L'odeur cadavérique envahissait peu à peu la pièce au fur et à mesure que la jeune fille était saisie de nausées.
La porte grinça fortement. Il ne fallut qu'un instant. La mâchoire béante de la créature se précipitait vers elle à toute vitesse. Elle usa de son corps comme bouclier pour Millie, puis une douleur fulgurante la saisit, suivie du néant. Une image lui apparut brièvement. Il s'agissait d'un petit garçon en train d'être dévoré par un sans-nom.

Le bruit d'un hurlement lui monta aux oreilles, et l'adolescente se leva en sursaut pour réaliser qu'elle en était la source. Elle sentit l'humidité sur son visage, avant d'y passer la main. Son front, ainsi que son corps entier, était couvert de sueurs froide, et des larmes coulaient sur ses joues. Reprenant son souffle, elle regarda autour d'elle. Eoin, Millie, Ian et une jeune fille âgée d'un ou deux ans de moins qu'elle se tenaient autour de son lit. La seule personne que Mari ne connaissait pas encore se mit à parler.

- Je.. j'en ai vu un.. une créature... et Matthew...

Elle tremblait comme une feuille, et la terreur se lisait sur son visage. Elle regarda l'adolescente avec cette même expression qui se changea vite en un mélange de tristesse et de compassion, tandis qu'elle la prenait dans ses bras. Mari resta figée, confuse.

- Emma peut voir les rêves des autres personnes. Tu viens de faire un cauchemar, n'est-ce pas ? fit Eoin.

La jeune fille le regarda avec un regard dubitatif avant de reprendre ses esprits.

" Un cauchemar ? Il n'y avait pas de sans-nom.. ? "

Réalisant qu'elle venait de se réveiller d'un mauvais rêve, la jeune fille sentit tout son corps se détendre tandis que larmes inondaient à nouveau son visage.

- Emma, qu'as-tu vu ?

- Un sans-nom attaquait ce dortoir, et ensuite... Matthew.. elle.. elle a vu Matthew.. le jour de sa mort...

Sa voix tremblait tandis que les larmes lui montaient aux yeux.

- Nous devons commencer les préparatifs aussi vite que possible. Ian, suis-moi, nous devons rassembler les enfants. fit le vieillard.

Le jeune homme acquiesça avant de se diriger vers la sortie du dortoir, tournant la tête vers l'adolescente avant de sortir. Elle crut y discerner une lueur de compassion. Emma recula, posant ses mains sur les épaules de Mari.

- Je suis désolée que tu aies dû voir ça. La barrière qui entoure l'île est forte, mais les sans-nom assez puissants nous trouvent quelquefois. S'ils arrivent à passer, l'un de nous les voit avant qu'ils n'arrivent... dans un rêve, enfin, un cauchemar.

- Donc un sans-nom est sur l'île.. ?

- Oui, et ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne trouve le sanctuaire. Eoin et les autres vont aller s'en débarrasser avant qu'il ne blesse quelqu'un. répondit Millie.

- Mais ils risquent d'être blessés--

- C'est le risque. S'ils échouent, nous serons attaqués. Ne t'inquiète pas, ils sont forts.

- Mais... d'ailleurs, pourquoi est-ce que j'ai vu ce garçon ?

- C'était mon petit frère. Il a voulu combattre les sans-nom trop tôt, et en a payé le prix de sa vie...

- Oh... je suis désolée.

- Ne t'en fais pas.

- Il y a tout de même quelque chose qui me dérange. Cette odeur, dans mon rêve, était plus forte que celle d'un sans-nom ordinaire.

- Je ne sais pas, je n'ai fait qu'observer les images de ton rêve.

- C'est perturbant. À moins que..

Ses yeux s'écarquillèrent quand elle comprit ce qui était en train de se passer.

- ... Ils sont plusieurs.

Elle se leva soudainement avant de sortir de la chambre, suivie de près par Millie et Emma.

- Mari, attends ! Tu ne peux pas sortir, c'est trop dangereux !

- Je dois les prévenir ! Ils vont se faire tuer !!

- C'est toi qui risques d'être tuée !

- Ils sont prêts à prendre ce risque pour nous protéger, alors je suis prête à prendre celui-ci pour en faire de même ! Vous devriez rester ici pour faire évacuer les enfants si ça tourne mal.

Alors qu'Emma s'arrêtait, attrapant Millie qui voulait suivre son amie, Mari s'éloigna, la remerciant intérieurement de garder Millie à l'abri. Elle avait pris la bonne décision ; celle qui sauverait le plus de vies si les choses devaient mal tourner. Traversant la cour extérieure du sanctuaire, elle sortit vite du bâtiment, et ne tarda pas à trouver un groupe de pensionnaires en train d'affronter une horde de créatures monstrueuses. Le seul qu'elle put discerner à travers la fumée étouffante qui les entourait fut Ian, qui se battait seul face à un sans-nom. Ses bras étaient en sang, et il semblait être en mauvaise condition. Les flammes à l'origine de l'épaisse fumée provenaient de ses mains, et ce fut à ce moment que Mari commença à penser que la magie existait vraiment. Cependant, elle était arrivée trop tard pour les prévenir. Scrutant les alentours, elle n'aperçut aucun corps inerte. Un sentiment de soulagement l'envahissait, mais il fut de courte durée. Elle entendit une voix crier son nom, et se tourna pour apercevoir une masse grisâtre monstrueuse devant elle. Une seconde plus tard, elle sentit ses épaules entourées par ce qu'elle reconnut comme des bras, avant de reconnaître Ian qui s'était interposé entre elle et le sans-nom pour la protéger. Le bras tranchant du monstre s'abattait sur eux lorsque Mari ferma les yeux, priant intérieurement pour qu'il s'arrête. Un long moment s'écoula avant qu'elle n'ouvre à nouveau les yeux, voyant la créature figée devant elle. Toutes les autres étaient également paralysées. Les pensionnaires se regardèrent, bouche bée. Alors qu'ils se rassemblaient tous vers Eoin, celui-ci observa les alentours avec un regard lucide qui se posa finalement sur son fils et la jeune fille.

- Qu'est-ce qui se passe ? fit un jeune homme.

- Le temps s'est arrêté. Enfin, je dirais plutôt que quelqu'un l'a arrêté pour ces créatures.

Il regarda Mari en prononçant ces mots. Celle-ci regardait la créature avec des yeux maintenant remplis de haine. Ils avaient tourné au doré, et semblaient émettre une faible lumière. La nature elle-même s'était arrêtée, et les gouttes de pluie qui avaient commencé à tomber sur le champ de bataille s'étaient figées en plein air. Un arc-en-ciel en cours de formation planait au-dessus d'elles.
L'adolescente contempla la créature avec insistance, sans une once de peur, avant de légèrement plisser les yeux. Au fur et à mesure que la lueur dorée dans ses yeux s'intensifiait, les sans-nom se mirent à bouger. Leurs membres étaient déplacés par une force invisible, et, lentement, ils furent désarticulés un par un, dans un atroce bruit d'ossements fracturés. Leurs corps entiers se tordaient, et ce ne fut que lorsqu'il ne resta qu'un amas flou de membres disloqués que les yeux de la jeune fille reprirent leur couleur originale. La pluie s'abattit soudainement sur le groupe, atténuant l'odeur émise par ce qu'il restait des créatures. Le feu disparut lentement, tandis que les membres du sanctuaire restèrent figés un long moment. Alors que Mari reprenait ses esprits, ses jambes se mirent à trembler tandis qu'elle vacilla pour être rattrapée par Ian.

- Hé. Tu ne tiens même plus debout.

À peine eut-il prononcé ces mots qu'elle se vit tomber sur l'herbe ruisselante, suivant le jeune homme dans sa chute.

- Tu es bien la dernière personne que je voudrais entendre dire ça... regarde-toi..

Elle tourna la tête, essayant de dégager les cheveux trempés qui jonchaient son visage. Sa vision devenait de plus en plus floue alors que des voix appelaient son nom dans un decrescendo suivi du néant.
Une migraine grandissante réveilla la jeune fille, qui ouvrit les yeux pour être éblouie par la lumière blanchâtre d'un néon. Elle regarda autour d'elle, sans bouger. Les murs qui l'entouraient étaient faits de chêne, et quelques armoires à pharmacie étaient fixées sur le bois. Elle se redressa, avant s'appuyer sur le mur pour se lever, sans succès. Ses pieds avaient à peine touché le sol qu'elle tomba lourdement au sol, manquant d'énergie.

- Tu ne peux pas rester tranquille deux secondes ?

Elle leva la tête, apercevant un regard exaspéré posé sur elle.

- Ian.. ? Tu es vivant ?

- Oui. C'est dommage, hein ?

- Je n'ai jamais insinué ça.

- Tes blessures sont soignées ?

- Oui, mais ne compte pas sur moi pour t'aider à te relever.

- Je ne te l'avais pas demandé.

Il tourna la tête.

- Je ne peux pas me lever non plus. Je n'ai plus d'énergie.

- Oh... d'ailleurs, vous avez réussi à battre les sans-nom ?

Ian se retourna, un regard confus sur le visage.

- Tu ne te souviens pas ?

- Non, je ne sais même pas comment j'aimerais atterri ici... enfin, je me souviens que tu as essayé de me protéger--

- Oublie ça tout de suite.

- Quoi--

- Oublie-le.

Elle resta abasourdie, pour prendre un air espiègle.

- Qui aurait cru que derrière cette carapace se cachait un jeune homme aussi bienveillant ?

- Que-- l-la ferme ! Je ne l'ai pas fait pour toi. Mon père m'aurait tué si je t'avais laissée à ce moment. Je ne l'ai fait que dans mon propre intérêt.

- Bien sûr..

- Je ne l'ai pas fait pour toi.

- Oui, oui, je te crois..

- Je n'en suis pas si convaincu. Enfin, pour en revenir au sujet, tu ne te souviens pas de ce qui s'est passé après ?

- Non..

- Tu les as tous décimés.

- ... Pardon ?

- C'est toi qui as tué ces monstres.

Mari resta figée pendant un moment.

- Comment... ?

- Grâce à la maîtrise du temps et de l'espace.

Eoin venait d'entrer dans la pièce, aidant la jeune fille à se relever.

- Je vous demande pardon ?

- Tu as dû te douter que je devais être spécial au même titre que les pensionnaires le sont. Mon pouvoir me permet d'identifier celui des autres. Ian est capable de faire jaillir les flammes de ses mains, en utilisant son sang.

- C'est pour ça que ses bras sont dans cet état ?

- Non, il juste essayé d'attraper un sans-nom à mains nues. C'était d'ailleurs ridiculement idiot.

- Hé ! feula l'intéressé. Tu ne peux même pas te battre, toi, alors n'essaye pas de me ridiculiser alors que j'ai failli mourir pour te protéger !

- C'est ça, c'est ça.. enfin, ce n'est pas toi qui les as tués de toute façon.

- Excuse-moi de ne pas être un élu.

- Je ne te le reproche pas. Tu es mon fils, et c'est le plus important.

Ian tourna une nouvelle fois la tête, visiblement embarrassé.

- Enfin, c'est tout de même un pouvoir intriguant que tu as-là, Mari.

- Je ne comprends pas ce que vous dites.. je ne me souviens pas de ce qui s'est passé.

- Moi je m'en souviens. fit Millie qui venait d'arriver. Je t'ai suivie après m'être inquiétée, et lorsque je suis arrivée, tu regardais au-dessus de toi, probablement un sans-nom. Je n'ai pas vu la créature, juste une masse sombre... je suppose que je suis toujours incapable de les voir. Enfin, lorsqu'elle avait l'air de vouloir t'attaquer, tes yeux sont devenus dorés, et le temps s'est figé. Même la pluie s'était arrêtée. Les seules choses qui bougeaient étaient les pensionnaires, la lueur qui avait l'air briller dans tes yeux et tes cheveux, comme s'ils étaient balayés par le vent, sauf que celui-ci s'était figé aussi, c'est ce qui rend la chose étrange. Juste après, quand tes yeux ont brillé plus intensément, les sans-nom se sont pliés, comme si l'espace était en proie à des distorsions aux endroits où les monstres se trouvaient. Tu es redevenue normale avant de t'évanouir quand ils sont morts.

- J'ai.. j'ai fait ça ?

- Oui, mais on dirait que tu ne contrôles pas encore ton pouvoir. reprit Eoin.

- C'est vrai que je ne me souviens de rien... J'ai juste l'impression de m'être endormie pour me réveiller ici.

- Justement, tu es à l'infirmerie. Tu devrais éviter de te lever comme tu l'as fait, car tu as utilisé une grande quantité de pouvoir qui a drainé toute ton énergie. Tu vas rester ici, accompagnée de Ian, pendant au moins deux jours, puis nous mettrons en place un entraînement pour t'apprendre à contrôler ton pouvoir au plus vite.

- Pourquoi ? Il va y avoir d'autres sans-nom ?

- Non, mais si tu ne contrôles pas ce pouvoir au plus vite...

Il jeta un regard inquiet à Ian.

- .. il pourrait représenter un danger mortel pour ton entourage.