, remarqua une énième fois l'absence de l'anneau à son doigt. Chanyeol perçut son regard.
- Quand est-ce que tu penses qu'on aura un statut officiel... ? murmura Baekhyun.
Il se redressa puis posa ses yeux sur la silhouette debout de Chanyeol.
- C'est compliqué, encore, de ce côté. L'État ne reconnaît pas encore les couples homosexuels.
Baekhyun avait le menton sur la table et ne le quittait pas des yeux.
- Et je ne pense pas que ça changera avant un bout de temps, malheureusement.
Chanyeol se mit à sourire.
- Pourquoi, tu veux te marier ? le taquina-t-il.
- Pourquoi pas.
La réponse le toucha plus qu'il ne l'imaginât.
- On doit vivre dans l'ombre, pour nous protéger, lui sourit-il tristement. Tu sais qu'on est mal vus ?
Baekhyun baissa le regard.
- J'ai toujours cru qu'il n'y avait aucune honte à avoir. Ça me paraissait normal...
Chanyeol tira une chaise et s'assit à côté de lui.
- C'est vrai, il n'y aucune honte à avoir. On a le droit de s'aimer. C'est seulement le regard de notre société qui nous oblige à nous cacher.
Baekhyun passa une main dans la chevelure de Chanyeol et se mit à faire boucler une mèche autour de son doigt.
- Tu sais ce que je pense, moi, de cette société, c'est qu'elle est complètement à l'envers. On blâme les homosexuels qui ne font que s'aimer tandis que les gens qui créent tout un réseau de prostitution avec des mineurs, sur ça, on ferme les yeux. Je ne dis pas que les gens ne s'en offusquent pas, je dis simplement que c'est bien étrange que cette affaire ne se sache qu'une dizaine d'années plus tard. Ce que je pense, c'est qu'on a étouffé tout ça, à l'aide de pots de vin, tout ce que tu veux, si ça tombe certaines personnes ont sûrement pu profiter du réseau en échange de leur silence. Si ça tombe, des gens qui auraient pu nous aider, qui auraient pu démanteler tout ça ont simplement accepter de pouvoir assouvir leur fantasmes pervers en échange d'un silence total sur cette affaire.
Baekhyun n'avait pas levé le regard et maltraitait toujours la mèche de cheveux bruns qu'il tenait entre les doigts. Chanyeol s'était tu et l'observait étrangement.
- Si on le pouvait, termina Baekhyun, bien sûr que je voudrais me marier. La vie est courte, surtout la mienne en l'occurrence. Tu imagines ? Un ancien prostitué qui se marie avec un homme alors qu'il ne va vivre que quarante ans ? Tu crois qu'ils auraient honte s'ils l'apprenaient ?
Chanyeol amena lentement une main sur sa joue et frotta la larme qui glissait dans le coin de son œil.
- Je sais que c'est injuste, Baekhyun.
Il leva enfin son regard larmoyant et le tourna sur lui.
- Viens par là, chuchota Chanyeol avant de se lever et d'aller le prendre dans ses bras.
Baekhyun plongea le nez dans son cou et clôt les paupières. Il ne savait pas pourquoi il pleurait. Sa coque de protection se fragilisait ces temps-ci et il était sensible à n'importe quelle situation. Peut-être aussi que les médicaments comportaient des effets secondaires. Il ne savait pas.
- L'accident, les emails, le fait qu'ils me suivent... Je ne sais pas quoi faire et je réagis sans réfléchir... Je suis désolé de t'avoir lancer tout ça à la figure hier... Je ne le pensais pas mal... Je voulais juste que tu saches la vérité... La vérité derrière les mots qu'ils m'envoient...
Chanyeol secoua la tête et passa la paume de sa main sur l'arrière de son crâne, caressa sa chevelure sombre.
- Non, non, Baekhyun, je suis content que tu l'aies fait. Tu avais raison, il fallait que tu sois direct. Jusqu'ici je ne m'étais pas totalement rendu compte de l'ampleur de la situation et maintenant je la comprends beaucoup mieux. Même si c'était cru et difficile à supporter, tu as bien fait de craquer et de tout raconter.
Puis il déglutit, réfléchit brièvement.
- Le regard de la société sur nous nous est complètement égal, Baekhyun. Que tu aies été serveur ou prostitué, même si ça avait été moi, ce que les gens diraient ne nous importeraient pas.
Baekhyun passa une main dans le dos de Chanyeol, aplatit un pli dans son pull.
- Qu'est-ce que les gens diraient ? demanda-t-il doucement.
Chanyeol se mit à balancer calmement et sourit. Une sorte de bercement.
- J'avais quinze ans quand j'ai découvert que j'aimais les garçons.
Baekhyun regarda vers la gauche et cessa son mouvement de main.
- Ça n'a pas été facile... ?
Chanyeol secoua la tête et plissa les lèvres.
- Non, ça ne l'a pas été. J'ai essayé de le cacher, bien sûr. Pendant deux ans ça a plutôt bien marché. Mais à un moment donné c'est devenu compliqué. J'ai décidé de le raconter à un ami, à l'époque. J'ai vraiment cru qu'il m'aiderait un peu à m'accepter. Ça l'a refroidi, il ne m'a plus jamais approché. La rumeur s'est répandue dans ma classe. Je ne sais pas ce qu'il est allé dire. Mais le fait qu'il l'ait raconté a suffit pour me blesser.
Baekhyun se remit à faire des va-et-vient avec sa paume dans son dos, comme un geste de rassurance. Il n'avait pas beaucoup fréquenté l'école, mais il se rappelait vaguement les enfants de sa classe, quand il avait treize ans. Il se souvenait ne jamais avoir réellement pu créer des liens avec eux. Il ne traînait qu'avec Minseok. On les avait toujours regardé avec mépris, parce qu'ils ne jouaient pas avec eux, parce qu'ils avaient l'air dans leur petit monde. Un jour Minseok et lui s'étaient juré de ne plus jamais y retourner. C'était après le départ du père alcoolique de Minseok, après avoir laissé sa femme et son fils couverts de marques indélébiles. Des marques qui ne partiraient jamais. À l'époque, Baekhyun connaissait aussi les premiers problèmes de famille. Les cris de ses parents, les larmes de sa mère et le silence de son père, la venue des huissiers. Minseok et Baekhyun se l'étaient promis, avec leur petit doigt. Ils ne deviendraient pas adultes. Quand Baekhyun est venu à la maison de Minseok, en pleur, parce qu'il venait de découvrir les corps, il allait avoir quinze ans.
Baekhyun laissa son regard pendre dans l'air.
- Ça ne s'est pas arrêté à une simple rumeur... ? parla-t-il calmement.
Chanyeol soupira.
- Un jour, une bagarre a éclaté. Ils m'ont immiscé là-dedans et ont commencé à m'insulter puis à me frapper. Je ne me suis pas laisser faire, j'ai répondu de plusieurs coups de poing et ils m'ont laissé en paix. Je me suis juré que ce serait la première et dernière fois que je me servais de la violence. Évidemment, par la suite, c'est moi qu'on a puni. La direction a convoqué mes parents. Ils n'étaient pas au courant de l'histoire alors quand on est rentrés, je leur ai tout avoué.
Grésil avait fini son repas et les regardait tous les deux se perdre dans les bras l'un de l'autre.
- Depuis, on a gardé une relation très distante et froide. Il n'y a que ma sœur, Yoora, qui n'a pas changé avec moi. Elle a accepté ma différence comme si ce n'en était pas une.
- C'est pour ça que j'entends peu parler de tes parents... remarqua Baekhyun.
- Il ne faut pas mal le comprendre, mais pour eux ça a été une déception. Leur fils n'allait pas devenir avocat ni médecin, et en plus de cela, il était gay et n'allait jamais avoir d'enfant.
Ils sourirent tous les deux.
- Je les aime, mais voilà... Parfois mieux vaut prendre ses distances. Yoora, elle, a su leur amener ce qu'ils avaient espéré.
Chanyeol recula enfin et le regarda droit dans les yeux.
- Tout ça pour dire que même si je n'ai pas vécu la même chose que toi, je sais ce que le regard de la société peut nous infliger.
Baekhyun hocha la tête avant de l'embrasser.
- Tu vas être en retard, sourit-il.
Chanyeol s'empara aussitôt d'une pomme dans le panier à fruit, des clés et du bento qu'il avait laissés sur le plan de cuisine avant de se dépêcher vers le couloir. Baekhyun le rejoignit et lui tendit son manteau.
- Tu m'appelleras ? lui demanda Chanyeol, la pomme dans la bouche et les doigts occupés à nouer ses lacets.
Baekhyun émit un rire tendre.
- D'abord enlève la pomme puis essaie peut-être de me parler pour que je comprenne quelque chose.
Chanyeol se redressa vivement.
- Quelle heure ?
- Bientôt huit heures moins quart.
Chanyeol le fit croquer dans la pomme et la lui laissa telle quelle. Baekhyun se pétrifia, les dents plantées dans la chair juteuse.
- Je suis en retard !
Baekhyun secoua la tête et prit le fruit dans la main.
- Ton cartable, Chan.
Il s'en empara immédiatement et ouvrit la porte d'entrée.
- Tu m'appelleras ? demanda-t-il à nouveau, cette fois-ci de manière compréhensible.
Baekhyun hocha la tête.
- Il neige, Chan.
Chanyeol soupira puis se saisit de l'écharpe et des gants que Baekhyun lui tendait. Il s'était mis devant ses bottines de neige pour que Chanyeol ne les aperçoive pas. Une petite flaque d'eau s'était formée autour.
- Tu crois que je pourrai un jour de nouveau travailler ?
Chanyeol s'immobilisa alors qu'il s'apprêtait à lui tourner le dos. Son air sérieux réapparut.
- Tu es fort. Ne te sous-estime pas, Baekhyun. On va tout faire pour.
Il lui offrit un sourire rassurant. Quand il promettait, Chanyeol tenait ses promesses. Baekhyun lui fit confiance et répondit à son sourire. Leur regard exprimait toute la crainte mais aussi tout l'amour qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. C'était la force qui comblait leurs faiblesses.
Baekhyun ne perçut plus que le moteur et la voiture qui s'éloignait.
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Il se trouvait dans le salon, assis en tailleur à même le tapis. Il regardait les alentours. Entre ses doigts il tenait un objet, lourd, froid et métallique. Un objet auquel il tenait plus que tout car elle représentait sa dernière chance. Il se rappelait tout ce qu'il avait appris, les choses sur lesquelles Chanyeol et lui s'étaient renseignées.
« Un semi-automatique fonctionne avec un mécanisme de glissière et un chargeur de munitions. Il faut savoir différencier un revolver d'un pistolet semi-automatique. »
Il posa son regard sur les différents mécanismes. Cela paraissait tellement irréel de tenir cette chose entre les mains. L'arme pesait plus lourd que ce qu'on pouvait penser. Il songea au poids qu'elle ferait si elle était chargée. Et si la peur faisait trembler ses bras.
« Un pistolet semi-automatique place automatiquement chaque balle dans la chambre à partir du chargeur et éjecte la cartouche vide après le tir. La glissière sur le dessus du pistolet est utilisée pour placer la première cartouche dans la chambre et peut être verrouillée dans la position arrière grâce à un bouton ou un interrupteur sur le côté. Le chargeur amovible se retire et se recharge séparément. »
Baekhyun fit semblant de suivre les instructions. Son cœur battait fort, ses mains étaient moites mais il n'avait aucune difficulté à faire le mouvement. Les plusieurs étapes ne devaient prendre que quelques fractions de secondes. Il réussit du premier coup. C'était une arme de petit calibre, adapté à la force de son utilisateur. D'ordinaire, afin d'utiliser ce genre d'arme, il fallait se protéger d'un casque pour les oreilles et de lunettes pour se protéger des cartouches ou des gaz brûlants éjectés de l'arme. Baekhyun devrait y renoncer.
« Il est très commun pour des gens inexpérimentés [...] de pointer par inadvertance leur pistolet sur le côté lorsqu'ils actionnent la glissière ou lorsqu'ils mettent/retirent la sécurité. Beaucoup de débutants ont du mal à tirer la glissière en arrière à la seule force de leur pouce et index, surtout si l'arme a un fort ressort ou si les mains sont moites. Si vous devez vous servir de la paume de votre main (ou l'ensemble de votre main) pour tirer la glissière, vous devriez tourner votre corps de biais à l'arme tout en la gardant pointée vers la zone de tir. »
C'était difficile de dire si Baekhyun serait en mesure de répéter tout cela dans une situation d'urgence, s'il serait capable de tirer la glissière pour actionner le mécanisme. Il espérait n'avoir qu'à viser pour faire peur. Il espérait ne pas avoir du tout à l'utiliser.
« Tenez votre arme en position de faire feu. Ouvrez votre main dominante [...] afin d'exposer votre paume. Prenez le pistolet dans votre autre main, placez la crosse du pistolet dans la paume de votre main dominante. Votre pouce doit être sur un côté de la crosse et votre majeur, votre annulaire et votre auriculaire serrés de l'autre côté juste en dessous de la détente. Vous ne tenez l'arme que grâce à votre majeur et votre annulaire, l'auriculaire est sur la crosse, mais n'est pas utilisé pour tenir le pistolet ; le pouce n'est pas non plus utilisé pour maintenir l'arme. La crosse devrait être très bien serrée. Agrippez le pistolet assez fort pour que votre main commence à trembler, comme si vous étiez en train de serrer la main à quelqu'un à qui vous voulez prouver quelque chose. Si vous serrez au point que le pistolet tremble, vous êtes presque bon, mais détendez-vous pour arrêter de trembler. »
Son cœur faisait des bonds dans sa cage thoracique malgré l'irréalité de la situation. Il n'aimait pas la violence, il n'aimait encore moins avoir recours à ce genre de méthode. Il se rappelait avoir souvent vu des hommes du réseau marcher, une arme autour de la ceinture. Il se rappelait également certains incidents, lorsqu'ils la sortaient pour faire peur à un des jeunes, pour qu'il ne fasse pas quelque chose d'inespéré. Tenter de s'enfuir, essayer de désobéir, vouloir aider un autre, se plaindre, au risque que l'on pointe l'arme vers soi. Baekhyun s'était toujours tu et n'avait jamais risqué la désobéissance. Jusqu'au jour où Minseok était apparu de nul part et qu'ils avaient réussi à s'enfuir par il ne savait quel miracle.
« Stabilisez l'arme avec votre autre main. Mettez votre main dominante tenant l'arme dans votre main non dominante. Votre main non dominante ne devrait pas vous servir à tenir l'arme, mais plutôt à stabiliser votre visée aussi bien verticalement qu'horizontalement. Alignez vos deux pouces pour un support et une précision optimum. »
Baekhyun fit une pause dans son mouvement. Il se souvenait également que les armes à feu étaient toujours les dernier recours. Ce n'était jamais par perversion ou par spontanéité. D'après ce qu'il avait pu voir cette année-là, ils n'avaient abattu que deux adolescents. Une fille et un garçon. Baekhyun était seulement au courant pour la fille. Un jour elle avait commencé à être très malade. Elle ne savait plus bouger, elle crachait parfois du sang et toussait à longueur de journée. Cela a duré une semaine jusqu'au jour où quelqu'un est venu et a abrégé ses souffrances. Baekhyun dormait dans un lit à ses côtés. Pendant tous ces jours, il avait craint que ce ne fût contagieux. C'était tout ce qui l'avait inquiété, trop obnubilé par sa propre peur. Du chacun pour soi.
« Assurez-vous que vos deux pouces sont en dehors du chemin de la glissière ou du chien. Ce mécanisme revient soudainement en arrière quand le pistolet fait feu, ce qui peut facilement blesser un pouce mal placé. Se faire « mordre » par la glissière peut être très douloureux et dangereux : vous ne voulez pas réagir sous le coup de la douleur et faire tomber une arme chargée et prête à faire feu. »
Petit à petit, il avait su développer une partie insensible en lui. Une partie qui restait impassible face au sang, face au contact et aux mains sur sa peau, une partie de lui qui s'éclipsait pour laisser place à la plus grande indifférence. Lorsque le mauvais moment était passé, son cœur refaisait surface et il pleurait silencieusement, sans larme, sans grimace, dans un coin du drap dans lequel il dormait.
« Ne visez jamais sur les côtés ou avec le poignet plié comme dans des films. C'est très dangereux et instable. »
Parfois quand il venait le voir et qu'il s'asseyait sur le bord du drap, qu'il le regardait sans rien dire, il se permettait un sanglot. Ces yeux froids, c'était cela qui l'avait tant marqué. Des yeux sans rien au fond, le néant. Et une expression du visage tout aussi froide et dénuée d'émotions. Jamais Baekhyun n'aurait imaginé qu'une personne pouvait aussi rester indifférente. Rien ne pouvait provoquer quoique ce fût en lui. Même sa voix ! Une voix grave mais ni rauque, ni claire. Une voix sans personnalité. Baekhyun l'avait surnommé « Chim-mug », « Silence ». C'était tout ce que cet homme lui évoquait quand il venait le voir.
« Pour exécuter un tir précis, le réticule avant devrait être juste en dessous du point d'impact désiré. Pour la plupart des tirs sur cible, le réticule avant est aligné avec le bord du bas du centre de la cible (la zone noire) pour que le point d'impact soit le centre lui-même. N'importe quelle approche peut être la bonne, mais il vous faut savoir comment le pistolet est ajusté. »
« Silence » avait pris son temps, avant d'avoir osé à nouveau le toucher. Après l'avoir brutalisé, un mois est passé sans qu'il ne fasse un seul geste sur lui. Pendant un mois, il était venu s'asseoir sur le bord, dans le silence, à le regarder. Après deux semaines, il a d'abord commencé à lui parler. Il parlait peu. Des choses insignifiantes et grotesques. Baekhyun n'écoutait pas vraiment, trop hypnotisé par les pupilles dilatées qui le regardaient dans l'obscurité de la pièce. C'était comme si le loup apprenait à connaître sa proie avant de mordre à nouveau. C'était cynique.
« Pointez le pistolet sur la cible. Levez votre arme en direction de la cible en maintenant votre concentration sur le réticule avant. Vous devriez voir le réticule clair toucher le bas du centre de la cible flou. C'est seulement à présent que vous pouvez poser votre index sur la détente ! »
Par la suite, Baekhyun avait réfléchi à la signification de tout ce qu'il racontait. Une sorte de récit, quelque chose de dicté. Les paroles ne semblaient pas spontanées, pas naturelles. Il avait commencé à écouter. Un mois après, le cercle vicieux avait commencé. Avant de le toucher, « Chim-mug » répétait toujours la même phrase, il lui disait qu'il était spécial et Baekhyun se pétrifiait à chaque fois. Et puis le silence s'installait dans la pièce, agissait comme un rideau occultant.
Maintenant, il avait plus de distance avec ce qui s'était passé cette année-là. Ce n'était plus les paroles, ni les actes qui lui faisaient peur à présent. C'était le personnage tout entier. Il avait eu le temps de cerner son manège, sa manipulation, sa façon d'agir. L'homme était très intelligent. Il avait su utiliser Baekhyun pour ses fins malgré sa peur et son tempérament.
« Contrôlez votre respiration. Pour un meilleur résultat, il faut synchroniser sa respiration avec le moment où vous tirez, mais retenir votre respiration ou trop vous concentrer dessus vous rendra tremblant et imprécis. Le meilleur moment où vous serez le plus stable est dès que vous avez fini d'expirer, avant de devoir reprendre une autre inspiration. Entraînez-vous à ce cycle plusieurs fois en étant prêt à appuyer sur la détente au « plus bas » de votre cycle de respiration. »
Tout était devenu une habitude au fil du temps. D'une part, le fait qu'il l'avait pris pour cible l'avait aidé et de l'autre l'avait fait souffert encore plus.
Il porta l'arme devant soi, tendit les bras, imita le mouvement adéquat. Si cet homme se trouvait devant lui, là, en cet instant, aurait-il le courage de tirer ? Serait-ce nécessaire ? Aurait-il le temps ?
Il reposa l'arme au sol et soupira longuement. Il n'aimait vraiment pas en arriver là. Son but était-il vraiment de le tuer ? Faisait-il seulement cela pour lui faire peur ? S'il ne le tuait pas, que ferait-il d'autre ?
Il regarda autour de soi. S'il devait cacher l'arme à un endroit où il pourrait l'atteindre en cas d'extrême nécessité sans que l'homme n'ait le temps de la lui prendre, où serait-ce ? Il tourna le regard, s'imagina la situation. La maison était le lieu le plus sûr. En cas de danger, soit il se trouvait déjà dans le salon, soit il devait à tout prix s'y mettre en sécurité. Il tira sur un poil du tapis. L'arme devait rester sa dernière chance. Ce n'était pas une priorité. Il devait appeler Chanyeol en premier lieu. Lui aurait le temps d'appeler et la police et l'ambulance.
A l'époque, dans les réseaux, les armes fréquemment utilisées pour punir ou menacer étaient les armes blanches. D'un point de vue psychologique et d'un point de vue technique, c'était bien plus logique. Le couteau ne tuait pas forcément, tandis que les chances avec le pistolet étaient bien plus élevées. Avec un couteau, il était possible de blesser avec certitude, mais sans tuer la personne. Il n'était pas lâche, loin de là. Il voulait montrer sa puissance. L'arme à feu consistait une puissance mais une puissance artificielle. Cela ne lui correspondait pas.
Le regard de Baekhyun s'arrêta devant lui, sur la tranche du canapé. Même si y penser était douloureux, il y avait des chances qu'il se retrouve au sol, après un coup violent. À chaque fois que Minseok le frappait, il avait terminé à terre. Son cœur se serra et se contracta brièvement. Il y avait aussi des chances qu'il le bloque sur le canapé. Il y avait des dizaines de scénarios possibles. Il ne pouvait pas risquer de porter l'arme sur lui. C'était illégal et en plus la probabilité qu'il s'en rende compte rapidement était grande. « Silence » pensait à tout, il ne se laisserait pas avoir aussi facilement et l'arme se retournerait contre lui. Il s'approcha du canapé sans se lever, à quatre pattes, et passa une main sur le dessous du canapé. Puis il glissa l'arme en dessous, de manière à ce qu'on ne la voie pas mais qu'on puisse tout de même l'atteindre. Après avoir contrôlé, il se coucha au sol et calcula jusqu'à quelle distance il pouvait se trouver pour attraper le pistolet. Le salon n'était ni grand ni petit. Ce qu'il devait faire en cas de souci, c'était essayer de rester à tout prix dans le salon. Pas le couloir, ni l'étage, ni la cuisine. Il se leva avant d'aller se coucher cette fois-ci dans le canapé. Il ferma les yeux et tenta de s'emparer de l'arme. Le bout de ses doigts rencontra la matière lisse et froide. Le stress le faisait trembler par légères secousses.
Finalement il s'assit sur le canapé et laissa le semi-automatique là où il se trouvait.
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Le vibreur de son portable le sortit de son état mi sommeilleux mi pensif. Il s'était couché sur le sofa et avait posé la tête sur l'accoudoir sans vraiment s'en rendre compte. La fatigue le prenait au dépourvu. C'était étrange. Il se frotta les yeux et laissa son regard vaguer dans la pièce. Il faisait sombre. Le soleil se couchait déjà et aucune lumière n'avait été allumée. Il attrapa le téléphone entre ses doigts et le porta à l'oreille. Il fronça le front en se redressant. Il avait le crâne lourd.
- Qui est-ce ?
Il n'avait pas pris le temps de regarder l'écran.
- C'est Luhan, je croyais que tu avais encore mon numéro...
Baekhyun sortit aussitôt de son état hypnotique. Sa gorge était sèche et il dut se la racler.
- Non, enfin, je n'ai pas regardé avant de décrocher...
- Je t'ai appelé hier. C'est Chan qui a répondu. Il te l'a dit ?
- Qu'est-ce qui se passe... ?
Baekhyun frotta son visage avec sa main libre et la passa dans sa chevelure.
- J'ai plus de travail.
La voix de Luhan avait l'air d'avoir pris dix ans.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- J'ai fait l'idiot, Baekhyun. J'ai fait l'idiot. Maintenant je me retrouve sans rien.
Baekhyun ne sut quoi dire. Il soupira tristement, de manière à peine audible.
- Je ne devrais pas te raconter. Je ne sais même pas pourquoi je te téléphone. Je vais raccroch-
- Luhan, écoute... Tu sais tenir deux jours ? J'arrive en ville après-demain. Je ne veux pas que tu me racontes tout ça par téléphone. Je veux te voir. Tu peux venir après-demain à l'hôpital de la ville ? Prends soin de toi, s'il te plaît... La situation est délicate ici. Dans deux jours, tout sera fini et je viendrai en ville, d'accord ?
Luhan ne répondit pas tout de suite et Baekhyun se l'imagina en train de passer un doigt dans ses mèches châtain.
- D'accord, Baekhyun. Je serai là.
Baekhyun baissa les yeux.
- J'ai hâte de te revoir, murmura Luhan.
- Moi aussi.
La connexion se coupa et seul le bip se mit à retentir. Baekhyun se laissa tomber dans le canapé et posa son regard sur le plafond. Un vide étrange s'installa dans son cœur. C'était sec et douloureux. Pourquoi avait-il toujours l'impression d'agir à l'envers ? Il avait l'impression d'être terriblement faux.
Après un certain temps, il se leva du divan et disparut dans la cuisine. Il sortit une tasse et un sachet de thé avant de faire chauffer de l'eau. Lorsque le signe lumineux de la bouilloire devint vert, il se versa l'eau chaude et plongea la pochette dedans. Il prit la tasse dans une main et s'empara de ses médicaments avant de retourner dans le salon. Son regard fut attiré par la luminosité du soleil couchant alors il déposa la tasse et ouvrit la porte vitrée qui menait sur la terrasse. Enfin, il prit une couverture en laine, se la plia en quatre et la posa sur le sol en bois de la terrasse. Il alla rechercher son thé et ses gélules afin de s'asseoir par la suite sur le bout de couverture. Pour rien au monde il ne manquerait un coucher de soleil quand il se trouvait à la maison. Le paysage s'embrasait et c'était chaque fois comme une valse de couleurs chaudes. Le spectacle réchauffait son cœur. Il serra les doigts autour de la porcelaine bouillante. La terrasse était surplombée d'une sorte de toit. Cela empêchait la neige de s'y déposer. Il ne neigeait plus et la neige avait d'ailleurs presque entièrement fondu. Pourtant, malgré la température basse, il se trouvait là. Peut-être qu'au fond, Baekhyun était un peu extravagant.
Il croisa les jambes et serra le cardigan plus près de sa peau. Il s'était habillé d'un col montant, comme chaque fois qu'il était malade. Ses cheveux étaient mal coiffés mais il s'en souciait peu. Il ne resterait là que le temps de boire sa tasse et d'avaler ses antibiotiques. Le temps aussi d'un peu apaiser son cœur. Il ne demandait pas grand-chose. Seulement un peu de paix et de sérénité.
Soudain il entendit la sonnerie retentir de la porte d'entrée. Il sursauta légèrement, n'attendant aucune venue à cette heure-ci. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, vers le salon et se leva avec hésitation. Mieux valait qu'il ne reste pas sur la terrasse. L'accès au jardin était facile. Il laissa la tasse, la boîte de médicaments au sol ainsi que le plaid plié et rentra dans le salon, prenant soin tout de même de fermer la porte vitrée derrière lui. Puis il s'amena à pas discrets, le cœur battant malgré lui, vers la porte d'entrée et regarda à travers le judas. Son cœur rata un battement et il se mit à secouer la tête.
- Casse-toi ! hurla-t-il. Casse-toi, enfoiré !
Sa voix se brisa. Que faisait-il là ? Après ce qu'il lui avait fait ?
- Ouvre, Baek ! J'ai rien dans le sang, retentit la voix de Minseok.
- Va te faire foutre !
Il secoua la tête. Comment pouvait-il encore oser venir ? Soudain il s'empressa d'ouvrir la porte. Minseok laissa apparaître une expression surprise pendant une seconde. Alors Baekhyun le poussa de toutes ses forces, il le poussa encore et encore sans qu'il ne réagisse.
- Arrête ça ! haussa-t-il enfin la voix et attrapa ses poignets.
Baekhyun le regarda droit dans les yeux.
- Tu vas encore me frapper ? Tu vas encore me cogner jusqu'à ce que je m'écroule et que tu entendes mes lamentations ? C'est ça que tu veux ? Tu veux voir mon visage en sang parce que ça te fait bander ? J'ai tort ?
Baekhyun émit un rire sarcastique et tira sur ses poignets mais Minseok ne le lâcha pas.
- Je ne veux plus jamais que tu me touches !
Jamais Baekhyun ne s'était autant emporté. Son regard était noir de rage mais au fond il était éternellement triste. Il était inconsolable parce qu'il savait qu'il ne retrouverait plus jamais l'ami qu'il avait connu.
- T'as tout gâché ! T'as tout foutu en l'air ! J'ai attendu des années que tu te ressaisisses ! J'ai attendu neuf ans !
Son visage se déforma sous la douleur et la rage et la tristesse. Tout explosait en lui.
- T'es qu'un enfoiré ! Un enfoiré !
Il leva les mains, les garda légèrement en l'air par nervosité.
- Je sais même pas pourquoi je me trouve là... !
Minseok n'avait pas bougé. Son regard n'exprimait rien. Ses traits avaient été marqués par son alcoolisme, par sa violence et son hypocrisie. Qu'avait-il espéré ?
- Baek, ferme ta gueule juste un instant, d'accord ! Je sais que t'en à strictement rien à foutre de ce je vais te dire, mais faut bien que je le dise un jour, hein ?
Minseok tenta à nouveau de prendre son avant-bras mais Baekhyun se déroba violemment. Il capta une lumière aussi brève que rapide dans son regard. Il dut se faire violence pour ne pas planter ses ongles dans sa propre chair.
- Je sais ce que je suis, je sais ce que je fais, je sais ce qu'on a été ! Je sais tout ça !
Baekhyun avait reculé par réflexe et tressaillait à chaque ton plus fort qui retentissait.
- Parce que, putain, j'étais là !
Baekhyun se mit à secouer la tête, de plus en plus vigoureusement. Il rit.
- Et alors ?! Et alors, ça te fait quoi ?! Dis-moi enfin ce que ça t'a fait, tu t'es découvert une attirance perverse pour le sexe forcé ?! Ça t'a fait quoi merde !
Minseok rejeta la tête en arrière, soupira puis finalement sourit.
- Prends-moi pour le pire des enfoirés si c'est ça ton délire... Je veux que tu m'écoutes juste un instant.
- Je t'ai toujours écouté. J'ai toujours été là quand tu en avais besoin. Je n'ai jamais refusé tes avances malgré moi parce que je savais que toi aussi tu avais besoin d'un peu de contact et de chaleur. J'ai espéré pendant des années que tu te rendes un jour compte de tes erreurs, de la façon dont tu te comportais ! Je suis revenu, à chaque fois ! Je n'étais pas con, tu vois, juste un peu naïf... ! Chaque fois j'ai espéré, je n'ai fait que ça, que tu sois sobre juste le temps d'un soir et que tu sois capable d'agir normalement envers moi ! Toute ma vie ne s'est tournée que vers cet espoir ridicule de revoir un sourire sain et tendre naître sur tes lèvres ! Mais tu vois plus rien, tu es aveugle, Minseok !
Minseok s'approcha dangereusement.
- Oui, oui ! Oui je suis un gros con ! Oui je suis aveugle ! Je suis même tellement un gros connard envers les autres que je le suis devenu avec moi-même ! Je me mens, à moi-même, depuis toutes ces années ! Je me mens tellement que j'y crois ! Depuis tout ce temps je me mens parce que je suis pas capable d'accepter que tu réussisses à t'en sortir, parce que je suis pas capable d'accepter que la personne que j'aime sois heureux avec quelqu'un d'autre parce que j'ai été le plus grand des salauds avec elle !
Baekhyun se pétrifia et secoua lentement la tête.
- Oh non Minseok... Non...
Il s'écroula, se rattrapa à la poignée.
- Pendant tout ce temps je me suis saoulé la gueule comme un putain de trou du cul parce que je pouvais pas m'avouer que je t'aimais ! Je te frappais toujours et encore parce que je voulais pas y croire ! J'étais tellement saoul que je savais même plus si je voulais voir le sang pisser de ton visage ou si je voulais te faire crier mon nom de plaisir ! Je buvais tellement et tellement que je savais même plus ce que je faisais !
Baekhyun avait le cœur broyé, les pleurs ne voulaient plus cesser. Minseok commençait à laisser tomber le masque de haine qui ne l'avait jamais quitté. Il laissait la tristesse et la rage contre lui-même s'abattre sur lui.
- Je t'aime putain !
- Tais-toi ! Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! Je veux plus jamais te voir, plus jamais, casse-toi ! Va-t-en, loin, ne reviens plus jamais me voir je t'en supplie !
Minseok se mit à reculer. Il passa une main violente sur son visage.
- J'ai jamais voulu que ca se passe comme ça bordel !
- Tu mens ! Tu mens, tu ne fais que ça ! Neuf ans, enfoiré ! Neuf ans j'ai attendu que tu te réveilles ! Pendant neuf ans j'ai cru que tu t'en rendrais compte !
Baekhyun plaqua ses mains sur son cœur et secoua la tête.
- J'ai toujours espéré ! J'ai même tellement espéré pour toi que j'en ai oublié moi-même ! Mais t'en avais rien à foutre de ce que je pouvais éprouver... ! Tout ce que tu voyais en moi c'était un morceau de viande sur patte... !
La voix de Baekhyun se cassait entre colère et douleur.
- J'ai toujours su t'aimer, j'ai toujours cru en toi même si tu me traitais comme une merde, comme un vulgaire objet, j'ai toujours cru en toi parce je me souvenais de tout ce qu'on avait vécu ensemble... ! Tu n'as jamais remarqué la main que je te tendais, jamais... ! Tu n'as à en vouloir qu'à toi-même, Minseok, qu'à toi...
Minseok s'était tu. Il restait devant l'entrée, las et tentant de garder un visage sombre. Il n'y arrivait pas, il n'y arrivait parce qu'en lui aussi, tout explosait. Mais il n'avait plus les mots, plus les grossièretés ni les vulgarités ni les insultes pour répondre. Parce que sa répartie ne s'était toujours que limitée à cela.
- J'étais encore prêt à te pardonner il y a quelque temps... J'étais encore prêt à te sourire en me rendant compte que tu avais compris que tu agissais mal, que tu faisais exactement la même chose que ces gens qu'on avaient fui...
Ses yeux brillaient de larmes, ses sourcils se fronçaient parce qu'il tentait tant bien que mal de rassembler les fils qui formaient sa voix, parce qu'il essayait de retenir ce qu'il avait gardé pendant des années.
- Mais tu es revenu et tu as recommencé... Jamais je ne me suis senti aussi mal, jamais je ne me suis senti aussi... aussi déçu...
Minseok soupira parce qu'il savait que ce n'était que la vérité, parce qu'il n'avait rien à y répondre.
- Tu vois, j'en ai plus rien à foutre si tu as bu ou non, si tu es dans un état normal ou non. Non, non plus maintenant, parce que c'est trop tard. C'est fini. J'en ai rien à foutre si tu te rends compte maintenant de tes sentiments. J'en ai rien à foutre si tu m'aimes, Minseok. Plus maintenant.
Il fixa son regard dans le sien. Minseok voyait ce qu'il avait fait, il le voyait dans ces yeux.
- Fais ce que tu veux de ta vie si ça t'enchante. Fais ce que tu veux du bordel que tu as foutu. Mais ne reviens jamais, même pas dans vingt ans, pas demain, ni dans une semaine, n'ose plus jamais de ta vie me faire face et dire que tu m'aimes, car je n'y crois pas un seul instant. Pour le peu de dignité qui te reste.
Baekhyun affronta son regard un dernier instant avant de reculer et de fermer la porte avec violence. Il se laissa glisser contre le bois massif et enfouit le visage entre les genoux. Minseok resta encore brièvement devant la porte avant de tourner les talons et de s'en aller en courant. Baekhyun était toujours resté la personne la plus compréhensive, la plus patiente avec lui. Pas un seul instant pendant toutes ces années il ne s'en était rendu compte.
Il resta ainsi, en boule, dévasté. Le cœur meurtri mais avec l'impression qu'au moins une chose dans sa vie avait trouvé fin.
« Les yeux doux et les pleurs,
Mon ami vous voyez,
C'est comme les coutumes et les mœurs
Si vous y tenez tant qu'il y paraît
Ah ! il vous faut bien les soigner... »
---
Voilà enfin le chapitre! Le moment tant redouté s'approche...
Dites-moi tout! c:
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