Mari resta figée, comme si son cœur avait raté un battement.

- P-Pardon...?

Lucas se leva, lui tournant le dos pour faire les cent pas, couvrant nerveusement son crâne de ses mains. Mari resta silencieuse un instant, puis se leva difficilement en exerçant un pression sur la plaie, grimaçant.

- Lucas–

- Tais-toi !! Tais-toi... Si tu parles plus–

- Mais qu'est-ce que tu racontes...?

Lucas sembla expirer longuement, avant de se tourner vers la jeune fille avec un demi-sourire.

- Je suis un sans-nom, moi aussi. J'ai tué le Pilier quatre-vingt-dix-neuf fois depuis ma condamnation, et lorsque je t'aurai tuée, je deviendrai immortel et conserverai forme humaine.

L'adolescente sentit ses épaules s'affaisser sous l'effet de la surprise, tandis que son visage afficha une expression anxieuse.

- ... C'est une blague.. n'est-ce pas ?

- Est-ce que j'ai l'air de mentir ?

"Il.. ne ment pas. Qu'est-ce qui se passe...? Quand est-ce que les choses ont aussi mal tourné ? Lucas.. Lucas n'est pas un sans-nom, c'est impossible–"

- Ne raconte pas n'importe quoi ! Si tu avais réellement l'intention de me tuer, pourquoi tu aurais attendu tout ce temps ?! Pourquoi tu aurais prétendu être la personne gentille que tu as été depuis la première fois ?! Tes propos n'ont aucun sens !!

- Parce que je n'avais aucune garantie que tu étais le Pilier. Ce n'était qu'une simple intuition, puisque tu es la réincarnation d'Anya. 

- Je ne te crois pas. Tu aurais pu me tuer dès le départ pour ne plus avoir de doute si c'était le cas. 

- Dans ce cas pourquoi crois-tu que je ne l'ai pas fait ?

- Parce que tu n'es pas-- 

- Tu ne sais rien. Peut-être que tu me croiras après avoir vu ça. 

Il posa la main sur son épaule. Mari sentit ses sens se brouiller, alors qu'une image semblait se former sous ses yeux. En un court moment, plusieurs dizaines de souvenirs défilèrent, avant de disparaître doucement, comme s'ils avaient été emportés par une vague. La jeune fille resta figée, le visage déformé par l'horreur. Elle n'avait jamais vu autant de sang. Son regard était bloqué sur celui du jeune homme, incapable de s'en défaire. 

- Ça t'a suffi ? 

Sans pouvoir répondre à sa question, elle réussit finalement à articuler quelques mots. 

- Ce n'est pas vrai.. Ça ne peut pas être vrai..! 

- Et pourtant ça l'est. Tout comme j'ai tué les quatre-vingt-dix-neuf autres Piliers, je vais devoir en faire de même pour toi. 

L'adolescente fit un pas en arrière, vite retenue par la puissante poigne du garçon. 

- Arrête Lucas.. tu me fais peur...

- Vraiment ? Tu as vite changé d'avis. 

- C'est faux ! C'est juste que.. je ne sais plus quoi penser après avoir vu ça..! Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant–

Elle s'arrêta sous l'effet de la surprise lorsque le poing de Lucas vint frapper le tronc d'un arbre dans un bruit sourd.

- Ne joue pas la victime. Tu n'es pas à plaindre dans cette histoire.

Mari déglutit péniblement, essayant de contrôler les tremblements qui saisissaient son corps.

- Qu'est-ce que tu as fait.. pour en arriver là ?

- À peu près la même histoire que le prince charmant que tu cherches depuis des lustres. J'avais un frère pour qui j'aurais fait n'importe quoi. Sauf que moi je n'ai pas la chance d'être un dirigeant de l'Enfer. Les gens qui n'ont pas ce privilège sont jetés comme des ordures dans le même tas que les pires criminels pour avoir enfreint des lois mises en place par un pauvre entité qui n'a même pas de forme matérielle. Tu ne trouves pas que c'est à peu près la même chose que le monde des vivants ? On jette tous les coupables dans le même asile sans savoir les raisons qui les ont poussé à commettre ces crimes. On a jeté mon frère en prison pour avoir tué notre beau-père qui battait notre mère jusqu'à lui faire perdre connaissance chaque jour. On m'a transformé en sans-nom pour avoir enfreint les lois de l'univers en essayant de changer son destin grâce au surnaturel, puisque ce n'est pas le monde des humains qui aurait pris en considération le fait que la vraie victime dans cette histoire était mon frère. Maintenant il est mort après avoir croupi dans une cellule pour avoir sauvé notre famille, et moi je me suis retrouvé incapable de l'aider. Jusqu'au jour où j'ai tué le Pilier pour la première fois. J'avais le choix entre tuer cent vies innocentes et devenir capable de faire quelque chose pour le faire revenir d'entre les morts, ou bien passer l'éternité dans le corps d'un monstre dévorant la chair humaine sans pouvoir aider mon frère. J'ai été forcé à faire ce choix, alors ne me demande pas en jouant Caliméro ce que tu es censée faire.

Les larmes aux yeux, la jeune fille serrait les dents pour les retenir.

- Dans ce cas.. Pourquoi tu n'as pas demandé au Pilier de faire quelque chose après avoir regagné forme humaine...?

- Tu crois que je pouvais demander à une personne sachant à peine qu'elle était le vaisseau d'une une entité en charge de l'univers de sauver mon frère comme si de rien n'était ? Et puis ça n'avait aucun sens. Je serai redevenu un sans-nom encore une fois et j'aurai peut-être fini par le dévorer involontairement, même s'il avait été ramené.

- Ça n'a pas de sens.. Ça n'a aucun sens ! Pourquoi tu n'as pas demandé au Pilier de faire quelque chose pour toi aussi ? Pourquoi tu n'as pas demandé de l'aide à quelqu'un avant de briser les lois de l'univers puisque tu avais accès au monde surnaturel ?! À cause de ça maintenant tu es–

- C'est trop facile pour toi de dire ça. Essaie donc de voir ta mère battue par un étranger tous les jours, de l'entendre pleurer pendant ses absences, de cacher ses bleus avec du maquillage, de te dire que tout va bien alors que tu l'entends appeler sa propre mère pour lui dire qu'elle pense lui confier ses enfants et tuer son mari pour ensuite mettre fin à ses jours !!

La colère faisait trembler la voix de Lucas, dont le regard était empli de rancœur et de tristesse. Dans un élan de colère, il empoigna le vêtement de la jeune fille.

- Essaie donc de vivre en te voyant, transformé en un monstre difforme, dévorant des humains, en entendant leurs cris et en sentant leurs os craquer sous ta mâchoire pendant que le goût âcre de leur sang remplit ta bouche ! Essaie donc de vivre ça pendant une centaine d'années et de conserver un minimum de bon sens pour être capable de discerner le bien et le mal lorsque tu fais une décision !!

Mari sentit les larmes couler sur ses joues tandis que le garçon plaça ses mains autour de son cou.

- Tu vois.. Moi j'ai réussi. J'ai réussi à me souvenir pendant tout ce temps de mon objectif. Je vais sauver mon frère. Si tu veux m'en empêcher alors efface mon existence comme tu l'as fait avec les autres.

Elle secoua la tête, étouffant un sanglot.

- Dans ce cas tu seras celle qui mourra. J'ai une dernière question pour toi. Pourquoi est-ce que tu es prête à me laisser te tuer ?

- Je ne veux pas... fit-elle d'une voix inaudible.

- Si tu as l'intention de répondre alors fais-le au moins correctement.

- Je ne veux pas mourir !!!

La jeune fille se saisit brusquement du col de Lucas, se hissant à sa hauteur pour le regarder droit dans les yeux, en haussant la voix tremblante qui peinait à sortir de sa gorge.

- Je ne veux pas mourir... pas maintenant ! Je veux apprendre à utiliser le pouvoir du Pilier pour pouvoir faire quelque chose pour toi et ton frère... et pouvoir passer les mêmes moments que nous avons passé avec Owain, comme de vrais amis...! Je ne veux pas d'autre solution, ni de détour, ni n'importe quoi qui empêcherait les choses de redevenir comme avant ! Je veux qu'Anya puisse retrouver Lucifer, et je sais comment organiser les choses pour que tout le monde y trouve son compte... !

Sa voix s'affaiblit, coupée par les sanglots.

- Alors s'il te plaît... Fais-moi confiance encore une fois.. Juste une dernière fois ! Tu pourras faire ce que tu veux après, partir loin avec ton frère, trouver de nouveaux amis, tout ce que tu veux, alors je t'en supplie.. Reste mon ami juste cette fois...

Les bras de Lucas tremblèrent légèrement alors qu'il recula d'un pas.

- Pourquoi il faut toujours que tu sois.. comme ça ?! J'étais censé te tuer sans ressentir quoi que ce soit comme je l'avais fait avec les autres..! Alors pourquoi..

Son regard se planta dans les yeux larmoyants de l'adolescente.

- Pourquoi c'est différent avec toi..?

Un moment de silence passa, après lequel Mari vit le regard du jeune homme se perdre dans le vide, le voyant vaciller pour tomber en avant. Rattrapant son ami, le laissant reposer sur son épaule sans comprendre ce qu'il se passait, elle vit Artémis accompagnée d'une femme aux yeux de chouette portant un casque, une lance à la main.

- Merci, Athéna. Nous sommes arrivées à temps. soupira la déesse de la lune.

Mari les regarda fixement, incapable de réagir, avant de ressentir une étrange sensation sur sa main gauche. Allongeant Lucas sur le dos, elle découvrit ses paumes couvertes de sang, avant de comprendre que la lance de la déesse de la sagesse avait infligé à son ami la blessure d'où s'écoulait le liquide poisseux. Sa respiration s'arrêta pendant un instant.

- Lucas !!!

Elle secoua frénétiquement les épaules du garçon, avant de saisir son visage entre ses mains. Ses épaules s'affaissèrent lorsqu'elle l'entendit émettre un souffle rauque. Artémis s'avança.

- Mari, cette personne–

- Il n'est pas mauvais ! Ne le tuez pas ! Je.. peux faire quelque chose pour lui..! Il a été changé en sans-nom alors que ses intentions n'étaient pas mauvaises !

- Il a tué quatre-vingt-dix-neuf fois le Pilier. C'est un meurtrier. dit Athéna sur un ton sec.

- Mais.. mais il l'a fait pour son frère...!

- Il allait te tuer.

- C'est faux ! Il avait changé d'avis..!

- Mari. soupira Artémis avant de parler d'une voix douce. Tu ne peux pas effacer ses crimes, même en tant que Pilier. Tu ne peux pas défaire ce qu'a fait le Pilier auparavant. Il va redevenir un sans-nom s'il ne te tue pas, et si nous ne le tuons pas il s'en prendra à toi.

- Je ne peux pas.. je ne peux pas le sauver..?

- Non. Il a été changé en sans-nom par un des précédents vaisseaux du Pilier. Tu ne peux pas changer cela. C'est la seule façon de changer son destin, et c'est impossible. L'autre possibilité est...

Elle fut interrompue par la voix affaiblie du concerné.

- Mari...

- Lucas... Je.. Je suis désolée... Je croyais pouvoir–

La jeune fille s'arrêta, sentant la main de Lucas se poser sur sa joue.

- C'est bon... Tu n'y peux rien..

- Mais tu vas.. C'est injuste...

Il lui sourit faiblement.

- Mari... Efface mon existence. Il n'y aura pas de Paradis ni d'Enfer pour moi... Alors je préfère disparaître que de redevenir un monstre..

- Je ne peux pas.. lui répondit-elle entre deux hoquets. Si je fais ça tout le monde t'oubliera... Même si tu as tué le Pilier, tu ne–

- Mari. Tu ne m'oublieras pas... parce que tu es le Pilier. C'est suffisant pour moi.

Artémis posa sa main sur l'épaule de la jeune fille.

- C'est la meilleure chose que tu puisses faire pour lui.

Elle retint difficilement ses sanglots avant de regarder le jeune homme une dernière fois.

- Je suis désolée...

Lentement, son corps se mit à disparaître.

- Mari, tu sais.. tu sais pourquoi je n'ai pas réussi à te tuer...?

Elle secoua la tête, étouffant ses hoquets avec sa main droite.

- Pour moi.. tu étais plus qu'une amie...

Il s'envola dans un nuage de poussière noire, un sourire paisible gravé sur le visage. Mari se recroquevilla sur elle-même, laissant échapper de longs sanglots. Alerté par ce son, Owain sortit brusquement du sanctuaire, se précipitant vers la jeune fille. Il fut bientôt rejoint par les disciples ainsi qu'Eoin, tandis que le félin essayait péniblement de calmer sa propriétaire. Ian le rejoignit, posant une main sur l'épaule de celle-ci. Tous ignoraient ce qu'il venait de se passer, mais l'air grave sur le visage de la déesse de la lune les dissuadait de poser une seule question.
Le soleil se coucha sans tarder, teintant les nuages d'un orange empli de mélancolie. Ce fut après une nuit sans étoiles que l'adolescente quitta le Sanctuaire du Grand Saule, accompagnée de son familier. Ses yeux brillèrent d'un éclat doré, tandis qu'un portail s'ouvrit devant elle. Des murs de cristal translucide s'étendaient à perte de vue. Elle avança d'un pas déterminé, laissant un écho résonner dans le lieu qui semblait être hors du temps. La jeune fille se trouva bientôt dans une salle circulaire, reconnaissant des visages familiers. Bélial et Sytry étaient adossés au mur. À leurs côtés se tenait Hadès. Non loin, Zeus et Poséidon étaient accompagnés d'Artémis, Athéna, Hermès, Aphrodite, et d'autres dieux et déesses que l'adolescente reconnut comme étant Arès, Héra, Hestia, Dionysos, Apollon, Déméter et Héphaïstos.

- Mari Manaka. Tu as bravé bien des dangers pour finir ton odyssée. Grâce à toi, le problème des sans-nom va enfin être réglé. lui affirma Zeus sur un ton calme. Je te remercie au nom des dieux de l'Olympe.

- Merci, mais.. Je n'ai rien accompli d'aussi grand. Et puis, ce n'est pas encore fini...

- Tu vas...

- Oui.

- Je vois. Dans ce cas laisse Bélial et Sytry t'accompagner. fit Hadès.

Mari hocha la tête.

- Merci.. de vous être tous réunis, et de prendre en considération le problème des sans-nom.

- Il faut bien que quelqu'un s'en charge. Va, Mari. Il est temps de mettre un terme à ces péripéties.

Les deux partisans de Lucifer s'avancèrent, accompagnant l'adolescente dans le couloir qui s'offrait à eux. Bélial soupira.

- Tu as changé depuis la première fois qu'on t'a vue.

- Je suppose... Il s'est passé beaucoup de choses entre temps.

- Quand je pense qu'une humaine a réussi à trouver des dieux et des démons par elle-même, et à résoudre un de leurs problèmes.. Tu es bien la réincarnation d'Anya.

- ... Non. Nous sommes deux personnes différentes. La seule raison pour laquelle Anya n'est pas encore là... C'est à cause du Pilier.

- Et qu'est-ce que tu vas faire ?

- Je ne sais pas ce qui va se passer. Je ne me rends pas bien compte de ce qui s'est passé depuis cet été, ni de ce qui va se passer dans les moments à venir. Peut-être que je disparaîtrai. Mais de toutes façons c'est trop tard pour faire marche arrière.

- Et qu'est-ce que tu comptes faire si tu ne disparais pas ?

- Je retournerai voir mes parents. Ils doivent être morts d'inquiétude. Je ne sais pas si je suis portée disparue au Japon, ou si tout le monde m'a oubliée comme par magie. Un mélange des deux serait idéal, parce que je ne me vois pas rentrer comme si de rien n'était chez moi. Honnêtement, je ne sais pas ce que je dirai à la police s'ils me demandent où j'étais pendant tout ce temps. Après ça, je retournerai au sanctuaire pour garder contact avec tout le monde. Je finirai mes études, sûrement en Angleterre, puis je trouverai un travail. Ensuite je vivrai une vie normale.. enfin j'espère.

Elle s'arrêta, essuyant les larmes de ses yeux. Sytry posa une main sur son épaule.

- C'est seulement si je ne disparais pas.. elle eût un rire nerveux. Je suis en train de parler de mon futur comme si je savais déjà ce qui allait se passer, alors que je pourrais très bien cesser d'exister dans quelques instants... C'est drôle, j'ai peur, mais je suis soulagée.. Les sans-nom, tous ces problèmes... c'est enfin fini. Bien sûr, il y a des choses que j'aimerais changer si je pouvais, mais globalement, je ne regrette pas tout ce qui est arrivé. J'ai rencontré des personnes formidables, voyagé dans des endroits que je n'aurais jamais espéré visiter de toute ma vie, vu des choses dont j'ignorais totalement l'existence... C'était une remise en question totale de tout ce à quoi je croyais, mais je me sens plus ouverte d'esprit. C'est pour ça que même si je devais disparaître maintenant, ce ne serait pas un problème. Je serais triste pour mes parents, mais c'est comme ça. Je n'y peux rien de toutes façons. Et puis, Anya et Lucifer doivent se retrouver. Je n'avais jamais vu quelqu'un comme Lucifer avant, et son regard était frappant. Il mérite d'être réuni avec celle qu'il aime après tout ce temps. Et Anya.. elle m'a beaucoup aidé. J'ai vu la plupart de ses souvenirs, et après tout ce qu'elle a traversé, elle a le droit d'être enfin avec lui. Je ne voudrais pas les empêcher de se retrouver.

Sytry prit la parole après un court instant.

- Tu ressembles plus à Anya que ce que tu crois. Enfin, on ne saura pas avant le moment venu, alors ce n'est pas la peine de se tourmenter. Nous, les démons, ne voyons pas souvent des humains comme toi ou Anya. Avant de vous connaître toutes les deux, j'avais tendance à penser qu'ils étaient tous avares de richesse, sans scrupules, prêts à tout pour satisfait leurs propres besoins.

- Tu n'as pas tout à fait tort... Beaucoup des problèmes dans notre monde sont dûs au fait que les hommes sont incapables de faire preuve d'empathie. S'ils pouvaient essayer de se comprendre mutuellement, il n'y aurait pas autant de misère et de violence dans le monde. Seulement, la société dans laquelle je vivais avant de commencer ce voyage est une société qui privilégie la satisfaction des besoins de l'un au détriment de l'autre. Les personnes, quelles qu'elles soient, jugent les autres uniquement sur leurs apparences, et ne cherchent pas à se comprendre mutuellement. Je ne suis pas quelqu'un d'aussi admirablement que vous le dites tous, j'ai aussi fait passer mes propres besoins avant ceux des autres par le passé. Peut-être que j'ai jugé des gens sans chercher à les comprendre, et j'ai commis des fautes, aussi. Enfin, grâce à tout ce qui s'est passé, et surtout après la dernière bataille contre les sans-nom au sanctuaire, j'ai compris tout ça. Je pense que c'est pour ça que le fait de disparaître ne me fait plus aussi peur.

- Je suppose.

Ils arrivèrent devant une pièce menant à un autre couloir.

- Est-ce que.. vous pouvez me laisser à partir d'ici ?

- Tu es sûre ?

- Certaine. Et puis, je ne pense pas que je serai seule. répondit l'adolescente avec un sourire.

Les deux démons hochèrent la tête, avant de faire quelques pas en arrière. Mari avança, entendant la porte se refermer derrière elle. Elle expira longuement, regardant autour d'elle. À travers les murs se dessinaient les silhouettes lumineuses des étoiles. Il régnait dans ce labyrinthe de cristal bleu céleste une sérénité immuable.
La jeune fille ferma les yeux.

"Je vais séparer Anya de mon esprit grâce au Pilier, et ensuite je souhaiterai qu'elle trouve une enveloppe charnelle. Si tout se passe comme je l'avais prévu, cette enveloppé sera moi, et mon existence disparaîtra.. enfin, c'est trop tard pour faire marche arrière."

Mari sentit une faible brise balayer ses cheveux, tandis qu'elle vit les souvenirs d'Anya défiler devant ses yeux une fois de plus. Alors qu'elle approchait de l'au revoir des deux amoureux dans le jardin d'Éden, la jeune fille fut surprise par le calme qui l'envahissait.

"J'imaginais avoir peur... C'est stupide. Enfin, je pense que les choses s'arrêtent là pour moi–"

- Tu as fait preuve de bravoure, jeune fille du pays du soleil levant. Ne crains pas, le cours des choses est déjà écrit.

Mari ouvrit les yeux, surprise par la voix qui avait surgi de nulle part.

- Qui–

- C'est l'Oracle. Elle avait tout prévu, Mari.

Elle se tourna, pour faire face au visage souriant d'une jeune fille de son âge. Ses cheveux bruns secoués par la brise retombèrent sur ses épaules. L'adolescente aux cheveux noirs resta figée.

- Désolée, je t'ai fait traverser des choses difficiles...

Mari fut prise dans une étreinte amicale, se sentent soudainement libérée d'une lourde pression.

- C'est terminé. Tu n'es plus "la réincarnation d'Anya". Maintenant tu peux continuer à vivre en tant que Mari Manaka. Tout ne s'est pas passé comme prévu, mais j'avais demandé à l'Oracle de faire en sorte que tu puisses continuer à exister. Désolée pour tout, vraiment.. j'aurais voulu que les choses se passent autrement.

Elle frotta ses paupières, séchant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.

- Non.. ce n'est rien. Je ne regrette pas tout ce qui s'est passé. Merci, A–

- Anya !!! fit la voix de Sytry, qui se précipita dans la salle après que Bélial ait brutalement ouvert la porte.

- Vous êtes déjà là...

Anya sentit ses yeux devenir larmoyants.

- Ben alors, tu pleures ? la railla Bélial.

- Pas du tout. Et toi alors, à pousser la porte comme ça, je t'ai autant manqué ? rétorqua-t-elle sur le même ton.

- Quoi– Bien sûr que non.

Elle soupira.

- Je vais y aller. Mari, viens avec moi.

- Non, enfin, c'est un moment privé...

- Ne t'en fais pas, viens. Je ne vais certainement pas te laisser seule avec eux.

Lui prenant la main, la brune l'entraîna dans le couloir. Mari ne put retenir un sourire amusé.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien.. Tu es vraiment comme je l'imaginais.

Elles arrivèrent devant la dernière porte.

- Je vais rester ici. Tu devrais y aller seule, Anya.

Elle hocha la tête avant d'ouvrir la porte, tandis que Mari faisait quelques pas en arrière pour s'appuyer contre un mur.
Pendant ce temps, Anya entendit la porte se refermer derrière elle. Elle fit quelque pas en avant, pour se jeter dans les bras de Lucifer qui s'était précipité vers elle.

- Anya... J'étais si inquiet...

- Désolée.. L'Oracle a été capricieuse. Enfin, tout est bien qui finit bien. Il faut que je te présente celle qui a rendu tout cela possible.

- Laisse-moi profiter encore un peu.. juste pour vérifier que ce n'est pas un rêve.

- Tu n'as pas changé... Toujours aussi sentimental.

Le démon étouffa un rire.

- Tu paieras pour ça plus tard.

Incapable de défaire son étreinte, il avait enfoui son visage dans l'épaule de la jeune fille.

- Ça va aller maintenant. On va pouvoir recommencer. Quand Mari t'aura libéré, on pourra repartir à zéro.

- Oui.. mais cette fois ce sera différent.

- Comment ça ?

- Tu verras, c'est une surprise. Allons-y, il y a quelqu'un à qui je dois des remerciements.

Anya ouvrit la porte, tandis que Mari la regarda, fermant les yeux tandis qu'elle libérait Lucifer de sa prison de cristal. Ils avancèrent alors vers elle.

- Mari Manaka.. je te dois beaucoup. Merci infiniment.

- Non, je veux dire, vous n'avez pas besoin de me remercier..

Le démon eut un rire moqueur.

- Tu peux me tutoyer. J'ai une dernière requête pour toi, si c'est possible.

- Bien sûr, qu'est-ce que c'est ?

- Je voudrais que tu me rendes humain grâce au pouvoir du Pilier.

- Quoi ?! s'exclamèrent les deux jeunes filles en même temps.

- Ça ne veut pas dire que je perdrai mon titre de dirigeant des Enfers, puisqu'il me restera quelques pouvoirs, mais je veux vivre au même rythme qu'Anya.

- Tu es sûr..? Tu veux vraiment venir avec moi vivre parmi les humains ?

- Tu ne peux pas devenir immortelle, mais moi je peux devenir mortel. Je ne veux pas vivre l'éternité après ta mort. Je nommerai quelqu'un pour me remplacer aux Enfers.. enfin en tous cas pas Asmodée. Mais comme ça on pourra enfin vivre ensemble normalement.

- C'est ce que tu voulais dire tout à l'heure... Si tu es sûr de ton choix, je te soutiendrai. Mari.. tu peux faire ça ?

- Je pense.. tout ce que j'imagine devient réel grâce au Pilier.

- Tant mieux. Je vais d'abord devoir annoncer tout ça en bas, donc tu peux te reposer en attendant.

- Tu l'auras bien mérité, Mari.

- Merci.. Honnêtement, j'ai eu peur. Je n'étais pas sûre de pouvoir libérer Lucifer au départ, puisqu'il avait été enfermé par un autre Pilier, mais je me suis rappelé qu'il attendait son jugement ici, ce qui signifiait que c'était au nouveau Pilier d'en décider. On a eu de la chance.

- Oui. Après tout ce qui s'est passé, la chance pouvait être de notre côté. J'ai bien cru qu'on ne se retrouverait jamais. soupira Anya.

- Bien, on a plus qu'à sortir d'ici.

- Oui. Allons-y, Mari.

Le groupe se mit en marche, avançant vers la sortie.

- J'y pense, Lucifer, il va falloir un nom humain pour toi si tu viens vivre chez les humains.

- Pourquoi ?

- Ne fais pas l'imbécile, aucun parent normalement constitué n'appellerait son enfant Lucifer.

- Je l'aime bien mon nom. Il a un petit côté antagoniste de série télé. plaisanta-t-il.

- Dans ce cas on va en trouver un semblable. Mari, tu as une idée ?

- Eh bien.. pourquoi pas Lucius ?

- Tu veux dire Lucius M–

- Lucifer, les droits d'auteur ! fit Anya en le faisant taire. Mais je dois avouer que c'est le plus proche de ton nom actuel. Et puis comme ça tu gardes le côté antagoniste de fiction. On y est presque. Bélial et Sytry doivent encore attendre derrière la porte.

- Oui, ils n'ont pas bougé. confirma Mari.

- Allons-y. Il est temps de faire savoir aux limbes comme aux cieux que Lucius part à la retraite. lança le démon avec un sourire malicieux.

Bonsoir,

Après une grande panne d'inspiration, j'ai enfin retrouvé les idées que j'avais perdues pour finir ce deuxième tome. Comme les choses ne se passent jamais comme je les prévois, je n'irais pas jusqu'à vingt chapitres, non, malheureusement ; mais c'est tout simplement parce que les chapitres qui se trouveraient entre cette seizième partie et la vingtième seraient vides. Je pense avoir mis dans ce volume tout ce que mon imagination pouvait créer, et un retournement de situation à ce point n'est plus envisageable ( et je n'ai pas la moindre idée de ce qui pourrait changer les choses maintenant, sans compter que Lucifer et Anya ont été séparés assez longtemps...) et que chaque chapitre comptant aux environs de quatre mille mots, ce serait vraiment du blabla.
C'est donc avec une grande nostalgie que je poste cette seizième partie, qui sera suivie dans quelques instants ou au plus tard demain de l'épilogue qui clôturera définitivement Un Pacte Avec Le Diable. Je laisserai une note destinée à vous, mes lecteurs, que je prendrai le temps et le soin de rédiger demain car elle est très importante pour moi. D'ici là, encore merci, et à très bientôt :)