Le dragon oublié
Solitaire et silencieux, il se sentait seul, dans sa grotte immense, humide et sombre qu'il remplissait aux trois quarts de son immense corps usé par le temps.
Quand il se grattait de ses pattes arrières, il se cognait contre le fond de sa grotte devenue petite pour lui avec le temps. Quand il étirait ne serait-ce qu'un peu ses ailes pour éviter de les paralyser à jamais de courbatures indéfiniment longues et dérangeantes, il atteignait vite le plafond de sa grotte et grognait d'un ton sourd de mécontentement.
Ses écailles d'un gris bleuté aux douces nuances argentées, terni par l'impitoyable temps, brillaient encore d'un faible éclat sur son dos et ses pattes quand le Soleil perçait à travers les nuages ou quand la Lune éclairait son habitation rocheuse si sombre qu'elle en devenait effrayante.
Ses griffes autrefois blanches et acérées étaient devenues brunes de terre et leur tranchant n'existait plus que de par les légendes l'entourant. Ses pattes toujours aussi imposantes que du temps de sa gloire terminaient des membres qui étaient forts et épais mais à présent fins, presque squelettiques.
Sa queue fine terminée par quelques petites épines, autrefois des piquants aiguisés et dangereusement pointus, battait l'air avec un air las et monotone. Cela donnait un mouvement perpétuel qui arriverait à hypnotiser beaucoup de gens, fanatiques de sensationel et autres aventures fantastiques ou psychiques.
En fin de journée, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, il soupirait quand le Soleil se couchait et levait les yeux vers cette belle Lune qui se levait dans le ciel, accompagnée de ses inséparables amies, les étoiles. Cette Lune qu'il avait atteint dans sa jeunesse rien qu'en volant, à la force de ses ailes...Il ressentait de la nostalgie en la voyant si belle, si rayonnante, inchangée depuis cette époque alors que lui était passé de jeune dragon fougueux et enthousiaste à un vieux dragon amaigri, usé par le temps qui lui avait presque tout pris, perdu dans les mémoires et ne subsistant plus que dans contes et légendes. Il jalousait cette Lune qui souriait gentiment devant lui de sa blanche lumière fantomatique et pourtant si poignante.
Quand un animal passait devant sa grotte avec la plus grande imprudence du monde, il le fauchait d'un coup de griffes, émoussées mais toujours épaisses. Il le dévorait souvent en une seule bouchée tellement il était grand par rapport aux animaux présents dans les forêts. Sa faim dévorante n'était plus que vestige de son passé et souvenir lointain qui hantait son présent, il avait de moins en moins d'appétit et sentait gentiment, au fil du temps, la mort s'approcher de lui à grands pas.
Il aurait voulu discuter encore avec quelqu'un avant de passer l'arme à gauche et reposer en paix éternellement. Juste une seule personne. Il n'en demandait pourtant pas beaucoup...
Le temps passait toujours plus lentement à ses yeux. Il s'amusait à allumer de son souffle encore faiblement enflammé des bûches sèches qui atterrissaient dans sa grotte suite à un vent fort ou une chute. Son passe-temps actuel était de créer, bien malgré lui, du charbon. Un charbon de bois bien noir, bien calciné de partout.
Souvent, il se tournait sur le dos, un moment avec la tête à l'air de l'extérieur pour s'aérer et se changer les idées. Il observait le ciel bleu et les quelques nuages qui souvent s'y promenaient et y perdait alors son regard pour un long moment, qui semblait passer plutôt vite en comparaison avec le reste du temps qui défilait si lentement à ses yeux, des yeux de vieux dragon oublié.
Les arbres devant sa grotte bruissèrent doucement. Une forme sortit des fourrés. Petite, fine, vêtue de vert avec une ceinture en branches d'arbre tressées et des cheveux blonds cachant des oreilles pointues.
-Attention, je ne suis pas ton gibier de potence !
Le dragon perdu dans les méandre de la mémoire des gens releva la tête.
-Ma bonne amie, tu ne m'as pas oublié, finalement !
-Jamais, dit-elle en souriant innocemment.
-Mais cesse donc de prendre ta forme féérique, Krelha, tu sais bien que cela affaiblit ton corps !
-Je sais, je sais...minauda-t-elle en riant. Mais toi donc, cesse de me faire la morale, mon grand et brave ami !
Ce dernier sourit de toutes ses dents de dragon âgé, pointues mais largement élimées.
-Mais je suis là pour cela !
-Goujat ! dit alors Krelha avec un sourire en coin.
Les deux amis discutèrent encore un bon moment ensemble, contents de se retrouver et de pouvoir passer du temps ensemble. Surtout que le temps du vieux dragon était compté. Très serré, d'ailleurs, tel un minuteur entamant sa dernière minute ou un chat sa dernière vie.
-Je crois que le temps est venu pour moi de vous laisser...Je n'ai plus rien à faire en ce monde.
-Tu vas me laisser seule ? demanda alors Krelha avec une larme dans un œil.
Son ami ailé à quatre pattes essuya cette goutte salée du bout de sa griffe aussi soigneusement que possible. Elle paraissait tellement immense à côté de la forme féérique et minuscule de son amie. La dernière qu'il verrait.
-Tu ne seras jamais seule.
Sur ces mots avec un salut de la tête, il commença alors à disparaître. Son corps partait en poussière, comme des particules d'étoiles brillantes. Il allait rejoindre ses ancêtres et ceux qui l'avaient précédé dans la mort. Il sourit une dernière fois faiblement et ferma ses paupières, faisant disparaître Krelha de sa vision. Ses pensées se brouillèrent de plus en plus et il sentait son âme s'en aller, pour ne plus jamais revenir.
Krelha assista à la scène sans un seul mot. Elle savait à quel point la mort d'un dragon, et surtout aussi âgé et vénérable, était un moment solennel.
Une fois que son ami dragon avait totalement disparu, elle joignit ses mains et entrelaça ses doigts entre eux.
Elle s'avança dans la grotte qui paraissait de nouveau immense vu que le dragon venait de la quitter. Elle semblait si vide...
Krelha reprit alors sa forme de dragonne aux écailles d'un blanc doré, deux fois plus petite que son ami et prononça alors lentement et distinctement, avec l'écho des parois de la grotte :
-Repose en paix, Dranalk, Roi Dragon...
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Merci d'avoir lu, j'espère que vous avez aimé ! 😄😁
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J'ai écrit ça par envie soudaine. Le titre m'est venu en tête comme ça et j'avais envie de faire une nouvelle un peu triste, un peu nostalgique. J'espère que j'ai réussi à transmettre un peu cet effet à travers mes mots ! 😛
Et je suis assez contente de la conparaison avec la Lune, comme quoi elle ne change pas contrairement aux vivants.
Je n'ai rien à plus à dire, donc pour ne pas blablater inutilement, je vous dit à bientôt ! 😄😁
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