Le soleil se levait doucement sur Tokyo, mais la capitale était déjà éveillée depuis longtemps. Les immenses bâtiments qui semblaient s'élever jusqu'au ciel illuminaient la ville par leurs fenêtres, lui donnant des allures d'essaim de lucioles lorsque la nuit tombait. Ces lumières disparaissaient progressivement pour laisser place à celle du soleil. Mari était déjà réveillée, ainsi que tous les lycéens qui participaient au voyage scolaire. Le jeudi était le jour où leur temps libre s'étendait sur toute la journée. Ils pouvaient alors vagabonder dans les quartiers, et acheter des souvenirs avec leur argent de poche. Les trois amies étaient en route vers Shibuya, et plus précisément vers le parc Yoyogi, lieu d'intérêt de l'arrondissement. Il s'agissait d'un grand parc, l'un des plus connus de la capitale, et était populaire pour ses nombreux festivals tout au long de l'année, ainsi que les performances d'artistes en tous genres. Les trois lycéennes ne tardèrent pas à arriver sur une vaste plaine du parc. Elle était encadrée de cerisiers japonais et autres arbres verdoyants.

- Quand je pense que le voyage se termine demain.... c'est passé trop vite... soupira Nanami.

- Vois le bon côté des choses, après la première saison des pluies en juin on pourra porter des yukata de juillet à août quand il fera chaud. fit Koharu, positive.

- Même... il y aura les moustiques, mais surtout les typhons. Il y en a un de prévu cette année, en juin.

- Oui, mais après il y aura les festivals d'été. Il y en a tellement... qu'est-ce que tu préfères dans les festivals ?

- Eh bien... j'aime les grands festivals où on peut s'arrêter acheter des bricoles dans les stands.

- Tu vois, c'est un point positif. Et toi, Manaka ?

- J'ai une préférence pour les feux d'artifice. Le festival de Tanabata est un de mes favoris. L'histoire d'Orihime et Hikoboshi, séparés par la Voie Lactée et pouvant se voir seulement le septième jour du septième mois une fois par an, est très belle. Et toi ?

- J'adore les jeux des festivals.. Chaque année, je ramène un poisson rouge à la maison, et mes petits frères sont ravis. Sinon, j'aime beaucoup les taiyakis ou les takoyakis.

- Manaka, tu veux manger quoi ce midi ? Je sais que c'est brusque et hors-sujet, mais je viens de me rappeler que tu n'as pas choisi un seul restaurant depuis notre arrivée.. demanda Nanami.

- Eh bien... je n'ai pas de préférence, ce serait plus simple si l'une de vous choisissait.

- Non ! C'est à toi que reviens le choix, alors choisis un plat.

- C'est que... je n'ai pas vraiment de plat préféré.. Ah, j'ai entendu dire qu'il y avait des restaurants où les sushis défilent sur des tapis roulants dans les grandes villes. Est-ce que ce genre de chose existe vraiment ?

- Manaka, est-ce que tu plaisantes ? fit Koharu, surprise.

- Non, je ne plaisante pas. Miyako est une petite ville, et ma maison est située dans la campagne, alors je n'ai jamais été dans un restaurant de ce genre.

- Eh bien, ça existe, le meilleur pour moi est celui de Koto, on y sera dans à peu près cinquante minutes en prenant le métro. affirma Nanami.

- C'est un peu long... on devrait chercher un autre restaurant dans Shibuya--

- Non, on va y aller. Cinquante minutes passeront vite, alors on ira. Mari, tu n'as jamais été dans un des ces restaurants... Ah, désolée, je t'ai appelée par ton prénom..

- Ce n'est pas grave, on se connaît depuis assez longtemps pour que tu puisses m'appeler par mon prénom. Toi aussi, Moritani.

- Ah bon.. ? Dans ce cas.. M-Mari... ?

- C'est exact.

- Mais Mari, tu as dit à Haru de ne pas t'appeler par ton prénom. Vous habitez ensemble pourtant.

- Miyazawa, nous n'habitons pas ensemble. Il est juste au même étage. Et je lui ai dit de ne pas m'appeler par mon prénom... parce que c'est différent.

- Tu es amoureuse ?

- Bien sûr que non. Il est juste.. trop familier, alors si je le laisse m'appeler par mon prénom, il serait capable de s'inviter dans mon appartement pour que je lui cuisine son repas. Il ne sait pas cuisiner.

- Il a l'air de bien t'aimer, lui. D'ailleurs, si tu nous laisse t'appeler Mari, alors appelle-nous aussi par nos prénoms.

- Euh... Nanami.. ?

- Voilà. Maintenant au tour de Koharu.

- Koharu.. ? C'est embarrassant de changer si soudainement, j'ai l'impression que ma voix sonne faux..

- Il faut bien changer à un moment ou un autre. Maintenant c'est fait. répondit celle-ci.

Continuant de discuter en chemin, les jeunes filles ne virent pas le temps passer, ainsi que le voyage en train. Elles arrivèrent à destination pour midi, découvrant le restaurant Sushiro de Koto.

- Nous y voilà. commença Nanami.

- Oui, on ne peut plus revenir en arrière. continua Koharu.

- Les filles.. vous avez l'air de jouer une pièce de théâtre...

- Mari, à toi l'honneur. finirent-elles en choeur.

L'adolescente soupira, un sourire exaspéré sur le visage. Elles étaient vraiment impliqués dans leur jeu, et il s'agissait là de ce que la lycéenne trouvait drôle chez elles. Elle entra dans le restaurant, suivie de ses amies, pour se diriger vers une table au fond de la grande salle. Les plats de sushi défilaient sur un tapis, et les commandes se faisaient à l'aide d'un écran tactile situé au bout de la table. Après avoir choisi leurs repas, les trois amies n'eurent qu'à les récupérer quand ils passèrent devant elles. Bien sûr, les sushis commandés étaient placés sur un dessous rouge indiquant qu'ils n'étaient pas disponibles. Les autres sushis pouvaient être pris par les clients. Lorsqu'elles eurent terminé, Mari aperçut un sushi plutôt appétissant passer devant elle ; tendant la main pour l'attraper, la jeune fille réalisa vite que la personne assise à la table derrière elle avait saisi le plat en même temps qu'elle. L'adolescente se pencha légèrement pour échanger un regard avec celle-ci.

- Mariri-- Manaka ?!

- Hayami ?

- Tu peux l'avoir, je ne veux pas finir par terre...

- Très spirituel. Je n'irai pas jusque là pour un simple plat. Cependant, j'accepte ta proposition.

Il soupira.

- Tu pourras au moins faire la cuisine chez moi un soir pour me remercier ?

- Non. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je suis venu manger ici avec Akihiko et les autres. Ils sont juste en face de moi.

- ... Ah. Sur ce, je ne voudrais pas te déranger alors que tu es à table.

- Hein ? Euh, d'accord...

Une autre voix s'éleva depuis leur table.

- Eh bien Manaka, tu ne nous dis même pas bonjour ? fit Akihiko.

Nanami et Koharu eurent un léger rire en voyant l'expression agacée de Mari qui essayait tout de même de sourire.

- Bonjour. Sur ce.

- Haru, elle est toujours comme ça ?

L'intéressé prit soin de mesurer ses mots pour éviter une prise de judo en plein restaurant.

- Eh bien... elle est juste polie, je veux dire, comme on est à table.. c'est sa façon d'être. Comme hier, elle s'est énervée à cause de l'incident...

- En effet, d'ailleurs si tu t'avises de revenir dans le bain des filles, j'irai voir le conseil des étudiants, puisqu'il s'agit de sa responsabilité de punir les élèves dans ce genre de situation. répondit-elle, sarcastique.

Il y eut alors un court silence, brisé par Nanami qui se mit à rire aux éclats jusqu'à en avoir les larmes aux yeux. Koharu s'empressa alors de régler l'addition et de faire sortir ses deux amies du restaurant avant que les garçons ne réagissent. Une fois dehors, la lycéenne aux cheveux ondulés riait toujours autant.

- Le président ne savait plus quoi répondre, c'était hilarant ! J'ai vu sa tête par-dessus le fauteuil, c'était à mourir de rire.

- Mari, tu n'y es pas allée un peu fort ?

- Non, ma remarque était justifiée. Il n'a rien dit à Hayami et aux autres. On devrait y aller, il y a encore quelques quartiers que vous vouliez visiter.

Ses deux amies hochèrent la tête avant de se diriger vers Asakusa. Elles s'attardèrent sur les bords du fleuve Sumida, puis dans la tour Skytree. En faisant un détour par la Tokyo Tower et un retour à Shibuya, elles en oublièrent leur visite de Shinjuku. Le ciel se teintait de couleurs rougeâtres quand elles réalisèrent cet oubli.

- On a encore le temps d'aller à Shinjuku... le couvre-feu est dans trois heures, on aura largement le temps d'y aller pour un coup d'oeil rapide... proposa Nanami.

- Oui...

- Attendez, fit Mari, il va faire nuit. C'est une mauvaise idée...

- Allez, Mari, il ne va rien nous arriver... et puis on aura pas de nouveau quartier libre pour y aller.

- S'il te plaît... La supplia Koharu en joignant ses deux mains.

- Mais... bon, d'accord, mais on ne reste pas longtemps.

- Merci !

- Mari, t'es la meilleure ! Et puis si des garçons sont trop collants tu n'auras qu'à utiliser tes techniques d'arts martiaux, ils ne pourront pas te battre.

L'adolescente poussa un long soupir inquiet. Elle n'était pas préoccupée par les délinquants qui traînaient la nuit mais par la possible présence des créatures qu'elle seule pouvait voir. Le trajet vers Shinjuku fut rapide, et la nuit était déjà tombée quand elles sortirent de la station de métro. Leur itinéraire s'étendait sur une des plus grandes allées, cependant Mari se figea devant celle-ci. Au bout de cette longue rue se trouvait un des monstres semblable à celui qui l'avait attaquée, immobile, lui tournant le dos. Elle s'empressa d'entraîner ses amies vers une autre rue, pour s'arrêter quelques mètres plus loin de l'allée. Sa respiration était saccadée, et la peur l'avait saisie.

- Mari, ça va ?

- Mari ?

- Je.. je vais bien. J'ai juste vu quelque chose qui avait l'air dangereux... alors j'ai préféré changer de direction.

- Qu'est-ce que tu as vu ?

- Je n'ai pas bien vu... des délinquants je pense. On devrait rentrer...

- Attends, on peut emprunter un autre chemin, cette rue doit mener à notre destination. fit Nanami.

- Non, Nanami, on ne devrait pas--

- S'il te plaît, Mari... on est venues jusqu'ici...

- Vous ne comprenez pas... restez près de moi et soyez prêtes à courir à mon signal. C'est la dernière concession que je ferai, si quelque chose arrive encore, on rentrera.

- Oui..

Elles empruntèrent donc une rue calme, Mari les menant dans des allées les plus éloignées de celle où se trouvait la chose, jusqu'à se perdre en suivant cet objectif. En cherchant à éviter un danger, elle venait perdre ses deux amies dans un labyrinthe de rues et ruelles semblables les unes aux autres.

- Mari, tu sais où on est ?

- Je... je ne sais pas...

- Mais tu nous a dit de te suivre...

- J'ai dû me tromper de rue il y a quelques minutes, je n'ai pas assez bien mémorisé la carte à la station... je suis désolée.

- C'est pas grave, on va bien retrouver notre chemin. On n'a qu'à suivre cette ruelle. la rassura Nanami.

- Elle fait un peu peur... c'est sombre, et petit... frissonna Koharu.

- Je vais marcher devant, si quelque chose arrive, je vous protégerai. Nanami, tu me diras si tu te souviens d'une rue qui mène à la station ou à notre objectif.

Mari reprit donc la tête du groupe pour se diriger vers la ruelle, qui les mena vers sa jumelle. Un groupe de garçons un peu plus âgés qu'elles les aperçut.

- Que font des jeunes filles ici à cette heure de la nuit ? fit le premier.

- Vous vous êtes perdues ? ajouta un deuxième.

- On peut vous raccompagner vers les allées centrales, c'est par là. conclut un troisième, désignant une ruelle derrière eux repérable par les lampadaires qui l'éclairaient.

- C'est très aimable à vous, mais nous n'avons pas besoin d'aide... merci quand même. répondit Mari.

- Mari... il y a de la lumière là-bas, ce doit être une rue calme. On devrait peut-être les suivre jusque là-bas, ils n'ont pas l'air méchants. chuchota Koharu.

- Koharu, on ne peut pas suivre des étrangers... !

- Mari, on a pas vraiment d'autre choix... on est complètement perdues...

- À en juger par vos murmures, vous êtes vraiment perdues. Vous pouvez nous suivre, il ne va rien vous arriver. La rue derrière est éclairée. Vous n'êtes pas d'ici, pas vrai ? leur lança le premier à avoir parlé.

- On est perdues, en fait... C'est la première fois qu'on visite ce quartier et on a pris le mauvais chemin. Vous savez où sont les allées centrales ? fit l'adolescente aux cheveux ondulés.

- Bien sûr, c'est juste derrière cette rue éclairée. Vous n'avez qu'à nous suivre, et vous pourrez continuer seules sur les rues éclairées, c'est tout droit.

- Merci beaucoup.

- Nanami ! On ne les connaît pas ! murmura Mari.

- C'est le seul choix qu'on ait.

- Mari, s'il te plaît, on est totalement perdues... l'implora Koharu.

- Non, je vous ai dit que je ne ferais pas une concession de plus, c'est trop dangereux !

- Mari ! Écoute-nous pour une fois, on ne sera pas rentrées à l'heure sinon ! Tu veux avoir d'autres problèmes avec Akihiko ?

- Non, mais--

- Dans ce cas il n'y a pas de mais, on y va. Je ne veux pas arriver en retard non plus.

Elle les suivit à contrecoeur, sur ses gardes. Tous les membres du groupe qui les guidait avaient une cigarette à la main, et la fumée qu'il soufflaient régulièrement était vraiment désagréable. Ils les firent tourner au bout de la rue, s'arrêtant.

- Vous n'avez plus qu'à continuer tout droit.

Nanami et Koharu continuèrent d'avancer, et Mari les suivit d'un pas hésitant avant de discerner une forme au bout de la ruelle étroite.

- Attendez, c'est une impasse !

Elle se retourna pour éviter de justesse l'emprise d'un des membres du groupe, qui avait retroussé ses manches, laissant voir des tatouages recouvrant entièrement ses bras.

" Des yakuza ?! J'avais entendu dire qu'il y en avait à Shinjuku mais je n'aurais jamais imaginé qu'ils seraient ici ! C'est mauvais, certains clans font du trafic humain... Ils ont sûrement dû nous attirer ici dans cette intention... ! "

- Qu'est-ce que vous voulez ?! leur jeta Mari en se plaçant devant ses deux amies terrorisées, pour les protéger.

- Vous attirer dans un piège, qui a fonctionné. Dommage que tes amies n'aient pas été aussi méfiantes que toi, elles t'ont entraînée avec elles. Maintenant vous allez gentiment nous suivre, sinon on va devoir vous y forcer.

Ils s'avançaient vers elles, une compresse à la main. Ces compresses étaient évidemment imbibées de chloroforme, chose que Mari avait facilement deviné, ce qui signifiait que s'ils parvenaient à maintenir ces compresses sur le visage de l'une d'entre elles pendant une certaine durée de temps, elles s'endormiraient et tout serait terminé. Elle devait absolument protéger ses deux amies, mais ils étaient un peu moins d'une dizaine et elle était seule, car Nanami et Koharu étaient incapables de se défendre. Alors qu'elle se préparait à devoir se battre, Mari vit soudainement les yakuza tomber au sol, comme si le sommeil les avait subitement saisis. Ils respiraient encore, mais étaient inconscients. Koharu et Nanami s'étaient également effondrées derrière elle. Un bruit de pas résonnait dans la ruelle, tandis que la jeune fille essayait de garder son sang-froid et de régler sa respiration. Trois silhouettes émergèrent des ténèbres. Le premier à parler fut un grand blond aux cheveux bouclé.

- Anya ?

Mari fut prise au dépourvu, ne sachant pas comment réagir.

- Je ne sais pas si vous vous adressez à moi, mais ce n'est pas mon prénom. Qui êtes-vous ?!

- Quoi ? C'est moi, Bélial. Avec Sytry et Asmodée. Tu ne nous reconnais pas ?

- Je ne vous connais pas ! Ces noms ne sont-ils pas des noms de démons européens ? Si c'est une mauvaise plaisanterie arrêtez tout de suite !

- C'est pas vrai elle est encore pire qu'avant... tu plaisantes là ?

- Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ?

Elle affichait en effet une expression des plus sérieuses.

- Bélial, je crois que sa mémoire n'a pas été conservée. fit Sytry.

- C'est pas possible ! Elle avait demandé à l'Oracle !

- Eh bien on dirait que ça n'a pas marché. Ça va être plus compliqué que prévu... fit Asmodée.

- Anya--

- Ce n'est pas mon prénom ! Qu'est-ce que vous voulez ?! Entre des yakuza et des soi-disant démons, j'en ai assez vu pour la journée !

- Tu nous a vraiment tous oubliés ?

- Je ne vous connais pas, ni vous ni votre entourage !

- Tu ne te souviens pas de Lucifer ?

Les yeux de Mari s'écarquillèrent à l'entente de ce nom. Il lui était familier pour une raison qu'elle ignorait.