Chapitre VIII - Le Sanctuaire du Grand Saule
Owain s'arrêta devant une grande porte de bois de style médiéval, avant de pousser un miaulement tintamarresque qui résonna dans tout le bois aux alentours du sanctuaire. Un long silence s'en suivit, pendant lequel Mari questionna le félin.
- Dis-moi, ton nom est originaire du Pays de Galle, n'est-ce pas ?
- C'est exact. Mon ancienne maîtresse était originaire de là-bas.
- Pourquoi êtes-vous venus ici ?
- Cet endroit était autrefois une réserve naturelle. Sais-tu où tu te trouves actuellement ?
- Eh bien, je sais que nous sommes en Écosse, mais je dois t'avouer qu'on ne m'a rien dit de plus...
- Tu es sur l'île Eilean Sùbhainn, entourée du Loch Maree. Cette île était inhabitée il y a quelques années, mais le premier maître a rassemblé ses disciples pour faire pousser une forêt dense sur cette île, et y construire un sanctuaire. Malgré son aspect extérieur plutôt ancien, tu verras que l'intérieur est moderne. Les grands bouleaux et caduques que tu vois autour sont si hauts qu'ils dissimulent le bâtiment du monde extérieur.
- Pourquoi est-il dissimulé ?
- Toutes les personnes que tu vas rencontrer sont comme toi. Elles possèdent des capacités surnaturelles, et sont la principale cible des sans-nom.
- N'est-il pas dangereux d'être tous rassemblés dans un même lieu ?
- Ce bois est protégé par un sortilège. Les disciples t'emmèneront certainement voir le Grand Saule, il assure notre protection.
- Le Grand Saule ?
- Tout te sera expliqué en temps et en heure. Tu dois être patiente. Les impatients rejoignent Matthew... là-haut.
- Ce Matthew.. il est mort parce qu'il était impatient ?
- Emporté par un sans-nom. Nous l'avons retrouvé à deux endroits ; premièrement sa tête, et deuxièmement son tronc.
- Oh mon dieu... je suis désolée..
- Tu n'as pas à l'être.
Un long grincement interrompit leur conversation, avant que la porte ne s'ouvre sur une petite fille aux grands yeux bleus et aux longs cheveux bruns qui flottaient autour d'elle. Owain ronronna lorsqu'elle l'attrapa dans ses bras, avant de regarder Mari avec inquiétude.
- Owain, pourquoi il y a une dame ?
- C'est ma nouvelle maîtresse. Ce n'est pas une dame, elle a tout juste seize ans. Mari, c'était ton anniversaire récemment, non ?
- Ah, oui...
- Tu es sûr qu'on peut la laisser entrer ?
- Millie, c'est Bélial qui l'envoie. Tu sais bien que les partisans de Lucifer nous aident depuis que les dieux les ont mis au courant de l'affaire des sans-nom.
La dénommée Millie avança vers l'invitée.
- Tu as déjà rencontré un sans-nom ?
- Oui... plusieurs fois.
- Comment sont-ils ?
- Tu ne peux pas les voir ?
- Je ne sais pas... je n'en ai jamais vu..
- Eh bien... ils sont si horribles qu'il serait mieux que tu ne puisses jamais les voir.
- Tu pourras m'en dessiner un ?
- Bien sûr.. ils t'intéressent ?
- Oui. Si j'en vois un, je veux être capable de savoir de quoi il s'agit et de courir.
- Millie, fit Owain, tu ne risques pas d'en croiser ici. Rentrons, le maître doit attendre Mari.
La petite ouvrit la porte à l'adolescente avant de se diriger vers le sanctuaire. C'était un grand bâtiment qui devait comporter quatre étages, en forme de "u", entourant la cour extérieure couverte par un immense dôme de verre où des couleurs irisées défilaient. Il y avait au milieu de cette cour un gigantesque saule pleureur aux feuilles argentées. Son tronc noir était couvert de lichen doré, et de lierre blanc qui semblait être fait de velours. Cet arbre était couvert de rosée, et les gouttelettes qui perlaient aux extrémités de ses rameaux semblaient contenir des centaines d'étoiles. Autour de cette arbre se trouvait une mer de jacinthes des bois, à partir de laquelle un chemin de galets blancs serpentait entre les roseraies rougeoyantes, telle une rivière de perles nacrées. Ce même chemin s'étendait jusqu'aux portes du bâtiment, traversant un étang, où les lotus blancs flottaient sereinement, à l'aide d'un ponton en bouleau. Entre les joncs et les roseaux se tapissaient quelques grenouilles, tandis que deux cygnes aux plumes blanches immaculées semblaient glisser sur la surface de l'eau. Les deux espèces ne s'accordaient aucune attention, cohabitant paisiblement. Un long soliveau était couché sur l'herbe verdoyante, couvert de mousse foisonnante. Il y avait à quelques foulées de ce lieu un grand parterre de plantes odorantes ; il s'agissait là de valériane, de sureau, de pavot, de camomille, de cerfeuil et autres herbes aux vertus médicinales.
Le soleil brillait ardemment au-dessus de l'Irlande, alors que la nuit surplombait encore le Japon au même moment. Mari poussa un soupir nostalgique en repensant aux proches qu'elle avait laissés derrière elle. Elle mordit l'intérieur de sa lèvre, retenant des larmes d'amertume. Sa famille se porterait mieux sans elle, ainsi que son entourage. Bientôt, la jeune fille trouverait une solution à ce problème. Elle devait retrouver Lucifer, rencontrant ainsi les dieux qui pourraient l'aider à trouver une solution.
La voix timide de Millie la sortit de ses pensées.
- Euh.. désolée de ne pas m'être présentée.. Je m'appelle Emilia, mais tout le monde m'appelle Millie. Tu es ?
- Je m'appelle Mari.
- Quel est ton pouvoir ?
- Mon pouvoir ?
- Tout le monde ici a des capacités surnaturelles.
- Eh bien.. je peux voir les sans-nom, mais je suppose que tout le monde ici peut les voir..
- Pas tous, mais une majorité. Tu dégages une aura plus puissante que ce tu décris. Je pense que tu as un autre pouvoir.
- Je ne le sais pas moi-même..
- Tu le découvriras rapidement en vivant ici. Les disciples du maître s'entraident, et un pouvoir surnaturel peut en activer un autre.
- Je l'espère.
Elle s'arrêta devant une grande porte, cette fois plus moderne. C'était une longue planche faite d'ébène, dans laquelle une grande vitre était incrustée. La poignée était en argent, prenant la forme d'un dragon chinois. Le bois était orné de gravures argentées, faites de caractères issus du grec et du latin. Il y avait au centre de cette porte une deuxième poignée, circulaire et en plomb, semblables à celles qui ornaient les portes des châteaux médiévaux européens. Millie s'en saisit pour heurter la surface en bois trois fois, avant qu'une jeune femme ouvre le chemin vers le seuil du sanctuaire.
- Tu dois être Mari, bienvenue à la maison. Nos enfants sont un peu sauvages, mais ils s'habitueront vite à toi.
La jeune hocha la tête avant de la remercier pour son hospitalité. Elle observa le cellier qui faisait office d'entrée. Il s'agissait d'une petite pièce étriquée, dont les murs étaient ornés d'une tapisserie victorienne. Un carrelage en céramique couvrait le sol, et de nombreuses inégalités de niveau entre les carreaux étaient plus ou moins visibles. Il y avait une penderie et un placard à chaussures, partiellement couverts par un long rideau pourpre. Ce vestibule était ouvert sur un grand couloir, et on pouvait discerner depuis l'entrée un double escalier en marbre, dotés de rampes ornées de gravures dorées. Entre ces deux escaliers se trouvait une grande porte coulissante, ouverte, derrière laquelle se tenaient trois spectateurs. Il y avait des faux jumeaux, tous deux dotés de cheveux blonds platine et d'iris bleu clair. La jeune fille, qui devait être âgée d'à peine onze ans, avait de longs cheveux tressés, et le garçon du même âge avait des cheveux coupés juste sous les oreilles. Derrière eux se trouvait un jeune homme, élancé, aux cheveux châtain clair et aux yeux noisette. Alors que le frère et la sœur observaient les nouveaux venus avec un air interrogatif, le plus âgé les surveillait d'un œil méfiant. En observant attentivement les escaliers, Mari put apercevoir quelques visages dissimulés par la rampe. Il y avait un grand nombre de personnes dans ce sanctuaire, mais la plupart étaient des enfants, du moins, les plus curieux.
La jeune femme qui leur avait ouvert la porte les invita à la suivre jusqu'au pied d'un escalier où deux voix se firent entendre. La première était une voix de femme, douce et forte à la fois, tandis que la deuxième était celle d'un homme ayant atteint un âge respectable. L'adolescente leva la tête pour observer les deux arrivants. Le vieil homme était grand, marchait à l'aide d'une canne. Ses yeux ridés étaient si plissés qu'il semblait les avoir clos en permanence. Il avait une longue barbe blanche, tressée, à laquelle se mêlait sa longue moustache. Pour n'importe quel être doté d'une culture générale fondamentale, il était impossible de ne pas songer à un sorcier tout droit sorti d'un film fantastique ; s'il n'avait pas porté un uniforme noir, plutôt officiel. Cet habit dissipait totalement l'illusion du druide fictif.
Le regard de Mari se tourna vers la jeune femme qui l'accompagnait. Il lui fut impossible de détourner son regard une fois qu'elle l'eut aperçue. Elle était somptueuse. Il n'y avait aucun mot pour décrire cette beauté divine. Un halo de lumière blanche semblait l'entourer. Elle était plutôt pâle, et avait des cheveux marron foncé, ondulés. Ses joues étaient teintées d'un rose clair, et elle ne portait qu'une simple tunique blanche. Dans son dos étaient accrochés un arc et un carquois.
Millie se rapprocha de la jeune fille pour lui parler à voix basse.
- C'est dame Artémis. Tu peux aussi l'appeler Diane, mais tout le monde l'appelle par son nom grec ici. Elle est venue pour te voir, à chaque fois qu'une fille arrive, elle est ici. C'est une déesse, et elle est la seule à venir nous voir. Il y a aussi son frère, mais ils ne s'entendent pas très bien..
La déesse tourna son regard vers l'adolescente qui se figea, incapable de prononcer un mot. Elle avait imaginé les dieux comme des êtres imposants, mais elle n'aurait jamais pensé perdre ses moyens à cause d'un simple regard. Artémis descendit les escaliers, accompagnée du vieillard. Mari se sentit honteuse de se tenir devant une divinité aussi importante dans un état piteux ; ses cheveux n'étaient pas encore secs à cause de la tempête sur la baie de Miyako, et ses vêtements et bras étaient couverts d'égratignures après avoir couru à travers les buissons pour rejoindre la plage.
La déesse, cependant, ne semblait pas y prêter attention, on lisait au contraire de la compassion dans ses yeux. Alors qu'elle s'arrêtait devant l'adolescente, elle prit soudainement, mais doucement son visage entre ses mains avant de lui sourire gentiment.
- Tu dois être Mari. On m'avait prévenue que tu finirais par venir ici. Je suis Artémis, ou Diane, déesse de la Lune et de la chasse. Tu as dû traverser des épreuves difficiles... malheureusement, nous ne pouvons pas intervenir directement sur ces créatures. Tu es en sécurité maintenant, j'espère que tu apprécieras ton séjour ici. Sur ce, je dois retourner parmi les miens. Eoin, merci encore de perpétuer cette tradition. C'est grâce à toi et tes ancêtres que ces enfants sont sains et saufs.
- Ce n'est rien. Ils font partie de notre famille.
Artémis hocha la tête avec un sourire avant de disparaître, comme si elle avait été happée par son halo de lumière. Le vieillard se tourna vers la nouvelle venue.
- Bienvenue sur l'île Eilean Sùbhainn. Je suppose que notre familier t'a déjà expliqué l'origine de ce sanctuaire, alors je suggère que nous gardions les questions pour plus tard. D'ailleurs, où est-il ? Owain ? Montre ta frimousse de voyou !
Mari sentit soudainement quelque chose de doux remuer sur son épaule, bondissant sur le sommet de son crâne. Le félin avait considérablement rapetissé, étant à présent plus petit qu'une balle de tennis. Il poussa un miaulement aigu.
- Je suis là. C'est ma nouvelle maîtresse, c'est normal que je reste auprès d'elle.
- Tu ne devrais pas dire ça tout fort. Il pourrait t'entendre.
- J'ai déjà entendu.
La voix masculine qui venait de se faire entendre provenait de derrière la baie vitrée. Le garçon que la jeune fille avait aperçu en arrivant se rapprochait d'eux, un air agacé sur le visage.
- Ian, c'est une longue histoire... commença le vieil homme.
- Owain n'était pas supposé devenir mon familier ?
- Les circonstances ont quelque peu... changé.
- Il protège notre île depuis des années, il est hors de question que je le cède à la première personne venue d'on ne sait où. Je suis sûre qu'elle ne possède même pas les qualités pour être sa maîtresse.
Piquée par cette remarque, Mari garda tout de même un visage impassible.
- Elle les possède. Même si tu es mon fils, je dois te dire la vérité ; elle est une meilleure candidate en tant que maître du Cat Sith que toi.
- Pardon ? Et d'où viennent ses qualités ?
- Elle est la réincarnation d'Anastasia White.
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