Chapitre IX - Premier Jour
Le silence s'abattit soudainement sur la pièce. Les spectateurs qui observaient passivement la scène jusque-là sortirent de l'ombre ; certains se rapprochaient, d'autres partaient chercher leurs camarades. Au milieu de toute cette agitation, Mari se sentit embarrassée. Le vieil homme reprit alors la parole, essayant de détendre l'atmosphère.
- Mais enfin, où sont passées nos bonnes manières ? Je suis Eoin O'Sullivan, le directeur du sanctuaire. Excuse le comportement de mon fils, il est facilement irritable ces derniers temps... Ta chambre est déjà prête, mais tu seras seule, les autres dortoirs sont complets. J'espère que ça ne te dérange pas.
- Non, ce n'est pas un problème..
- Bien, dans ce cas je te prie de me suivre.
Il se tourna vers l'escalier avant d'en gravir les marches, empruntant un long couloir au bout duquel se trouvait une porte en chêne qui s'ouvrit en grinçant. Un petit escalier en colimaçon se trouvait derrière, fait de hautes marches dont les différences de niveau étaient déséquilibrantes. Le dortoir se trouvait derrière la porte gauche du palier. Il s'agissait d'une pièce de taille moyenne, dont le plafond rampant abritait quatre lits superposés accompagnés de commodes vertes. Une immense fenêtre de toit offrait une vue imprenable sur le ciel bleu parsemé de nuages blancs voluptueux.
- Voilà, bienvenue chez toi, Mari.
- Merci beaucoup pour votre hospitalité.
- Tu n'as pas besoin d'être aussi formelle, nous sommes une grande famille ici. Tu en fais désormais partie. Sur ce, je dois retourner à mes affaires. Les dieux sont compliqués quelquefois..
Alors qu'il se dirigeait vers la porte, la jeune fille l'appela.
- Monsieur--
- Eoin. Je suis déjà assez vieux, si tu m'appelles monsieur je vais prendre dix ans de plus.
- Eoin, je voudrais vous demander.. enfin, je sais que je suis la réincarnation d'Anya, mais c'est encore flou pour moi, et je n'ai pas l'impression de ressentir un lien avec elle pour le moment, alors j'aimerais ne pas recevoir de traitement de faveur pour cette raison. Par exemple, pour Owain, je l'apprécie beaucoup, mais je ne veux pas qu'il devienne mon familier sans l'avoir mérité.
- Mais enfin Mari, j'ai choisi moi-même de devenir ton familier ! miaula le concerné, soudainement installé sur l'épaule de l'adolescente.
- Mais ce garçon.. il disait que tu étais censé devenir son familier--
- C'est parce qu'Owain a toujours choisi les directeurs du sanctuaire comme maîtres jusqu'à aujourd'hui, mais il t'a choisie à la place de Ian. Bien qu'il soit un familier, il est libre de choisir son maître, et il se trouve que je lui avais récemment demandé de trouver un nouveau propriétaire puisque je me fais vieux. Tu n'as pas à t'inquiéter, je comprends ce que tu ressens, et je ne voudrais pas que tu aies du mal à t'intégrer ici à cause d'un traitement de faveur qui ne devrait pas être accordé. J'espère que tu vas t'habituer au sanctuaire rapidement, et les enfants sont adorables, tu n'auras pas de problèmes avec eux. Sur ce, à bientôt.
Il quitta la pièce, laissant la jeune fille découvrir sa nouvelle chambre. Le bois des commodes et des lits était ancien, légèrement rugueux, donnant un côté rustique aux meubles. Il y avait pour un sommier deux matelas ; un premier, ferme et épais, et un deuxième, moelleux, et d'un certain âge. L'ancienneté de cette pièce se faisait sentir par un parquet en bouleau qui grinçait, et une tapisserie baroque qui se détachait dans les coins des murs, ainsi qu'une odeur agréable propre aux anciens bâtiments, mais pas une odeur de renfermé, car la pièce semblait être aérée régulièrement. Mari se dirigea vers la fenêtre pour l'ouvrir. Une brise fraîche fit onduler les rideaux en dentelle blanche. La porte s'ouvrit dans un grincement sinistre, que l'adolescente commençait déjà à redouter.
- Mari ?
Millie se tenait sur le seuil de la porte, hésitant à entrer.
- Tu peux entrer.
La petite avança jusqu'au milieu de la chambre.
- Ton dortoir te plaît ?
- Oui, il est reposant ; comme une maison de vacances. Il y a juste cette porte...
- C'est vrai qu'elle est un peu vieille.. et qu'est-ce que tu penses de cet endroit ? Je veux dire, par rapport aux autres ?
- Honnêtement ?
La jeune fille tourna son regard vers la porte entrouverte où des enfants les observaient.
- J'ai l'impression d'être une bête de foire.
- Je comprends, mais c'est normal, tu es nouvelle. En plus, tu es la réincarnation d'Anya.
- Elle est populaire ici aussi ?
- Eh bien, puisque la guerre entre les anges et les démons a été stoppée grâce à elle, les dieux ont eu moins de problèmes à gérer, et ont donc pu renforcer la protection ici. Maintenant, les sans-nom ne peuvent plus nous détecter.
- Ils le pouvaient avant ?
- Oui, c'est pour ça que nous devions les anéantir nous-mêmes. Tout le monde ici a un pouvoir, plus ou moins utile pour le combat. Je suis sûre que le tien sera puissant.
- Je n'en suis pas sûre.. je ne suis pas Anya, juste sa réincarnation. Quand je retrouverai ses souvenirs, je disparaîtrai sûrement.
- Non, moi je suis sûre que tu resteras.
- Tu es gentille.
- Non, c'est juste normal. Sur ce, nous allons bientôt à table, le dîner est prêt.
Elle se dirigeait vers la porte, mais s'arrêta soudainement.
- Ah, désolée, tu ne sais sûrement pas où est la salle à manger. Viens, je t'y emmène.
- Merci.
Mari la suivit jusqu'à un immense réfectoire. Le plafond était très haut, et de nombreux lustres y étaient suspendus, éclairant la salle. La disposition de cette pièce était identique à celle des salles à manger des universités anglaises : de grandes tables toutes en longueur, où de nombreux sièges étaient alignés. Les enfants y étaient assis, presque tous présents. À ce moment, la jeune fille réalisa à quel point les pensionnaires de ce sanctuaire étaient nombreux. Millie la mena jusqu'à un banc ; elles y trouvèrent deux places libres. Il y eut d'abord une entrée ; quelques feuilles de mâche accompagnées de vinaigre de cidre. Le plat principal était un ragoût de mouton accompagné de pommes de terre et d'oignons, qui, comme Mari l'avait redouté, fut trop consistant. Alors qu'elle commençait à perdre l'appétit, Millie posa sa main sur celle de l'adolescente.
- Tu n'es pas obligée de tout finir.
- Merci.. c'est d'autant plus difficile que c'est un plat que je ne connais pas.
Une voix parmi le brouhaha de discussions sur les tables se fit entendre.
- On dirait bien qu'il faudrait quelque chose de meilleur pour Mademoiselle. Après tout, l'élite mérite l'élite...
La petite fille s'appuya sur la table pour regarder la source de cette remarquer.
- Ian, arrête--
- Ne t'inquiète pas, Millie. l'interrompit Mari.
Alors qu'elle se rasseyait, la jeune fille lui murmura quelques mots.
- Je ne vais pas répondre à quelque chose d'aussi puéril.
- Tu as raison..
Le repas se finissait au fur et à mesure que les pensionnaires regagnaient leurs dortoirs. L'adolescente se dirigea vers sa chambre, pour remarquer en y arrivant qu'elle avait été suivie.
- Millie ? Tu veux quelque chose ?
- Est-ce que je peux te parler ?
- Bien sûr, viens t'asseoir.
Elle obtempéra.
- Je suis désolée pour tout à l'heure.
- Ne t'excuse pas, tu n'es pas responsable.
- Oui, mais.. je ne veux pas que tu te sentes exclue...
- Ne t'inquiète pas, je ne me sens pas exclue.
- Tu mens..
- Non, je--
- Mari, je sais que tu mens. Je sais quand les gens mentent. C'est mon pouvoir.
- Oh.. je vois. La vérité est que je ne me sens pas exclue à cause de Ian, ni à cause des enfants. Je ne suis pas d'origine anglaise, donc je ne comprends pas toujours bien ce que vous dites. Tout à l'heure, il m'a fallu un peu de temps pour comprendre ce qu'il avait dit. J'ai peur que ça devienne un problème...
- Tu es inquiétée par ce genre de problème ? Tu donnes trop d'importance à ce genre de détail. Je t'aiderai si tu ne comprends pas.
- Tu es adorable.
Le soleil était déjà couché, laissant la nuit noircir le ciel rougeoyant. On distinguait quelques étoiles entre les nuages, et le vent s'était soudainement mis à souffler sur les arbres.
- Dis, Mari...
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je peux dormir ici ?
- Bien sûr, ce n'est pas ma chambre, c'est un dortoir.
- Merci..
Elle se dirigea vers le lit superposé, s'installant sur le lit inférieur, sous celui de Mari. Il ne s'écoula que peu de temps après l'extinction de la lumière avant que la voix de Millie ne résonne dans la pièce.
- Euh, Mari ?
- Oui ?
- Est-ce que je peux dormir avec toi ? Enfin, est-ce que je peux te faire un câlin ?
" C'est vrai que Millie est encore petite.. " pensa l'adolescente.
- Tu n'as pas besoin de demander.
Elle fut bientôt rejointe par la petite qui se faufila sous la couverture pour s'accrocher à elle comme un enfant à sa mère.
- Mes parents ont été tués par un sans-nom quand j'avais trois ans. Je ne me souviens même pas de leurs visages. C'est pour ça.. enfin, j'espère que je ne te dérange pas..
- Tu ne me dérange pas le moins du monde. C'est normal pour une enfant de ton âge, surtout si tu as perdu tes parents jeune. Tu n'aurais pas du subir ce genre de choses à ton âge, alors si jamais tu as besoin de moi, n'hésite pas à demander.
- Merci, Mari..
Les deux amies s'endormirent sous peu, malgré les quelques grincements de la porte. Le ciel d'Irlande reprit ses couleurs estivales après quelques heures, éclairant de vastes étendues d'herbe verte couvertes de rosée. Les gouttes perlaient au bout des feuilles, tombant pour alimenter des petites flaques d'eau ou la terre fertile elle-même.
Un rayon de soleil s'infiltra à travers une fente dans le bois des volets, pour faiblement éclairer un des murs de la chambre. Les reflets dorés sur la tapisserie ne tardèrent pas à réveiller Mari. Elle ouvrit doucement les yeux, se remémorant peu après où elle se trouvait. Millie s'était blottie entre ses bras, laissant sa tête reposer sur l'épaule de la jeune fille. Elle dormait paisiblement. L'adolescente tira la couverture pour la recouvrir. Un grincement la fit sursauter, et elle tourna son regard vers la porte. Elle reconnut les jumeaux qui l'avaient observée à son arrivée. Ils étaient plus âgés que Millie, mais plus jeunes que Mari.
- Qu'y a-t-il ?
Ils la regardèrent longuement avant que le garçon prenne la parole.
- Tu n'as pas l'air complètement stupide. Pourquoi Ian peut-il ne pas te faire confiance ?
- Pardon ?
- Grand frère n'a pas totalement tort. Nous ne te détestons pas, mais nous ne voulons pas être déçus.
- Je suis désolée, je ne comprends pas où vous voulez en venir...
- C'est parce qu'ils s'expriment en utilisant des litotes..
Millie venait de se réveiller, parlant d'une voix ensommeillée.
- Ah, Millie ne dort plus.
- C'est exact, Nora, je suis réveillée. Mari, je te présente Noah et Nora. Ils s'appellent tous deux "grand frère" et "grande sœur", parce qu'ils ne savent pas qui est né en premier. Ils utilisent des litotes pour s'exprimer, quelquefois.
- Euh, Millie, je ne sais pas traduire ce mot...
- Oh, c'est une figure de style. Elle consiste à dire moins pour laisser entendre plus qu'il n'est dit.
- Ah, je vois. Merci.
- Notre question reste sans réponse.
- Eh bien.. je ne sais pas. Je ne connais pas Ian, donc je ne sais pas pourquoi il a quelque chose contre moi.
Il y eut un moment de silence avant que Nora ne reprenne la parole.
- D'accord. Si tu ne sais pas, tu n'es pas à blâmer. Le petit déjeuner sera bientôt prêt, alors nous nous reverrons à ce moment.
Ils se dirigèrent vers la porte, avant de s'arrêter soudainement.
- Les mots ont un pouvoir important. Ne l'oublie pas.
Sans lui laisser le temps de répondre, ils partirent.
- Est-ce que tu sais ce qu'ils voulaient dire ?
- Ils sont capable d'utiliser la magie, grâce à des incantations. Chaque mot est important, et peut être une menace potentielle s'il est placé au mauvais endroit. Je pense que c'est ce qu'ils voulaient dire.
- De la magie.. ?
- C'est sûrement encore dur à réaliser, mais ce genre de chose existe. C'est très bien caché, mais il y en a partout autour de nous. Il reste encore une demi-heure avant le petit déjeuner, ils sont toujours en avance. Je vais essayer de dormir un peu plus, mais tu n'es pas obligée de me suivre.
- Je pense que je vais faire la même chose, je suis encore fatiguée.
Les deux amies se remirent sous la couverture, au fur et à mesure qu'un bruit provenant du rez-de-chaussée leur signalait que la plupart des pensionnaires étaient éveillés. La lumière du soleil à travers le volet s'était faite plus forte, et Mari rouvrit les yeux. Elle ignorait combien de temps s'était écoulé, mais tout était silencieux. Millie dormait.
La porte grinça de nouveau. Elle n'était qu'entrouverte, mais l'on ne discernait aucune forme derrière. Alors que la jeune fille penchait la tête sur le côté pour essayer d'apercevoir une quelconque silhouette, elle fut saisie par un irrépressible frisson lorsqu'elle sentit une odeur familière, nauséabonde, qu'elle aurait voulu ne jamais avoir à sentir encore une fois. Une odeur de cadavre.
Bonsoir,
Je suis consciente du temps que ce chapitre a pris pour être publié ; seulement voilà, j'ai eu un blocage, et n'ai pas pu avancer. Je ne pense pas être en mesure de publier à un rythme régulier, alors il pourra, dans le futur, y avoir deux chapitres consécutifs, ou pas de chapitre pendant deux semaines, etc. Je n'ai pas de temps entre les études et ma vie privée, alors j'espère que vous comprendrez pourquoi j'essaie de prendre du recul pour ne pas rendre ces chapitres déplaisants.
Merci d'avance, M.
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